Le Diable à Paris/Série 3/Fourberies de femmes

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Fourberies de femmesJ. HetzelVolume 3 (p. 1-47).

Fourberies de femmes

par Gavarni

— C’est égal, je trouve que le parrain de la petite vient trop chez nous… — Ces noisettes-là ne sont guère bonnes ! — Et ça fait jaser… tu sais bien que ce n’est pas pour moi que je dis ça ; tu me connais… — Oh ! tu feras ce que tu voudras, mais tu passeras pour un homme sans caractère… En v’là encore une creuse.

— Voyons, Coquardin, que diable ! il faut se faire une raison !… et d’ailleurs, en êtes-vous bien sûr ? — Sûr !… Ils sont à Saint-Cloud, à l’heure qu’il est, comme nous voilà ici… — Hum !

À un monsieur Anatole qui attend dans un cabinet de la Poissonnerie.
D’un cabinet chez Pétron.
Monsieur,

Dans la pièce voisine de celle où je dîne ici avec mon épouse, une voix de femme, s’adressant à de joyeux convives, s’est écriée : « Et mon Anatole ingénu qui m’attend à la Poissonnerie ! » et, après des rires indécents, la même voix a ajouté : « Attends, attends, mon petit ! » Je m’empresse, Monsieur, de vous donner avis de ce propos trop léger. Croyez à toute ma sympathie pour des chagrins bien touchants, quoiqu’ils soient, permettez-moi de le dire, souvent mérités dans des attachements illégitimes.

Général Baron Coquardeau.

— Voilà un gros Loulou qui vient passer toute la journée avec sa biche, oui !

— Mais comment fait-il donc, cet homme-là, pour être gentil comme ça ?

Que voulez-vous ? j’irai tout seul… Satanée migraine ! Tu souffres donc bien ?… Pauvre chat !

— Vraiment, dans ta position, tu as bien tort, ma chère petite, de laisser un vilain singe comme ça pendu sous tes yeux toute la journée. — Qu’est-ce que ça peut faire ? — Ça fait que le petit dernier de Caroline ressemble à mosieu Coquardeau ; voilà ce que ça fait !… C’est bien gai pour une mère !

Voyons ! Théodore ! nous ne sommes donc plus la Bichette à notre petite maman ?

Le v’là !… ôte ton chapeau.


Oui, ma chère, mon mari a eu l’infamie de faire venir cette créature dans ma maison, sous mes yeux ! et cela, quand il sait que la seule affection que j’aie en ce monde est à deux cents lieues d’ici !…

Les hommes sont lâches !…

— Voilà deux fois que vous rentrez à minuit, cette semaine Qu’est-ce que c’est que ce genre-là ?

— Puisque je t’ai déjà dit que marraine était en couche.

— Mâtin ! elle y met le temps cette marraine-là.

— On aime donc un peu son bichon ?

— Trop, mauvais sujet !

— Mais voyons ! si Paul et Henri s’entendent, il faudra que tu choisisses : lequel des deux garderas-tu ?

— Celui qui me quittera.

— Comment, ma petite, je viens de rencontrer ton mari avec M. Édouard ! — Eh bien ? Ah çà !… ils sont donc bien ensemble, à présent ? Parbleu ! Ô Virginie ! je te reconnais bien là !

— Ô Henri ! Henri ! Mon Dieu, mon Dieu !… Sacrifiez-vous donc pour un ingrat comme ça !… ne plus le voir !… jamais !… Mais est-ce que ça va m’être possible, à moi, de ne plus voir mon Henri ?… — Heureusement que ton Amédée te reste…

Mon cher Monsieur,

Caroline me charge de vous rappeler certain duo dont elle raffole, et que vous lui avez promis. Vous seriez vraiment bien aimable de venir dîner avec elle aujourd’hui, et de lui apporter votre musique. Pour moi, je serai privé du plaisir de vous entendre, car je suis attendu à Versailles. Plaignez-moi, mon cher monsieur, et croyez-moi toujours votre bien affectionné.

cocardeau.

Mais quelle est donc la femme qui ne serait pas heureuse et fière de vous appartenir, mon Jules ?

— Entends-moi bien : demain matin, il ira t’engager à dîner ; si tu lui vois son parapluie, c’est qu’il n’aura pas sa stalle aux Français, alors tu n’accepteras pas ; s’il n’a pas de parapluie, tu viendras dîner. — Mais (il faut penser à tout) s’il pleut demain matin ?… — S’il pleut, il sera mouillé, voilà tout… Si je ne veux pas qu’il ait un parapluie, moi, il n’en aura pas !… Tu es donc bête ?…

Toi, franche toi, simple ! avoir de la confiance En toi !… toi !… Vois-tu ? toi ! mais tu te moucherais de la main gauche rien que pour le plaisir de tromper ta main droite, si tu pouvais !

Une enfant ! une enfant, Mosieu, dont je me croyais, avant-hier encore, le premier et le seul amour ! — Si vous aviez été le premier, mon cher, vous n’auriez pas pu être le seul faut être juste.

— Mais, docteur, vous vous trompez ! ça ne ferait que six mois et demi… que diable !

— Mon cher Cocardeau la nature a des mystères qu’il n’est pas toujours donné à notre science d’approfondir.

Tu ne sais pas, mosieu Cocardeau, ce que ta fille a fait ? La mâtine ! n’a-t-elle pas jeté sa cathos dans le jardin de mosieu Alexandre (ce mosieu du rez-de-chaussée qui a cette barbe)… Il a eu la politesse de remonter la cathos à mademoiselle Nini. Il est fort honnête ce mosieu… c’est égal, il me déplairait.

Voyons, Clara !… voyons. Clara !… eh bien ! non, tu ne connais pas de petit jeune homme… Allons !… c’est moi qui ne suis qu’un imbécile avec mes bêtises… et tu auras ton châle de velours… Voyons, Clara ! voyons !

« Au reçu de ce billet, montez à cheval : hâtez-vous ! cherchez sur l’avenue de Neuilly une citadine jaune, stores baissés, cheval gris, vieux cocher — 108 — une seule lanterne allumée…

Suivez ! on arrêtera à la petite porte d’une maison de Sablonville, un homme et une femme descendront. Cet homme était mon amant. Et cette femme, c’est la vôtre ! »

Vicomtesse de ***

Voyons, mon cher Gustave, soyez le plus raisonnable… Il ne faut pas être comme ça pour un mot… Vous savez comment est ma femme… mais elle est bonne au fond et nous avons vraiment beaucoup d’amitié pour vous… Voyons ! venez ce soir… Allons, vous viendrez ce soir…

Malheureuse ! tu feras la honte de ton sexe et le désespoir du mien !


— Qu’est-es que tu as ? — J’ai que je viens de rencontrer Jules avec madame Bouvier !… — Eh bien ! qu’est-ce que ça te fait ? — Ça me fait !… C’est indécent. — On te rencontre bien avec lui. — C’est bien bête ce que tu dis là… au moins moi, on sait que c’est ton ami.

— Ce mosieu Ernest est assez bien…

— Ah ! Dieu ! tu trouves ! Tu aimes donc les grandes barbes, toi ?… moi, ça me dégoûte. Ah !

— Non, Nini, je ne pourrai pas aller au bal de l’Opéra, ce soir, tu prieras un de ces messieurs de t’accompagner. — Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! — Ta ! ta ! ta !… soupe au lait !… Voyons Nini soyez gentille, vous savez que vous avez envie d’un manchon.

Comment ! tu me vois avec un mosieu que tu ne connais pas, et tu fais des bêtises inconvenantes comme ça !… et tu n’ôtes pas seulement ton chapeau !…

O Hippolyte, vous ne serez donc, toute votre vie, qu’un homme sans aucune espèce de formes ?

… Mon Dieu ! ça lui a pris hier au soir, après que Mossieu a été parti… mais à présent il y a du mieux… Madame repose… Ah ! nous avons eu joliment peur !

— Quand je pense que M. Cocardeau va être mon mari, ça me fait de la peine pour Alexandre.

— Et à moi pour Cocardeau.

Loulou !… Loulou, voilà midi qui sonne au salon, tu sais que tu as affaire !… et le salon va bien : c’est Mosieu Jules qui l’a arrangé hier.

— Comment saviez-vous, Papa, que j’aimais Mosieu Léon ?

— Parce que tu me parlais toujours de Mosieu Paul

C’est bien drôle que ma femme devait diner chez maman Cocardeau, et que je n’y ai trouvé que les petits… C’est bien drôle !

Est-il Dieu, permis d’avoir des pensées comme ça sur la mère de son petit Joseph ?

Mais si un homme avait été pour moi ce que j’ai été pour toi, et que je lui aie fait ce que tu m’as fait !… Mais ! mais… mais je serais… honteuse !

Mon aimable Amédée,
Ce soir, vers huit heures, à la Boule Rouge, en citadine ; soyez attentif et ne faites pas attendre votre
Clara.
Mon Henri bien aimé,
Juge de mon désespoir ! j’ai un mal de gorge affreux, il me sera bien impossible de sortir ce soir. Il est même question de me poser vingt sangsues !!! Plains beaucoup et aime toujours ta
Clara.

Ah ! c’est le jeune homme dont tu m’as parlé, madame Cocardy… Vous voulez donc entrer dans le bâtiment jeune homme ?… Eh ben ! mais… c’est très, bien… Faut faire monter un lit dans une chambre d’en haut, v’là tout.

— Henri est fort bien… mais je crois que c’est Charles que j’aime le mieux.

— Alors, épouse Henri.

— Qu’est-ce que c’est que ce mosieu qui sort d’ici ?

— Ah ! mon Dieu ! il ne t’a pas parlé ?… C’est un mosieu qui venait pour l’affaire d’Ancelin… et qui part ce soir… il t’a attendu plus de deux heures !…

— Mais comme tu as chaud, ma biche !

Se comporter ainsi avec un homme dont on est la mère de l’enfant !

Vois-tu, ma petite, quand un amoureux commence à devenir dangereux, faut se dépêcher d’en avoir deux… après on ne peut plus, et on fait des bêtises !

— Mais !…il me semble… qu’on a… pipé ici !

— Hein ?… Ah ! c’est moi qui ai voulu voir pour ma dent du fond… Ma foi, c’est bien des bêtises, ça ne fait rien.

Vous reverrai-je ? — Allons… oui ! — Où ? — Ici. — Quand ? — Demain !… mais partez vite ! — Ange, encore un mot : vous êtes mariée ? — Parbleu !

Tu avais bien raison, ma femme, c’est bien plus joli par ici que par là-bas… Tiens !… mosieu Gustave !… ah ! bien, on peut dire que voilà une rencontre bizarre !

Allez au bal de l’Opéra avec madame de Cocardeau, allez, madame Prudhomme, j’y consens : il y a toujours dans la confiance, quelque aveugle qu’elle soit, une noblesse qui, songez-y bien, manquerait à la ruse.

( Au premier Mosieu. ) « Attendez-moi ce soir, de quatre à cinq heures, quai de l'Horloge du Palais.
votre AUGUSTINE. »
(Au deuxième Mosieu.) « Ce soir, quai des Lunettes, entre quatre et cinq heures
votre AUGUSTINE. »
(Au troisième Mosieu.) « Quai des Morfondus, ce soir, de quatre heures à cinq.
votre AUGUSTINE. »
(À un quatrième Mosieu.) « Je t’attends ce soir, à quatre heures.
Ton AUGUSTINE. »