Le Diable au XIXe siècle/XL

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Docteur Bataille ()
Delhomme et Briguet (tome 2p. 780-798).

CHAPITRE XL

Le Feu Éternel, paradis des Élus lucifériens


Nous venons de voir que le Feu est en honneur dans la franc-maçonnerie dès la première initiation. Les triangles sont le couronnement des aréopages de Chèvaliers Kadosch et des chapitres de Rose-Croix, c’est-à-dire des arrière-loges, elles-mêmes souchées sur les loges ; et le premier sacrement luciférien, dit de la Purification, nous a montré que Palladisme et Maçonnerie des rites officiels se tiennent, sont inséparables, puisque, dès l’initiation primitive, dès le grade d’Apprenti, l’adepte est, par le baptême du feu, voué au Roi de l’Enfer, quoiqu’on lui laisse ignorer le vrai sens de son passage par les flammes.

Certes, le voile du luciférianisme n’est soulevé que peu à peu, très lentement, avec une prudence extrême, pour l’éducation mystico-infernale de l’adepte ; car le Palladisme, vers lequel il pourra être dirigé un jour, ne nie pas l’existence du surnaturel domaine du feu où Lucifer est pour l’éternité, à la tête des anges qu’il entraîna dans sa révolte et dans sa chute. Mais le démon, dans sa religion occulte, veille, immortel trompeur, à ne point effrayer les humains qui se donnent à lui, qui deviennent ses fidèles. Il lui faut les habituer à cette idée qu’après leur mort ils seront avec lui au sein des éternelles flammes : mais, leur dit-il, ces flammes sont divines ; loin de faire souffrir, elles engendrent le pur bonheur ; elles sont vivifiantes ; elles ne consument plus là-bas, elles communiquent aux âmes une ivresse radieuse dans une régénération sans fin. Les damnés sont des élus, et l’enfer est le vrai paradis.

Aussi, pour acheminer le franc-maçon vers cette révélation dernière, pour dissiper toutes les craintes qu’il pourrait avoir de l’enfer par suite d’une éducation catholique, on lui ménage les étapes ; au moyen de conférences, on lui prône les vertus du Feu, et il est même un grade, dans la maçonnerie de tous les rites officiels, qui est en grande partie consacré à la glorification du Feu : c’est le grade de Rose-Croix, 18e degré dans le Rite Écossais Ancien Accepté, pour ne parler ici que de ce rite avoué.

Le mot sacré de Rose-Croix est : I. N. R. I. Et on l’interprète par cet aphorisme diabolique, adopté par toutes les sectes ennemies de Dieu : Igne Natura Renovatur Integra.

À l’initiation à ce grade, — si important, qu’il est de ceux dont on ne peut être dispensé quand on veut « aller plus loin », — le Très Sage, ou président du Chapitre, dit aux récipiendaires (je cite textuellement le rituel) :


« Très chers frères, toute parole mystérieuse renferme plusieurs sens : le sens littéral et le sens spirituel. C’est au véritable initié qu’il appartient de saisir le sens le plus sublime ; car, vous le savez, la lettre tue, et l’esprit vivifie.

« Nous, Chevaliers Rose-Croix, nous interprétons le monogramme INRI par ces mots : « Igne Natura Renovatur Integra », c’est-à-dire : « la Nature est régénérée tout entière par le Feu ». Nous sommes ici dans le vrai, tant dans le sens littéral que dans le sens spirituel.

« Il est vrai que beaucoup d’ignorants ont, jusqu’à ce jour, interprété ce monogramme de la manière suivante : « Iesus Nazaremus Rex Iudeorum », c’est-à-dire : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Mais cette interprétation ne peut être acceptée comme exacte, attendu que Jésus ne fut jamais roi des Juifs, et que ce titre, qui n’était qu’une raillerie de la part de ceux qui le mirent à mort, a été, à tort, selon nous, consacré par la légende chrétienne.

« Revenons donc à la vérité, et voyons les deux sens vrais, le sens littéral et le sens spirituel, de l’exacte et juste interprétation : « la Nature tout entière est régénérée par le Feu ».

« Le premier, le sens littéral, nous rappelle qu’après que la nature a été engourdie par les froids, le soleil, au retour du solstice, la réchauffe et fait jaillir de son sein les moissons, les fleurs et les fruits. Ce sens peut suffire à des profanes.

« Mais à ceux qui sont dignes de recevoir la communication des hautes sciences et des mystères sublimes, iis quibus datum est noscere mysterium, à ceux-là nous donnons la véritable signification de ces mots : la Nature tout entière, entendez-le bien, toute la nature est renouvelée, régénérée par le Feu… En effet, que nous dit le Verbe ?… Il nous dit : « De même que l’or est purifié par la fournaise, ainsi le juste sera purifié en passant par le feu », le Feu, ce principe de vie qui anime tous les êtres.

« Nous avons vu, dans le grade de Maitre, que la parole perdue fut l’effet de l’automne, où le soleil, dépouillé de sa puissance, rend la nature muette. La parole retrouvée doit donc figurer dans un grade qui annonce un printemps prochain, symbolisé par la Rose, et aussi par le Feu, base de ce 18e degré.

« Ce n’est pas à ce feu matériel qui sert à satisfaire une partie de nos besoins que se rapportent les allégories de ce grade. Non ! c’est à cet élément principe, à ce Feu conservateur et vivifiant qui pénètre et embrasse toute la nature, c’est à ce Feu sacré que se rattachent tous nos mystérieux symboles : c’est à cet élément pur, dont la chaleur et la lumière ne sont que des modifications, dont la fécondité, le mouvement et la vie sont les effets, et dont les astres sans nombre dispersés dans l’immensité de l’univers semblent être les foyers inépuisables ; qui prête aux corps le charme des plus vives et des plus brillantes couleurs, ou, se cachant à nos regards, résidant jusqu’au sein de la terre, écarte les molécules des corps, malgré la force qui les unit, et y produit une action qui tantôt est le principe de leur existence, de leur conservation, de leur reproduction, et tantôt est la cause de leur division, de leur destruction, de leur transformation ; qui, d’autres fois encore, sillonne la nue qui le porte, et, sous le nom d’étincelle électrique, frappe à la fois notre œil ébloui, notre oreille étonnée, tous nos sens effrayés, et transforme la vapeur des nues en une masse d’eau qui se précipite sur la terre qu’elle ravage ; ce Feu, enfin, roi des éléments, sans lequel les autres seraient froids et inertes, qui communique à l’air sa pureté, à l’eau sa fluidité, à la terre sa fécondité inépuisable.

« Au rayonnement de ce Feu sacré qui forme la parole, l’homme a reconquis tous les droits de sa primitive origine, l’esclave s’est redressé sous l’éclair de l’égalité, la femme a reçu en principe la faculté de marcher l’égale de son époux, et, aux lueurs de la Foi, de l’Espérance et de la Charité, les hommes ont été appelés à ne former qu’une seule famille de Frères.

« Considérez donc, Chevaliers, dans le monogramme INRI, un symbole dont le sens doit vous guider désormais dans le chemin de la Science et de la Vérité. »


Le voile commence à être soulevé, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par ce qui précède. Pour ne rien brusquer, la Maçonnerie donne au récipiendaire Rose-Croix l’enseignement du panthéisme ; mais elle lui laisse entrevoir d’autres horizons. À lui, de comprendre. L’homme a reconquis, par le rayonnement du Feu sacré, dit le Très-Sage, tous les droits de sa primitive origine. Réfléchissez à ces paroles. S’il a reconquis des droits, c’est qu’il en avait été privé. Privé par qui ? par Adonaï. Qui lui a rendu ces droits ? le rayonnement du Feu sacré, c’est-à-dire la radieuse intervention de Lucifer, du Dieu-Bon toujours combattant pour l’humanité contre le Dieu-Mauvais. Et, dans sa conclusion, le Très-Sage donne à entendre au néophyte qu’il ne lui a pas tout dit. Il lui a appris de quels mots les lettres de INRI sont les initiales et l’a mis sur la voie du sens spirituel de l’aphorisme : « la Nature tout entière est régénérée par le Feu » ; mais voilà tout. Cherchez, mon frère ; trouvez le sens du nouveau symbole soumis à vos méditations ; engagez-vous dans le chemin de la Science (la Gnose) et de la Vérité (de la vérité maçonnique) ; le sens spirituel du symbole INRI vous guidera.

En remettant au nouveau Chevalier son cordon, le Très-Sage lui dit, entre autres choses : « Mon Frère, la couleur de ce cordon est rouge : c’est la couleur du soleil ou de la lumière à son foyer ; c’est aussi la couleur de l’amour. » C’est là encore une façon de rappeler emblématiquement que le grade de Rose-Croix est consacré au Feu divin.

Dans le catéchisme de Rose-Croix qui est remis à l’adepte, celui-ci peut lire enfin ceci :


« D. Pourquoi l’élément Feu se rapporte-t-il spécialement au grade de Rose-Croix ?

« R. Parce que les grades d’Apprenti, Compagnon et Maître ayant symbolisé le printemps, l’été et l’automne, celui de Rose-Croix, qui est le Parfait Maitre, symbolise l’hiver, saison du Feu.

« Ces tableaux de la nature ont été, dans nos grades, ingénieusement tracés par des sages qui n’ont point oublié qu’ils devaient peindre, non ce qui parait être, mais ce qui est réellement.

« L’époque de l’année à laquelle doit se rapporter l’élément Terre est celle où le sol se couvre partout de verdure et de fleurs, c’est alors que les champs vont rendre à l’homme les trésors qu’il leur a confiés ; le premier élément doit donc se rapporter au printemps.

« Dans l’été, le ciel plus pur semble briller d’un éclat plus vif, le soleil lance ses rayons les plus ardents qui semblent descendre en langues de feu pour donner la parole aux êtres vivants, l’air raréfié par la chaleur acquiert une action plus active ; c’est donc à l’été que se rapporte l’élément Air.

« L’automne, saison des pluies, est, à son tour, caractérisée par l’élément Eau, dont le Verseau est le symbole.

« Enfin, pour caractériser la dernière saison, écoutons ce que le poète dit du quatrième élément :

« Ignis ubique latet, naturam amplectitur omnem ;
      « Cuncta parit, renovat, dividit, urit, alit. »

« C’est à dire : le Feu se cache partout, il embrasse toute la nature ; il produit, il renouvelle, il divise, il consume, il entretient tous les corps.

« Dans l’hiver, en effet, le calorique se concentre, et, tandis que des frimas couvrent la surface du sol, la nature prépare, dans l’intérieur, toutes les merveilles qui doivent charmer nos yeux au printemps et nous enrichir en automne ; c’est alors que le Feu central, le Feu élémentaire, le Feu de la nature agit avec plus de force et de pouvoir ; c’est alors que, quoique caché, ignis ubique latet, il opère ses plus étonnantes merveilles ; c’est alors qu’il embrasse la nature, naturam amplectitur omnem, qu’il la féconde, qu’il opère, dans l’univers entier, ce mouvement qui nous ramène, par un ordre constant et éternel, le soleil et ses beaux jours. C’est le Feu caché, mais toujours agissant, qui produit tout, qui entretient tout, cuncta parit, cunctaque alit ; c’est ce Feu, l’âme de la nature, dont il renouvelle perpétuellement les formes, qui divise les éléments des corps ou qui réunit leurs molécules éparses, cuncta renovat, cunctaque dividit ; c’est le Feu, enfin, qui, après avoir été le principe de la vie de tous les êtres, devient, par suite de son activité, la cause toujours agissante de leur destruction et de leur agrégation à d’autres mixtes, cuncta urit.

« Les Sages des temps antiques jugèrent le Feu tellement actif que, le considérant comme le premier agent de la nature, ils en firent d’abord l’emblème de la divinité, puis la divinité elle-même. »


Remarquez avec quel luxe de précautions, la Maçonnerie procède. Elle glorifie à outrance le Feu ; mais, se renfermant ici encore dans le panthéisme, c’est à peine si elle en entrebâille la porte, pour montrer qu’il n’est pas absurde de rendre au Feu des honneurs divins. Elle se garde bien de traiter d’imposteurs et de superstitieux les prêtres du sabéisme ; elle les appelle pompeusement les Sages des temps antiques » ; c’est au sacerdoce et à l’Église catholiques qu’elle réserve, nous l’avons vu constamment, les invectives et les mépris, les mots d’imposture et de superstition.

Du reste, voyons la suite du catéchisme de Rose-Croix :


« D. Donnez-nous votre opinion sur la parole maçonnique ou le Verbe.

« R. La parole maçonnique est le Verbe civilisateur du genre humain. Lien de la sociabilité, elle fait participer l’universalité des hommes à la vivifiante lumière de la Vérité, en les menant à la certitude par l’évidence. Lyre sacrée, elle exprime les harmonies des mondes, l’essence des êtres, leur nature et leurs rapports.

« Zoroastre, ce sublime Moïse de la religion d’Ormuzd, ce premier souverain pontife du culte du Feu, appelait le Verbe : la lumière et la loi, c’est-à-dire pour nous, la Vérité et la Justice.

« La parole maçonnique est le Verbe de la raison parlant à nos sens : c’est la sagesse opposée aux intérêts matériels ; c’est Ormuzd, dieu de la Lumière, disant à Zoroastre : « Je suis la Parole qui détruit les maux en combattant Ahriman, père du mensonge et de l’ignorance ».

Et, comme ayant peur d’en avoir déjà trop dit à ce nouveau Rose-Croix, pour diminuer la portée de ce rapide, mais net aperçu du dogme luciférien de la divinité double, le catéchisme s’empresse d’ajouter immédiatement une balourdise :

« Ainsi que Jésus, figure du soleil nouveau, naissant au solstice d’hiver, le Verbe est l’agneau qui efface les péchés du monde, c’est-à-dire qui dissipe les brumes hivernales. »

Seulement, il est un incident de l’initiation à ce grade, incident que le catéchisme rappelle à mots couverts et qui a pour but et souvent pour résultat de faire profondément réfléchir l’adepte dont l’esprit a des chances de se diriger vers le Palladisme.

Je dois dire brièvement ce qui a lieu, cette partie essentielle de l’initiation au 18e degré du Rite Écossais (7e degré du Rite Français) ayant été divulguée depuis longtemps. L’initiation complète de Rose-Croix, celle qui est donnée aux adeptes jugés capables de parvenir plus tard aux derniers mystères, comporte trois appartements, le premier dit Chambre Noire et le troisième dit Chambre Rouge. Les initiés pour la forme, les récipiendaires voués à l’anneau ne connaissent que ces deux chambres. Quant à la deuxième chambre, la chambre intermédiaire, elle ne porte aucun nom dans les rituels ou manuels qui la mentionnent ; oralement, on l’appelle la Chambre Infernale.

Les rituels ou manuels donnent la description complète des deux autres appartements, et sont absolument muets sur celui-ci. Ils disent tout simplement : « Cette chambre représente un lieu de réprobation ; les objets qu’on y figure sont transparents ou peints. Le récipiendaire y sera introduit après la première partie de sa réception et y restera jusqu’à son introduction dans la dernière chambre. » (Ragon, Rituel du grade de Rose-Croix, page 33.) — Ou bien : « La seconde chambre doit représenter un lieu de réprobation ; les objets qu’on y figurera seront transparents ou peints sur les murailles. » (Teissier, Manuel général de Maçonnerie, 1883, page 170.) — Cela se ressemble, n’est-ce pas ? Mais vous pouvez prendre tous les rituels les uns après les autres : ils ne disent rien de plus.

La raison de cette grande discrétion est que le passage dans cette deuxième chambre est le seul incident qui soit de nature à faire deviner au candidat Rose-Croix, sans le lui dire catégoriquement, quel est le but suprême de la maçonnerie. En effet, l’appartement en question est une pièce étroite, mais assez longue, dont les murs sont couverts de transparents lumineux, représentant le royaume du Feu. Sur ces transparents sont peints divers personnages vénérés dans la secte : Hiram, Jacques Molay, Apollonius de Tyane, Simon le Mage, Caïn, Chanaan, Moab, Julien l’Apostat, et, parmi les modernes, Voltaire, Helvétius, Robespierre, Lessing, Weishaupt, etc. Tout ce monde-là est au milieu des flammes, le visage souriant, l’air heureux, et des anges de lumière posent des couronnes sur les fronts de ces grands hommes si en honneur dans la secte.

En introduisant dans cette salle le récipiendaire jugé digne de pouvoir y être conduit, — car, je ie répète, tous n’y vont pas, — le F∴ grand-expert ne lui dit pas autre chose que ces trois mots, bas, à l’oreille : « Voyez et méditez. » Et, au bout de quelque temps, on vient le chercher, pour l’amener à la Chambre Rouge, où doit s’achever son initiation de Rose-Croix.

Cette promenade de la Chambre Noire à la Chambre rouge, en passant par la Chambre aux transparents lumineux, est nommée le « dernier voyage ». Le récipiendaire est censé avoir été envoyé à la recherche de la Parole mystique, qui avait été perdue au grade de Maître, lors de la mort d’Hiram. Les candidats Rose-Croix, rangés en file indienne, ont fait leur entrée dans le temple rouge sous la conduite du grand-expert, lequel alors à remis au Très-Sage une petite boîte cachetée, que celui-ci s’est empressé aussitôt d’ouvrir. Cette boîte contient un parchemin sur lequel sont écrites les quatre lettres : I. N. R. I. C’est à ce moment que le Très-Sage en a donné et la lecture et l’explication que j’ai reproduite plus haut, en déclarant que c’est bien là la parole sacrée qui avait été perdue, la clef du grand mystère maçonnique.

Or, l’incident que je viens de résumer est rappelé à mots couverts, ai-je dit, dans le catéchisme de Rose-Croix. À présent que nous avons éclairé la lanterne, on va comprendre le passage dont il s’agit. Le voici :


« D. Que cherchiez-vous dans votre dernier voyage ?

« R. La vraie parole, perdue par le relâchement des Maçons.

« D. L’avez-vous retrouvée ?

« R. Oui ; notre persévérance nous l’a fait recouvrer.

« D. Qui vous l’a donnée ?

« R. Il n’est permis à qui que ce soit de la donner ; mais, ayant réfléchi sur ce que j’ai vu, je l’ai trouvée, avec l’aide de Celui qui en est l’auteur.

« D. Donnez-la-moi.

« R. Je ne le puis.

« D. Comment pourrai-je alors la connaître ?

« R. En m’interrogeant sur mes études.

« D. D’où avez-vous tiré le plus de connaissances ?

« R. De l’Inde.

« D. Qui vous a le mieux guidé ?

« R. La Nature

« D. Qu’a-t-elle produit en vous ?

« R. Ma Régénération.

« D. Qu’avez-vous eu à combattre ?

« R. L’Ignorance.

« D. Dans votre dernier voyage, n’avez-vous pas remarqué quelque grande vérité contenue dans un ancien aphorisme des premiers philosophes ?

« R. Oui ; le spectacle que j’ai eu sous les yeux m’a fait songer à cet aphorisme, et, depuis lors, la vérité qu’il contient m’a toujours frappé.

« D. Quel est donc cet aphorisme ?

« R. C’est celui-ci : « Igne Natura Renovatur Integra », ce qui se traduit mot à mot ainsi : « par l’Ignition (le feu) la Nature se Régénère Intégralement. »

« D. I

« R. N.

« D. R.

« R. I.

D. Qu’a-t-on fait après cette découverte ?

« R. Guidés par le Très Sage, tous mes Frères ont applaudi,

« D. Les voyages finis, les travaux ont-ils été parfaits ?

« R. Le Très Sage a ordonné qu’on me conduisit aux pieds de Celui devant qui tout fléchit, pour y prêter mon obligation[1].

« D. Comment la prêtâtes-vous ?

« R. Dans l’état le plus respectueux, le cœur pénétré de ce que je disais, et avec la ferme résolution d’observer toutes mes promesses. »


Voyons, en toute simplicité et bonne foi, la Maçonnerie, même dans ses rites officiels avoués, est-elle, oui ou non, un acheminement vers le Palladisme ?… Je le demande, qui oserait soutenir le contraire ? Qui aurait l’audace de prétendre qu’il s’agit, en tout ceci, d’honorer purement et simplement la nature ? La corne de Satan ne perce-t-elle pas à travers ce rituel et ce catéchisme de Rose-Croix ?

Il y a des naïfs, dans les loges symboliques, à qui l’on fait croire même que les hommages des membres des hauts grades s’adressent au Dieu des chrétiens, mais en le dégageant de quelques dogmes inventés par les prêtres et répugnant à la raison. Oui, il y a des maçons-gogos assez naïfs pour avaler de pareilles couleuvres. Or, voici le texte même du sacrilège et exécrable serment prêté par le Rose-Croix, agenouillé devant le Triangle de Feu :


« Je promets et jure sur l’honneur, renouvelant solennellement en ce jour les obligations que j’ai jurées dans les grades précédents, de ne jamais révéler les secrets des Chevaliers Rose-Croix, à aucun Frère de grade inférieur ni à aucun Profane, sous peine d’être à jamais privé de la parole et d’être perpétuellement dans les ténèbres.

« Qu’un ruisseau de sang coule sans cesse de mon corps, que je souffre les plus rudes angoisses de l’âme, que les épines les plus piquantes me servent de chevet, que le fiel et le vinaigre deviennent mon breuvage, que le supplice de la croix termine enfin mon sort, si jamais je contreviens aux lois qui me seront prescrites.

« Je promets aussi de ne jamais révéler le lieu de ma réception au grade de Rose-Croix ni par qui j’ai été reçu.

« Je le jure ! Que le Grand Architecte de l’Univers me soit en aide ! Ainsi soit-il. »

Le Très Sage, prenant acte du serment. — « Tout est consommé. » (Rituel du grade de Rose-Croix, page 4.)


Revenons au Feu.

Le lecteur n’a plus de doute, à présent : il voit bien que la doctrine du panthéisme est elle-même un voile, que le satanisme pur est le vrai fond de la franc-maçonnerie, et que les triangles palladiques sont bien le complément inséparable des aréopages de Chevaliers Kadosch et des chapitres de Rose-Croix.

Maintenant que le Palladisme est démasqué, les agents du Souverain Directoire Exécutif, ne pouvant plus nier, devant l’évidence, l’existence de cet occultisme spécial, essaient d’arrêter l’effet des révélations en disant : « Le Palladisme n’a aucun rapport, aucune relation avec la Franc-Maçonnerie ; les palladistes sont des mystificateurs, qui ont imaginé une société dont le but réel est la pornographie, sous prétexte de spiritisme ». Tel est le sens d’une lettre adressée par Moïse Lid-Nazareth à M. le chanoine Mustel, qu’il essayait de tromper, ignorant que le vénérable directeur de la Revue Catholique de Coutances, comme d’ailleurs quiconque a étudié à fond la question, savait, même avant la publication de mon ouvrage, que la Maçonnerie avouée, celle de tous les rites officiels, a au-dessus d’elle un rite suprême luciférien, constituant sa direction. Il faut n’avoir jamais su lire un rituel maçonnique quelconque, pour croire le contraire ; sans les triangles, les loges et les arrière-loges n’aboutiraient à rien, cela est clair comme le jour.

Ainsi, il en est pour cette doctrine particulière relative au Feu. Sa glorification à outrance, en chapitre de Rose-Croix, trouve son complément au sein des triangles.

Là, on déchire tous les voiles ; on ne cherche plus de périphrases, on n’a plus recours aux finasseries de langage à double entente ; la thèse est exposée carrément.

Cette flamme, que vous voyez tout à coup apparaître, — vous dira le conférencier palladiste, qu’il soit un poseur faux savant, comme le F∴ Goblet d’Alviella, ou une égarée sincère dans son aveuglement, comme la S∴ Diana Vaughan, — cette flamme, pouvez-vous dire d’où elle vient ?… Voici qu’une étincelle jaillit d’une pierre froide, d’une matière où le feu est absent, et cependant il sort brusquement, ce feu, il s’élance !… Sa flamme court, pétille gronde, rugit, elle prend les formes les plus diverses ; vous la voyez, et elle est insaisissable… Elle s’étend, elle grandit, elle monte vers le ciel ; elle consume tout ce qui se trouve à sa portée. Puis, soudain, on ne sait comment, elle disparaît, dès qu’elle n’a plus rien à dévorer…

Voilà le feu, voilà cet élément mystérieux dans son origine ou dans son essence.

Levez les yeux vers le firmament, contemplez le magnifique spectacle que l’univers offre à vos regards… Du feu, du feu partout !… Ce soleil, qui féconde la terre, qui entretient la vie dans tout notre système planétaire, ce soleil bienfaisant, c’est du feu… Plus mystérieux encore que notre feu terrestre, il brûle là-haut dans l’immensité depuis des siècles ; la science de l’astronome vous apprend qu’il ne consume rien, et pourtant il brûle ; le télescope constate ses lacs de flammes ; le globe solaire n’est qu’un foyer de feu, vivant de lui-même, dépourvu de toute matière d’alimentation ; sans rien consumer, sans s’éteindre, il brûle, il brûle toujours !…

Et ce soleil n’est qu’un point dans l’espace. Cette étoile, là-haut, plus loin, est encore un soleil, autour duquel gravite un autre système planétaire ; et toutes ces autres étoiles sont aussi tout autant de soleils animant tout autant de mondes et les réchauffant de leur éternel feu !…

Ô Feu, qui es-tu donc ?… Un mystère de la création d’un Dieu unique ? une œuvre d’Adonaï ?… Non, non ! Tu es l’âme du Dieu-Bon, tu fais partie intégrante de son principe éternel ; oui, tu es la substance divine de Lucifer, en laquelle ses fidèles un jour se confondront… Tu es l’esprit visible, et non tangible, par lequel Lucifer, Dieu des cieux et Roi des mondes, se manifeste aux humanités de toutes les planètes, se montre dans une gloire permanente, radieuse, et se fait comprendre à quiconque, être pensant, possède en même temps la vraie foi et la vraie raison !

Tel est le fond de la thèse palladique sur le Feu ; et voilà comment le Feu est divin.

On a vu plus haut qu’il est dit, dans le Catéchisme de Rose-Croix, que la maçonnerie tire de l’Inde sa plus grande somme de connaissances. En effet, tout ce qui est luciférien dans la doctrine maçonnique, tout ce qui constitue aujourd’hui le Palladisme, se rattache plus ou moins directement au luciférianisme asiatique ; et nous savons que ces contrées orientales sont bien celles qui méritent le mieux le nom de « royaume de Satan ».

En particulier, la théorie palladique du Feu Divin paraît bien être d’origine indienne. Ignis, feu, vient d’Agni, qui est le dieu du feu dans la mythologie hindoue ; et agni, en sanscrit, signifie : vif, agile. Or, le dieu Agni est un, quoique répandu partout. « Il n’y a qu’un feu, allumé en plusieurs lieux », disent les Védas ; ou encore : « Agni, dispersé en tous lieux, reste un seul et même roi ». Or, les lettres L. D. R. qui figurent entrelacées sur les cordons des Inspecteurs Généraux et des Inspectrices Générales du Palladium en mission permanente[2], signifient : Lucifer, Deus, Rex, qu’on interprète par : Lucifer, Dieu des cieux et Roi des mondes. Ceci est une petite coïncidence qui méritait d’être notée au passage. Mais on reconnaîtra, d’autre part, que l’Agni védique a une très proche parenté avec le Lucifer des palladistes.

Au surplus, les conférenciers des triangles savent faire ressortir que leur Lucifer se retrouve d’une façon plus ou moins voilée dans tous les paganismes.

C’est le Jupiter olympien, qui lance la foudre. C’est le dieu Tleps des Circassiens. Chez les Phéniciens, c’est Eshmoun, le dieu invisible du feu cosmique caché dans l’océan céleste. C’est Ogon, chez les Slaves. C’est l’Ormuzd persan, dont l’émanation crée cinq espèces de feux, manifestations divines du principe du bien : Atar, qui personnifie la foudre ; Asha-Vahista, le feu purificateur ; Mithra, la lumière solaire ; Nairyô-Canha, le feu des sacrifices ; Apâm-Napât, le feu caché. Chez les Égyptiens, enfin, c’est Osiris, identifié avec le soleil et père d’Aroéris ou Horus, ainsi que Jupiter est père de Phoœbus-Apollon.

Les conférenciers palladistes expliquent même, d’une façon qu’ils croient ingénieuse, « l’origine de la calomnie adonaïte, qui représente le Dieu-Bon comme un archange déchu, le plus beau et le plus brillant des anges précipité du haut du ciel ». Cette légende trompeuse, disent-ils, vient de ce que la foudre, manifestation du feu divin, tombe, en effet, du ciel et semble en être expulsée.

Selon le dogme palladique, l’homme a été créé par la collaboration d’Adonaï et de Lucifer, à la suite d’un défi que les deux éternels dieux se portèrent ; à proprement parler ce ne fut pas une création dans le sens usité du mot. Adonaï est un dieu brouillon, se complaisant dans le chaos ; Lucifer seul est le suprême organisateur, l’intelligence divine portée au bien, sachant faire régner dans le naturel et le surnaturel un ordre harmonieux, bref, le seul vrai grand architecte de l’univers, et tout serait pour le mieux, s’il n’était pas combattu par le Dieu-Mauvais. Donc, Adonaï, mis en demeure de produire autre chose que des émanations de maleachs, ne réussit qu’à pétrir une vile matière boueuse ; c’est Lucifer qui donna la vie à cette argile ado- naïte, en lui insufflant une parcelle de son âme divine, de son feu divin : Corpus est terra, anima est ignis. C’est pourquoi, en attachant au mot « création » le sens que je viens de dire, le corps humain est la création d’Adonaïi, et l’âme humaine est la création de Lucifer.

Cette théorie est encore comme inspirée des dogmes indous ; car les Védas affirment nettement l’identité d’Agni avec la vie, avec le mouvement et la pensée. Il est dit aussi, dans les livres sacrés de l’Inde, que la preuve de ce que l’âme humaine est du feu, c’est qu’elle survit sous cette forme. « Voilà ces rayons du soleil auxquels sont réunis nos pères. » (Riga-Véda, I, 109, 7.)

D’autre part, le Palladisme, qui aime à se proclamer d’accord avec la science moderne, part de ce principe que l’âme est un feu émané de Lucifer Dieu-Bon et animant le corps vil et matériel, œuvre d’Adonaï, pour faire remarquer que les êtres vivants, à l’instar du feu, s’entretiennent en consumant de la nourriture, et conclure que, physiquement, notre vie est une combustion.

Pour tout dire, Lucifer, étant l’Excelsus Excelsior, est répandu partout dans l’univers ; c’est pourquoi le feu, c’est-à-dire sa substance divine, existe partout à l’état latent ; il est le principe animateur de tout ce qui vit et se meut ; il est en quelque sorte, l’âme, la substance spirituelle de l’univers.

Aussi, le Feu, en tant que substance divine de Lucifer, en tant qu’âme du Dieu-Bon, est vraiment éternel, et Lucifer tend à réunir les âmes humaines à lui pour l’éternité. Chaque âme étant une flamme céleste, une parcelle du feu divin, le vrai bonheur pour elle consiste à rentrer pour toujours dans le sein du Dieu-Bon Lucifer.

Les prêtres adonaïtes, disent les conférenciers palladistes, mentent effrontément, quand ils annoncent des souffrances à ceux qui iront à l’éternel adversaire de leur Dieu. Il est certain qu’il y a souffrance, lorsque le feu brûle un corps humain vivant ; mais il est non moins évident qu’une âme, qui est elle-même du feu, ne peut souffrir en se réunissant au feu central, à son foyer divin : en d’autres termes, la flamme peut faire souffrir, mais elle-même ne souffre pas. La souffrance matérielle ne saurait exister dans les régions surnaturelles, où il n’y a plus de matière.

Il est vrai que les prêtres adonaïtes disent encore que les âmes qu’ils qualifient de damnées endureront non seulement le tourment de la brûlure matérielle porté à un paroxysme qui dépasse tout ce que peut concevoir l’imagination humaine, mais aussi éprouveront une souffrance morale, des millions de fois plus terrible, plus douloureuse, plus épouvantable, plus horrible, celle du désespoir immense de se savoir pour toujours privées d’Adonaï, ou peine spirituelle du dam. À cela, Diana Vaughan, doctoresse en théologie luciférienne, réplique dans une de ses conférences au grand triangle Ts edik’iou, orient de Buenos-Ayres : « La peine spirituelle du dam, ce ne sont pas les élus de Lucifer qui la subissent, puisque Lucifer est le Dieu-Bon ; réfugiés pour l’éternité dans son sein bienfaisant, ils ont, au contraire, le bonheur suprême, en ayant la certitude d’être délivrés à jamais des atteintes du Dieu-Mauvais, et vraiment la souffrance la plus atroce pour eux serait d’avoir à contempler éternellement le hideux et barbare Adonaï. Le supplice matériel du feu ou n’importe quel autre supplice matériel n’existe donc pas dans l’autre monde, ne saurait y exister ; cela est absolument impossible, et, du reste, ceux des nôtres qui répondent à nos appels et apparaissent dans nos assemblées sont unanimes pour attester leur bonheur. De même, aucun supplice matériel ne peut logiquement se concevoir pour les âmes des humains, qui, trompés par les faux dogmes adonaïtes, vécurent une vie de ténèbres, en adorateurs du Dieu-Mauvais. Lucifer, étant souverainement bon, n’a établi nulle part un enfer pour eux ; mais ce sont ceux-là, — et non les élus lucifériens, — qui souffrent, par leur propre faute, la peine du dam, à moins qu’ils ne se soient rachetés, durant leur existence aveugle, par la pratique des bonnes œuvres charitables, et qu’ils ne se soient ainsi, malgré leur erreur, rendus dignes du Dieu-Bon par l’Heptagathon. Oui, chers frères et chères sœurs, la peine du dam n’est subie que par les adonaïtes dont la vie humaine n’a su jamais soulager la misère du prochain ; ceux-ci, le Dieu-Bon les repousse, et leur âme n’étant pas rappelée à lui, végète, en état de dégradation et d’infériorité, dans le corps des animaux grossiers, ayant quelque intelligence, mais non la raison, jusqu’à une nouvelle épreuve de vie humaine ; et ainsi de suite, par alternatives de vie animale et de vie humaine, tant que la petite flamme, émanée du Dieu-Bon et incarnée et réincarnée, n’a pas mérité d’être réunie au foyer divin.

On voit par là que le Palladisme s’inspire encore de l’Inde pour ériger en dogme un système particulier de métempsychose, qui n’est pas exactement celui de l’antique religion hindoue.

Dans l’ordre d’idées dont je viens de donner un aperçu, on comprendra maintenant combien le Feu est sacré pour les palladistes ; aussi considèrent-ils comme un plagiat du magisme persan, du sabéisme, du paganisme égyptien, en un mot, de toutes les religions païennes auxquelles ils se rattachent, tout emploi du feu dans les liturgies modernes autres que la leur. Le feu est le médiateur céleste, l’élément pur et purificateur par excellence, le vainqueur des maleachs et le dissipateur des maléfices adonaïtes. Ils font ressortir que seuls ils ont droit à accomplir, dans le culte, les sacrifices par le feu ; car ceux-ci, disent-ils, opèrent la transmission de l’offrande par la flamme.

À les entendre, les catholiques profanent le feu, lorsqu’ils entretiennent une lampe toujours allumée devant le Saint-Sacrement ; ils voient là un détournement sacrilège de la substance divine de Lucifer.

« Les catholiques, écrit Hoffmann dans une lettre à Albert Pike[3], traitent de profanateur quiconque, n’appartenant pas à leur sacerdoce, détient une prétendue eucharistie pour l’immoler devant l’image sainte du Palladium. Or, vraiment, qu’est-ce donc, sinon une profanation intolérable, que leur lampe perpétuelle brûlant en hommage diurne et nocturne à leur même eucharistie ? C’est là une captation sacrilège de la divine substance de notre Dieu, une humiliation par maléfice infligée à l’Éternel Père, puisque ces scélérats le contraignent ainsi à une sorte d’hommage envers son Ennemi. Ah ! nous devrions pénétrer dans les temples du Mal et briser ces sacrilèges lampes ; ou bien, que ce feu se développe à notre prière et incendie les maudits sanctuaires. Prions, prions, afin que la justice succède à l’excès de mansuétude, et que la foudre de notre Dieu tombe sur les églises des adonaïtes exécrés ! »

C’est sous l’inspiration directe de Satan que la franc-maçonnerie réclame partout la crémation et voudrait la voir remplacer l’inhumation chrétienne. Le mot d’ordre de cette campagne, commencée à Milan, est parti des triangles. Mettre le cadavre dans la terre, disent les palladistes, voilà bien pour l’humanité une fin honteuse et répugnante, qu’Adonaï se délecte à prescrire ; « l’odeur de la pourriture plaît au dieu des catholiques » (blasphème d’Adriano Lemmi). Par conséquent, en se basant sur le dogme luciférien, au nom duquel le corps humain est seul l’œuvre d’Adonaï, il faut, après la mort, c’est-à-dire lorsque l’âme émanée du Dieu-Bon l’a abandonné, il faut détruire cette œuvre par les flammes divines de Lucifer.

Ainsi, les initiés des triangles n’éprouvent aucune crainte à la pensée da Feu éternel qui les attend dans l’autre monde : ils sont les sabéistes modernes, les adorateurs du Feu. Rappelons-nous qu’au Labyrinthe Sacré de Charleston, c’est la Porte Ignis seule qui ouvre sur le couloir souterrain conduisant au sanctuaire du Dieu-Bon ; il y a là un enseignement très caractéristique ; Lucifer ne peut pas dire plus clairement à ses fidèles qu’il les attend, par la voie du feu, dans le séjour du feu.

Enfin, pour que rien ne manque à cette formidable duperie exercée par Satan au détriment de ces malheureux insensés, le malin les éblouit par des prestiges, dont on a pu deviner la nature par un passage du court extrait que je viens de produire d’une des conférences de miss Vaughan.

Les diables, qui apparaissent dans les triangles, sous la forme de spectres d’humains, sous le nom des trépassés évoqués par les médiums lucifériens, se déclarent en parfait bonheur au royaume des esprits du feu. C’est là, on le conçoit, une gigantesque mystification, et réellement on ne peut qu’avoir grande pitié de ces aveugles, de ces triples fous qui se laissent berner à ce point par le père du mensonge et sa cohorte de compagnons de révolte.

Mais c’est ici la place de la relation que j’ai promise pour compléter mon récit, concernant la séance du 11 mars 1881 où Gallatin Mackey tomba dans une espèce de léthargie, extraordinaire, pendant que des flammes jaillissaient des cavités du nez et des yeux du prétendu crâne de Jacques Molay. J’ai expliqué à quelle occasion ce phénomène annuel avait lieu, du vivant du docteur Mackey (voir au premier volume, pages 336 et suivantes) ; j’ai indiqué les raisons que j’ai de ne pas croire à l’authenticité de la religion templière, apportée à Charleston par Isaac Long, et j’ai dit pourquoi j’admets assez volontiers l’absence de supercherie dans cette manifestation surnaturelle dont j’ai été témoin (voir au second volume, pages 26 et suivantes).

Ce compiément de ma relation, que j’avais réservé, me servira à terminer ce chapitre.

Donc, tandis que des cavités du crâne-relique les flammes sortaient avec des sifflements aigus, entremêlés de hurlements sombres, et qu’elles s’allongeaient, affectant des formes de reptiles, se balançant dans l’espace et obligeant les assistants à se reculer pour ne pas être atteints, le docte Albert Pike s’avança, lui seul, le plus près qu’il était possible de le faire sans risquer d’être brûlé, et il nous dit :

— Frères et sœurs, ce sont bien là les flammes divines ; ce feu est celui-là même qui forme l’élément céleste où se baignent et se vivifient les âmes des Élus, au royaume éternel du Dieu-Bon.

Puis, s’adressant au crâne :

— Ô saint Jacques, héroïque et noble martyr, ajouta-t-il, veux-tu nous parler ? Veux-tu nous dire quelles sont tes allégresses au sein de Lucifer ?

— Je parlerai, répondit une voix qui n’avait rien d’humain et qui semblait sortir des profondeurs de la terre et comme s’échappant du prétendu crâne de Jacques Molay.

Alors, un dialogue s’établit entre Albert Pike et la voix infernale.

— Édifie-nous, ô grand saint Jacques ! parle, parle.

— C’est une haute faveur que notre Divin Maître a accordée à la mère du docteur, ton lieutenant, en réincarnant mon âme dans ce corps qui est là inerte, pour un instant. Mais, quand le Dieu-Bon veut que, par exception, une âme d’Elu revienne vivre sur terre, elle n’a plus à craindre, dans sa nouvelle vie, les persécutions d’Adonaï… Les maleachs, à présent, ne peuvent plus rien contre moi, soit tandis que je suis au-royaume de notre Dieu, soit tandis que j’anime le corps de Gallatin Mackey et que je revis sous son nom…

— Et maintenant, est ce bien vraiment au paradis que tu te trouves ?

— Oui, je suis redescendu chez Lucifer. Vois ton ami, qui git là ; constate que la vie l’a abandonné… Je l’ai quitté pour une heure, selon le décret du Dieu-Bon, afin de venir me retremper dans les flammes divines.

— Quel accueil les Élus te font-ils ?

— Ils se réjouissent de me revoir parmi eux… Je suis, en ce moment, auprès de Martin Luther et de Nicolas Flamel… La cour céleste me fait fête… Oh ! je suis bien heureux !… Que nos frères et nos sœurs travaillent sans cesse à se rendre dignes de l’éternelle couronne de gloire ; on est si bien ici, dans l’océan de l’amour divin !… Aucune expression humaine ne peut vous faire comprendre l’intensité des joies suaves que les Élus du Dieu-Bon éprouvent.

— Comment, entre Élus, vous distinguez-vous les uns des autres ?

— Nos corps n’existent point au paradis, et nos âmes n’en font plus qu’une, confondues qu’elles sont dans l’âme divine, avec les âmes de tous les esprits de feu ; c’est là l’état ordinaire de la nouvelle vie, de la vie éternelle. Mais, de temps en temps, pour varier nos plaisirs, le Dieu-Bon permet à chaque âme d’Élu et à chaque âme de Génie bienfaisant de revêtir une apparence distinctive, une forme immatérielle ; pour les Élus, cette apparence est celle du corps humain qui n’est plus, tel qu’il était aux derniers jours de notre vie terrestre.

À ce moment, la voix cessa de se faire entendre, et le feu qui jaillissait du crâne diminua de violence, sembla s’apaiser ; à peine quelques petites flammes se montraient par les cavités, toujours sans consumer le crâne qui leur servait de cratère.

Albert Pike profita de ce répit pour nous expliquer que les esprits du feu, les Génies bienfaisants, ont adopté des formes particulières, pour les cas où ils ont à se rendre visibles, aussi bien lorsqu’ils daignent apparaître aux fidèles de la vraie religion (luciférienne) que dans leurs réjouissances intimes au royaume divin ou dans les combats contre les maleachs.

Puis, les flammes se reprirent à tourbillonner et à gronder de plus belle, comme tout à l’heure, et le diable invisible qui se faisait passer pour l’âme de Jacques Molay recommença ses explications.

Ce qui est inouï, en vérité, c’est la désinvolture avec laquelle le démon se moque des gens qui placent leur confiance en lui ; franchement, cela dépasse toutes les limites. Les contradictions les plus flagrantes sont pour lui un jeu ; il les entasse comme à plaisir. Rien ne l’embarrasse, quand il s’agit de frapper l’imagination de ses fidèles. Mais ce qui est plus inouï encore que l’audace de Satan dans le mensonge, c’est la crédulité aveugle de ces palladistes qui prennent pour argent comptant tout ce qui leur est débité, même les fantaisies les plus saugrenues et les plus invraisemblables, dans les séances du genre de celle que je relate.

En effet, Lucifer, pour faire de la théologie transcendante à sa manière, a posé en principe que l’âme humaine est une parcelle de sa propre substance divine, une étincelle de son esprit divin ; il émane de lui-même des âmes, dit-il, et il les rappelle à lui, il les réunit de nouveau à lui-même, lorsqu’elles ont mené, dans leur séjour sur une planète quelconque, une belle existence luciférienne. Que voilà une conception sublime ! comme cela est admirablement trouvé ! et les palladistes s’extasient, en nourrissant leur cervelle d’un tel idéal. Ils haussent les épaules, à la pensée du paradis, tel qu’il est défini par les Pères de l’Église ; ils rient, ils trouvent les catholiques bien niais d’avoir une croyance dont les grandes intelligences des triangles se moquent en blasphémant. Eux, à la bonne heure ! ils s’élancent en pensée dans les plus sublimes hauteurs morales, affirment-ils. Quoi de plus beau que cette théorie de l’âme fractionnée de Lucifer Dieu-Bon, opérant éternellement un double mouvement centrifuge et centripète !

Mais voici que messire Satanas a besoin d’aiguillonner les mauvais instincts, les basses passions de son adorateur. Comment le séduire, comment lui promettre des jouissances charnelles, dans son royaume, après la mort ? comment ces âmes, qui sont censément des petites flammes célestes réintégrant à la fin des fins le pur et magnifique et divin foyer central, pourront-elles goûter les plaisirs d’un paradis à la mode de Mahomet ?…

Baste ! le diable méprise à tel point ses dupes, qu’il n’hésite pas à édifier un second système, en pleine contradiction avec le premier.

Les Élus lucifériens n’ont pas de corps ; mais, de temps en temps, le Dieu-Bon leur donne la permission de reprendre, immatériellement, la forme humaine qu’ils avaient aux derniers jours de leur existence terrestre. Et alors, — tenez-vous à quatre pour ne pas rire, — sous cette forme immatérielle, les Élus lucifériens jouissent de tous les plaisirs matériels, au plus haut degré, sans mélange d’aucune douleur, attendu qu’en dépit de l’apparence distinctive ils sont uniquement âmes, c’est-à-dire flammes, c’est-à-dire esprits.

Le soi-disant Jacques Molay nous expliqua ces belles choses. L’âme-Voltaire venait de lui raconter un grand dîner que Sa Divinité Lucifer avait donné la veille en son royaume du feu, et à son tour le crâne aux flammes parlantes nous répéta la narration. On s’était régalé du nectar et de l’ambroisie des dieux olympiens. Il y a ainsi de somptueuses ripailles chez Satan, nous assura le crâne.


Divagations palladistes. — Les joies des Élus lucifériens dans le Royaume du Feu, d’après le récit du prétendu crâne de Jacques Molay.

J’eus, une seconde, l’envie de questionner : « Sans indigestion ? » mais je me retins à temps ; l’ironie de ma demande m’eût trahi. Je me bornai à m’efforcer de garder mon sérieux, et j’y parvins ; car le dégoût me prit bientôt, l’esprit diabolique racontant complaisamment les saturnales qui avaient suivi le prétendu festin des Élus du Dieu-Bon.

Dégoût et pitié, voilà quel était mon sentiment ; pitié, en constatant la profondeur de la déchéance. Pauvre nature humaine, dans quel abîme de boue tu es précipitée, lorsque, la foi étant perdue, tu deviens le jouet du démon !

Ainsi, Satan leur fait croire ces folies ; il les mystifie à outrance, en dosant de sensualités grossières et impures leur mysticisme de cerveaux détraqués. Tout cela n’est qu’absurdité, mensonge évident et bête, innovation ne résistant pas au plus minime examen ; tout cela n’est qu’impossibilité, sottise et contradiction, et les palladistes proclament qu’étant les seuls croyants qui savent allier la foi à la raison, ils sont, par conséquent, les seuls à posséder la vérité !

Quand le soi-disant Jacques Molay eût fini ses récits et ses explications, et tandis que Pike, voyant le docteur Gallatin Mackey reprendre ses sens, donnait l’ordre de rallumer les flambeaux de la salle, pendant que cette lumière naturelle remplaçait celle dont les flammes infernales nous avaient éclairés, je regardai mes compagnons autour de moi ; ils étaient émerveillés, leurs visages reflétaient un vrai ravissement.

Ce sont ces prestiges diaboliques qui les subjuguent ; assistant à de tels phénomènes surnaturels, ils ne raisonnent plus. Au cours d’une séance à prodiges démoniaques, Satan leur dirait que le plus pur bonheur est d’être changé en batracien ou en mollusque pour l’éternité, que ces malheureux le croiraient.

  1. C’est devant un triangle de Feu que le néophyte Rose-Croix prête son serment : et ce triangle représente bel et bien Lucifer, mais on ne le lui dit pas : c’est à lui de comprendre.
  2. Le cordon d’Inspecteur Général du Palladium est de fond vert-d’eau moiré, avec étroite bordure de moire blanche liserée de noir. Au centre, en broderie, sont entrelacées les lettres L, d’or, D, d’argent, et R, rouge, surmontées du diadème impérial du Dieu-Bon. Ce diadème, sorte de mitre-diadème, d’étoffe d’or, porte à son sommet un croissant d’argent ; le bord supé- rieur est enrichi de onze diamants ; sur le devant, au milieu, est la croix templière, rouge-ponceau, placée sur une triple guirlande de perles blanches fines, laquelle est relevée en deux endroits en draperie par deux gros rubis ; cinq autres rubis, de même grosseur, cintrent la bordure inférieure. Au-dessous du motif central, une rose-mystique, rouge et épanouie, dont la tige porte cinq feuilles, émerge du sein d’une nuée d’argent. Au dessus du motif central, est un soleil d’or rayonnant, ayant au centre le nombre sacré de l’Antéchrist (666), brodé en rouge. Le cordon est doublé de soie noire moirée. Il se porte en écharpe de droite à gauche et a sa pointe ornée d’une petite rosette rouge.
    Le cordon d’Inspectrice Générale du Palladium en mission permanente est exactement semblable, sauf le fond qui est bleu-pâle, au lieu d’être vert-d’eau.
    Une particularité à signaler : chaque cordon d’Inspecteur ou d’Inspectrice du Palladium est rigoureusement personnel. Le nombre de rayons du soleil 666 indique l’âge qu’avait le missionnaire palladiste, lorsqu’il fut proclamé et consacré Hiérarque, si c’est un frère, ou Maîtresse Templière, si c’est une sœur.
  3. Lettre du 3 octobre 1879 reproduites dans la Conduite Secrète, pages 121-122.