Le Diable au corps (Nerciat)/2

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Texte établi par [s. n.],  (p. 89-177).




LE DIABLE AU CORPS.


SECONDE PARTIE.


Si on a lu l’argument, on se souvient que les événemens de l’après-midi ont pour théatre le cabinet du jardin.

LA MARQUISE, à la Comtesse
de Motte-en-feu.

Nous pouvons jaser ici plus à notre aise…

LA COMTESSE.

J’aime ce cabinet à la fureur : il me rappellera toute ma vie les momens enchanteurs que nous y avons passés ensemble. Ce fut là, Marquise, sur cette même duchesse, que tu voulus bien, pour la premiere fois, te prêter à mon voluptueux caprice… Tu fis une bien bonne œuvre, mon cœur ; sans cette tendre pitié, ta trop sensible amie serait morte du prodigieux desir que tu lui avais inspiré…

LA MARQUISE.

Le souvenir de nos charmantes folies a beaucoup de part aussi, je te le jure, à la prédilection que j’ai pour cet endroit ; je le nomme mes délices.

LA COMTESSE.

Dieu sait la vie que mon infidele y mene !…

LA MARQUISE.

Ma foi, je la mene un peu par-tout : mais pourquoi me dire une injure ? Suis-je moins ton amie ?

LA COMTESSE, gaiement.

Eh ! foutre de l’amitié ! ce n’est pas de ce sentiment que je me plains ; mais on ne t’a presque plus, et cela me chicane. Une Philippine, une Nicole[1] ! Ces petites gueuses, que je devrais détester, toutes jolies qu’elles sont, ont fait tomber à plat les actions de la pauvre Comtesse.

LA MARQUISE, riant.

En vérité, l’on croirait entendre le Commandeur, ou Dupeville, les plus Jérémies-jaloux de Paris.

LA COMTESSE.

Ah ! Dupeville ! tandis que nous en parlons, il est joli garçon, à présent.

LA MARQUISE.

Que veux-tu dire ?

LA COMTESSE.

On lui connaît, malgré sa superbe discrétion, la petite fermiere-générale aux yeux pers ?

LA MARQUISE.

Sans doute. — Eh bien ?

LA COMTESSE.

Eh bien, ma chere ! elle vous l’a poivré d’importance.

LA MARQUISE.

Dupeville ! l’homme aux beaux sentimens !

LA COMTESSE.

Poivré, te dis-je… à faire peur. Elle tombe en lambeaux, la petite Dame : toutes ses connaissances ont donné dans son air Sainte-Nitouche ; ces Messieurs l’ayant violée l’un après l’autre (car on ne l’a pas autrement) pas un n’a échappé la vérole. Dupeville, l’heureux Dupeville ! seul aimé, s’il en est cru, seul avoué du moins, s’en est donné pardessus les gardes ; on ne sait s’il est à tems encore de laisser entreprendre la cure des bas-lieux. On parle d’y couper quelque chose ; je n’invente rien. Le docteur me le disait encore ce matin.

LA MARQUISE.

Et ce matin même ce beau fils de Dupeville avait bien la bonté de vouloir que je gardasse soixante louis, prêtés hier au jeu, pourvu que je daignasse couronner sa tendre flamme, depuis si long-tems malheureuse.

LA COMTESSE.

Comme je le reconnais à ces bouffées de ridicule amour ! — Autant m’en est arrivé, ma chere. Il était chez moi, l’autre jour, quand mon bijoutier vint me faire souvenir que je lui avais promis cent louis pour le premier du mois : c’était le 29. J’assurai que je payerais ; mais que je devienne honnête femme, si je savais où prendre cent écus. Dupeville le comprit à certain a parte qui m’échappa quand Luisard eut tourné les talons. — N’allez pas, adorable Comtesse, (me dit mon romanesque Dupeville, en s’agenouillant) n’allez pas vous inquiéter si par hasard cette bagatelle n’était point, pour l’instant, à votre disposition. Je vous connais un sincere, un parfait ami, qui s’estimerait mille fois trop heureux si vous daigniez lui permettre de vous épargner un léger embarras… — Comprenant, à mon tour, que l’orateur lui-même était sans doute l’ami sincere, je sentis qu’il fallait bien me garder de lui laisser le tems de réfléchir. J’ai dit qu’il était à genoux : voilà que je l’embrasse avec un transport de tendresse bien théatral. Mes juppes étaient, je ne sais comment, assez relevées…

LA MARQUISE.

C’est que tu n’y fais pas attention, ma chere ; mais ta grande habitude de te trousser est cause que tu n’es jamais assise sans qu’on te voie les jambes presque en entier. L’autre jour, chez la grosse Intendante, quoique ton siege fût un peu bas, tu te mis, sans nécessité, les pieds sur un tabouret ; moi, qui te faisais face, je voyais, sans pouvoir faire autrement, les deux tiers du sillon vénérien et deux moustaches couleur d’or… sur lesquelles, par parenthese, je me suis persuadée que méditait le Prieur, tandis qu’on lui faisait la guerre de ce qu’il paraissait s’être endormi.

LA COMTESSE.

Ah ! parbleu ! tu me donnes ici, sans le savoir, la clef d’une énigme. — J’étais au jeu, (perdant encore, car je suis ensorcelée) le Prieur, avec un air qui devait être fin, ne me glisse-t-il pas des vers ! il venait, disait-il, de les composer ; du moins il les avait écrits à côté de moi sur du beau papier à vignettes. Il y était parlé de Jason, de Toison d’or, de je ne sais quoi dans ce genre. D’abord je n’y compris rien ; et comme je ne fais cas ni de la fade poésie, ni des Prieurs bossus, je donnai, le soir, à son in-promptu galant, une très-immonde sépulture.

LA MARQUISE.

Et puis battez-vous les flancs pour nous, Messieurs les beaux esprits ! Mais revenons à Dupeville.

LA COMTESSE.

Moi qui ne pensais, en vérité, qu’à l’obliger, je fais un mouvement en avant, auquel mon amoureux financier ne peut se méprendre… Cependant, il hésite ! je vois je ne sais quel air d’embarras… Il me vint, je te l’avoue, une fâcheuse idée.

LA MARQUISE.

Qu’on te ratera ?

LA COMTESSE.

Cent fois pis, morbleu ! Que Dupeville a fait une gasconnade, et que, mis à l’épreuve, il se repent déja d’avoir parlé de m’acquitter avec Luisard. Cependant, il faut que je me tire de là noblement. — Oh ! mon ami, (dis-je d’un ton bien dramatique) plus sage, plus délicat, tu me donnes l’exemple ! n’y pensons plus. — Et me voilà le chef renversé sur le dossier de ma bergere, une main faisant semblant de me fermer les yeux, mais le reste toujours dans la plus engageante posture du monde. Comme je voyais fort bien à travers mes doigts, je ne suis pas peu surprise de certain condon qui sort mystérieusement d’une poche, puis d’un vit arqué par en bas, qui, s’étant encapuchonné là-dedans, se présente enfin (en faisant le dos d’âne) à l’entrée, bien offerte, de mes plus secrets appas…

LA MARQUISE.

Vous êtiez donc folle ! Il est clair que c’était une chaude-pisse…

LA COMTESSE.

Des plus cordées, même. Mais un condon !… et cent louis à gagner ! — Ah ! Dupeville ! (dis-je alors de mon même ton dramatique, et passant un bras, comme involontairement, amour de lui,) voilà donc à quoi tiennent les vertueuses résolutions de notre pauvre sexe ! J’avais juré de ne te laisser jamais soupçonner la passion extrême dont je brûlais pour toi…

LA MARQUISE.

La diablesse ! Et le sot de donner dans ce panneau, je gage ?

LA COMTESSE.

Je t’en réponds. Mons Dupeville ne se voit pas plutôt ainsi adoré, qu’il prend courage, et va d’un train !… Bon ! (pensai-je en le travaillant comme il faut) Luisard est payé.

LA MARQUISE, riant.

J’aime ta présence d’esprit à la folie…

LA COMTESSE.

À bon compte, comme il faut, autant qu’on peut, tirer parti de tout, je ferme les yeux, je pense à mon cher Limefort ; et donnant alors les preuves les plus sensibles d’un plaisir infini, je fais en même-tems de mon emmailloté Dupeville le plus heureux des mortels.

LA MARQUISE.

C’est bien la plus infernale coquinerie…

LA COMTESSE.

Que veux-tu ! voilà comme je suis… Tous ces détails, au surplus, avaient pour but de te persuader que, si ce matin tu avais été d’humeur à recevoir quittance de ta dette sur le pied du lit, Dupeville aurait été galant homme assez pour prendre, comme avec moi, d’honnêtes précautions.

LA MARQUISE.

Fi donc ! ces maussades robes-de-chambre ! Je ne me laisserais pas approcher avec cela…

LA COMTESSE.

Je ne suis pas si difficile. Tous les jours il s’en salit quelques-unes chez moi. — Mais, changeons de propos. J’ai, M.me la Marquise, une grace de la derniere importance à vous demander.

(Elle sourit.)
LA MARQUISE, souriant.

M.me la Comtesse sait que jamais je ne lui refuse ce qui dépend de moi.

LA COMTESSE, naturellement.

Nous sommes au pair. Ce matin encore je t’ai fait un joli présent.

LA MARQUISE.

Quel présent, s’il te plaît ?

LA COMTESSE.

N’as-tu pas eu ce matin, à ton lever, le divin Bricon ?

LA MARQUISE, froidement.

Ah ! ce marchand de fleurs, de chiens, de tout ?

LA COMTESSE, lui pressant la main.

Ce fouteur sublime ! voilà sa vraie qualité… Nous rougissons !

(Elle sourit malignement.)


Quel enfantillage !

LA MARQUISE, avec confusion.

Ce petit gredin vous aurait-il fait quelque mensonge à mon sujet ?

LA COMTESSE, finement.

Je vois, à ton embarras, qu’il est plutôt dans le cas de dire quelque bonne vérité ! Je sais que Bricon ne va chez personne sans prendre de fortes licences.

LA MARQUISE, avec humeur.

Sachez, Comtesse, que s’il en avait pris avec moi, je l’aurais fait assommer par ma livrée.

LA COMTESSE.

Vous êtes, aujourd’hui, de mauvaise humeur, ma bonne amie. Est-ce parce que Bricon n’est pas homme de cour, ou votre laquais…

LA MARQUISE, piquée.

Rompons, de grace, un entretien qui prend une mauvaise route.

LA COMTESSE, gaiement.

Je vais le ramener sur la bonne. Oublies-tu quels sont les statuts sacrés de notre confrairie ! Vas-tu te parjurer, et faire quelque distinction de naissance, d’état, de fortune ! Nous avons eu, Dieu merci, l’une et l’autre, des hommes de tous les échantillons ; nous ne sommes donc point dans le cas de renier la plus humble roture…

(d’un ton comiquement sententieux.)


L’essence prolifique, que distile la couille d’un porte-faix bien sain, n’est pas moins sublime que celle qui s’élabore dans la couille d’un monarque.

LA MARQUISE.

Elle me fera rire malgré moi.

LA COMTESSE.

Je n’ai point achevé. Bricon vous a-t-il vue tête-à-tête, Madame ?

LA MARQUISE, gaiement.

Oui, Madame.

LA COMTESSE.

Eh bien ! vous avez été foutue, Madame ?

LA MARQUISE.

Eh bien ! c’est la vérité, Madame.

LA COMTESSE, naturellement.

Enfin donc, c’est parler. Il me l’avait déja dit. — Que te semble de celui-là ? Est-il des bons ?

LA MARQUISE.

Mais… il n’est pas merveilleux.

LA COMTESSE.

Tu m’étonnes ! — Ce matin, dès huit heures, il était chez moi. Comme Mons de Sourcillac, mon très-honoré tuteur, était parti pour sa terre dès l’aube du jour, j’étais seule dans mon lit, assez mécontente de n’avoir courue qu’une poste pendant la nuit entiere. Bricon tombait, pour moi, comme du Ciel. Eh bien ! ma chere, je ne lui ai permis qu’un seul service, et sur l’heure je l’ai dépêché vers toi, avec ordre de venir me rendre compte de ce qui aurait pu se passer entre vous. Qu’on dise, après cela, que je ne m’ôte pas le morceau de la bouche pour mes amies !

LA MARQUISE.

Grand merci : mais assurément je ne te fatiguerai pas ton Bricon ; il est très-joli garçon : je veux, de plus, le croire tout ce que tu peux le croire toi-même ; cependant, un grivois de cette espece n’est point mon fait. — Sachons enfin quel est ce bon office que tu peux espérer de moi ?

LA COMTESSE, soupirant.

J’ai une envie démesurée de goûter de ton Joujou.

LA MARQUISE.

Joujou ! mon houssard ! ce morveux-là ?

LA COMTESSE.

J’en raffolle.

LA MARQUISE.

Mais sais-tu que cela n’a que quinze ans, et que je ne lui ai jamais rien fait faire de sérieux ? Joujou n’est encore que l’émule du Bichon.

LA COMTESSE.

Cet enfant te sert, et n’est pas encore initié !

LA MARQUISE.

Je le soupçonne fort de recevoir en secret quelques leçons de mon cher mari, qui se fait épouser par ses gitons aussi volontiers qu’il les épouse lui-même. Quant à moi, je te jure que Joujou ne m’a point encore épousée.

LA COMTESSE.

Mort de ma vie ! que me dis-tu là ? tu met à ce polisson un prix auquel je ne m’attendais pas. Et cet obstacle, en contrariant ma fantaisie, ajoute encore à sa vivacité… Céderait-on ainsi des prémices…

(Elle consulte les yeux de son amie.)
LA MARQUISE, riant.

Les prémices d’un Joujou ! cela vaut-il quelque chose ?

LA COMTESSE.

Pourquoi pas, quand l’amour-propre et le caprice en décident ainsi !

LA MARQUISE, sonnant.

Tu vas juger de mon amitié pour toi.

(Regardant par la vitre.)


C’est lui-même qui nous vient. Je te laisse avec lui. Grand bien te fasse, ma chere. —

(La Marquise écarte, en riant, un panneau de menuiserie qui ferme une petite retraite. Elle disparaît, et le panneau, dans son premier état, ne laisse aucun soupçon d’ouverture.)

LA COMTESSE.

Ah ! que ce secret perfide est ingénieusement imaginé !





JOUJOU, entre et dit niaisement :

Est-ce Madame qui a sonné ? ou si c’est Madame ?

LA COMTESSE.

Oui, Joujou : c’est sûrement Madame. Où est ta maîtresse ?

JOUJOU.

Qu’en sais-je, moi ?

LA COMTESSE.

Comme tu réponds, petit sot ! Est-ce que tu n’aimes pas ta maîtresse ?

JOUJOU.

Pourquoi donc est-ce que je ne l’aimerais pas ! Elle me nourrit bien, elle me donne de beaux habits, de l’argent ; j’aurais un bien mauvais cœur si je ne l’aimais pas.

LA COMTESSE.

Et moi ? m’aimes-tu bien ?

JOUJOU, avec embarras.

Je ne vous connais pas, Madame.

LA COMTESSE.

Comment, Joujou, tu ne me connais pas !

JOUJOU.

Quand je dis que je ne vous connais pas ; si fait : je sais bien que vous êtes la femme de M. de Sourcillac, votre oncle ?

LA COMTESSE.

Es-tu fou, petit malheureux ! je ne suis pas la femme de mon oncle peut-être.

JOUJOU.

Qu’est-ce que vous êtes donc ?

LA COMTESSE.

Sa niece.

JOUJOU.

Eh mais, n’étiez-vous pas couchés ensemble l’autre jour quand j’allai de la part de Madame…

LA COMTESSE.

Allons, petit morveux : c’était mon mari !

JOUJOU.

Oh bien, en voilà une bonne ! vous couchez donc avec les morts. Est-ce que vous n’êtes pas veuve ?

LA COMTESSE.

Vous êtes un bavard, mon ami. — Mais écoutez : sauriez-vous vous taire si l’on vous apprenait un secret ?

JOUJOU.

Oh oui : quand on m’a dit une fois, Joujou ne dis rien, on m’écorcherait plutôt que de me faire parler.

LA COMTESSE.

Eh bien : voilà un double louis. Vois-tu bien ?

JOUJOU.

Sûrement.

LA COMTESSE.

Je t’en fais présent. Promets que tu n’en diras rien ?

JOUJOU.

Cela est facile à faire. Bien obligé.

LA COMTESSE.

À présent, viens ici…

(Auprès d’elle, sur une duchesse.)


Viens donc, mon ami ?

JOUJOU, ricanant.

Non pardi : vous vous moquez, de moi. Je n’irai pas m’asseoir à côté d’une Comtesse, peut-être.

LA COMTESSE, sérieusement.

Je te l’ordonne.

(Il obéit gauchement et paraît fort
décontenancé.)


Écoute, dis-moi la vérité sur ce que je vais te demander.

JOUJOU.

Pourvu que ce ne soit pas le secret des autres.

LA COMTESSE.

Tu sais donc le secret des autres ?

JOUJOU.

Dame ! on sait ce qu’on sait.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que ta maîtresse a fait ce matin ?

JOUJOU.

Je n’en sais rien.

LA COMTESSE.

Qui est-ce qui est venu la voir ?

JOUJOU.

Je n’en sais rien.

LA COMTESSE.

A-t-elle couché avec son mari ?

JOUJOU.

Je n’en sais rien.

LA COMTESSE.

Et Philippine ?

JOUJOU.

Je n’en sais rien.

LA COMTESSE.

Et…

JOUJOU.

Je n’en sais rien… je n’en sais rien.

LA COMTESSE.

Mais je ne te demande rien à présent.

JOUJOU.

Je n’en sais rien.

LA COMTESSE.

Va, tu es un petit imbécille. Baise-moi et vas-t-en.

JOUJOU, surpris.

Tout de bon ? il faut que je vous baise ?

LA COMTESSE.

Est-ce que tu ne veux pas ?

JOUJOU.

Si fait ; mais comment vous baiser ?

LA COMTESSE, souriant.

Il est drôle !… comme on baise.

JOUJOU.

Attendez donc. —

(Il se lève et déboutonne sa culotte.)
LA COMTESSE.

Qu’est-ce que tu fais-là, petit vilain ?

JOUJOU.

Eh, parguenne ! je veux vous baiser pour votre argent. Il faut bien que ce soit cela que vous demandez ? Vous ne m’auriez peut-être pas donné deux louis pour que je vous baise au visage.

LA COMTESSE.

Et qui t’a appris, petit libertin, qu’on baise autrement ?

JOUJOU.

Mademoiselle Philippine. Elle ne m’a pas dit de ne pas vous le dire, par exemple.

LA COMTESSE.

Philippine t’a appris comment on baise ? et tu la baises, sans doute ?

JOUJOU.

Mon Dieu oui, toutes les fois que je peux, depuis un mois.

(La Comtesse tousse un peu fort.)
LA COMTESSE.

Et avec quoi la baises-tu ?

JOUJOU.

Avec cela.

                          (Il montre un petit engin en assez bel état : la Comtesse y portant la main, il devient aussi-tôt roide comme un piquet.)

LA COMTESSE, le tenant.

Allons donc, tu badines ! Il n’y a pas là de quoi baiser.

JOUJOU.

Oui bien peut-être pour une grande Dame comme vous ; mais pour Mlle. Philippine qui n’est qu’une fille-de-chambre, il y a juste ce qu’il faut, et puis elle dit que cela grandit en grandissant.

LA COMTESSE.

Fort bien : ainsi tu crois que les Dames veulent être servies à proportion de leur qualité ?

JOUJOU.

Apparemment : car la nôtre ne demande pas que je la baise, et je suis sûr que je n’en aurais pas assez pour elle.

LA COMTESSE.

Comment sais-tu cela ?

JOUJOU.

Suffit.

LA COMTESSE.

Et moi ? croirais-tu en avoir assez, pour moi ?

JOUJOU.

Il faudrait voir.

LA COMTESSE.

Oui : si je te laisse faire, tu le diras ?

JOUJOU.

Vous croyez, cela !… je ne dis pourtant jamais rien de ce qu’on m’a défendu de dire. Voilà M. le Marquis, par exemple, et M. l’Abbé Boujaron… on me tuerait plutôt… Au reste, Madame, ce sont vos affaires…

(Il se rajuste.)


puisque vous avez peur, voilà votre double louis, je m’en passerai bien.

LA COMTESSE, avec vivacité.

Embrasse-moi ; ton ingénuité me charme. Viens, petit amour, et montre-moi si Mademoiselle Philippine t’a donné de bonnes leçons.

JOUJOU.

Vous allez voir ça tout de suite. —

(Il accolle, avec assez de
grace, la Comtesse, et l’enfile.)


Voulez-vous que je m’arrange en haut ou en bas ? il y a place.

LA COMTESSE.

Le plus haut que tu pourras… Fort… allons… Non… tiens… ici… bon…

(Le panneau se rouvre sans
bruit, la Marquise voit tout…)


Ah ! le petit frippon !… ses yeux commencent à rouler… Et moi !… ne… ne vas plus si vîte… Ensemble… tiens… tiens… Foutre ! bien en… ensemble… C’est cela…

(Elle lui donne un savoureux baiser.)


Comme un petit ange. —

(Pendant que tout cela se disait, et que Joujou mourait de plaisir, la Marquise avait quitté sa niche et s’était approchée, pas à pas, sans se laisser appercevoir. Quand le couple heureux commence à reprendre ses esprits, les yeux de la Comtesse et de la Marquise se rencontrent. Elles partent à la fois d’un grand éclat de rire dont Joujou est stupéfait. Il se cache le visage et ne songe pas seulement à se rajuster.)

LA COMTESSE.

Eh bien, ma chere ? voilà donc ce prétendu pucelage que vous aviez, le scrupule de respecter ?

LA MARQUISE.

Philippine me le paiera.

(À Joujou, pour le faire
souvenir de sa nudité.)


Eh bien, M. Joujou ? quand vous jugerez, à propos…

JOUJOU, se rhabillant.

Au moins, Madame, ce n’est pas à vous que je l’ai dit ?

LA MARQUISE, en le menaçant
amicalement du doigt.


Bon, innocent. Sortez.

(Il se retire.)





LA MARQUISE.

Eh bien ! que vous en semble ?

LA COMTESSE.

À vous parler vrai, le desir de ces fantaisies a plus de piquant que la réalité.

LA MARQUISE, avec un
peu de malice.

Franchement, Comtesse, il ne nous faut plus des Joujou.

LA COMTESSE, un peu honteuse.

C’est cet enragé de Limefort qui m’a sciée. Avant de le connaître, je mettais le monde à la question ; on était estropié : mais ce terrible fouteur vous pourfend une femme impitoyablement : et c’est pour la vie,

LA MARQUISE.

Je ne conviens pas de cela tout-à-fait : je me suis donné Limefort, et je m’en suis tirée. Je trouve le grand Chevau-léger beaucoup plus formidable.

LA COMTESSE.

Ils ne sont cependant qu’au pair ; je les ai comparés par curiosité.

LA MARQUISE.

Tu les as chambrés à la fois ! Avais-tu donc ce jour-là le diable au corps ?

LA COMTESSE.

Je me sens très-capable d’un tour de force comme celui-là. Cependant je les ai eus séparément : mais quand il me tombe sous la main quelque singularité, j’observe et je prends note des dimensions.

LA MARQUISE.

Je ne m’en serais pas vantée la premiere, mais c’est aussi mon usage. Limefort est entre sept et huit pouces de longueur ; circonférence à la racine, cinq pouces neuf lignes, bien juste.

LA COMTESSE.

Sur ce pied, je faisais tort au Chevau-léger de quelques lignes : en longueur, il a les huit pouces bien complets ; mais il n’a que cinq pouces une ligne de circonférence au bas ; le reste, toujours en diminuant jusques vers le bout, qui n’est peut-être remarquable que par son étonnante disproportion.

LA MARQUISE.

C’est la chose comme si nous l’avions sous les yeux.

LA COMTESSE.

On prône beaucoup le Vicomte de Molengin, pour la longueur ?

LA MARQUISE.

Philippine parle d’un pied…

LA COMTESSE, avec feu.

Serait-il bien possible ! — Un pied, Madame ! Il faut en avoir le cœur net.

LA MARQUISE.

Rien de plus faisable. Prions-le de descendre. Mon époux a le projet de jouer : Patineau doit venir ; la partie sera sérieuse. On ne s’avisera pas de nous troubler ici.

LA COMTESSE.

Supérieurement vu. Citons le Vicomte sans perdre un moment. Avertira-t-on aussi la Présidente et sa sœur ?

LA MARQUISE.

De quoi les avertir ?

LA COMTESSE.

De venir voir la curiosité.

LA MARQUISE.

Eh ! non. Laissons du moins à nos Messieurs ces deux visages féminins : d’ailleurs, l’aspect du tapis verd et des rouleaux sera bien plus intéressant pour ces Dames. Nous nous amuserons seules du Molengin.

(Elle sonne.)


— Je vais lui envoyer des tablettes, à cause de la compagnie,

(Elle écrit :)

« M. le Vicomte est prié de se dérober un moment en faveur de deux Dames qui l’attendent au cabinet du jardin ».

(Joujou paraît. — À Joujou.)


Remettez cela, bien adroitement, au Vicomte, et n’attendez pas la réponse.

(Joujou se retire.)
LA COMTESSE.

Au fond, nous sommes folles. Qu’allons-nous faire de cet impotent ?

LA MARQUISE.

Ce que nous pourrons.

LA COMTESSE.

Cela vous regarde, Marquise ?

LA MARQUISE.

Volontiers : d’autant mieux que je suis en compte ouvert avec Molengin, et que je lui dois une discrétion dans toute la force du terme.

LA COMTESSE.

Arrangez-vous : je ne veux que voir. Ah ! tandis que j’y pense ! notre gageure, à quand ?

LA MARQUISE.

Eh, mais !… pourquoi pas tout-à-l’heure ? Je prévois que le Vicomte ne fera que nous mettre en belle humeur. Après lui, nous aurons besoin de quelque chose de solide. Faisons dire à nos champions de ne pas s’éloigner.

LA COMTESSE.

Tope : mais je te préviens que je joue à jeu sûr. Labarre me l’a fait souvent sept fois en trois heures : aussi ne donnerais-je pas congé, pour mille louis, à cet utile domestique.

LA MARQUISE.

Nous verrons. Je n’ai pas encore poussé Chenu jusqu’à sept, parce que, sans vouloir blâmer la conduite d’autrui, je trouve qu’on s’avilit en laissant trop appercevoir à ses gens qu’on fait un certain cas de leur personne. Tant qu’un domestique ne fait ces choses-là qu’avec la persuasion qu’on les demande uniquement comme une espece de service de corps, il demeure à sa place : se met-il en tête qu’on l’aime, (car il faut aimer pour en prendre jusqu’à sept,) la fatuité s’en mêle, le vil personnage se croit à votre niveau ; vous manque tôt ou tard ; il faut le mettre enfin à la porte… Et tout ce qui suit de ces orageuses séparations !…

LA COMTESSE, ironiquement.

Quelle profondeur de sagesse ! Sur quoi comptez-vous donc pour notre pari, si vous ne savez pas la portée de votre homme, et si vous ne voulez pas non plus risquer de lui donner de l’orgueil ?

LA MARQUISE.

Ici le cas sera différent. Ils verront bien que notre objet sera, non de les rendre heureux, mais de savoir lequel des deux a le plus de vigueur. Je prétends bien voir, tout comme vous, le fond du sac, sans qu’au surplus mon homme puisse tirer de la chose aucun avantage à mes dépens. En effet, c’est de Labarre à Chenu que sera l’intérêt contentieux, et nous pouvons presque ne nous y trouver pour rien…

LA COMTESSE.

Au plaisir près que je compte pour beaucoup.

LA MARQUISE.

Moi de même, bien sûrement, mais c’est ce dont il ne faut pas que nos drôles se doutent.

LA COMTESSE.

Pour moi, je n’entends rien à toutes ces subtilités. Quand Labarre, ou tel autre du même ordre, me tient dans ses bras, je le traite, ma chere, tout aussi tendrement que s’il était un Duc et Pair. Je reconnais, au reste, avec un certain plaisir, que je suis bien mieux que vous dans l’esprit de notre confrairie. Savez-vous que vous êtes un peu fausse-sœur, et que je suis bien tentée de vous dénoncer ?

LA MARQUISE.

Paix… Voici déja notre homme… Je l’entends fredonner dès l’escalier.

LA COMTESSE.

Et rien d’arrangé pour lui succéder ?

LA MARQUISE.

Il n’est plus tems. D’ailleurs, tout bien considéré, j’ai peur d’un Labarre, qui fait cela sept fois en trois heures.

(Souriant.)


J’aimerais, en vérité, beaucoup mieux m’en convaincre par moi-même, que d’exposer mon argent en voyant le drôle si bien faire pour le compte d’autrui.

LA COMTESSE, l’embrassant.

Voilà ton bon sens revenu. — Oui, tu me prêteras une fois ton Chenu, je te prêterai mon Labarre ; cela vaudra mieux que Joujou, sois-en sûre… — C’est bien le Vicomte ; toujours il chante.

LA MARQUISE.

Nous le nommons l’Opéra comique ambulant.

LA COMTESSE.

Il n’est pas mal tourné, du moins.





LE VICOMTE DE MOLENGIN, s’avançant vers le cabinet,
n’est pourtant point encore à portée de voir ces Dames, mais elles le voient
à travers les vitres ; il chante dans le jardin en avançant vers le cabinet :

Quand on sait aimer et plaire,
A-t-on besoin d’autre bien ?

(Du Devin de village.)
LA MARQUISE, dans le cabinet.

Oui : de mieux bander, M. le Vicomte.

(Ces Dames rient.)
LE VICOMTE, gaiement en entrant.

Me voici.

LA MARQUISE.

Bonjour, Vicomte. Savez-vous que vous chantez avec un goût prodigieux ?

LE VICOMTE.

On le dit. — Mais que faites-vous ici, mes enfans ?

(Il chante.)

Vous m’avez bien l’air, hum, hum…

(D’un vieux vaudeville.)
LA COMTESSE.

De vouloir vous jouer un mauvais tour… Fermez, la porte, Marquise.

(La Comtesse le prend
au collet avec un sérieux affecté.)


Parlez… Monsieur, est-il vrai que…

LE VICOMTE, d’un ton badin.

Suis-je ici dans un coupe-gorge ? Miséricorde ! me voilà appréhendé au corps.

(Il chante.)

Laissez, laissez-moi partir.

(Du Maréchal-Ferrant.)
LA MARQUISE.

Le poltron ! deux femmes lui font peur !

LE VICOMTE, gaiement.

Il n’en faut souvent qu’une, mes bonnes amies. Je suis, pour le beau sexe, le champion du courage le plus intermittent…

LA COMTESSE, gaiement.

Vous en êtes accusé, Monsieur ; et c’est sur ce que nous allons procéder contre vous en formes, à moins que vous ne produisiez à l’instant de solides moyens de justification.

LE VICOMTE, chante :

Ne pré-ci-pi-tons rien…

(Du Bûcheron.)


— De grace, Mesdames, la partie n’est pas égale ; si l’une de vous a la prévention d’une accusatrice, que l’autre ait, du moins, l’impartialité d’un juge.

LA COMTESSE.

Eh bien ! la Marquise sera votre adverse partie, et moi je serai, s’il le faut, votre avocate. Quant à l’arrêt, il dépendra de ce que vous allez produire et faire. — Les pieces sur le bureau. — Allons, Marquise.

(Elle se
mettent toutes deux à le déculotter.)
LE VICOMTE.

Oh ! mais si vous me mettez ainsi l’épée dans les reins… Non jamais

(Cela est chanté.)

Non jamais, non jamais je ne banderai…
Non, non, non, non ; non, non jamais…

(Parodie du Duo du Tableau parlant.)

(Pendant qu’il chantait, elles ont mis en évidence une énorme andouille très-flasque ; elles rient à gorge déployée.)


J’appelle de cette premiere instance, Mesdames. Qui diable serait autrement dans la conjoncture où je me trouve !… Des ricaneries ! Priape lui-même perdrait contenance.

(Il veut se rajuster et faire retraite.)
LA COMTESSE, le retenant.

Un moment.

(À la Marquise.)


Ne l’effarouchons pas…

(Au Vicomte.)


Que faudrait-il, mon cher Molengin, pour vous remettre un peu le cœur au ventre ?

LE VICOMTE, s’étalant dans la
duchesse, et les y invitant.

Me donner l’une ou l’autre le secours de vos jolies petites mains.

(Il en prend une à chacune de ces Dames,
les baise et les pose doucement sur sa
pendante nudité.)
LA COMTESSE.

Il se plaignait tout-à-l’heure de deux contre un ! C’est dix contre un qu’il lui faut maintenant !

(L’engin commence à donner quelques signes
de vie.)


Miracle, ma chere ! le mort va, je crois, ressusciter !

LE VICOMTE, se faufile sous
les jupes de ces Dames ; il trouve, chez la Comtesse,
certaine humidité, vestige de sa passade avec Joujou.


Ah ! je pense que Mme. la Comtesse a déja pris son pousse-café ?

LA MARQUISE.

Il s’agit tout uniment, Vicomte, de savoir si vous me donnerez le mien, vous qui défiez si hardiment votre monde par écrit ?

(Elle le fixe.)
LE VICOMTE, chante :

Rien ne plaît tant aux yeux des belles, (bis.)
Que le courage des guerriers.

(De l’Ami de la Maison.)


Au surplus, mon sort est entre vos mains.

LA COMTESSE, s’asseyant
gaiement sur les genoux du Vicomte.

— Patience : si je m’en mêle, je vais détruire l’enchantement. J’ai appris, avec le bon Sourcillac, à ne jamais manquer cette opération.

(D’une main elle s’empare de l’engin, de l’autre elle chatouille vivement les dépendances.)

LA MARQUISE, qui a pris un siege en face.

Faites donc : pour moi, je ne crois plus aux miracles.

LE VICOMTE.

Comme on m’accommode ! Mais je veux rendre le bien pour le mal. Avancez un pas, Marquise, que je vous en fasse autant.

LA MARQUISE, reculant.

Fi donc ! vous me glaceriez.

LA COMTESSE, caressant
et agitant ce qu’elle tient en tout sens, chante, en guise
de paroles magiques :

Harséïnam, Milon, Robec, Sémur…

(D’On ne s’avise jamais de tout.)
LA MARQUISE, chante à son tour !

Ah ! comme elle y viendra, ta la, la.
Ah ! comme elle y viendra…

(De Rose et Colas.)
LE VICOMTE, se sentant
un peu, tourne sa face vers la Comtesse, et prenant un
baiser sur ses levres, lui chante tendrement :

C’est à vous que je dois la vie… (bis.)

(Tom-Jones, Opéra comique.)
LA COMTESSE.

Paix, Vicomte : il n’est pas tems encore de chanter victoire.

(Elle chante.)

Et ne vendons la peau de l’ours…

(De la Laitiere et les Chasseurs.)
LA MARQUISE, impatientée.

Dix louis que cela ne bandera point ?

LA COMTESSE.

Prenez garde que je ne me pique, et ne vous prenne au mot… Voyez, belle incrédule.

(Elle

abandonne un moment le braquemart, qui pourtant ne se

soutient pas, et ne bande qu’à demi.)
LA MARQUISE, ironiquement.

Madame et Monsieur, recevez mes complimens sinceres…

LA COMTESSE.

Fi, vilain Vicomte ! vous me compromettez comme cela !

LE VICOMTE, chante en riant :

Ce malheur est un coup de foudre (bis.)
Pour moi pire que le trépas.

(Du Roi et le Fermier.)


— Mais observez qu’avec cela celle de vous deux qui voudra bien se laisser faire, sera duement…

LA MARQUISE, interrompant…

Ratée ?

LE VICOMTE.

Point du tout : enfilée.

LA MARQUISE.

Impossible, mon cher.

LE VICOMTE.

Très-possible, vous dit-on ; et…

(Il se leve.)


Vous allez en faire l’épreuve.

(Il veut attirer la
Marquise sur l’ottomane.)
LA MARQUISE, se défendant.

Certes, je ne m’exposerai pas.

LA COMTESSE.

Ah, que de façons ! Essayez, pour que nous ayons le plaisir de nous moquer de lui…

LA MARQUISE, s’arrangeant.

Il me ratera, j’en suis sûre.

LA COMTESSE.

Nous le dévisagerons.

LE VICOMTE, pendant ce
petit débat, s’est manipulé pour s’entretenir dans l’état,
le moins équivoque, où il se trouve, grace à la Comtesse.

Il est certain que si nous perdons un siecle…

LA MARQUISE, à son amie.

Mauvais présage ! ma chere ; il n’est pas sûr de son fait.

LA COMTESSE.

Il faut le déshonorer.

LA MARQUISE.

Voyons.

                  (Elle donne de grandes facilités, et se présente avec l’apparence de la meilleure volonté du monde. Ses appas sont bien capables de mettre en train l’homme le plus froid ; aussi le Vicomte, à leur approche, se sent-il un degré de consistance de plus. Aussi va-t-il à l’abordage avec confiance, laissant sortir de sa main trois à quatre pouces de son immense andouille, qui pénetre un peu.

LE VICOMTE, respirant.

Ah ! que vous avais-je dit ?

LA COMTESSE, observant de très-près.

Bravo, Vicomte ! Pousse, mon fils, pousse !

LE VICOMTE, recule un peu sa
main et donne encore quelques pouces, à mesure que
cela est entré.

Quand je vous assurais que je m’en tirerais à mon honneur.

LA COMTESSE, suivant toujours
des yeux l’opération, avec un intérêt infini.

Ôte, ôte ta main. Vicomte ; je me charge à présent de le gouverner ; car tu ne peux pas agir ainsi en équilibre.

LA MARQUISE.

Bien pensé, ma chere ; et vous ne le laisserez entrer que jusqu’où je vous dirai, car je n’ai pas envie d’être embrochée.

LA COMTESSE.

J’y prendrai garde.

(Elle a passé, parderriere, une main entre les cuisses du Vicomte : elle guide ainsi l’engin, et excitant légérement ce qu’elle en tient, elle chante :)


Il faut seconder la Nature.

(De Rose et Colas.)
LA MARQUISE.

Laissez entrer.

LA COMTESSE.

Comme cela ?

LA MARQUISE.

Encore un peu.

LA COMTESSE.

Est-ce assez ?

LA MARQUISE.

Quelque chose encore.

LA COMTESSE.
À vos ordres.
Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T1-p.127
Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T1-p.127
LA MARQUISE.

Tant soit peu plus.

LA COMTESSE.

Eh ! parbleu, tout y est.

LE VICOMTE, triomphant.

Je le savais bien, moi.

(Il chante.)

Il ne faut s’étonner de rien,
Il n’est qu’un pas du mal au bien.

(Refrain d’un vaudeville.)
LA COMTESSE, lui frappant
du plat de la main sur le cul.

Songez à votre besogne, M. le musicien.

LE VICOMTE.

Qu’on est bien là ! j’y resterais volontiers toute ma vie.

(Comme il n’agit point,)
LA MARQUISE, interrompant.

Oui, sans rien faire ! Vous êtes un pietre Sire, M. le Vicomte !

(Elle se donne alors de grands mouvemens, et bientôt après elle paraît prendre beaucoup de plaisir.)

LA COMTESSE, se jettant
dans le fauteuil qui fait face.

Croyez-vous de bonne foi, vous autres, que je verrai cela sans m’en sentir… Faites, faites, mes amis, je vais avoir autant de plaisir que vous.

(Elle se clitorise avec une extrême vivacité ; fixant des regards enflammés sur les acteurs.)

LA MARQUISE, fait seule la
besogne : elle a eu déja deux crises de plaisir sans que
le froid Vicomte ait eu la sienne. Elle est piquée, et
se dégage, disant :)

Adieu pour la vie, M. de Molengin ; vous ne m’y rattraperez plus.

LE VICOMTE, chante :

Au bien suprême, hélas ! je touchais de si près…

(De Lucile,)
LA COMTESSE, à son amie.

Foutre ! vous désemparez !

(Elle se leve avec précipitation, et remplaçant la Marquise sur le théatre du plaisir, elle dit :)


Viens ! viens, cher Vicomte ! il est bon encore… Mets-le moi vîte…

(Elle se hâte d’entretenir la vigueur factice du Vicomte, l’excitant très-vivement de la main jusqu’à ce qu’il puisse être en place. Chemin faisant, elle glisse à la Marquise un petit étui d’ivoire lisse et arrondi par le bout.)


Et vous, charmante ? Prenez ceci, et donnez-lui le postillon.

LA MARQUISE, refusant.

À Monsieur ! Qu’il s’aille faire…

LE VICOMTE, gaiement.

Eh ! cela ne nuirait pas, au moins.

(Cependant la petite Comtesse s’est trop précautionnée contre le danger de manquer son objet. Sa main électrique, et d’une habileté consommée, a déja conduit le Vicomte tout près du moment décisif. À son peu de roideur, elle l’en jugeait encore fort éloigné ; mais à peine touche-t-il le seuil du lieu brûlant où l’on veut l’introduire, qu’il lâche sa bordée, et la Comtesse n’a plus, dans la main, qu’une guenille.)

LA COMTESSE, avec dépit.

Au diable ! à présent.

(Se sentant inondée gratis.)


Faites-moi grace, du moins.

(Elle quitte précipitamment.)
LE VICOMTE, qui trouvait très-doux
d’attendre sur place la fin de son épanchement et
de son plaisir, chante :)

Le bonheur est de le répandre,
De le verser sur les humains…

(Du Roi et le Fermier.)
LA COMTESSE, se regardant.

Me voilà propre, maintenant.

(Elle jette sur
le Vicomte un regard d’humeur.)


Ces inutiles-là ne savent faire que des sottises.

— (La Marquise rit aux larmes des petites disgraces de la Comtesse ; cependant elle lui indique un endroit où elle trouvera de quoi se purifier.)

LE VICOMTE, seul avec la
Marquise, chante :

Demandez-moi pourquoi… pourquoi cette colere…

(De Rose et Colas.)
LA MARQUISE, avec humeur.

Vous n’êtes qu’un sot, mon cher Vicomte… Allez, vous cacher.

(Elle le conduit tout doucement
vers la porte ; la Comtesse reparaît.)
LE VICOMTE, avec une pantomime badine, chante :)

Oui… je pars au désespoir…

(De la Colonie.)

— (Il leve les yeux et les mains aux Ciel.)

LA MARQUISE, le mettant
dehors, chante la suite.)

Pour jamais, pour jamais ne te revoir.

(Il sort : ces Dames ferment.)





LA COMTESSE, regardant
fixement la Marquise qui lui rit au nez.

Tu as raison. Je suis ratée : oh ! que je vais en vouloir à ce vilain homme-là !

LA MARQUISE, riant.

Pour moi, si j’avais le crédit de demander aux Dieux une vengeance…

LA COMTESSE.

Que demanderais-tu ?

LA MARQUISE.

Qu’il prît à ce grivois-là quelque bon Priapisme…

LA COMTESSE, lui sautant au cou.

Charmante ! et qu’on nous confiât le soin de le guérir !

(On entend braire.)


D’où part cette belle musique, s’il vous plaît ?

LA MARQUISE.

De mon écurie. Je suis à la mode : j’ai un âne.

LA COMTESSE, avec intérêt.

Un âne, ma fille ? Et pourquoi faire ?

LA MARQUISE.

Belle demande ! pour monter dessus.

LA COMTESSE.

Un âne !… masculin ?

LA MARQUISE.

Oh ! des plus masculins ; rien n’y manque, je te jure. C’est lui qui vient de nous régaler d’une ariette.

LA COMTESSE, lui prenant la main.

Savez-vous que j’aimerais beaucoup mieux ses ariettes que celles du Vicomte ?

LA MARQUISE.

Il a sans contredit plus d’oreille et de timbre.

LA COMTESSE, du ton du desir.

Et le bâton de mesure donc, que doit vibrer un tel maître de musique !

LA MARQUISE.

Il ne tiendrait qu’au Vicomte d’en approcher, mais…

(Un doigt qu’elle abaisse, plié vers
la terre, acheve d’expliquer son idée.)
LA COMTESSE, comme à elle-même.

Un âne, chez soi ! quel trésor !

(On frappe.)
LA MARQUISE.

Qui est-là ?





PHILIPPINE, en dehors.

C’est Philippine. — Est-il permis d’entrer ?

LA MARQUISE, ouvrant.

Entrez, Mademoiselle.

PHILIPPINE, troublée.

Ah, Madame ! vous ne devineriez jamais ce que je viens d’apprendre !

LA MARQUISE.

Eh bien, de quoi s’agit-il ?

PHILIPPINE.

M. Patineau, qui vient de monter, apporte pour nouvelle qu’un coquin d’Ecclésiastique, qu’il dit être étranger et roux, a violé, ce matin, un petit garçon dans une église, et que le scélérat, n’ayant pu s’échapper, est entre les mains de la justice. Si c’était M. l’Abbé Boujaron !

LA COMTESSE.

Qui ? ce prêtre Napolitain ?…

LA MARQUISE.

Oh ! Napolitain dans toute la force du terme. Le connaissez-vous ?

LA COMTESSE.

Pas encore, mais on devait me le présenter.

LA MARQUISE.

Fi donc ! vous auriez, reçu cet infâme pédéraste ?

LA COMTESSE, malignement.

Sur-tout en qualité de votre intime ami.

LA MARQUISE.

Ah ! dites tout au plus l’ami de mon mari… Nous allons causer de cela… Philippine ? courez, informez-vous, sachez les détails, et venez au plutôt m’en rendre compte…

PHILIPPINE, en mouvement.

J’y vais…

LA MARQUISE.

Et particuliérement le nom du coupable.

PHILIPPINE, vers la porte.

Oui, Madame.

LA MARQUISE.

N’allez pas au moins vous amuser, et oublier la commission avec Joujou ?

PHILIPPINE, interdite.

Madame ?

LA MARQUISE.

Vous devez m’entendre, belle donneuse d’éducation.

PHILIPPINE, confuse.

Le petit babillard !

LA MARQUISE.

Il ne m’a rien dit, mais je sais tout. — Partez.

                  (Philippine sort, se mordant les levres, et faisant des mines de courroux.





LA COMTESSE.

C’est une diabolique affaire, au moins, que celle de cet Abbé ?

LA MARQUISE.

Je tremble qu’en effet cela ne regarde Boujaron. Mon mari, qui connaît tous les gueux de l’univers, a, malgré moi, continué de permettre à ce vilain homme la fréquentation de notre hôtel : si c’est de Boujaron qu’il s’agit, peignez-vous les disgraces qui ne manqueront pas d’accabler tous les honnêtes gens chez lesquels il est reçu !

LA COMTESSE.

Sans doute, car il est fort entrant de son métier ?

(Elle observe finement.)


Et peu de personne l’ont connu, m’a-t-on dit, sans qu’il ait pris à tâche de former avec elles des liaisons bien particulieres.

(Son air malin se caractérise d’autant plus en finissant cette tirade, qu’elle a remarqué que la Marquise était fort embarrassée.)

LA MARQUISE, les yeux baissés.

Qui devait donc vous faire le funeste présent de ce monstre ?

LA COMTESSE.

Le cher Bricon ; cela est tout frais. J’ai consenti ce matin, avant d’aller au Palais-Royal, qu’il m’amenât Boujaron quand bon lui semblerait.

LA MARQUISE.

Croyez-moi, ma chere, tâchez de vous rétracter.

LA COMTESSE.

Non, par ma foi ! J’ai pour principe qu’il faut connaître des gens de toute espece. Il y en a d’abominables dont on peut encore tirer parti. Ce Boujaron, par exemple, on assure qu’il est décidément anuïste ?

LA MARQUISE, souriant.

Le mot est neuf : il serait bon de le conserver. — Et vous donnez donc là-dedans, vous ? Un anuïste (pour me servir de votre heureuse expression) peut vous être bon à quelque chose ?

LA COMTESSE, avec espiéglerie.

Regardez-moi bien en face, et dites franchement si vous êtes convaincue qu’un anuïste ne peut nous être bon à rien.

(Elle fixe la Marquise et sourit.)
LA MARQUISE, gaiement.

Vous êtes bien la plus méchante petite diablesse !… Je vois trop que ce scélérat de Bricon a tout dit…

LA COMTESSE, lui tendant la main.

C’est la vérité. — Je voulais voir si tu serais assez mon amie pour m’avouer toi-même une gentillesse, dont je me préparais à te bien railler, si tu m’en avais fait mystere… N’as-tu pas eu du plaisir ?

LA MARQUISE.

Mais… je suis sûre que celui que j’avais à deux doigts de là m’a fait croire que j’en avais aussi beaucoup à ce vilain trou, si peu fait…

LA COMTESSE, outrant ce ton de dédain.

Si peu fait !… Bégueulerie toute pure : mais c’était donc le coup d’essai de Madame ?

LA MARQUISE.

Ah ! je t’en réponds : et sans l’attrait de l’autre amusement…

LA COMTESSE, d’un ton goguenard.

Peste ! pour un début, faire la chouette ! et dédaigner après cela ce dont on s’est très-bien accommodée !… Le joli jeu !… Foutre ! quelles délices !… Le plaisir me tue…

(Elle sourit en
répétant ces propres paroles de la Marquise.)


— Oh, bien ! je suis de meilleure foi, moi ; je ne dédaigne point la chose ; et Boujaron, qu’assurément je n’allais pas recevoir sans avoir mes petites vues, n’aurait point eu mon pucelage occidental. N’y eût-il que le grave Sourcillac qui, prenant au pied de la lettre le nom de péché philosophique, croit qu’en sa qualité de philosophe, il doit aussi me retourner…

LA MARQUISE.

Sourcillac !

LA COMTESSE.

Eh ! oui, sans doute. — Mais je ne vois rien d’aussi simple, moi ; je ne sais ce que les autres femmes trouvent à ce jeu de plaisir ou de peine : cent m’en ont dit un mal affreux ; aucune n’ose jamais en dire du bien. Quant à moi, soit que l’habitude soit, comme on dit, une seconde Nature, soit que l’œillet, communément négligé, soit susceptible de quelque sensation de plaisir, qui ne peut avoir lieu qu’après que les voies sont préparées par un peu d’exercice, je ne gitonne[2] jamais sans que j’éprouve réellement quelque chose de fort agréable, même quand je dispense mon fauconnier de me clitoriser, ou quand je néglige de me donner ce délicieux accessoire. — En un mot, vivent les gens qui font complaisamment tout ce qu’on peut avoir le caprice de desirer. C’est sur ce pied qu’un Boujaron même peut être fort bon à voir.

LA MARQUISE.

En vérité, Comtesse, je suis jalouse ; car vous me surpassez…

LA COMTESSE.

Je m’en pique. Voyez cette mêche de cheveux ? Est-on de cette couleur-là pour rien ?

LA MARQUISE, souriant.

Elle est charmante ! — Vous avouez donc de bonne foi votre blond hardi ?

LA COMTESSE.

L’expression est modeste ; dites ardent. Oui, je l’avoue ; bien plus, j’en fais gloire. Les beautés les plus célebres de l’antiquité n’étaient-elles pas, la plupart, de ma couleur ? Le docte Sourcillac, qui les connaît toutes, me les cite souvent pour m’apprendre ce que ma dorure me donne de prix à ses yeux. Mais, sans remonter aux siecles éloignés, combien peu de tems y a-t-il que nos élégantes voulaient toutes être du roux le plus extrême ? Le goût est fou : l’on ne sait, en vérité, ce qu’on veut, ni ce qu’on peut appeller laideur ou beauté ; grace ou ridicule.

(L’âne brait.)


Encore ce chanteur ! Il réveille en moi certaines inquiétudes d’esprit.

LA MARQUISE.

Comment cela. ?

LA COMTESSE.

J’ai, par exemple, réfléchi plus d’une fois, en lisant la Pucelle, comment il se pourrait que la galante aventure de Jeanne avec le saint baudet se réalisât.

LA MARQUISE.

Fi donc ! c’est une folie de poëte : la chose est impossible.

LA COMTESSE.

Cela est bien facile à dire : je n’en suis pas assez, certaine. Nous connaissons d’anciennes traditions des fredaines des Dieux, sous des formes de béliers, de taureaux, de chevaux et d’autres quadrupedes. Moi, qui entends à demi-mot, et qui sens bien de quoi nous autres femmes pouvons être capables, j’ai du penchant à croire que ces Dieux prétendus étaient, tout terrestrement, de bons taureaux, de bons étalons, etc. que ces Dames avaient la fantaisie de s’appliquer. Quand cela venait à faire du bruit, pour éviter le scandale et fermer la bouche au vulgaire, on mettait le grave cas sur le compte de quelque Dieu, qui se laissait calomnier sans marquer la moindre colere. — Que n’essayons-nous un peu si, par hasard, Monsieur votre âne ne serait pas quelque moderne demi-Dieu ?

LA MARQUISE.

Fi, Comtesse ! Vous avez une imagination…

LA COMTESSE.

J’aime voir faire ainsi l’étroite à Madame, qui vient d’engloutir tout-à-l’heure, jusqu’aux poils, un boutejoie d’un pied de long !

LA MARQUISE.

Mais un homme est un homme.

LA COMTESSE, avec feu.

Et un âne est un âne ! beaucoup au-dessus de l’homme, sans doute, pour ce dont il s’agit. Allons, Marquise, point de pruderie ; du cœur, et sachons ce qu’il en est…





PHILIPPINE, avec un billet.

Tenez, Madame, je n’ai pas eu la peine de courir bien loin. Voici un mot d’écrit de la part de votre marchand de ce matin. Ou demande réponse sur-le-champ.

LA MARQUISE, avec trouble.

Bon Dieu ! que vais-je apprendre !

(Elle va
vers la croisée, lire sa lettre.)
LA COMTESSE, à mi-voix,
pendant que son amie est occupée.

Savez-vous, Philippine, que vous êtes jolie comme l’amour, et fraîche comme un bouton, de rose ?

PHILIPPINE.

Vous êtes bien honnête, Madame.

LA COMTESSE.

D’honneur, si j’étais garçon, je voudrais, passer un caprice avec vous.

PHILIPPINE, avec grace.

Et moi, si vous étiez garçon, je n’aurais pas le courage de vous résister.

LA COMTESSE, encore plus
bas, faisant un léger mouvement de la main
vers l’objet de son desir.

Viens donc me voir quelquefois !

PHILIPPINE, répondant à
cette agacerie en pressant sur cet
endroit la main de la Comtesse.

Mais, par malheur, vous n’êtes pas garçon.

LA COMTESSE, en feu.

Viens toujours.

PHILIPPINE, avec un
regard bien lubrique et l’accent le plus tendre.

Oh, oui ! j’irai vous voir.

                  (Elle jette en même tems, avec beaucoup de finesse, Un regard du côté de la Marquise ; ce qui signifie qu’elle prie la Comtesse de lui garder le secret.)

LA COMTESSE, très-bas.

Sois tranquille.

                  (Elles se serrent mutuellement la main.)

Demain ?

PHILIPPINE, très-bas.

Demain.

LA MARQUISE, ayant fini de lire.

Allez, à mon tiroir, Philippine, et donnez cinquante louis au porteur.

(Elle donne la clef. — Philippine sort.)





LA MARQUISE, agitée.

Écoutez ceci, Comtesse ; c’est votre Bricon qui m’écrit.

LA COMTESSE.

Il est bien un peu le vôtre aussi ! J’écoute.

LA MARQUISE, lisant.

« Madame, au sortir de chez, vous, M. l’Abbé, malgré ce que vous savez, est allé dire sa messe. Dieu l’a bien puni de cet horrible sacrilege… »

LA COMTESSE.

Peste ! Mons Bricon a de la religion !

LA MARQUISE.

Suivez sa lettre.

(Elle lit.)

« Par malheur il a pris un goût subit pour le petit garçon qui l’avait servie ; et dans la sacristie, moitié gré, moitié force, il l’a enfin exploité. » — Vous remarquerez. Comtesse, qu’il avait joui trois fois avant de sortir d’ici !

LA COMTESSE.

Ce n’est pas ce qui me donnera mauvaise opinion de lui…

LA MARQUISE.

Mais après une nuit pareille, à moins d’avoir le diable au corps, peut-on être tourmenté de cette force ?

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que trois fois, pour certaines gens ! Voyons la suite.

LA MARQUISE, lit.

« Il était déja tard : l’église est peu fréquentée ; il s’y croyait absolument seul. Cependant une bigote qu’on n’avait point apperçue, sentant sa conscience inquiétée de quelque peccadille, a cru trouver une belle occasion de se purifier, en prenant au bond le prêtre qui venait de célébrer… Elle est donc venue, comme un chat, vers la sacristie : on était au fort de la besogne… »

Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T1-p.145
Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T1-p.145
LA COMTESSE.

Belle vision pour une béate !

LA MARQUISE, lisant.

« À l’instant, M. Boujaron furieux, a voulu se ruer sur la dévote, et la mettre à mal aussi, pour s’assurer du secret ; mais elle a jette les hauts cris : le petit bon homme s’est enfui, sa culotte encore rabattue ; un bedeau, qui survenait, l’a arrêté. Il a tout déclaré. Deux passans appellés et le bedeau, se jettant dans la sacristie, ont surpris Mr. l’Abbé, qui (la tête perdue apparemment) jettait au cou de la dévote les cordons du vêtement sacerdotal. On l’a délivrée de ses mains. L’Abbé, porteur de deux pistolets, a voulu se faire ouvrir la sacristie, que le bedeau fermait à la clef… De ses deux coups il a manqué les deux hommes avec lesquels il restait… »

LA COMTESSE

Voilà, certes, un joli petit Monsieur !

LA MARQUISE, lisant.

« Le troisieme personnage allait pendant ce tems-là chercher main forte. Bref, M. l’Abbé a été saisi, lié et jetté dans un fiacre, pour être conduit en prison. Je me trouvais par hasard dans le quartier, tandis que tout cela se passait ; je m’étais donc mêlé parmi la foule, et j’avais tout appris. Comme j’entendais dire que le prisonnier était tombé dans une espece de délire, et vomissait, avec mille imprécations, des atrocités qui pouvaient compromettre nombre d’honnêtes gens, j’ai profité des relations que je me trouve avoir avec quelques-uns de ceux qui le conduisaient, et j’ai suivi…»

LA COMTESSE, interrompant.

M. Bricon est bien faufilé, ce me semble !

LA MARQUISE, lisant.

« M. Boujaron s’est enfin évanoui dans le fiacre : cet état ayant rendu nécessaire qu’on lui fît boire quelque chose, je me suis mêlé, avec beaucoup d’autres, de ce service ; et pour en rendre un bien plus important à tous les intéressés, aussi bien qu’au criminel, lui-même, j’ai mis subtilement quelque drogue dans la boisson… Il vient d’expirer. — Comme ce breuvage a passé par plusieurs mains, je ne pense pas qu’on me soupçonne plutôt qu’un autre, ni même qu’on recherche l’auteur de ce salutaire attentat ; mais comme tout peut se découvrir, je crois nécessaire, Madame, de m’éloigner pour quelque tems ; et pour cela, je vous prie de m’aider de votre secours, auquel j’ai d’autant plus de droit que le nom de M. le Marquis et le vôtre ont été le signal du juste ressentiment qui m’a fait violer les droits sacrés de la Nature et de l’amitié. Vous allez, me sauver ou me perdre… Craignez de mal choisir… J’ai, etc. » Craignez de mal choisir ! cela est souligné ! une menace ! Que pensez-vous de tout cela ?

LA COMTESSE.

En premier lieu, qu’il est très-heureux pour tout le monde que le monstrueux Napolitain ne vive plus… Ensuite…

LA MARQUISE.

Que M. Bricon ne lui cede guere en scélératesse ?

LA COMTESSE.

Je ne sais s’il ne le surpasse pas encore. L’Abbé n’était qu’un effréné, perdu de luxure ; sans politique ; méritant mieux, avant son dernier excès, Bicêtre que l’échafaud. Mais Bricon ! c’est un grand faiseur, au moins…

LA MARQUISE.

Tout cela est horrible ! je suis glacée d’effroi.

LA COMTESSE.

C’est l’affaire du moment. Au fond, nous gagnons toutes deux beaucoup à cette catastrophe. Où nous aurait pu mener par la suite la fréquentation de ces deux scélérats !

LA MARQUISE.

Dorénavant je vais bien éplucher mes connaissances.

LA COMTESSE.

Par bonheur pour la société, les Bricon et les Boujaron sont rares. Mais qui pourrait se flatter de ne point voir de roués ?

LA MARQUISE.

Il est vrai qu’on est, aujourd’hui, diabolique !

LA COMTESSE.

Il faut entendre Sourcillac, parfait honnête homme, (je lui dois cette justice) mais plein d’humeur ; il faut l’entendre faire le procès de la génération actuelle. Il prétend que, sous les plus charmans vernis du monde, nos contemporains cachent un degré de scélératesse et d’infamie, dont les siecles les plus corrompus n’ont point fourni d’exemples. Aussi ses diatribes éternelles me causent-elles un ennui !…

LA MARQUISE.

Vous êtes trop bonne. Veuve, jeune et jolie, que faites-vous de ce radoteur ?

LA COMTESSE.

Ce que j’en fais, vraiment ? Un excellent contrat de vingt mille livres de rente, au moins, que je coûte par an au sire au petit pied. Feu le Comte, fort bon diable, précieux tapeur, Dieu lui fasse paix, ne m’a presque rien laissé. Sourcillac, son parent, ou qui veut avoir l’honneur de l’être, s’est offert à sa mort pour gouverner mes affaires. Il est fort riche ; il administre supérieurement bien quelques milliers de francs de revenu dont je fus héritiere, et mange avec moi tout le sien…

LA MARQUISE.

Voilà des motifs. Mais cet homme hétéroclite a-t-il du moins de beaux côtés ?

LA COMTESSE.

Il a d’abord l’attention de ne m’importuner de ses flammes amoureuses qu’une ou deux fois par semaine, car il s’est usé tout comme un autre, en ayant pourtant la manie de raisonner de tout philosophiquement, et d’éviter les excès. Il a de plus beaucoup d’usage du monde, un bon cœur, des manieres nobles, infiniment de connaissances et d’esprit, mais d’un esprit par malheur bizarre, et par fois un peu faux, qui lui fait un grand tort, et le rend quelquefois incommode. Sourcillac fera de profonds calculs sur des points mal vus du premier coup d’œil. Comment le trouvez-vous, par exemple, quand il se désole de ce que je n’ai point de tempérament ?

LA MARQUISE.

Est-il bien possible qu’il se méprenne assez…

LA COMTESSE.

C’est une de ses bévues. Bien persuadé que je l’adore, il ne me juge capable que de sentimens. Toutes mes connaissances ont de la peine à ne pas lui rire au nez, quand il se plaint de mon insensibilité physique, et les excite à me monter un peu la tête.

LA MARQUISE.

La drôle de folie !

LA COMTESSE.

Autre sottise bien favorable à mes lubriques inclinations. Mon fier tuteur ne conçoit pas qu’un homme de rien, un être en servitude, (c’est ainsi qu’il définit nos gens) puisse jamais intéresser une femme d’un état noble. Il croit que la disproportion du rang suffit pour empêcher tout personnage vulgaire d’élever ses vues jusqu’à moi. Je me fais donc habiller, déshabiller, mettre au bain, essuyer, frotter, nue comme la main, devant lui, ou sans lui, n’importe ; il est incapable, à cet égard, du moindre soupçon jaloux. L’autre jour, tandis qu’il lisait la gazette près de ma croisée, Zamor, sous prétexte de me passer ma chemise, m’enfilait, nue, dans mon alcôve…

LA MARQUISE.

Zamor ! ce superbe negre qu’il a payé si cher pour vous l’offrir ?… il vous a ?

LA COMTESSE, froidement.

Ou je l’ai ; comme il vous plaira : fort à votre service, si vous pouvez en être tentée… Parlez ?

LA MARQUISE.

Un negre, ma chere ! y pensez-vous ? Et s’il arrivait qu’on devînt grosse ?

LA COMTESSE.

On ferait un petit mulâtre, cela est clair. — Sourcillac donc était assistant ; il me prit une idée bien folle ! Tu sais que souvent il m’appelle Minette ?

LA MARQUISE.

Eh Bien ?

LA COMTESSE.

Au fort du travail du vigoureux Zamor, je prends la liberté d’interrompre la lecture du Courrier, et dis : « À propos, mon ami ? » Zamor effrayé, de vouloir s’ôter et de battre en retraite : mais je l’enlace, le presse, et lui fais sentir que j’entends qu’il reste là.

LA MARQUISE.

Vous aviez donc perdu l’esprit ?

LA COMTESSE.

Un moment. — « Que veut ma Minette ? » (me répond-on bien gracieusement.) — Justement, mon bon ami, je voulais te prier de ne plus m’appeller Minette, parce que cette nuit j’ai rêvé que j’avais couru les toits, et qu’un gros matou, couleur d’ébene, m’avait violée : je me suis éveillée mourant de peur, et me disant qu’infailliblement j’allais mettre au monde une demi-douzaine de chats d’Espagne. — Rien de plus original ! s’est écrié le bon Sourcillac (riant comme un fou, et laissant aller par la fenêtre sa gazette qui lui échappait des mains,) je veux conter ce drôle de rêve à tous nos amis. — Et lui de rire… rire !… — Cette duperie, mon cœur, avait quelque chose de si piquant pour moi, que jamais passade de cette espece ne me fit autant de plaisir : il semblait que Zamor lui-même y entendait finesse ; il se surpassa… Croyez-vous qu’on soit fort malheureuse de vivre avec un homme qui n’a que de semblables travers, et un peu sa rude écorce contre lui ?

LA MARQUISE.

Je vous en fais compliment : mon cher époux ne ressemble guere à votre tuteur. Le Marquis n’est point généreux ; pas trop bien élevé ; sans culture ainsi que sans esprit naturel ; il n’a qu’une bonne qualité, c’est d’être faible, et de ne pouvoir m’arracher l’empire que souvent il me conteste. Très-soigneux à s’emparer de tout, quoique tout m’appartienne, il me laisse en revanche le voler autant qu’il me plaît. Si quelquefois sa vilainie me réduit aux expédiens, il ne s’agit que d’ajouter un brin à l’aigrette conjugale…

LA COMTESSE.

Oui : mais il ne faut pas se frotter à des parieurs gascons.

LA MARQUISE, souriant.

Il y a des gens de meilleure composition : Paris ne manque pas de Dupeville. — Comme M. le Marquis a la plus mauvaise opinion des femmes, et qu’il ne croit pas qu’aucune résiste à ces deux forces, l’occasion et l’argent, je justifie pleinement ce systême et leur cede toujours. — Mais d’où savez-vous déja mon aventure d’hier ? Qui vous a fourni la matiere de l’épigramme dont vous venez de me couper la parole ?

LA COMTESSE.

Tout simplement la grosse Conbannal, témoin hier de la gageure, et chez qui le brave Chevalier a déjeûné, m’a conté la chose dans sa voiture en m’amenant au Palais-Royal. J’étais au fait de tout, quand nous nous sommes rencontrées. — J’ai manqué le gascon de quatre minutes chez ma voisine, qui m’a assurée que, malgré sa nuit et deux politesses encore dont il venait de payer sa tasse de chocolat, elle m’aurait fait bon d’autant, si j’avais eu l’esprit de venir avant qu’il ne l’eût quittée.

LA MARQUISE.

En vérité, je crois cet homme-là capable… de l’impossible…

LA COMTESSE.

C’est pour l’ordre une acquisition sans prix… Il s’y nomme ?

LA MARQUISE.

L’Oreille-d’ours. Sa réception est toute nouvelle. Une dignitaire, qui se trouvait dans sa garnison, l’a envoyé comme un phénomène à Paris… Je suis la premiere qu’il y a sommée.

LA COMTESSE.

Et moi je le somme à la premiere occasion, et si je puis je l’assomme : autant vaut que ce soit moi qu’une autre ; car s’il allait avoir la vogue… Tu sais que nous avons des égrillardes qui n’y vont pas de main-morte ; et qui, lorsqu’elles ont jetté le grapin sur le plus fier tapeur, l’ont bientôt mis à sec ? — Au bout du compte, ce gascon ne peut pas valoir mieux que le beau mousquetaire, connu chez nous sous le nom de Tournesol ? Tu le connais ?

LA MARQUISE.

De vue seulement. — À propos, nous ne le voyons plus aux assemblées ?

LA COMTESSE, riant.

On est sous la remise, ma chere. — Le pauvre diable, n’osant plus faire claquer son fouet à Paris, est allé se mettre au régime dans sa gentilhommiere. Tournesol est un homme submergé : je le lui ai prédit, quoiqu’il se fiât de reparaître incessamment sur l’eau. — Tu n’es pas sans savoir ce qui m’est arrivé avec lui, peu de tems avant son départ ?

LA MARQUISE.

Je sais en gros qu’il te nommait son petit vampire, et rien de plus.

LA COMTESSE.

Ainsi, tu sais que j’ai eu pour lui la plus belle fureur. — Voici notre séance d’adieu. Tournesol, avant mon bail, était un véritable Hercule, ayant d’ailleurs toutes les graces et la galanterie du beau monde de Paris. Après l’avoir eu pendant quelques mois, seule peut-être, ce qui n’était pas un médiocre triomphe pour ma vanité, j’eus la sottise (c’en était une insigne) de trouver mauvais qu’il n’eut plus pour moi la même ardeur. J’aurais dû me dire qu’un homme qu’on a mis sur les dents ne peut plus se ressembler ; mais j’avais l’injustice de le trouver coupable… Je lui reprochais de ne plus m’aimer ; mon goût était toujours dans toute sa force : il eut beau me jurer qu’il était le même pour moi, je lui dis net que lorsqu’on aimait, et que la Nature devenait avare de moyens de donner du plaisir, on n’hésitait pas d’y suppléer par les ressources de l’art…

LA MARQUISE.

L’exiger était cruauté de ta part ; t’obéir eût été faiblesse de la sienne.

LA COMTESSE.

Aussi parut-il s’y refuser : je pressais vainement ; l’amour-propre se mettant de la partie, nous nous dîmes réciproquement des choses assez désobligeantes, et je crus que nous allions être brouillés.

LA MARQUISE.

Tu le méritais, du moins.

LA COMTESSE.

Soit : voici pourtant comment les choses semblerent prendre une tournure plus favorable à mes desirs. Tournesol vint un jour, avec un air assez serein, me dire que, voulant absolument m’ôter tout soupçon qu’il pût me desirer moins, il s’était occupé des moyens de se procurer une vigueur factice, et qu’enfin il avait eu le bonheur de trouver un juif italien, possesseur d’une drogue précieuse, nommée l’immortalita del Cazzo, mais dont il voulait pourtant ne me faire connaître l’excellence que lorsque nous la mettrions ensemble à l’épreuve. Je voulus en savoir davantage. La complaisance de Tournesol, et l’espoir d’une nouvelle moisson de plaisirs, lui valurent, de ma part, mille caresses passionnées. J’étais furieuse de ce qu’il n’avait pas apporté sur-le-champ cette immortalita del Cazzo, dont la moindre propriété (car il fallut bien me les déduire) était de mettre l’homme le plus invalide en état de faire la douce chose deux ou trois fois d’une haleine.

LA MARQUISE, interrompant,
en tirant ses tablettes.

Pardon si j’interromps, ma chere ; mais il faut que j’écrive… l’immortalita del Cazzo.

(Elle a écrit.)


Et le nom du juif, le sais-tu ?

LA COMTESSE, souriant.

Un moment. — Tournesol ajoutait : « Les effets de cet élixir sont si prodigieux que je doute encore de sa vertu. Il y a d’ailleurs des formalités ridicules qui semblent décéler quelque charlatanerie ; et je ne sais si je dois m’exposer à être peut-être pris pour dupe ».

LA MARQUISE.

Tu voulus, bien entendu, savoir quelles étaient ces formalités ?

LA COMTESSE.

Il fallait prendre quelques gouttes de l’élixir en question sur un morceau de sucre, mais au grand air, à cause de sa violence ; après quoi garder dans sa bouche un peu d’eau commune. Bientôt l’effet confortatif se faisait sentir…

LA MARQUISE.

C’est-à-dire, qu’on bandait bien fort ?

LA COMTESSE.

Vous y voilà. Pour lors, on profitait de ces brillantes dispositions, et l’on ne s’arrêtait que quand l’eau qu’on avait dans la bouche devenait brûlante : c’était le moment de reprendre l’air ; nouvelle dose d’élixir ; nouvelle bouchée d’eau ; nouveaux feux ; ainsi de suite, autant qu’on pouvait le vouloir, sans danger d’aucune inflammation, ni d’aucun épuisement.

LA MARQUISE.

La divine drogue ! Eh bien ?

LA COMTESSE.

Il fut résolu que la nuit de ce même jour nous ferions l’essai du merveilleux topique. En conséquence, je suis au lit beaucoup plutôt qu’à l’ordinaire. Tournesol, à qui notre petit mal-entendu ne m’avait point fait retirer ses clefs, pénetre, comme de coutume, jusqu’à mon alcôve, en habit de combat ; c’est-à-dire, nud, à la réserve d’une chemise et d’une robe-de-chambre de Perse, très-légere, que mes chalands trouvent toujours dans la garde-robe où ils déposent leurs habits.

LA MARQUISE, souriant.

Il y a, chez toi, beaucoup d’ordre !

LA COMTESSE.

Mon bien-aimé Tournesol, exhalant, en effet, je ne sais quelle odeur aromatique, mais fort agréable, m’exploite deux fois comme il faut et sans reprendre haleine. Il me quitte, bouche close, à cause de son eau… — Environ cinq minutes après, on revient.

LA MARQUISE.

Bon : cela s’annonce à merveille.

LA COMTESSE.

Je suis encore supérieurement tapée deux fois.

LA MARQUISE.

Charmant !

LA COMTESSE.

Nouvelle absence ; nouveau retour : on me baise encore, un peu moins vigoureusement, mais plus voluptueusement, une et deux fois.

LA MARQUISE.

En voilà déja six de bon compte ?

LA COMTESSE.

En moins d’une heure ; mais ne t’impatientes pas ! — Me voilà seule encore, mais pour quelques instans. — C’est du caprice, cette fois. On me fait comprendre, par un attouchement indicatif, car tu te souviens bien qu’on a la bouche pleine et qu’on ne parle point ?

LA MARQUISE.

Je ne perds pas de vue cette circonstance : elle me plaît même beaucoup. À quoi bon parler, quand on a de si beaux moyens de prouver son amour !

LA COMTESSE.

Un doigt polisson, qui s’attache à provoquer certain orifice auquel on n’avait pas pensé jusqu’alors, me fait donc comprendre que, cette fois, il s’agit de faux-conner[3]. Moi qui n’aime pas la monotonie, je trouve l’idée heureuse, et je me retourne de la meilleure grace du monde…

LA MARQUISE.

Elle avoue ces folies-là, avec l’effronterie d’un page !

LA COMTESSE.

Pourquoi pas ! — Me voilà bien vîte la croupe en l’air : on se glisse dans l’étroit réduit avec ménagement ; on y prélude, et bientôt on en sort pour se plonger vigoureusement un doigt au-dessous, je me sens alors inondée d’un torrent enflammé, et je m’écrie dans le délire du plus vrai plaisir : — Ah ! foutre ! vive le juif et la sublime immortalila del Cazzo ! Je n’ai pas achevé de proférer ce vœu, que il Cazzo immortale est déja rentré dans son premier gîte ; j’y suis agréablement limée pendant plusieurs minutes ; un doigt habile entretient en même-tems l’aise de l’autre poste, où l’on vient enfin réaliser comme la premiere fois, avec une étonnante profusion…

LA MARQUISE.

Tout cela est très-orthodoxe. — Et huit !

LA COMTESSE.

On m’abandonne encore. Je fais une ample toilette, croyant bien avoir reçu, pour le coup, le bouquet au feu d’artifice. Point du tout : un moment après on reparaît ; le jeu recommence de plus belle. Cette fois c’est un boutejoie qui me paraît énorme, et j’admire comment la magique immortalita, non-seulement entretient une si rare vigueur, mais semble ajouter encore aux dimensions de l’instrument de ma félicité…

LA MARQUISE.

Pour le coup, je ne t’écoute plus ; tu me bernes et me fais des contes de la Mere-l’Oye.

LA COMTESSE, sérieusement.

Parole d’honneur, ma chere, je n’altere point la vérité. Ne juge pas trop vîte. Cependant, pour ne pas te fatiguer par des redites éternelles, crois, sur ma parole toujours, que cette visite n’est encore que l’anti-pénultieme, et que les deux dernieres, également partagées entre les deux trotoirs, sont tout aussi vives, de la part de l’agent, que la premiere de toutes.

LA MARQUISE.

Quoi ! dix, douze et quatorze !

LA COMTESSE

Tout autant : mais voici de quoi te faire retrouver le fil de la vraisemblance ! — Avant de me quitter, on fait semblant de rejetter une bouchée d’eau dans ma cuvette, et j’entends une voix, qui n’était nullement celle de Tournesol, me dire : — « Voilà ce que c’est, Comtesse ; comment trouvez-vous l’immortalita del Cazzo ! » — J’expire presque de frayeur et de confusion.

LA MARQUISE.

Il y avait de quoi, vraiment. Qui parlait ainsi ?

LA COMTESSE.

Voici le dénouement de cette étrange aventure. — À l’instant, paraît tout de bon, avec de la lumiere, le perfide Tournesol, suivi de cinq autres, ce qui faisait sept avec celui qui me restait. Ces Messieurs ont tous l’uniforme de Mousquetaire sous les armes… Tu m’entends ?

LA MARQUISE.

À merveille.

LA COMTESSE.

Et tiennent une bougie à la main. On a tiré mes rideaux ; mon lit est entouré : c’est à qui me fera les complimens les plus saugrenus. Pour que la mistification devienne complette, l’impertinent Tournesol me découvre jusqu’aux pieds, et dit : — « Camarades ! il est bien juste que vous connaissiez toute l’étendue des obligations que vous m’avez, en jugeant des attraits de la charmante petite à qui vous venez, sous mon nom, de faire passer une si belle nuit. » — Alors Dieu sait combien d’éloges et d’espiégleries !

LA MARQUISE.

Le trait était sanglant ! Connaissais-tu ces gens-là ?

LA COMTESSE.

Du tout : mais c’étaient tous de fort beaux garçons ; car Tournesol, qui m’est très-attaché (je n’en puis douter) n’avait pas voulu me faire une noirceur désagréable. Le parti le plus sage était de rire de tout cela…

LA MARQUISE.

D’en rire ! Je ne leur aurais pardonné de ma vie !

LA COMTESSE, souriant.

Quel mal m’avaient-ils fait ? — Bien loin de faire la bégueule, je parais fort à mon aise ; j’assure que je n’ai point été leur dupe ; mais qu’à bon compte j’ai volontiers profité du bien inattendu que me destinait mon bon génie. Cette ruse me réussit au mieux ; Tournesol, pour lors, est à son tour mystifié ; ce n’est plus pour son compte qu’ont existé tous mes charmans transports : chacun en prend sa part, et se moque un peu de lui…

LA MARQUISE.

Ah ! que vous faisiez bien de mortifier l’amour-propre de ce vilain homme !

LA COMTESSE.

Je me leve ; je fais servir un déjeûner bien restaurant ; tous paraissent enchantés ; chacun m’offre, pour le moment et pour l’avenir, la continuation de ses services…

LA MARQUISE.

Pour l’avenir, passe ; car pour le moment, tu devais être moulue ?

LA COMTESSE.

Cela te plaît à dire. Je trouve, au contraire, plaisant d’escamoter l’un des deux voisins que j’avais à table, et, qu’à certaine familiarité risquée sous la nappe, je venais de reconnaître pour l’acteur distingué de la cinquieme passade. Un mot bien adroitement dit et recueilli de même, lui permet de se cacher dans certain cabinet ; ce qu’il exécute en prétextant fort naturellement la nécessité de se retirer un moment avant ses camarades. Je renvoie ceux-ci vers le jour, bien conditionnés : pour lors, je vais joindre mon fringant prisonnier, qui se trouve être… ah !

(Elle baise ses doigts.)


Le plus inappréciable fouteur de la maison du Roi. Nous nous en donnons !… Bref, je lie, avec ce charmant garçon, une heureuse intrigue qui me venge complétement de la malice et de la défection de Tournesol…

LA MARQUISE, soupirant.

Il faut donc, hélas ! effacer de mes tablettes

(Elle les tire de sa poche.)


le nom d’une drogue…

(Elle leve les yeux au Ciel.)


que, si les Cieux en faisaient présent à la terre, je préférerais de tout mon cœur à la pierre philosophale.

(L’article est effacé.)


Allons.

(Elle se leve.)


L’obscurité nous a surprises ici, retournons au sallon.

LA COMTESSE, la retenant.

Non pas, s’il vous plaît. Nous ferons allumer.

(Tendrement.)


Quand nous n’aurions qu’un petit mot à nous dire !

(L’âne brait.)


Et, tu l’entends ! Le destin ne veut pas permettre que ce diable de musicien cesse aujourd’hui de m’occuper ! Mon imagination s’était rembrunie à l’occasion de notre affreux Napolitain ; le feu d’un étonnant caprice venait de s’éteindre, et voilà que, comme si l’âne était d’intelligence, il me force derechef à penser à lui… Certes, il faut qu’il y ait entre nous et cet animal quelque secrette sympathie…

LA MARQUISE.

On n’est pas extravagante à ce point.

LA COMTESSE, plaisamment.

Pensez-en tout ce que vous voudrez, Madame ; mais puisque les grands mots sont lâchés, il ne m’en coûte plus rien de vous faire connaître à fond toute l’étendue de ma faiblesse. Sachez, Princesse, que j’ai jetté, sur Monsieur votre âne, un dévolu, et que je veux, avec votre permission, jouir un moment de son solide entretien… Faites mieux que d’approuver mon idée, soyons de moitié de l’expérience… Allons.

LA MARQUISE, après avoir
hésité un moment.

Allons.

LA COMTESSE, naturellement.

C’est parler cela ! — Comment nous y prendre, à présent ? J’irais bien à son écurie le chercher… mais je ne sais où c’est.

LA MARQUISE.

Je le sais, moi ; mais je n’aime pas le fumier, je t’en préviens.

LA COMTESSE.

Servons-nous de Joujou ? il est discret.

LA MARQUISE.

À la bonne heure ; mais je répugne à mettre un enfant dans une pareille confidence.

LA COMTESSE, s’impatientant.

Ah ! tu es la femme aux obstacles !

LA MARQUISE.

Pourquoi n’emploierions-nous pas Philippine ? elle vaut Joujou pour la discrétion : d’ailleurs je saurai bien la forcer à se taire ; car si l’on peut faire ressource de l’âne, elle en tâtera, je te jure, tout comme nous.

LA COMTESSE.

C’est cela. — Comme il faut amener la chose, j’imagine un expédient. Agitons la question devant elle : je serai pour la possibilité ; toi pour le contraire ; et nous ferons une gageure dont le gain sera pour elle ?

LA MARQUISE.

L’idée est excellente : ce sera la lier par un premier intérêt ; l’autre ira de suite… Je la connais.

(Elle sonne. Joujou paraît.)





LA MARQUISE, à Joujou.

Que Philippine vienne me parler sur-le-champ.

JOUJOU, avec humeur.

N’est-elle pas sur mes talons ! elle ne cesse de me faire enrager depuis tantôt.

PHILIPPINE, paraissant.

Qu’est-ce que vous dites, petit menteur ?

JOUJOU, fâché.

Non… non : je n’ai rien dit à Madame. Et puis, quand j’aurais parlé !… Quoi ?

PHILIPPINE.

Est-ce qu’on parle ! est-ce que je vais raconter, petit vilain, ce qu’on te fait tous les jours… ose nier… et ce que je t’ai vu faire encore hier à Monsieur…

JOUJOU, pleurant et frappant
du pied.

Mon Dieu, mon Dieu, que je suis à plaindre !

LA MARQUISE, bas à la Comtesse.

Que vous avais-je dit ! —

(haut à Joujou.)


Sortez. — Demeurez… Philippine.





LA COMTESSE.

Oubliez votre querelle et écoutez-nous.

LA MARQUISE.

Vous vous souvenez, Philippine ; que je vous ai fait lire la Pucelle ?

PHILIPPINE.

Oui, Madame : et cela m’a bien amusée.

LA MARQUISE.

Vous rappellez-vous que c’est le Saint-Baudet qui prend, enfin, le pucelage de l’héroïne ?

PHILIPPINE.

Oui, Madame.

LA COMTESSE.

Qu’en pensez-vous ?

PHILIPPINE.

Moi, Madame !… mais… il faut bien que cela soit vrai, puisqu’on l’a imprimé.

LA COMTESSE, à la Marquise.

Je vous disais bien, moi, que Philippine, qui est une fille d’esprit, serait de mon avis.

(À Philippine.)

N’est-ce pas, ma fille, qu’un âne peut très-bien, faire une politesse à une femme ?

PHILIPPINE, avec un peu
d’embarras.

Du moins, Madame, a-t-il bien ce qu’il faut pour cela.

LA MARQUISE.

D’accord. — J’ai cependant parié dix louis contre la Comtesse que si… l’une de nous trois, par exemple, voulait faire les avances à mon âne, il n’y répondrait pas. La Comtesse prétend qu’il y répondrait, et veut tenir mes dix louis. Il s’agit, Philippine, de savoir qui gagnera : le profit vous est destiné.

PHILIPPINE, avec de
petites façons.

Ah ! ces Dames sont bien bonnes, en vérité.

LA COMTESSE.

Oui : si Philippine veut, je ne me dédis pas… voici mes dix louis. Elle aura la complaisance d’aller chercher l’âne, et de se présenter à lui…

PHILIPPINE, étonnée.

Moi, Madame ?

LA COMTESSE.

Sans doute. S’il vous enfile, m’amie, j’aurai gagné dix louis ; s’il refuse, ce sera votre maîtresse qui gagnera. Mais, dans l’un ou l’autre cas, l’argent est pour vous : voyez si cela peut vous convenir.

PHILIPPINE.

Mais, Madame, vous plaisantez : c’est apparemment pour m’éprouver ! Je n’aime pas assez l’argent pour avoir la honte de m’offrir à l’âne de Madame. — Et puis, il n’aurait qu’à me faire un affront !

LA COMTESSE, souriant.

J’augure mieux de son savoir-vivre. Allez, Philippine, amenez le baudet, à tout hasard ; et pour vous prouver que tout ceci n’est pas une affaire de débauche, mais de curiosité, nous tirerons au sort, et verrons qui de nous sera forcée de payer de sa personne…

PHILIPPINE.

Sur ce pied-là, de tout mon cœur.

(Elle y va.)





LA COMTESSE.

Ça, ma chere, politesse à part, voulez-vous passer la premiere ?

LA MARQUISE.

Non pas, en vérité.

LA COMTESSE.

Tant mieux. Je suis plus résolue, moi ; vous allez voir. Quand Philippine reviendra, vous proposerez de tirer au doigt mouillé ; je vous présenterai à l’une et à l’autre mes doigts secs ; pour lors, comme de raison, la corvée me restera… Voici notre acteur.





PHILIPPINE, amene l’âne,
qui est un beau grison fort proprement tenu : il fait quelques
façons à la porte ; elle le flatte de la main, disant :

Là, là, n’ayez pas peur, on ne vous veut que du bien.

(Il entre.)
LA COMTESSE.

Fort bien. — Il faut examiner maintenant, avec beaucoup de soin, au dehors, si l’on ne peut pas être trahi par quelque ouverture.

(Philippine va examiner.)
LA MARQUISE.

Mais vous allez vous faire estropier, ma chere !

LA COMTESSE.

Ce sont mes belles et bonnes affaires.

LA MARQUISE.

Et si vous alliez engendrer un ânon ?

LA COMTESSE.

Oh ! je n’engendre pas, moi.

(Elle caresse l’âne.)


Viens, viens, mon petit.

LA MARQUISE.

Je n’aurais jamais eu une idée comme celle-là.

LA COMTESSE.

Mais vous en ferez, votre profit ; et je suis bien sûre que, dès demain, le grison aura, dans cet hôtel, deux bonnes pratiques.

LA MARQUISE, gaiement.

Il faudra voir.

PHILIPPINE, fermant la
porte après une exacte visite.

Il est impossible de rien découvrir.

LA MARQUISE.

Tirons maintenant au doigt mouillé.

LA COMTESSE.

Bien dit.

(Elle présente ses doigts.)


Tirez, Marquise… Et vous, Philippine ?… J’ai du guignon… c’est à moi ! Tout coup vaille, il faut que je m’en console.

(À Philippine qui rit…)


De quoi rit-on ?

PHILIPPINE.

Eh ! mais, regardez, donc, Madame.

(C’est
que l’âne est fort tranquille.)


Où prendrez-vous là de quoi faire votre expérience ?

LA COMTESSE.

Ne te mets pas en souci : porte seulement ta main dans ces environs… tu verras…

PHILIPPINE.

Grand merci, Madame ! ce n’est pas sur moi que le sort a tombé… et puis l’âne me donnerait un coup de pied, peut-être ?

LA COMTESSE.

Poltronne ! crois-tu donc les grisons assez, incivils pour rudoyer qui cherche à leur faire plaisir ! Tiens, regarde !…

(Elle porte la main au

fourreau de l’âne, qui, chatouillé, donne aussitôt des

signes de sensibilité.)
LA MARQUISE.

Gare mon argent ! Ce n’est plus ici l’affaire de tantôt, Comtesse ?

PHILIPPINE.

Fi ! que cela est laid !

LA COMTESSE.

Pourquoi si laid. Mademoiselle ?

PHILIPPINE.

Voyez donc ces vilaines taches noires !

LA COMTESSE.

Quand cela est niché, qu’importe la couleur ! — Allons, aidons un peu, toutes trois, à le mettre bien en vigueur.

(Elles y procedent fort

gaiement, et l’âne est bientôt dans le plus bel état

possible.)
LA MARQUISE

Il faut pourtant convenir qu’on s’accoutumerait à cet objet.

LA COMTESSE.

Pour moi, je trouve les ânesses de bien bon goût.

LA MARQUISE, à la Comtesse.

Voilà le moment, où jamais… Comment te poster ? car cet honnête grison n’entend rien à de pareilles bonnes fortunes, et n’y mettra probablement pas grand chose du sien.

LA COMTESSE, empoignant le braquemart.

Cela du moins… — Laisse-moi faire.

(Elle met l’un contre l’autre deux tabourets, et veut se placer dessus, un coussin de l’ottomane sous la tête ; mais cette position ne la met point à portée d’être pénétrée par l’âne ; qui d’ailleurs bouge, recule, et ne se prête point.)

LA MARQUISE.

J’ai gagné.

LA COMTESSE, avec émotion,
ayant déja senti l’extrémité du terrible engin.

Je n’ai point perdu ! Philippine, tenez-vous derriere il ne reculera plus.

PHILIPPINE.

Il n’a qu’à ruer ?

LA MARQUISE.

Faisons mieux. — Lions ensemble les deux pieds de derriere, en lui laissant pourtant un peu de jeu ; nous éleverons ensuite ceux de devant sur l’un des tabourets.

(À la Comtesse.)


Et toi, tu trouveras pour lors, pardessous, l’espace qu’il te faut pour te mettre tout uniment à sa portée en façon d’ânesse.

LA COMTESSE, se hâtant de changer de posture.

Elle a parbleu raison : je suis sûre du reste.

(On a quelque peine à porter l’animal, qui pourtant se laisse faire : on lui fait poser un pied, puis l’autre, sur le tabouret, en l’entretenant toujours, par un léger attouchement, dans l’état heureux où nous le savons. Il sent enfin, contre son ventre, la chaleur d’une croupe qui vaut bien celle d’une bourique. Il semble pour lors prendre goût à la chose : son engin fait des mouvemens superbes. La Comtesse, enflammée du plus violent desir, dit :)

À toi, Philippine : dirige-le vers le but.

(À la Marquise.)


Et toi, ma chere, reste derriere ; lorsqu’il sera dedans, tu le pousseras doucement pour qu’il entre ; et, le mettant en cadence, peut-être, après cela, remuera-t-il de lui-même.

(La Comtesse cherche alors à tâtons, entre ses cuisses, le braquemart, qui lui donne sur les doigts une bonne taloche. Philippine, à genoux du côté droit, se saisit de l’outil et le présente à l’embouchure : la Comtesse le sentant à la porte, recule la croupe à l’encontre et le fait pénétrer. La Marquise, les deux mains appuyées au-dessus de la queue du baudet, se dispose à pousser ; mais ce secours devient inutile : l’âne fait de lui-même ce qu’il faut, et se conduit à merveille. La Comtesse, au comble de ses vœux, s’écrie :)


Ah ! foutre !… il me fout !… quelles délices ! cent dieux !… plus d’hommes, foutre ! plus…

(Cette scene rare jette la Marquise et Philippine dans un étonnement inexprimable, mêlé d’un desir dévorant. L’âne allant de mieux en mieux, et la Comtesse le secondant avec fureur, il paraît fort heureux. La Comtesse, dans le délire, sentant la pompe jouer intérieurement à grands flots :)


Mille félicités !… ma chere !… il… il… fond… je suis noyée… je meurs !

(Elle n’a plus de voix, les forces lui manquent ; elle coule, presque sans connaissance, à bas du tabouret ; l’âne, délogé par cette chûte, darde encore au loin quelques jets de sa prolifique liqueur.)

PHILIPPINE.

Miséricorde ! que de bien perdu !

(L’âne se
met à braire de toute sa force.)
Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T1-p.176
Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T1-p.176
LA MARQUISE, se bouchant
les oreilles.

Oh, le maudit braillard !

PHILIPPINE, se relevant et
dégageant la Comtesse pâmée d’entre les pieds de devant
de l’âne, qui sont trop à portée de sa gorge.

Quoi ! les ânes aussi ne savent pas garder le secret ! À qui donc se fier dans le monde !

Le reste ne vaut plus la peine d’être conté. Ces dames, dont au fond aucune n’a gagné, puisque le grison a été en quelque façon violé, donnent chacune cinq louis à Philippine. L’âne à bonnes fortunes est reconduit avec mystere ; et les faiseuses d’expérience retournent au sallon : la Comtesse parfaitement contente, la Marquise et Philippine se promettant bien, in petto, de mettre, à leur tour, le complaisant baudet à l’épreuve.


Fin de la seconde Partie.
  1. Autre fille au service de la Marquise, absente pour le moment, mais qu’on verra figurer dans la suite de cet ouvrage.
  2. La Comtesse a beaucoup de ces mots peu connus, qu’elle a, pour la plupart, inventés, comme Anuïste, qu’on a déja vu ; Boutejoie, pour le membre viril ; Clitoriser, pour ce vilain mot Branler ; Gitonner, pour se faire f… en cul, mot fort sale, et qui n’est nullement de bonne compagnie.
  3. On a déja vu l’adjectif Faux-connier. La Comtesse a beaucoup forgé de ces mots techniques.