Le Faucon (Barbier)
LE
FAUCON,
COMEDIE.
FEDERIC, Amant d’Axiane.
AXIANE, Amante de Federic.
PASQUIN, Valet de Federic.
SETTE, Suivante d’Axiane.
LE FAUCON,
COMEDIE.
Scène PREMIERE
E voilà bien chagrin ?
Vainement dans les airs vous lâchez ce faucon ;
Il ne rapporte rien.
Hé, maraut, que t’importe ?
Comment ! nous ne vivons que de ce qu’il rapporte :
Il nous a juſqu’ici fourni quelques repas ;
Mais il ne vaut plus rien depuis qu’il eſt ſi gras.
Ah ! que j’aime un Oiſeau, qui par un ſeul coup d’aile,
S’en va me tenir lieu de Pourvoyeur fidéle !
Je voudrois que ſon vol fut plus prompt qu’un éclair :
J’appelle tels Oiſeaux les Pirates de l’air.
Un Vaiſſeau trop chargé, Monſieur, n’avance guere,
Et le meilleur Voilier, eſt le meilleur Corſaire.
Raſſure-toi, le jour n’eſt pas encor paſſé.
Ah ! le petit Ingrat, je l’ai trop engraiſſé ;
Et pour ma récompenſe il veut que je maigriſſe :
Tenez, voyez plûtôt, j’ai déja la jauniſſe ,
Me voilà ſaffrané juſques au blanc des yeux.
Tant mieux.
Que dites-vous ?
Tant mieux, Paſquin, tant mieux.
Dites plutôt, tant pis.
Hé ! hé ! hé !
Pourquoi rire ?
Hé ! qui ne riroit pas ? ne viens-tu pas de dire,
Que depuis qu’il eſt gras ce Faucon ne vaut rien ?
Prononçant ſon Arrêt tu prononces le tien ;
A te faire jeûner je mettrai mon étude ;
Tu n’en vaudras que mieux.
Et s’il y faut venir, je ne vous répons pas,
De m’attacher ici plus long-tems ſur vos pas.
Tu pourrois me quitter !
Pour me mettre à l’abri d’une affreuſe diſette :
Dans ce triſte ſéjour, on ne fait que jeûner ;
L’Oiſeau n’a-t-il rien pris ? il ne faut point dîner ?
Voilà ce qu’ont produit vos feux pour Axiane :
J’en enrage ; à jeûner, c’eſt ce qui me condamne.
Ce jeûne-là, Paſquin, te tient bien fort au cœur ?
Oui, c’eſt-là le ſujet de ma triſte langueur.
Le terme eſt un peu fort.
Il eſt de votre ſtile ;
Doux, tendre, pathétique, & pourtant inutile.
Pourſuis ; tout à loiſir je te laiſſe jaſer.
Nous voici dans un lieu propre à moraliſer.
Çà, raiſonnons un peu : Pour plaire à votre Ingrate,
Dont malgré ſes rigueurs le ſouvenir vous flate,
Vous n’avez épargné ni bijoux, ni cadeaux :
Pour elle tous les jours c’étoient plaiſirs nouveaux,
Comedie, Opera, bonbance ſur bonbance :
Cependant, de vos ſoins, quelle eſt la récompenſe ?
L’Amour qui vous a fait conſumer votre bien,
Eſt ce Faucon lâché, qui ne rapporte rien.
Quoi ! des comparaiſons !
Mais vous les écoutez comme des fariboles,
Que d’un air dédaigneux il faut mettre à l’écart ;
Et d’ailleurs mes leçons viennent un peu trop tard.
Moraliſeur fâcheux, n’as-tu plus rien à dire ?
Quoi ! vous ne pleurez pas !
Va, je n’aime qu’à rire.