Le Gars/I/1
I
ACCORDAILLES
Fin de terre,
Fin de ciel,
Fin de village.
Tombé le chêne, le rameau fleurit.
À veuve soucieuse
Fillette rieuse.
Quand elle va à la fontaine
Les cloches sonnent, les gars se battent.
Ses joues sont rouges, sa bouche est rouge
À faire pâlir la Trinité.
— Laissez-moi, ma mère,
Aller avec mes amies
Filer le lin tendre,
Dépenser un peu ma belle santé,
Dégourdir un peu mon sang endormi.
Travailler un peu
Et sauter beaucoup.
Va, va, fillette !
La jeunesse n’a qu’un temps.
Oh les tresses
Les épaisses,
Plus lisses que leurs rubans.
Longue la mienne,
Longue la tienne,
Et la sienne — de trois aunes !
Oh les seins,
Oh les pleins,
Rondelettes pommelettes !
En ai-je du souffle !
En as-tu du souffle !
C’est encore elle la moins essouflée !
Filer, sauter —
Liesse ! jeunesse !
Ô rondes ! ronron des rouets !
La porte s’ouvre,
— Bonjour, tous !
Bonne santé et bonne soirée !
Ni lueur,
Ni éclair —
Gars en chemise rouge.
Ni braise,
Ni brasier —
Chemise rouge comme feu.
Salut à la ronde,
Bourse sur la table,
Argent clair à flot.
— Emplissez vos tabliers !
Courez, les mioches,
M’en quérir du sucré, du fort !
Buvons, les gars !
Dansons, les colombes !
Les verres débordent,
Le koumatch[1] flamboie,
Tous entrent, nul ne sort.
Oh les joues,
Oh les rouges !
Coquelicots, giroflées !
Coquelicots — miennes,
Giroflées — tiennes,
Et les siennes — flamme.
Ce qu’ils battent,
Ce qu’ils battent,
Nos cœurs de jeunesse !
Le mien tinte,
Le tien sonne,
Et le sien — tonne.
À laquelle de nous toutes
Prendra-t-il la main, le gars ?
Laquelle de nous toutes
Fera-t-il sauter, le gars ?
— Celle choisirai
Fraîche entre les fraîches.
Celle enlacerai,
Maroussia de nom.
Saute, Mâcha !
Saute, Glâcha !
Tremblez, planches du plancher !
Folle, la mienne,
Folle, la tienne,
Plus folle — celle du gars !
Tremblez, planches !
Geignez, blanches !
Car c’est sur des blanches planches
Que je danse,
Que tu danses…
Le gars danse sur du feu.
Bouche, chemise, yeux —
Feu ! feu ! feu !
Bras ouverts
Front en avant —
Brasier rouge, bouleau blanc.
Cheveux dressés,
Souffle brûlant —
Brasier rouge, clocher blanc.
Feu qui saute, feu qui souffle,
Feu qui fauche, feu qui siffle.
le gars :Feu — suis,
Faim — ai !
Feu — suis,
Cendres — serai !
maroussia :Oh mes tempes !
Oh mes jambes !
Lâche-moi, plus ne puis !
Flamme fauve
Flamme — louve,
Lâche-moi, plus ne suis
le gars :Saute, pauvrette !
Saute, chevrette !
Triste, triste votre sort :
L’une — en terre,
L’autre — au loup,
La troisième au gars qui passe —
Sans nom, ni renom.
— En rond ! en rond ! en rond !
Ce qui ne se donne pas — se prend !
Allons comme le feu, comme le vent.
En es-tu riche de sang rouge !
Cède-m’en à ton amoureux !
Fille amoureuse n’est point chiche, —
Cède-m’en, mon amoureuse !
C’est toi le fruit,
C’est moi le couteau.
C’est toi le mets,
C’est moi le mangeur.
Ton mangeur te fera honneur.
Ta peau est lisse
À faire claquer ma langue.
Ta peau est douce
À faire couler ma salive.
Main dans la main,
Cœur contre cœur,
C’est entre nous
À vie, à…
les amies :— Oh Maroussia,
Jambe leste,
Jarret ferme,
Talon vif !
Est-ce le sol,
Est-ce le pied,
Est-ce le cœur qui t’a manqué ?
maroussia :Rien, rien, fillettes,
Qu’une sotte noisette
Sur laquelle j’ai glissé.
Il se fait tard, colombes,
Faut que nous rentrions.
L’amie reconduit l’amie,
L’amie reconduit l’ami.
le gars :— Maroussia, m’amie,
Irai-je tout seul ?
Cour, cour vaste,
Portillon grinçant.
— Ne suis ni bûcheron, ni charbonnier,
C’est un gros marchand que je sers.
Ma paye est telle
Que mes oreilles en tintent.
C’est du rouge que je vends,
Le rouge rapporte gros.
Nos caves sont pleines,
Nos chevaux rapides.
Ville ou village —
Le clocher y est.
Maroussia, ma fleur,
Maroussia, mon fruit,
Maroussia, ma sœur,
Me veux-tu pour mari ?
- ↑ Koumatch : tissu de coton fort, rouge-feu, dont était vêtue toute la Russie. Le pourpre des paysans. (Note de l’auteur)