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Le Gars/I/2

La bibliothèque libre.
Des femmes — Antoinette Fouque (p. 33-38).

II

L’ÉCHELLE

maroussia :Danse, mère,
À tout casser !
C’est le grand jour
De l’isba.

Le faucon prend femme, —
La femme c’est moi.

la mère :Le sais-tu d’où il vient ?
maroussia :Ses deux yeux — tout mon bien !

la mère :Le sais-tu d’où il sort ?
maroussia :Un seul cœur, un seul corps !

la mère :Tes sens sont avides,
Ton cœur est aveugle.
Noue-lui, fillette,
Un fil à sa ceinture.

Ma parole est d’or,
Mon vieux cœur voit clair.

Cœur, tiens-toi coi,
Pelote, dévide toi.



Sont-ils hauts,
Leurs sauts,
Battent-ils,
Leurs cils !

Sont-ils un,
Leurs vœux !
Un seul corps
Pour deux.

le gars :— À demain, mon oiselet !
(Oiselet qui tend filet).

maroussia :À demain, mon bien-aimé !
(Nœud noué, Dieu loué)

À demain à la même heure.
Ainsi saurai-je sans leurre
Où mon bien-aimé demeure.



Longeant des murs
Et des ravins,
— Lune à droite —
Des enclos
Et des granges
Et des huttes
Pied, ne butte !
Fol, ne passe !

Fil, ne casse !
Fill’ ne lasse !

Longeant des cieux
Et des déserts
L’œil ouvert,
Le poing fermé…
Terrain vague
(Fausse piste ?)
Lune, vogue !
Nœud, résiste !

Gars, ne te retourne pas !
Pelote, dévide-toi !

Bottes craquent, pas se pressent…
Est-ce moi qui mène en laisse ?

Pierres choquent, ronces blessent…
Est-ce moi qu’on mène en laisse ?

Cœur à gauche,
Lune à droite.
Longeant l’auberge sans feu,
Le marché sans marchandise —
Jusqu’aux marches de l’église,

— Le fil est à terme —
Fermée, barrée ferme.

Nul âme… nuit telle
Que… tiens, tiens, une échelle !

La voilà, leste chatte,
Qui grimpe quatre à quatre,


À la vitre traîtresse
Son front perlant presse.

Et du haut de son perchoir
— Vierge ! Vierge ! vais-je choir ? —

Que vois-je ? À moi, Vierge !
Une bière, trois cierges…

Le voilà, mon cher,
Le voilà mon fort,
Ha — gard, l’œil vert,
Qui croque un ………

Échelle sans rampe,
Tout tourne, tout manque.
Par terre, la belle !
L’échelle sur elle !

La voyez-vous, pauvre fol
Oiselet raser le sol ?

La voyez-vous, tel poulain,
Brûler pavés et terrains ?

Lune à gauche,
Jambes — flèches,
Tempes ruches.
— « Viande fraîche ! »

Pentes roides —
— Sus ! atout !
Cœur à droite,
Cœur partout.


Ô les vaux !
Ô les monts
Ô les sauts, les bonds !
Dieu très Haut, très Bon,
— Retourne-toi donc !

— À moi, toute la Toussaint !
C’est l’église avec ses Saints,
Sa bière, ses cierges d’or, —
C’est mon gars avec son mort !

Nenni brise
Dans la brousse, —
C’est l’église
À mes trousses !

Par-dessus monts et vallons —
C’est l’église à mes talons !

Porte ouverte à deux battants,
De ses deux battants claquants.

Clocher raide,
Porte bée,
À une mi-enjambée…

Dernier bond
— Tout fond —
Cœur ne bat :
L’isba.



la mère :— Eh bien quoi ?
Eh bien où ?
Eh bien où ? — Tout droit.
Tout au bout. En bois.
La toiture à croix.

— Mais pourquoi et d’où
Cet air las et fou ?

— Des ravins, des trous, —
Ai cru voir des loups.

— Enfantines peurs !
L’aimes-tu ?
L’aimes-tu ? — De cœur !
— Mais pourquoi ces pleurs ?
— Font pousser les fleurs.