Le Gars/I/2
II
L’ÉCHELLE
maroussia :Danse, mère,
À tout casser !
C’est le grand jour
De l’isba.
Le faucon prend femme, —
La femme c’est moi.
la mère :Le sais-tu d’où il vient ?
maroussia :Ses deux yeux — tout mon bien !
la mère :Le sais-tu d’où il sort ?
maroussia :Un seul cœur, un seul corps !
la mère :Tes sens sont avides,
Ton cœur est aveugle.
Noue-lui, fillette,
Un fil à sa ceinture.
Ma parole est d’or,
Mon vieux cœur voit clair.
Cœur, tiens-toi coi,
Pelote, dévide toi.
Sont-ils hauts,
Leurs sauts,
Battent-ils,
Leurs cils !
Sont-ils un,
Leurs vœux !
Un seul corps
Pour deux.
le gars :— À demain, mon oiselet !
(Oiselet qui tend filet).
maroussia :À demain, mon bien-aimé !
(Nœud noué, Dieu loué)
À demain à la même heure.
Ainsi saurai-je sans leurre
Où mon bien-aimé demeure.
Longeant des murs
Et des ravins,
— Lune à droite —
Des enclos
Et des granges
Et des huttes
Pied, ne butte !
Fol, ne passe !
Fil, ne casse !
Fill’ ne lasse !
Longeant des cieux
Et des déserts
L’œil ouvert,
Le poing fermé…
Terrain vague
(Fausse piste ?)
Lune, vogue !
Nœud, résiste !
Gars, ne te retourne pas !
Pelote, dévide-toi !
Bottes craquent, pas se pressent…
Est-ce moi qui mène en laisse ?
Pierres choquent, ronces blessent…
Est-ce moi qu’on mène en laisse ?
Cœur à gauche,
Lune à droite.
Longeant l’auberge sans feu,
Le marché sans marchandise —
Jusqu’aux marches de l’église,
— Le fil est à terme —
Fermée, barrée ferme.
Nul âme… nuit telle
Que… tiens, tiens, une échelle !
La voilà, leste chatte,
Qui grimpe quatre à quatre,
À la vitre traîtresse
Son front perlant presse.
Et du haut de son perchoir
— Vierge ! Vierge ! vais-je choir ? —
Que vois-je ? À moi, Vierge !
Une bière, trois cierges…
Le voilà, mon cher,
Le voilà mon fort,
Ha — gard, l’œil vert,
Qui croque un ………
Échelle sans rampe,
Tout tourne, tout manque.
Par terre, la belle !
L’échelle sur elle !
La voyez-vous, pauvre fol
Oiselet raser le sol ?
La voyez-vous, tel poulain,
Brûler pavés et terrains ?
Lune à gauche,
Jambes — flèches,
Tempes — ruches.
— « Viande fraîche ! »
Pentes roides —
— Sus ! atout !
Cœur à droite,
Cœur partout.
Ô les vaux !
Ô les monts
Ô les sauts, les bonds !
Dieu très Haut, très Bon,
— Retourne-toi donc !
— À moi, toute la Toussaint !
C’est l’église avec ses Saints,
Sa bière, ses cierges d’or, —
C’est mon gars avec son mort !
Nenni brise
Dans la brousse, —
C’est l’église
À mes trousses !
Par-dessus monts et vallons —
C’est l’église à mes talons !
Porte ouverte à deux battants,
De ses deux battants claquants.
Clocher raide,
Porte bée,
À une mi-enjambée…
Dernier bond
— Tout fond —
Cœur ne bat :
L’isba.
la mère :— Eh bien quoi ?
Eh bien où ?
— Tout droit.
Tout au bout. En bois.
La toiture à croix.
— Mais pourquoi et d’où
Cet air las et fou ?
— Des ravins, des trous, —
Ai cru voir des loups.
— Enfantines peurs !
L’aimes-tu ?
— De cœur !
— Mais pourquoi ces pleurs ?
— Font pousser les fleurs.