Le Gars/I/3
III
SŒUR ET FRÈRE
Pleurs abreuvent
L’oreiller.
la mère :— C’est aux veuves
De pleurer.
Allons, bouge !
Mets tes bas.
Bouche rouge
N’attend pas.
Même lieu.
Œil hargneux
le gars :— Pourquoi baisses-tu les yeux ?
Ni Caïn,
Ni païen, —
Pourquoi m’ôtes-tu ta main ?
Gare à bouche qui me triche !
Me reconduis-tu, ma biche ?
Plus pâle que son collier
De perles de cire.
Et les filles de railler,
Les filles de rire.
(Filles fausses de tous temps,
Plus fausses que fausses dents,
— Ris large ! Mords ferme ! —
Plus fausses que perles.)
Folle ronde autour d’un corps
Mourant de tous membres.
— La voilà qui perd support !
La voilà qui tremble
Tel un arbre de Judas.
— Est-ce un ogre que ton gars ?
L’une : marche ! L’autre : hou !
T’étranglera-t-il, ton loup ?
Et les fausses de huer
La douce, la sûre.
— Mais voyez-la donc suer
De peur, cette cire !
Douze langues, douze doigts :
— Veux-tu que j’y aille, moi ?
Douze langues, douze dards :
— Coupons-la en douze parts !
— À croquer ton gars !
Elle fait un pas.
Tout sucré, tout prêt !
Le second est fait.
Honte — crainte — sort ?
Les voilà dehors.
le gars :— Droiture — prime vertu.
Sur l’échelle montas-tu ?
Face blanche, yeux battus,
À ma tâche, me vis-tu ?
Silence très long.
— Allons, oui ou…
— Non.
Pied qui bat le sol,
Main qui va au col.
— Nuit ne passera —
Ton frère mourra.
Mon débit —
Ton dû.
Sitôt dit —
Fondu.
Et la vieille mère :
— Bonheur assuré !
Bon vin, bonne chère…
— Mère, étoufferiez !
— En es-tu donc sûre
De sa bonne foi ?
— Un logis me jure
Ruelle des Croix.
— À quand le vacarme ?
— Demain si tu le veux.
— Et pourquoi ces larmes ?
— Font briller les yeux.
Nul bruit — tout dort,
Cour, four, cœur, corps.
Dors, dard, dors, fleur !
— Sœur ! Sœur ! Sœur ! Sœur !
Dors-tu si bien ?
N’entends-tu rien ?
— Ouvre tes yeux
Tes deux ! un pieu
De tremble prends.
Sauve ton sang !
Sur mon cœur — gros poids !
Sur mon cou — dix doigts !
Me suce ! me boit !
C’en est fait de moi !
Sache bien qui prends :
Un suceur de ………
(Vaste, vaste lande…
Pieds si las… si las…)
la mère :— Lève-toi, ma grande !
Ton frère est bien bas.
(Folles, folles herbes
Pas si lents… si lents…)
la mère :— Lève-toi, ma gerbe !
À Dieu l’âme rend.
(Hautes, hautes meules,
Agréez mon corps.)
la mère :— À genoux, ma seule !
Prière des morts.
la mère :— Sa chemise de dimanche
Que tant aimait mettre,
Mets lui sa chemise blanche,
Vais quérir le prêtre—
Et un litre d’eau de vie.
maroussia :Cache-le moi, cache,
Col à rouge broderie,
Ce cou plein de taches
Aussi bleues que sa neuve
Culotte de serge.
Coulez, larmes ! roulez, fleuves !
Pleurez, coulez, cierges !
Et soudain
Un d’éteint !
Haut-le-corps :
Un d’encor !
Le voilà fuyant horreur, amour, remords !