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Le Gars/I/3

La bibliothèque libre.
Des femmes — Antoinette Fouque (p. 39-43).

III

SŒUR ET FRÈRE

Pleurs abreuvent
L’oreiller.

la mère :— C’est aux veuves
De pleurer.

Allons, bouge !
Mets tes bas.
Bouche rouge
N’attend pas.

Même lieu.
Œil hargneux
le gars :— Pourquoi baisses-tu les yeux ?

Ni Caïn,
Ni païen, —
Pourquoi m’ôtes-tu ta main ?

Gare à bouche qui me triche !
Me reconduis-tu, ma biche ?


Plus pâle que son collier
De perles de cire.
Et les filles de railler,
Les filles de rire.

(Filles fausses de tous temps,
Plus fausses que fausses dents,
— Ris large ! Mords ferme ! —
Plus fausses que perles.)

Folle ronde autour d’un corps
Mourant de tous membres.
— La voilà qui perd support !
La voilà qui tremble

Tel un arbre de Judas.
— Est-ce un ogre que ton gars ?
L’une : marche ! L’autre : hou !
T’étranglera-t-il, ton loup ?

Et les fausses de huer
La douce, la sûre.
— Mais voyez-la donc suer
De peur, cette cire !

Douze langues, douze doigts :
— Veux-tu que j’y aille, moi ?

Douze langues, douze dards :
— Coupons-la en douze parts !

— À croquer ton gars !
Elle fait un pas.


Tout sucré, tout prêt !
Le second est fait.

Honte — crainte — sort ?
Les voilà dehors.



le gars :— Droiture — prime vertu.
Sur l’échelle montas-tu ?

Face blanche, yeux battus,
À ma tâche, me vis-tu ?

Silence très long.
— Allons, oui ou…
— Allons, oui ou…— Non.

Pied qui bat le sol,
Main qui va au col.
— Nuit ne passera —
Ton frère mourra.

Mon débit —
Ton dû.
Sitôt dit —
Fondu.



Et la vieille mère :
— Bonheur assuré !
Bon vin, bonne chère…
— Mère, étoufferiez !


— En es-tu donc sûre
De sa bonne foi ?
— Un logis me jure
Ruelle des Croix.

— À quand le vacarme ?
— Demain si tu le veux.
— Et pourquoi ces larmes ?
— Font briller les yeux.



Nul bruit — tout dort,
Cour, four, cœur, corps.
Dors, dard, dors, fleur !

— Sœur ! Sœur ! Sœur ! Sœur !

Dors-tu si bien ?
N’entends-tu rien ?

— Ouvre tes yeux
Tes deux ! un pieu
De tremble prends.
Sauve ton sang !

Sur mon cœur — gros poids !
Sur mon cou — dix doigts !
Me suce ! me boit !
C’en est fait de moi !

Sache bien qui prends :
Un suceur de ………

(Vaste, vaste lande…
Pieds si las… si las…)


la mère :— Lève-toi, ma grande !
Ton frère est bien bas.

(Folles, folles herbes
Pas si lents… si lents…)

la mère :— Lève-toi, ma gerbe !
À Dieu l’âme rend.

(Hautes, hautes meules,
Agréez mon corps.)

la mère :— À genoux, ma seule !

Prière des morts.

la mère :— Sa chemise de dimanche
Que tant aimait mettre,
Mets lui sa chemise blanche,
Vais quérir le prêtre

Et un litre d’eau de vie.
maroussia :Cache-le moi, cache,
Col à rouge broderie,
Ce cou plein de taches

Aussi bleues que sa neuve
Culotte de serge.
Coulez, larmes ! roulez, fleuves !
Pleurez, coulez, cierges !

Et soudain
Un d’éteint !

Haut-le-corps :
Un d’encor !

Le voilà fuyant horreur, amour, remords !