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Le Gars/I/4

La bibliothèque libre.
Des femmes — Antoinette Fouque (p. 45-51).

IV

MÈRE ET FILLE

Porte close — tout du long
Un seul petit lumignon.

Bruit de bottes, de talons,
Et — en plein accordéon —
Tel un arbre qui s’effondre —
Raide, ride,
Dans la ronde —

Qui butte, qui stoppe,
— Hein ? — holà ! Halo !
Faut chercher le pope !
Faut chercher de l’eau !

Jacassent, l’agacent
Avec un fétu.
Et — rivé sa place —
Lui qui ne rit plus.


Puis — y marche, puis — se baisse…
Bouge — s’avive — se dresse.

Et, regard en terre :
— Sœurettes ! Sœurettes !
N’ai plus de frère.
— Pauvrette, pauvrette !

L’embrassent, l’ajustent, —
Jupes, bouches, paumes…
Et le gars, auguste :
— À eux le Royaume.

Que terre lui soit légère !
Me reconduis-tu, très chère ?

Vent dans la steppe,
Nuit comme cendre,
Ifs comme spectres :
— Veux-tu m’entendre ?

Quoique ne saches —
Oh, par ta vie ! —
Plus ne le cache,
Plus ne le nie.

Comme fumée
Fuyant le four,
Chose nommée
Part sans retour.

Dernière boue
Parmi les hommes !

Cloue-moi, cloue !
Nomme-moi, nomme !

Lierre s’agrippe
Même aux étoiles.
C’est dans mes tripes !
C’est dans ma moelle !

Âme damnée
Mais qui t’aimait.
Chose nommée
Meurt à jamais.

Plus ne me brave,
Fille : bon prince !
Mais — déjà bave,
Mais — déjà grince.

— Oh par sa crèche
Saintement russe ! —
Déjà me lèche,
Déjà me suce.

Filles, femmes,
Tresses, coiffes…
Chair affame,
Sang assoiffe —

Comme hier enfantelet —
Tantôt mère étranglerai.

Et —

don ! don ! don !
(Fillette, tiens bon !)


Palais sec.
— Quatre — cinq — six — sept —
Bise ? bronze ?
(Neuf — dix — onze)

Braise ? blouse ?
(Pause) — Douze

— et —

— Fille, dis vrai,
Mesure bien.
Sais-tu où vais,
Sais-tu d’où viens ?

(Sont-ce ses traits ?
Est-ce bien lui ?)
Sais-tu que fais ?
Sais-tu qui suis ?

Silence très long.
— Allons, oui ou…
— Allons, oui ou… — Non.

Haut-le-corps. Éclair.
Bleu qui va au vert.

— Nuit ne passera,
Ta mère mourra.

Mon débit,
Ton dû.
Sitôt dit —
Fondu.


Vieille, les deux paumes
Tendu : — J’attends
Pour dire les psaumes…
— Mère ! Chant des chants !

— Ainsi — chose faite ?
Ton fil — tient-il bon ?
— Troisième causette,
Deuxième maison.

— Des jupes, des bottes !
— Des cierges dorés !
— Et pourquoi sanglotes ?
— Bonheur fait pleurer !



Ô que lente
La nuit, ô que longue !
— Prends la lampe,
Fille, fais la ronde.

Vent de plaine,
Trot de chevauchée…
— Et la chienne,
L’as-tu bien lâchée ?

Fille, sors,
Et veille bien.
— Mère, dors
Et n’entends rien.

— C’qu’il en passe
De gars, de Tziganes !

Fille ! grâce !
Soutane ou tisane !

Cache ! hisse —
moi ! lève la trappe !
Maléfice !
Le voilà qui frappe !

Oh mon corps !
Oh tout mon lot !
— Mère, dors
Et n’entends mot.

— Brûle ! grille
Telle une châtaigne !
Fille ! fille !
Pardon ! Par moi saignes.

Oh faucille
Dans ma vieille sève…
Fille ! fille !
Adieu ! par toi — crève.

Me dévore !
Hâ ! m’en vais !
— Mère, dors
Et dormirai.



Ces deux mains comme en prière,
De ses trois cierges fière,
C’est la mère dans sa bière.


Close et sage comme un livre.
Yeux aux rares cils de givre
Clos par deux gros sous de cuivre.

Et pourquoi ces yeux en cage ?
Pour que fillette n’engagent
Au voyage sans rivage.

Rude rite, sage rite.
Pour que fillette n’invitent
(Toute morte veut sa suite).

Et coup
Sur coup —
Au sol
Les sous !

Au sol
Tous deux.
Grand Dieu !
Les yeux !

Froide mort,
Où sont tes droits ?
D’un œil dort,
De l’autre voit.