Le Gars/II/2
II
MARMORÉA
Qu’est-ce que ce monument
Porté par douze géants ?
Barbaresque, surhumain
Déluge marmoréen ?
Rien qu’à le dire si haut
Chevilles me font défaut.
Malaise des cimes
(Connu à qui rime).
Rien qu’à le faire si blanc
Paupière se met devant.
Défaite sans honte
Connue à qui monte.
Pic sur pic et bloc sur bloc.
— À qui fillette ce roc
De marbre ?
— Pardine !
À notre barine.
Que fait, que brasse ?
— Ni bois, ni chasse.
À sourd’ muette
Conte fleurette.
Sous clef, sous cape :
— Ma rouge grappe !
Ma rouge étoupe !
Rouge soucoupe.
M’es Dame, m’es daim,
M’es flamme, m’es bain,
M’es femme, m’es vin…
— Hein ?
En plein carillon,
En plein avenir,
En plein réveillon —
Ce morne soupir.
De chauve à mineur,
De sage à bavard,
De serf à seigneur —
Ce grave regard.
— Maître, à ton insu…
Dans ton franc palais…
— Prince es, valet suis,
Serf suis, seigneur es.
Que même les murs
Ne m’entendent — chut !
Dans tes ors — azurs —
Jeux de Belzebuth.
Sous peine de maux…
Pour ton bon repos…
— Par ta jeune peau ! —
Seigneur, yeux ne clos.
Ni onde qui bat,
Ni flotte qui fuit.
En Marmoréa —
Tzarine — Minuit.
Patronne des coqs,
Marraine des loups.
le vieux :— Second, barinok[1] !
le barine :— Jà — troisième coup.
Sursis de minuit !
Ni hier, ni demain.
Oh seul aujourd’hui
Bâillé aux humains
Et aux inhumés.
Grands coups de martel
— Cavernes, humez !
Neuvième rappel.
Encor un départ,
Encor un retour.
Tzarine sans Tzar :
Minuit — carrefour
De faits et de pas
Futurs et dissous…
L’astral Coup d’État —
Le douzième coup.
Coup sans suite, coup sans rime, coup au cœur.
— Vois s’agite, vois s’anime tige — fleur !
De sa branche
Qui s’embrase
Suis-je fol’ ?
Vois — s’élance,
Vois — s’écrase
Sur le sol !
S’abat, s’abîme
Subite brume.
Et se relève
Fillette d’Ève.
Face de songe,
Teinte de cire.
Bâille, s’éponge,
Bâille, s’étire.
Tresses de scalpe,
Bouche de pulpe.
Baille — se palpe,
Bâille — se sculpte.
La riche housse !
La rouge robe !
Et parmi tout ce
Rouge, ce trop de
Rouge — trop blanche !
Pâques fleuries.
Rouge avalanche
De soieries.
Se prélasse,
Puis dérive
— Salles, place —
Bottes suivent.
Dalles mires,
Lune luit,
Dame vire,
Valet suit.
Onques reine
Ne va vite.
Tresses traînent,
Bottes butent.
Dame et dogue
Elle et lui,
Barque vogue,
Nigaud suis.
Nulle chose ne s’alarme.
Dorment dalles, gardes, armes.
Dorment vitres, dorment murs, —
Moins de bruit qu’un avenir.
Lune rince,
Lune noie.
Est-ce un prince
Après sa joie ?
(Qui se sauve !)
Mais les mains :
C’est un pauvre
Après son pain.
Pain en herbe,
Pain en brousse,
Pain en gerbe —
Pain en rousses
Russes tresses
Dans le dos.
Pain d’Altesse :
Tiens, nigaud !
Tant vogue vaisseau qu’arrive.
Un rideau — muraille vive.
Enfantine, ton attrape :
Une table à blanche nappe.
Un fauteuil devant.
Le voilà dedans.
Tartes, galettes,
Choses confites.
Miche — l’émiette,
Tarte — l’effrite
Belle denture,
Riche mangeaille.
Toutes jointures
Craquent — tant bâille.
Dame dîne, Lune peint.
Dame Lune bat son plein.
Chaque pelure de fruit
Brille, flambe, mire, luit.
Dieu m’assiste !
Grands — énormes
Ces deux yeux si tristes —
Dorment.
(Gestes de ressouvenir.)
Debout — pouvez desservir.
Cou tendu, souffle en arrêt —
Aux écoutes, aux aguets.
Robe haute, genou rond,
Pied qui crée un échelon
Qui s’y fie… front qui sonde —
Corps qui plie — vire — tombe — et
Tel un ballon rebondit !
Seins bombés, bras arrondi,
Doigts en pluie d’arrosoir —
Flotte, mon petit mouchoir !
Rien que lune en marbres nus.
À qui, dame, rends salut ?
Vides : salles, dalles, seuil.
À qui, pâle, fais de l’œil ?
(Vagues restes,
Vide forme.
Pas — ris — mines — gestes —
Dorment.)
Est-ce coutume du Nord
De trinquer avec le bord
De la table ? Cognas trop :
Verre en bris, nappe sous flots.
Brève — l’heure.
Se dépense :
Danse, pleure,
Pleure, danse.
Jeux d’eau.
Jeux d’air.
Pleurs. Sauts.
Sauts. Pleurs.
Ohé, la dormeuse !
Par terre, mains creusent.
Ohé, la démente !
Que cherche ? Que plante ?
Défriche, désosse —
Pour qui cette fosse ?
Défriche, détache —
S’y niche, s’y cache — et
Voix d’airain :
— Vas d’où viens !
C’est la cloche du matin.
Jupes lissent,
Puis dérivent.
Coques glissent.
Bottes suivent.
Folle trotte
Dans la nuit.
Jupes flottent,
Nigaud suit.
Portes geignent, saints se signent :
C’est un fol après sa guigne !
Pleine lune pour fanal.
C’est un fol après son mal !
Sans caniche,
Sans sébile.
Rouge, riche —
Telle une île, —
Une ville
Qui reluit. —
Fille file,
Nigaud suit.
Tant vogue vaisseau qui touche.
le barine :— N’est-ce pas ma propre couche ?
Fou qui à folle s’attache !
le barine :N’est-ce pas ma propre cache,
Son vert arbrisseau ?
Un élan — un saut —
Un rempart — un heurt —
« Pas de ça, ma fleur !
Nenni, bien fini ! »
La tient — pleure — rit.
(Flûte !)
Nue ? flamme ? boule ?
Lutte, mue, rame, roule.
Gare aux ronces ! gare aux dents !
Vire, fonce, pare, fend.
Combattante
Surhumaine !
En démente
Se démène.
Amazone ?
Ballerine ?
En démone
Le domine.
Bras raidis,
Front à flots.
— Finissons !
Pas un cri
Pas un mot
Pas un son.
Corps fluet
Corps — frisson
Corps glissant
D’oiselet
De poisson
De serpent.
Homme veut.
Femme hait :
Gagne — perd.
L’arbre en feu,
L’arbre en tiers,
L’arbre en pair.
Son parent,
Son second,
Son consort.
Mille dents,
Mille bras, —
Mille morts !
Coup de hanche,
Volte-face
Branle-bas.
Jà l’embranche,
Jà l’embrasse
De ses bras.
Même race,
Même sève,
Même chair :
Jà l’enlace,
Jà l’enlève
Dans les airs.
Chose faite !
Force rompt…
Chauve tête,
Cri : « Tiens bon !
Par cette croix que voilà :
Lâche-le ! Toi, lâche-là !
Désunis. »
Rire laid.
Rire fin :
L’ennemi :
Le valet :
Le destin
Se pâme
Vacille
S’accroche.
Fantôme
De fille
Fantoche
De paille
(Détresse
Qu’on cueille !)
Défaille
S’affaisse
S’effeuille.
Vivacité de jeune homme :
le barine :— Comment, fillette, te nommes ?
Qui es ? D’où viens ?
elle :— Je — n’en — sais — rien…
Voracité de carême :
— Veux-tu, fillette, qu’on s’aime ?
Te plais-je, blond ?
elle :— Ne sais. — Frisson.
Le jeune homme en un murmure :
— Une faute de mesure ?
Un oui de trop ?
— Ne sais. — Sanglot.
(Quelque gars en rouge blouse !)
— Veux-tu, belle, qu’on s’épouse ?
Bien vrai ! pour sûr !
— Ne sais ! — Soupir
De feuillage sous la brise.
— Faut que trois choses te dise.
(T’en fais pas, beau gars !
Ce que veux — l’auras).
Condescends à ma faiblesse,
Cinq ans n’irai à la messe.
Par excès d’amour
Rajoutons un jour.
Faut que jeunesse se — prive.
Cinq ans boiras sans convives,
Mangeras sans sel
Et boiras tout seul.
Et dans toute ta demeure
Que rien de rouge ne leurre
Ce regard — si las.
Ceci — brûleras.
- ↑ Forme diminutive de barine (Note de l’auteur).