Le Gars/II/3
III
L’ÉPOUSÉE
Fleuves roulent, coulent.
Choses viennent, changent.
Jeunes gens se soûlent,
Un beau jour — se rangent.
Oh la femme que j’ai là,
Plus sage qu’un ange.
Ni pluie, ni brume,
Soirée de même.
Il fume, elle hume,
Il l’aime, elle l’aime.
Oh la femme que j’ai là,
Plus douce que laine.
— Ami, bien dormi ?
Ami, bien servi ?
Ami, pas d’ennuis ?
Minuit, bonne nuit !
Sans rêve ni songe,
Jamais rien n’arrive.
(Jadis comme éponge
Buvait, hein, convives ?)
Drôle de vie, ma foi,
Sans âme qui vive !
Ah, mes chemises d’antan
Plus rouges que flamme !
Ah, mes rouges dix-huit ans —
Foutus, par mon âme !
Ah, ma femme tout en blanc,
Ma sainte — de — femme !
Jamais ne saurai pourquoi
— Épine qui blesse ! —
Jamais un signe de croix,
Jamais une messe, —
Pourquoi vivons, elle et moi,
En faune et faunesse.
Un an, deux ans, trois ans — rien.
Cinq ans sonnent — bébé vient.
Oh les jeunes pères
Des fils qu’on — n’implore
Qu’encor, qu’on espère
Qu’encor, qu’on adore
Déjà — jeunes pères
Si graves, si drôles,
De fils qu’on n’espère
Qu’encor, qu’on enrôle
Déjà — fils en germe
Et pères en herbe,
Sans barbe… Si chers me
Ces pères imberbes
Sont… Ces longues lunes
Nourries de craintes
Pour cette commune
Chose, cette sainte
Chose… Pères roses,
Puis blancs d’épouvante.
Vous, les seuls qui osent
Dire au vent : ne vente !
À l’Autre : Retire
Toi ! — Vis et respire !
Ah, les tristes sires !
Ah, les braves sires !
Casseroles sans couvercles !
Portes béantes ! béants —
Coffres ! Serrures ouvertes !
Armoires à deux battants !
— Espère !
— Respire !
Mystère
Martyre.
Allège !
Soulage !
Émerge
Surnage.
La chute ! la nappe !
La steppe de sang !
— Hà ! l’âme m’échappe !
— Non, femme, — l’enfant.
Mon fils Dieudonné !
Mon fils bien nommé !
Amis, talonnez !
Un fils nous est né !
Ni trêve — de — guerre,
Ni hausse — de — paye, —
Une jeune mère
Avec sa merveille.
Le palpe, le flaire,
Le mime, le nomme —
Une jeune mère
Avec son grand’homme.
Venue, l’averse !
Sauvée, la race !
D’une main le berce,
De l’autre l’agace.
Ô rires — ô rives —
Olives de l’Arche !
Lazares qui vivent,
Montagnes qui marchent.
Ni aigle, ni aire,
Ni aile, te dis-je :
Un gosse — de — père
Avec son prodige.
Le mange, le broie…
— Holà, les trois Mages !
Trop grosse, ma joie !
Faut que l’on partage.
Seul boire — mal boire.
Seul fête — mal fête.
Trop lourde, la gloire
Pour ma seule tête !
Trinquer seul —
Trinquer en fol.
Jà titube
Comme soûl.
Heureux les bègues — ont temps
De p — p — prendre leur temps.
Heureux surtout les muets :
Un mot ne revient jamais.
Ne le sauras que trop tôt,
Vantard ! nigaud de nigaud !