Le Gars/II/4
IV
LES COMPÈRES
Pas un pli à sa conscience
De gent’homme.
Vide tête — pleine panse,
Le doux somme !
De nos gros — hommes — d’aïeux
Douce coutume.
Bonnes choses (fortes doses !)
Lit de plume.
Qui dort dîne ? Par rapport
À chez nous : qui dîne — dort.
En plein sommeil :
le vieux :— « Holà, soleil !
Ouvre ton œil,
Fais bel accueil.
V’là les hôtes ! »
Ronfle — côtes
Craquent. Valet :
— « Lave-toi frais,
V’là ton harnais,
V’là ton gilet,
V’là ta veste ! »
Dormeur : « Peste
De contre-temps ! »
le vieux :— « Lève-toi grand,
Lave-toi blanc…
Ah fainéant !
Chair à puces !
Es-tu — russe ?
Rien que ce petit mot ne fît :
Levé — lavé — botté — parti.
Ni flamme qui bat,
Ni fonte qui bout.
D’en haut et d’en bas,
Ni — d’où : de partout —
Est-ce l’Enfer en personne
Qui m’arrive ?
Chevaux, traîneaux, charriots, tonnes —
Les convives.
Villages s’ameutent,
Chaussées débordent.
La horde ! la meute !
La meute ! la horde !
À l’entrée — les premiers,
À dix lieux — les derniers.
[Ici deux lignes manquent. —
Note de Tsvetaeva]
Galop d’estafettes —
Fouettent, fouettent, fouettent.
Sans débrider, sans surseoir
— Chevaux, traîneaux, grelots, chars —
Avec charriots et chevaux —
Au beau milieu du château.
Naseaux fument,
Flancs écument,
Rouge brume,
Bruit d’enclume.
les compères :— Bonjour, jaloux !
C’est nous ! C’est nous !
Pourquoi pâlis ?
Amis ! Amis !
Rouges housses,
Têtes rousses,
Mines louches,
Clignent, louchent.
le barine :— D’où venez-vous ?
les compères :— Mais de chez nous !
le barine :— D’où de chez-vous ?
les compères :— De l’autre bout
Du monde !
Féconde —
Ta blonde ?
— Du vin !
— Du mien !
— Du tien !
— Du fin !
Refrain
Essaim.
Festin.
Destin.
Pour que coupe ne coulât —
Vidons-la, puis brisons-la !
En Venise ou Baccarat —
Vidons-la, puis brisons-la !
Jetons, mettons — diable
De qui n’est pas soûl ! —
Les pieds sur la table,
Les verres — dessous !
Nez de Guignol,
Dents de brigands.
Paul n’est plus Paul,
Jean n’est plus Jean.
Pourvu qu’entre
Dans mon ventre
Et qu’en sorte
Vin —
qu’importe !
Rouge ou blême
Bois si m’aimes !
— Toi de même !
— Bois toi-même !
le barine :— Au ciel avec ma monture !
les compères :— Thèse mûre !
— Chose sûre !
Jeu de coudes, de genoux,
Aimons-nous !
Embrassons-nous !
— Foin des fades, des maussades !
Accolades, embrassades,
Secouades, bousculades,
Rasades de garnison.
— Compères, fraternisons !
Même aisselle, même écuelle !
— Jurons-nous foi mutuelle !
Crachat signe, hoquet scelle.
— Mutuelle — éternelle !
Même puces,
Même poux.
Marions-nous !
Épousons-nous !
les compères :— Rions haut (frappons bas).
Un grand nous envoie.
Sommes-là, sommes-là
Pour fêter ta joie.
Tous en cœur et chacun seul :
— Voulons voir notre filleul !
Trognes rouges, rires laids.
— Oignons-le ! Aspergeons-le !
Toussent, gloussent,
Sautent, chutent…
Hôtes : Ouste !
L’autre : Flûte !
Rouges vestes,
Blêmes masques.
Hôtes : Preste !
L’autre : Baste !
Jurons russes,
Rires rosses.
— Doit être joli, ton gosse !
Cocoricos,
Pieds-de-nez.
— Dieudonné ? Diable — donné !
Coco — cornu !
Rico — pied bot !
Kiki — connu
Riki — sabot !
Ferme — ton — groin !
Vide — ton — pot !
Un pied de moins !
Un œil de trop !
Géant ! — Poucet !
Puant ! — Pansu !
Hi-han ! — Basset !
Coucou ! — Bossu !
Sus !
le barine :— Espèce de brutes !
Bourrade — tout chute.
le barine :— Espèce de goules !
Ruade — tout croule.
— Fils de louve et de mulet ?
Apporte-le nous, valet.
Puisque tigre, puisque monstre —
Faut bien que je vous le montre !
Verre, coupe
De gala !
Buvons, troupe !
Valet, va !
elle, seule,
chante :
« Mon petit dieu
Si bel à voir,
Tes yeux sont bleus,
Les voyais noirs.
Quoique ni père ni mère
Ni oncle ni tante,
Oh ma tête de misère !
Ne sais ce que chante.
Ma tête de sauterelle !
Ma courte — flambée !
De quelle échelle, de quelle
Tour suis-je tombée ?
Et ce coq à rouge crête,
Ce coq qui me hante.
Oh ma timbale de tête !
Ne sais ce que chante.
Est-ce vie que ma vie ?
Jeunesse que mienne ?
Que faut-il donc que j’oublie ?
De quoi me souvienne ?
Et ce doux titre d’épouse
Qui tant m’épouvante…
Fleurette sur la pelouse…
Ne sais ce que chante. »
Trois secondes de retard
Le vieux devant les fêtards.
Fronts se rident :
Les mains vides.
le barine :— Et le fruit de mes beaux ans ?
le vieux :— Eh bien ! s’est mise devant.
le barine :— L’héritier de mes trésors ?
le vieux :— Puis : houste ! m’a mis dehors.
Fff !… Fusées de risées !
les compères :— La rouée ! La rusée !
Bruit de douche,
Bruit de cloche.
— Craint nos bouches
Pour son mioche !
Dosent juste : fonte bout.
— Nous craint plus que son époux !
Serait tout aussi joli
De craindre un peu son mari.
le barine :— Espèce de bande !
Tant rient que rendent.
le barine :— Contraire de Slaves !
S’altèrent : reboivent.
le barine :— Sang et veine,
Vent et plaine,
Puisque mienne —
Qu’elle vienne —
Ma réponse
Dans ses bras.
Crevez, panses !
Valet, va !
elle seule,
chante :
« Couleur des cieux,
Couleur d’espoir,
Tes yeux sont bleus, —
Pourquoi pas noirs ?
Toutes bleues sous le tremble,
Et une — écarlate.
Dites-moi, mes doux beaux membres,
Avec qui jouâtes ?
Aurais pu vivre sans tare,
Mourir tête haute.
Pourquoi tout ce tintamarre ?
Ces bêtes, ces hôtes ?
Le corps et le cœur m’en tremblent,
Les lèvres m’en gercent.
Dites-moi, mes doux beaux membres…
Ne sais ce que berce.
Dans ta pétale de face
Que baise, que couve,
Quelle face, quelle trace
Que cherche, ne trouve ?
Fus un fidèle caniche
d’épouse…
(Averse)
Cette pauvrette de riche !
Ne sais ce que berce. »
Mi-seconde de retard :
Le vieux devant les fêtards.
Yeux condamnent :
Seul, sans dame.
le barine :— Et ma meilleure moitié ?
le vieux :— Fait son louable métier.
le barine :Te fit-elle bel — accueil ?
le vieux :N’a pas daigné lever l’œil.
Sauts de grêle,
Clis de hache.
les compères :— Belle belle
Qui se cache !
— Nos voitures !
— Nos montures !
— Imposture !
— Pourriture !
La sonne — creux !
La crève — quand ?
Pas un cheveu !
Pas une dent !
La sue — froid !
La pue — fort !
Jambe — de — bois !
Tête de porc !
— Tête de mort !
— Chacun — son — tour !
Chacun : horreur !
En chœur : au s’cours !
le barine :— Satan vous bénisse !
Tant rient que pissent.
(Tant pis pour l’hôtesse !)
Tant pissent que cessent.
le barine :— Bouche en brèche, nez en trou ?
Les grands prophètes que vous !
Mais vous le dirai, agneaux :
La peignez bien trop en beau !
Mange — crotte,
Cul — de — jatte ?
Pauvres sottes
Que l’on flatte !
Parle ou jappe
Miaule ou bêle —
Peignons d’après le modèle
Que vous amène — tout doux.
Jattes pleines —
Lampez, loups !
elle seule,
chante :
« Contre mon vœu,
Sans mon vouloir,
Les ouvre : bleus,
Les ferme : noirs.
C’est une ombre qui t’allaite,
Te berce, te garde…
Ô ma fournaise — de — tête !
Par qui, pour qui ardes ?
Pourquoi cette robe blanche ?
Ô juges injustes !
Pourquoi cassâtes la branche,
Brulâtes l’arbuste ?
Fus une belle discrète :
Sans hanche, sans gorge…
Ô mon enclume de tête !
Ne sais ce que forges.
Choses maudites se trament.
— Vivais-je tranquille !
Pourquoi m’appellent, m’acclament,
M’accolent, m’acculent ?
Cinq ans de vie parfaite — et
Voilà que succombe !
Ô ma tulipe de tête,
Pour qui, par qui… »
Chevrette par son licou —
L’épouse au bras de l’époux.
Comme peinte :
Haute — lointe…
le barine :— Voici, tas de fainéants,
Mon œuvre premièrement,
Et mon plus cher diamant
Ma dame — secondément.
« Bas les pattes !
À moi le trésor ! »
Cils ne battent,
Plus raides que Mort.
(« Des visites —
Salue — les — donc ! »
Hé, qu’en dites
De mon laideron ?
Verres sonnent,
Rires tonnent.
— Connu, les belles démones ?
Poings se ballent,
Choses viennent.
— Sale gale de païenne !
Connue, sa gentillesse ?
L’a t-on vue à la messe ?
Connu, son petit nom propre !
Cornu, son oncle — de — pope !
Où est ta croix ?
Quelle est ta foi ?
Ni foi, ni loi !
Ni croix, ni toit !
Reine des rats !
Perte des grains !
Baptisons-la
Dans le Jourdain !
Premier : au feu !
Second : au sort !
Valet : un pieu !
En chœur : à mort !
Front de lutte,
Rage folle.
le barine :— Oyez, brutes,
Ma parole !
Bouches sucent,
Griffes tiennent.
— Mienne — russe
Mienne — mienne.
elle :— Oh !
— Traîtrise ! Traîtrise !
Imposture !
Maîtrise-toi ! Brise !
T’en conjure !
Arrière, vipères !
Loups maudits !
(L’abrite, l’enserre,
Son petit.)
Choses cassent,
S’enveniment.
Tête basse —
Le barine.
Rouges loques,
Fausses barbes…
V’là que le moquent,
Le narguent :
les compères :— Fièvre — de — dents !
Fièvre — de — lait !
Premier : Maman !
Second : Poulet !
Ravaude — bas !
Écosse — pois !
Un homme — ça ?
Un homme — toi ?
— Chien — en — niche
— Chien — en — laisse !
Cri de biche :
— Ta promesse !
— Vile souche !
— Pâte molle !
Pâle bouche :
— Ta parole !
le barine :— Formée !
(Ruée de bise :
— L’armée !)
Demain à l’église.
Culbutes et cabrioles :
— Salut, dupe ! Tiens parole !
Courbettes et culbutines :
— Salut, belle ! — À mâtines !
Din — din !
Dre — lin !
De — main !
Dors — bien !
(Co — quins !)
Plus qu’un,
Pas un :
Plus rien.