Le Gouvernement de l’Église et le Sacré-Collège en 1894

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Le Gouvernement de l’Église et le Sacré-Collège en 1894
Revue des Deux Mondes4e période, tome 124 (p. 516-542).
LE GOUVERNEMENT DE L’ÉGLISE
ET LE
SACRÉ-COLLÈGE EN 1894

Il n’y a guère d’organisation plus intéressante, plus originale, que celle de l’Église catholique ; il n’y en a pas de plus universelle ; — et pourtant il n’y en a pas de plus mal connue. Quand on parle de l’Allemagne, ou de l’Angleterre, ou de l’Italie, tout le monde a quelque idée de l’empire allemand, de la constitution anglaise, ou du statut italien ; tout le monde même se représente, et presque physiquement, les hommes d’État dont les noms reviennent chaque matin et chaque soir dans les journaux : M. de Caprivi, lord Salisbury, lord Rosebery, M. de Rudini, à plus forte raison un Bismarck, un Gladstone, un Crispi. L’idée que nous nous formons des institutions n’est peut-être qu’à moitié juste, l’image que nous nous faisons des hommes ne leur ressemble peut-être que superficiellement, mais touchons-nous jamais le fond des choses ou le fond des âmes ? Pour ce qui est de l’Église catholique, on en ignore généralement et la structure et les ressorts ; et l’on ne se figure que vaguement, comme dans une lumière de vitrail ou dans une fumée d’encens, les hommes qui les font mouvoir.

On se sent bien, devant elle, en présence d’une grande force organisée, mais de l’organisation, on s’en occupe à peine. On ne voit que le côté extérieur, — s’il est permis de dire de l’Église qu’elle ait quelque chose d’extérieur et que ce soit précisément ce côté-là ; — en tout cas on ne voit que la hiérarchie religieuse, mêlée au siècle, archevêques, et évêques, et toute l’armée des prêtres et des clercs. Pareillement, on sait du pape qu’il est le vicaire de Jésus-Christ et le successeur de saint Pierre[1]. On sait encore que depuis vingt-quatre ans il a perdu sa ville, — la Ville, — et que, depuis lors, il est reclus en un palais immense où l’on compte onze mille chambres et d’où quelquefois, rarement, par un couloir secret, il descend prier et bénir dans la basilique du Prince des apôtres. On le voit, aux cérémonies, passer sur la chaise à porteurs, éventé par les flabelli, précédé de la croix et de l’épée, entouré de sa garde noble, de sa garde bourgeoise et de sa garde suisse, à la fin d’une lente procession de vieillards qui marchent deux par deux, vêtus de pourpre et d’hermine, avec des diacres pour soutenir leurs traînes, entre des chevaliers de Malte en armure, des camériers à collerette et chaîne d’or, des valets habillés de damas rose, des moines en froc noir, blanc ou brun, et des prélats à manteau violet. Cela, c’est ce qui éclate et c’est ce que l’on voit. Mais c’est ne voir de l’Église que sa pompe et ses fêtes et ce n’est pas assez ; ce n’est voir ni tout ce qu’elle est, ni tout ce qu’elle contient.

L’Eglise catholique — Léon XIII le déclare dans une de ses encycliques[2] — est « une société parfaite ». « Elle constitue, et ce fait est de la plus grande importance, dit-il, une société juridiquement parfaite dans son genre, parce que, de l’expresse volonté et par la grâce de son fondateur, elle possède en soi et par elle-même toutes les ressources qui sont nécessaires à son existence et à son action. »

On ne peut assurément pas dire d’elle, au sens ordinaire des mots, que ce soit un État, ou qu’elle ait un gouvernement, ou qu’on y trouve les caractères distinctifs de ce que la vieille école nommait « la souveraineté ». Comment serait-elle un État, si elle n’a pas, à elle appartenant en propre, un territoire défini ? Et pourtant, comment n’en serait-elle pas un, si elle possède au degré le plus éminent, depuis des siècles et vraisemblablement pour des siècles encore, la permanence sous la même forme ; si, parmi les États, ces personnes morales perpétuelles, elle est, par excellence, la personne morale perpétuelle ? Comment aurait-elle, dans la force du terme, un gouvernement, si elle n’est pas, dans la force du terme, un État ; si ses sujets sont partout et nulle part ; si elle ne leur commande pas habituellement ; si ses attributions légitimes sont bornées à la sphère des intérêts spirituels ? Et pourtant, comment n’en aurait-elle pas un, si les intérêts spirituels sont nécessairement en contact, en harmonie ou en conflit avec les temporels ; si, à défaut de commandemens habituels, elle donne au moins des directions fréquentes ; si, n’ayant nulle part de sujets, elle a en tous lieux des fidèles, plus soumis au suprême docteur de la foi et de la morale que n’importe quels sujets à n’importe quel prince ?

Comment parler de souveraineté, si l’on ne saurait parler de sujets ; si le pape ne peut contraindre ni par la loi ni par l’impôt ; s’il n’a point de bras pour frapper et si le bras séculier se dérobe à l’office de frapper en son nom ; s’il ne peut recourir à d’autres sanctions que des peines et censures éternelles ? Et pourtant, comment repousser toute pensée de souveraineté ou de souverain pouvoir, de pouvoir qui n’a pas de supérieur humain, si l’on dit, et il n’est personne qui ne le dise, « le Souverain Pontife » ? — De telle sorte qu’en somme et avec toutes les restrictions possibles, il faut reconnaître que l’Eglise catholique, sans être un État, sans avoir ni territoire, ni sujets, ni moyens de contrainte matérielle, est une puissance d’un genre tout particulier, qui a ses lois particulières, sa constitution particulière, ses organes à elle, et, comme l’a écrit Léon XIII, « les ressources qui sont nécessaires à son existence et à son action. »

Catégorie à part dans le droit international, elle n’est pas un État, on le répète, et pourtant elle est une puissance, les gouvernemens entrent et demeurent en relations d’État avec elle. Le pape envoie et reçoit des ambassadeurs, il exerce des arbitrages et signe des concordats qui, s’ils ne sont pas, à la lettre, des traités, s’en rapprochent singulièrement. Pour entretenir ces relations au dehors et pour maintenir au dedans la discipline ; parce qu’aussi l’Eglise a longtemps été un État semblable à tous les États, une puissance semblable à toutes les autres, lorsqu’elle avait Rome, les Marches et les Légations ; parce qu’enfin le pouvoir pontifical est électif et que la mort l’interrompt ou le suspend ; à cause de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui pourrait advenir, il y a vraiment, à côté de la hiérarchie sacerdotale, une organisation gouvernementale, un gouvernement de l’église. Seulement il est plus caché, plus discret ; il disparaît, il s’abrite derrière la personne du pape, car il n’existe qu’en union étroite avec le Saint-Siège et, ainsi encore, le Saint-Siège est bien le « lieu de l’unité »[3].

De ce gouvernement de l’Eglise, le Sacré-Collège des cardinaux est le rouage principal. Les cardinaux ne sont pas créés uniquement pour orner la curia, la cour romaine, dans les jours de solennité. Ce sont des cardinaux qui président les différentes congrégations ; à des cardinaux sont confiées les grandes charges pontificales, d’ordre spirituel ou d’ordre temporel, ecclésiastiques ou séculières, religieuses, ou politiques, ou mixtes, puisque l’Eglise ne touche plus à ce monde que par ce qui intéresse l’autre. Un cardinal est secrétaire d’État du Souverain Pontife, un cardinal est préfet de la Propagande, pour ne citer que des fonctions qui soient incontestablement des fonctions politiques et de gouvernement. Au temps de la papauté-royauté, quand les trois couronnes de la tiare n’étaient pas purement symboliques, des cardinaux étaient légats ou gouverneurs dans les provinces des États de l’Église. Mais ce n’est pas tout et le Sacré-Collège, en tant que corps constitué, a des fonctions de gouvernement. Il est auprès du pape comme un conseil toujours présent et les consistoires ne sont, à remonter aux sources, que des séances de ce conseil. Mais l’avis du Sacré-Collège n’oblige pas le pape, qui seul est le Souverain Pontife, en qui seul réside cette souveraineté, la moins caractérisée humainement et toutefois la plus authentique que l’on sache, puisque le pape seul occupe le Saint-Siège, et l’Église catholique est une monarchie aussi réellement que gouvernement puisse en être une. Ce n’est que lorsque le Saint-Siège est vacant et pour la courte durée des interrègnes, cette monarchie étant élective, que le Sacré-Collège est pleinement tout ce que les Canons font de lui. Alors il fournit un exemple (il n’en est pas de plus certain ni de meilleur) de ce que les théoriciens désignent par le mot de « souveraineté collective ou collégiale ». Il est un groupe fermé et parfaitement cohérent, dont aucune personnalité ne se détache et ne l’emporte[4], jusqu’à la proclamation du nouveau Pontife. Dans le cérémonial ecclésiastique, le dais est l’emblème de la souveraineté. Or, chaque stalle, au Conclave, est surmontée du dais : soixante-dix stalles, soixante-dix dais, soixante-dix parts, ou plutôt soixante-dix élémens de la souveraineté, en attendant qu’un pape soit élu, que tous les dais s’abattent, sauf un seul, et que la souveraineté, au lieu d’être une en soixante-dix personnes, redevienne une en une seule personne, comme le Saint-Siège est un, comme l’Église est une.


II

Longtemps avant qu’il y eût un Sacré-Collège, il y avait des cardinaux. Dès le Ve siècle, il est question de cardinaux dans l’Église romaine. Ce nom de cardinal marquait, dit Fleury, que le prêtre était attaché à son église comme une porte est engagée dans ses gonds (le mot cardinal vient du latin cardo, gond)[5]. Ainsi, les cardinaux étaient d’abord les prêtres immatriculés, presbyteri cardinati, les titulaires et les curés inamovibles des principales églises de Rome. Plus tard, ils furent considérés, suivant l’expression du pape Eugène IV, « comme les pivots sur lesquels repose le gouvernement de l’Église universelle »[6]. Mais tout d’abord, le mot Église ne se prenait point au sens abstrait : il ne s’agissait point de l’Église universelle : c’était, au sens concret, de telle ou telle église de Rome qu’un prêtre ou un diacre était cardinal, et, de là, l’usage qui s’est conservé, même après que l’institution eut acquis tout son développement, de rattacher, par les titres cardinalices, les cardinaux de l’Église universelle à telle ou telle église romaine. Maintenant encore, après qu’un cardinal a reçu le chapeau, un de ses premiers devoirs et de ses premiers soins est de prendre officiellement possession de son titre, c’est-à-dire de l’église dont il est titulaire ; dont il devient, même de loin, le curé, par une fiction qui a son fondement dans les réalités de l’histoire ; où sa charge l’attache, le scelle comme un gond, et sur la porte de laquelle il appose ses armes, auprès des armes pontificales. À partir de ce moment, il fait corps avec son église, et jadis il n’avait plus guère d’autre nom que le nom du saint sous l’invocation de qui cette église est placée. Ouvrez les écrivains italiens du XVe et du XVIe siècle ; lisez, par exemple, les lettres écrites par Machiavel en mission à la cour de Rome : vous trouverez, à chaque page, le cardinal de Saint-Georges, le cardinal de Saint-Théodore, le cardinal des Saints-Vite-et-Modeste, le cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens, le cardinal de Sainte-Praxède, de leurs vrais noms, les cardinaux Sansoni-Riario, Sanseverino, Ascanio-Maria Sforza, Giuliano della Rovere, et Antoniotto Pallavicino. C’est tout à fait de la même manière qu’on disait chez nous M. de Paris, M. de Lyon, M. de Rouen, M. de Meaux ou M. de Cambrai ; mais, pour les cardinaux, en cour de Rome, tout se rapporte à une circonstance romaine, et la raison s’en devine aisément, si, de bonne heure, la dignité de cardinal est exclusivement romaine.

Dans le sein de l’Église romaine, il s’était constitué des groupes ecclésiastiques analogues à nos paroisses. Chacun de ces groupes avait été pourvu de sa basilique, desservie par des prêtres qui en habitaient les dépendances. C’est là proprement le titre : la résidence dans l’église, et l’on pourrait en quelque sorte montrer sur un plan de la ville que le Sacré-Collège, ou du moins le cardinalat, fut, à ses origines, une institution toute romaine, toute locale, et qui, dans Rome même, se localisait étroitement en de certaines églises, ou plus exactement encore en de certains presbytères, qui s’attachait aux maisons des prêtres desservant régulièrement et quotidiennement ces églises[7]. La dignité, le titre de cardinal n’était, pour ainsi dire, pas personnel : il était réel et, encore une fois, attaché à l’église ; il s’acquérait par la possession d’office : c’était, encore une fois, l’église qui le conférait au prêtre ; le prêtre le prenait comme représentant de l’église, de son église et de telle église. Mais, de même qu’on disait, des prêtres titulaires des principales églises de Rome, les prêtres cardinaux, on ne tarda pas à appeler les six évêques suburbicaires, les six évêques de la province de Rome ; à savoir, d’Ostie et Velletri, de Porto et Sainte-Rufine, d’Albano, de Frascati, de Palestrina et de Sabina, les évêques-cardinaux ; et, plus tard, on dit aussi des principaux diacres des diverses églises mineures, dans l’enceinte même de la ville, les diacres-cardinaux. S’il fallait faire plus que de noter le fait et si c’était le lieu d’en donner l’explication, peut-être la chercherait-on dans le système suivant lequel, au temps de la primitive Église et antérieurement au XIe siècle, il était procédé à l’élection des papes.

Les papes furent d’abord élus, comme évêques de Rome, dans la forme ordinaire où l’on élisait les évêques. Saint Cyprien, voulant défendre l’élection contestée de saint Corneille, assure qu’elle a été faite « par la disposition de Dieu et du Christ, le témoignage de presque tous les clercs, le suffrage du peuple qui se trouvait présent, le vote du collège des prêtres les plus anciens, et le concours des hommes les plus considérables. » Deux siècles après, saint Léon le Grand s’exprime presque dans les mêmes termes, mais il fixe mieux le rôle de chacun, des évêques de la province, des clercs et des citoyens ; il dit « de tous les clercs et de tous les citoyens ». Laissons de côté le peuple et les notables ; peu nous importe l’intervention ou les prétentions à intervenir des barons ou des magistrats, des Alberics et des Crescenzi, de l’empereur ou de ses délégués. S’ils interviennent, c’est abus et corruption d’un vieil usage ; s’ils prennent part active à l’élection, ils n’y figurent que l’élément laïque, l’élément de trouble et de violence, qui peu à peu sera éliminé. Peu à peu, l’excès même de leurs prétentions amène une réaction ; une forme de droit tend à se substituer, pour l’élection des papes, à une forme tumultuaire (à supposer que le tumulte ne soit pas justement l’absence et la négation de toute forme). Le droit d’élire va peu à peu être circonscrit et défini contre l’empereur, contre les barons, et le peuple de Rome. Le corps électoral se formera et se fermera, rejettera l’élément laïque ; tout au plus en restera-t-il, dans la suite des temps, le veto, l’exclusive de quelques princes et la notification officielle de l’élection du pape aux souverains, avec l’usage, pour le peuple romain, de s’assembler sur la place devant le palais où le Sacré-Collège est réuni. Mais empereur, barons et peuple vont être aux portes ou à la porte ; le mot de l’apôtre va devenir une vérité : Qui foris sunt. Les trois élémens ecclésiastiques, au contraire, vont être conservés, et on va les voir plus distinctement : 1o episcopi provinciales, les évêques provinciaux, les six évêques suburbicaires ; 2o presbyteri incardinati ou cardinales, les prêtres cardinaux des églises de Rome ; 3o primates cleri, non plus tous les clercs, les diacres, et non pas tous les diacres, les principaux seulement.

D’ailleurs, ce n’est pas, au début, le pape qu’ils élisent, le pape, pontife universel : c’est leur évêque à eux, l’évêque de Rome ; ils ne le font point pape, mais évêque ; ce qui, ensuite, le fait pape, c’est d’être évêque de Rome et de succéder à saint Pierre. C’est, au début, une élection toute romaine, et ce noyau, cet embryon de Sacré-Collège est tout romain, comme est toute romaine l’institution des prêtres cardinaux. Plus tard, par extension et par analogie, on dira les évêques cardinaux, les diacres cardinaux. Mais ce n’est que comme évêques de la province de Rome, comme prêtres titulaires ou diacres principaux des églises de Rome, qu’ils élisent l’évêque de Rome, non point comme cardinaux, au sens moderne du mot. À mesure que s’affirmera le caractère universel de la papauté, que le pape surgira de l’évêque de Rome, les termes et les choses se renverseront. On élira moins l’évêque de Rome que le pape, pontife universel, et l’on ne dira plus : les évêques cardinaux, les prêtres cardinaux, les diacres cardinaux, mais, à l’opposé : les cardinaux évêques, prêtres ou diacres. Les membres du Sacré-Collège n’en seront plus membres, ne seront plus cardinaux à raison de leur qualité d’évêques suburbicaires, de prêtres titulaires, de diacres principaux des églises de Rome ; c’est à raison de leur qualité de cardinaux que, la fiction chassant la réalité, ils seront rattachés comme évêques, prêtres ou diacres, aux sièges suburbicaires et aux églises de Rome. Le titre ne conférera plus la dignité ; c’est la dignité qui conférera le titre. Le titulaire pourra ne plus avoir avec le titre aucun lien réel et permanent. La papauté s’internationalisera, se supranationalisera, et, comme elle, le Sacré-Collège devra s’internationaliser. — On aperçoit la transition et comment le Sacré-Collège cesse d’être une institution purement romaine, devient universel en même temps que la papauté, et comment, cessant d’être une hiérarchie exclusivement religieuse, il devient, sous un de ses aspects, un corps politique, un facteur, — et un facteur très important, — de la politique internationale.

C’est le pape Nicolas II qui, vers le milieu du XIe siècle, en 1059, et sous l’inspiration du célèbre Hildebrand, le futur Grégoire VII, donna le premier à l’élection des papes cette forme de droit qui ne lui avait que trop fait défaut jusqu’alors, et détermina un peu mieux qu’elles ne l’avaient encore été les conditions requises pour être électeur et pour être élu : « À la mort du pontife de cette église romaine universelle, prescrit-il, que tout d’abord les cardinaux évêques traitent ensemble avec le plus grand soin de l’élection de son successeur, puis qu’ils s’adjoignent bientôt les clercs cardinaux du Christ, et alors que le reste du clergé et le peuple accèdent par consentement à la nouvelle élection[8]. »

Il semble que les cardinaux évêques aient, dans l’espèce, le rôle vraiment actif ou qu’ils aient, en tout cas, sur les autres cardinaux, les cardinaux clercs (prêtres et diacres), une prépondérance effective.

Cette prépondérance, vestige d’un privilège déjà ancien et de l’ancien mode d’élection des évêques par cooptation, les cardinaux évêques la conservèrent pendant un siècle encore, jusqu’à la constitution d’Alexandre III[9]. Le Sacré-Collège y recevait, sinon son organisation définitive, du moins le principe définitif de son organisation, qui est l’égalité de tous les cardinaux dans l’élection du Souverain Pontife.

Il n’en demeura et n’en demeure pas moins divisé en trois ordres : cardinaux évêques, prêtres et diacres ; mais cette division en trois ordres est purement cérémonielle et le sens profond s’en est perdu. Les cardinaux évêques ne sont investis d’aucun pouvoir que ne possèdent également les cardinaux prêtres et les cardinaux diacres. À peine se rappelle-t-on ce que représentent les trois ordres : que les cardinaux évêques sont les six évêques provinciaux ; les cardinaux prêtres, les prêtres incardinati, les curés titulaires des principales églises ; et les cardinaux diacres, les prêtres principaux des églises mineures de Rome. Voilà l’une des divisions du Sacré-Collège, et à quoi elle correspond : sa division, interne, pourrait-on dire, et ecclésiastique en trois ordres. Il y en a une autre, externe et politique, en cardinaux de curie et cardinaux de couronne ou de nation. On appelle cardinaux de curie ceux qui résident habituellement à Rome ; tels sont les titulaires des charges pontificales, les préfets des congrégations, etc. Les cardinaux de couronne sont les archevêques et évêques du monde catholique, revêtus de la dignité de cardinal. Dans le Sacré-Collège actuel, les cardinaux de curie représentent l’élément romain ; les cardinaux de couronne, l’élément catholique ou universel, ce qui n’implique pas que tous les cardinaux de curie soient romains ou même italiens, ni que les cardinaux de couronne, — ceux qui le sont et ceux qui devraient l’être, — occupent des sièges archiépiscopaux ou épiscopaux très éloignés de Rome. Ainsi, le cardinal Ledochowski, préfet de la Propagande, est, quoique Allemand, cardinal de curie et, comme lui, quoique Allemands aussi, le cardinal de Hohenlohe, qui fut évêque suburbicaire d’Albano et le cardinal Melchers, archevêque disgracié de Cologne. Mais l’archevêque de Naples, celui de Capoue, celui de Ravenne, celui de Florence ne sont pas plus des cardinaux de curie que l’archevêque de Paris, l’archevêque de Vienne, l’archevêque de Westminster, l’archevêque de Tolède, le patriarche de Lisbonne, l’archevêque de Baltimore, l’archevêque de Québec, l’archevêque de Sidney. Si ce ne sont pas davantage des cardinaux de couronne et s’il faut inventer pour eux une troisième catégorie, celle des cardinaux italiens, c’est uniquement à cause de la rupture officielle des relations entre le Vatican et le Quirinal et parce que l’occupation de Rome par le roi d’Italie crée une situation violente qui lui ôte tout droit vis-à-vis du Saint-Siège.

Le nombre des cardinaux a varié, mais toujours en augmentant, depuis la fondation du Sacré-Collège. Du XIIIe au XVe siècle, il y eut de dix à vingt cardinaux. Sixte-Quint, au XVIe siècle, en fixa le nombre à soixante-dix — en mémoire, dit-on, des soixante-dix vieillards qui assistaient Moïse, — et soixante-dix est demeuré le chiffre du plenum. Cette constante augmentation du nombre des cardinaux n’est pas, on le pense bien, un effet de la fantaisie ou de la faveur des papes ; elle a, elle aussi, sa raison dans les faits, et le fait qui l’explique est tout simplement que, du XIIIe siècle à la fin du XVIe, la papauté s’est, comme on l’a dit, internationalisée. Son caractère universel s’est affirmé, marqué de plus en plus. Il n’est pas jusqu’au schisme d’Occident au XIVe siècle, jusqu’à la Réforme, au XVIe, qui n’aient en quelque façon souligné et comme dégagé ce caractère de catholicité, d’universalité. Et de même que c’est surtout par la guerre que les États ordinaires arrivent à constituer leur unité, de même le schisme et la Réforme, ces deux guerres théologiques, ont contribué à fortifier, à développer, en la rendant plus nécessaire, l’unité de l’Église romaine, dans le dogme, la morale et la discipline. Les affaires de Rome sont de plus en plus devenues des affaires du monde et les affaires du monde, de plus en plus des affaires romaines. Et, comme l’assemblée diocésaine qui autrefois élisait l’évêque de Rome ne suffisait plus pour élire le pape, tout de même, les bureaux diocésains qui pourvoyaient jadis à l’expédition des affaires de l’Église de Rome, n’ont plus suffi à l’expédition des affaires de cette Église, étendue progressivement aux différentes parties de l’univers peu à peu connu ; car plusieurs siècles durant, toute conquête de l’Europe hors d’Europe a été en même temps une conquête de l’Église.

Alors, il a fallu que l’Église se forgeât un outil, qu’elle s’ajustât une machine de gouvernement, mieux en rapport avec la tâche qui lui incombait à l’avenir. Ce fut l’œuvre de Sixte-Quint et c’est pourquoi furent créées ces charges pontificales remplies par des cardinaux, ces congrégations et ces chancelleries dont un cardinal est la tête et l’âme, qui décidaient, administraient, jugeaient au temporel et au spirituel ; c’est pourquoi fut institué ce consistoire mensuel des cardinaux : qui a été comme le Conseil d’État des papes. Le Sacré-Collège qui ne cessait de s’accroître en nombre n’a pas cessé non plus de grandir en honneurs et en prérogatives. Dès le concile de Lyon en 1243, Innocent IV avait donné aux cardinaux le chapeau rouge ; Boniface VIII leur avait donné la robe de pourpre ; Paul II[10], la barrette et le cheval blanc : Urbain VIII ordonna, le 10 janvier 1630, qu’ils fussent qualifiés d’Eminence ou d’Eminentissime et révérendissime seigneur. Ils eurent, par tout pays, le pas sur les évêques et archevêques, même sur les métropolitains, et même, en France, aux audiences royales de Parlement, sur les pairs ecclésiastiques. Ils eurent donc un pouvoir réel et entier, dans sa force et dans sa splendeur ; ils eurent l’action et l’état. On ajoutera, si l’on veut, que le pape, à mesure qu’il travaillait à se mettre au-dessus des conciles et à faire de l’Eglise une monarchie, éprouvait le besoin de s’appuyer ou de paraître s’appuyer sur un grand corps à tout instant présent ou représenté auprès de lui, constitué si haut en dignité qu’il n’y en eût point de comparable, sur un Sénat chrétien qui fût (nul ne s’abstrait facilement à Rome des souvenirs de l’antiquité classique) tout ce que l’autre avait été de glorieux et de majestueux ; qui fût cela, quant aux choses terrestres et, quant aux choses éternelles, la plus sainte et la plus auguste assemblée que puissent tenir des hommes en qui toute humanité n’est pas morte. Ce grand corps toujours présent ou représenté près du pape, ce Sénat chrétien, ce Conseil romain de l’Eglise universelle, c’est le Sacré-Collège des cardinaux, séminaire de souverains-pontifes, on n’ose dire école, mais réunion magistrale de politiques et de diplomates, où n’ont jamais manqué les hommes d’État pour le gouvernement de l’Eglise.


III

Tout gouvernement a besoin de ministres et le ministre implique le ministère. L’Eglise n’échappe pas à cette nécessité commune. Elle s’y plie, en modifiant les formes, en se les adaptant, en se les accommodant. Depuis qu’elle n’a plus le pouvoir temporel, elle n’a plus, à dire le vrai et dans le sens ordinaire des mots (il en faut toujours revenir là), ni législation, ni finances, ni travaux publics, ni armée, ni police, ni rien de ce qui fait la matière ou l’objet habituels du gouvernement. Depuis 1870, le ministre de l’intérieur ne figure plus que sur la liste de la Chapelle pontificale, parmi les assistans au trône, et les douze chevaux du prince Massimo, grand-maître des postes du Saint-Père, se reposent en leurs écuries. Mais le pape accrédite encore des ambassadeurs auprès des puissances, et les puissances accréditent encore des ambassadeurs près du pape. Ces ambassadeurs du pape au dehors, nonces et internonces, doivent recevoir leurs instructions de quelqu’un, rendre compte de leurs actes à quelqu’un ; les ambassadeurs étrangers doivent trouver à Home quelqu’un avec qui s’entretenir, sans remonter, à tout propos, jusqu’au Souverain-Pontife lui-même. L’intermédiaire quotidien entre le pape et les ambassadeurs, le confident et le traducteur de sa pensée, le ministre des affaires étrangères du Saint-Siège est le cardinal secrétaire d’État.

Ses fonctions sont délicates et difficiles par-dessus toutes : elles le sont infiniment plus, depuis que la papauté a été réduite à n’être plus qu’une puissance spirituelle. Elles sont délicates pardessus toutes, parce que les questions dont l’étude et la solution appartiennent au cardinal secrétaire d’État sont à moitié du domaine politique et à moitié du domaine religieux ; parce que, ne pouvant opposer à la force qu’une force exclusivement morale, il a quand même à sauvegarder la liberté, la fierté de la conscience ; par-dessus toutes, elles sont difficiles, précisément parce que le Saint-Siège est une puissance d’une nature particulière et que l’Église catholique forme dans chaque État comme une espèce d’État ; difficiles enfin, parce que les États modernes sont très jaloux de leur autorité, ne la veulent point partagée et, par le partage, affaiblie ; parce qu’ils sont théoriquement neutres et pratiquement indifférens, si ce n’est pas hostiles ; parce que l’Église avec son chef suprême, ses liens étroits, l’obéissance qui est sa règle, ses prises sur les hommes, leur donne de l’ombrage et, pour tout dire, parce qu’ils se méfient d’elle. Traiter avec le Saint-Siège, il leur semble que ce soit un peu traiter avec le mystère, qui a toujours on ne sait quoi de déconcertant et d’irritant. Mais, sous ce rapport et pour ce qui est de son influence morale, la papauté n’a fait que gagner à être séparée de la terre.

Le mystère et la majesté ont grandi, depuis qu’on ne peut plus voir le pape en carrosse dans les rues de Rome, et ceux-là l’ont mis hors de l’atteinte des puissances, qui l’ont mis hors du congrès des puissances. Ils l’ont fait invisible, insaisissable, on dirait volontiers incorporel, impersonnel. La personne extérieure du pape, c’est le cardinal secrétaire d’État en ce qui touche la politique, et la politique du Saint-Siège est déterminée, commandée par la nature du pouvoir de l’Église, de ses fins et de ses moyens, par les conditions toutes spéciales où elle se meut. Elle l’était, même avant que les événemens de septembre 1870 eussent apporté dans le droit international le trouble qu’ils y ont introduit, et que, par eux, la position du Saint-Siège envers tous les gouvernemens et la position de tous les gouvernemens envers le Saint-Siège eussent été radicalement changées. Mais combien plus ne l’est-elle pas depuis lors ? Il est clair que le cardinal secrétaire d’État n’a jamais pu et peut moins que jamais le prendre sur le même ton que le chancelier de l’empereur allemand ou que les ministres du tsar. Il n’a pas derrière lui des milliers de canons et des millions de baïonnettes ! Mais il se trouve justement que sa faiblesse fait sa force et, si cette formule n’avait une apparence de jeu d’esprit, qu’armé il serait désarmé, et que désarmé, il est armé ou, ce qui revient au même, il désarme ses adversaires.

Quoi qu’il en soit, la tradition de la secrétairerie d’État n’a jamais été de parler trop, de parler sec ni de parler haut. Dans les cimetières de village, on lit sur les tombeaux de prêtres, cette épitaphe : « Ici gît vénérable et discrète personne. » Discrète est l’adjectif qui convient à l’Eglise et l’on ne saurait dire rien de mieux, ni rien de plus, de sa politique que de dire qu’elle est discrète. C’est une politique murmurée, comme elle doit l’être, la chancellerie n’étant qu’à quelques pas du sanctuaire. « Il n’y a pas d’art plus malaisé que l’art de traiter les affaires, avouait le cardinal Consalvi au pape Léon XII. Je ne m’y suis fait qu’après avoir commis des erreurs et des erreurs nombreuses. Mais ces erreurs mêmes instruisent. La plus grande faute est de trop répondre. Par bonheur, j’ai trouvé dans notre secrétairerie d’État l’excellente maxime d’écrire peu et bien, et j’atteste qu’à cette vieille maxime du Saint-Siège j’ai dû le plus grand nombre de mes succès. »

Ecrire peu et bien, telle est, d’après un secrétaire d’État, la « vieille maxime », la tradition de la secrétairerie d’État, depuis 1560, depuis saint Charles Borromée, nommé le premier à ce poste par son oncle Pie IV. L’importance de l’office de secrétaire d’État ressortit tout de suite de ce fait que les papes le confièrent toujours à leur neveu, quand ils en avaient un dans le Sacré-Collège, et que le cardinal secrétaire fut appelé aussi le Cardinal-Maître (Cardinale Padrone)[11]. Le choix du cardinal neveu pour la secrétairerie d’État met en pleine lumière une chose, et c’est l’union intime du Souverain Pontife et de son secrétaire d’État, union qui a toujours été jugée indispensable. Nous venons de dire du cardinal secrétaire qu’il est comme la personne extérieure du Pape ; et de la politique du Saint-Siège qu’elle est, par une tradition inviolée de la secrétairerie d’État, discrète et comme murmurée. Allons plus loin. Le secrétaire d’État est comme la bouche et la chair du Saint-Père, et c’est lui, plus que tous les autres cardinaux, qui pourrait répéter, en se les appliquant, les paroles de l’Écriture : Ecce nos : os tuum et caro tua erimus. C’est à lui plus qu’à tous les autres que, dans les cérémonies symboliques du consistoire, le Pape clôt d’abord et puis ouvre les lèvres. Mais il les ferme surtout, il les scelle de son anneau : elles ne se rouvrent jamais complètement ; elles ne font plus que s’entr’ouvrir.

L’héritage lointain qu’a recueilli le secrétaire d’État, dans cette organisation de l’Église où tout a des attaches et des sources lointaines, est celui de ce dignitaire de l’époque byzantine qui portait ce titre étrange et si expressif : Silentiarius, le Silencier. Le cardinal secrétaire d’État est le Grand Silencier de l’Église. Montez, entre les hautes parois de marbre blanc, les deux cents marches de marbre blanc qui, de la cour de Saint-Damase, mènent au seuil de ses appartenons privés : vous aurez l’impression de faire une ascension dans la paix. Sur le palier de chaque étage un suisse, en costume rayé de jaune, de rouge et de noir, se tient immobile et muet, une pertuisane à l’épaule. Dans l’antichambre, un gendarme sommeille ; c’est à peine si le bruit de vos pas l’avertit et s’il se soulève sur sa chaise. Mais le bruit de vos pas, vous-même ne sauriez l’entendre ; le tapis épais et bourré à l’italienne l’amortit et l’absorbe. Un vieux valet à figure grave, très compassé et presque mécanique, s’avance vers vous sans mot dire, prend votre carte et la passe au maître d’hôtel, qui, sans mot dire, ou en ne disant qu’un mot : Favorisca ! « S’il vous plaît », vous fait, de la tête et de la main, signe de le suivre. Il traverse un premier salon, un second salon, un troisième, où, dans les fauteuils, rangés le long des murs, et dont personne n’a rompu l’ordonnance, attendent des évêques, des prélats romains, des religieux, des diplomates qui ne causent, ni ne lisent, ni ne bougent. Une seule pièce, le petit salon réservé au patriciat et aux ambassadeurs, vous sépare du cabinet de Son Eminence. Le temps passe, votre tour arrive ; une seconde fois, l’unique mot permis : Favorisca ! vous êtes chez le secrétaire d’État ; il vous accueille avec une politesse exquise et une charmante bienveillance, vous fait prendre place à ses côtés, amorce la conversation par une question bien posée ; — et si d’aventure vous aviez le dessein de l’interroger sur la politique du Saint-Siège, vous vous apercevez à vos dépens que vous avez devant vous le Grand Silencier de l’Église.

Ce n’est certes pas le cardinal Rainpollaqui fait mentir la tradition : jamais ministre n’a vécu en plus parfaite union, en union plus continue avec le souverain qu’il sert, et la pensée du secrétaire d’État n’est que le prolongement de la pensée du Pape ; qu’on ne dise pas le dédoublement, car cette pensée est une en deux esprits, autant que deux esprits peuvent n’élaborer qu’une même pensée et l’élaborer de la même manière. Tous les matins, le cardinal descend prendre les instructions du Saint-Père ; mais il n’y aurait pas entre eux cette communication journalière, ce contact spirituel de tout moment, que le secrétaire d’État penserait encore comme le Pape, puisque, à partir du jour où il est entré dans sa charge, il a comme réglé son esprit, sa volonté, toute sa vie, sur l’esprit, sur la volonté et sur la vie de Léon XIII. Ce jour-là, il a prié le Pape de lui tracer une ligne de conduite, et pas une minute il n’en a dévié. Par une fortune rare, mais, à la vérité, moins rare dans l’Eglise qu’ailleurs, ce souverain et ce ministre sont absolument sûrs l’un de l’autre, et s’il importe beaucoup que le souverain sache qu’il sera secondé, il est également important que le ministre sache qu’il sera soutenu. Du ce que l’Eglise n’a point de parlement devant qui le secrétaire d’État soit responsable, il serait imprudent de conclure qu’il n’a pas d’opposition à redouter et à déjouer. Le Vatican, comme tous les palais, toutes les cours et tous les États, a ses mécontens et ses intrigans. Heureusement, le monde tourne au-dessus d’eux, l’Eglise se gouverne au-dessus d’eux, et ils n’y font pas plus que le caillou du chemin ne fait au mouvement des sphères célestes, tant que n’est pas troublé l’accord de la pensée et de la parole, de la volonté et de l’action, du souverain et du ministre, du Pape, âme de l’Église, immortelle selon les promesses, et du secrétaire d’État, sa personne extérieure. L’avenir dira, qui donc en douterait ? que l’œuvre politique de Léon XIII n’a point été une œuvre médiocre, sans nouveauté et sans hardiesse, sans portée et sans envolée. Si cette œuvre doit durer, si ce pontificat a marqué « un tournant de l’histoire », si Léon XIII a fondé pour des siècles, ou si l’Eglise doit après lui être ramenée à des voies plus étroites, c’est aussi l’avenir qui le dira. Mais, quoi qu’en puissent décider ceux à qui en incombera la lourde et périlleuse mission, l’on ne saurait dès maintenant méconnaître quelle part a prise dans cette œuvre le cardinal secrétaire d’État, qu’il s’agisse ou de l’attitude de Léon XIII envers la monarchie de Savoie, ou de sa politique en Espagne, ou de son influence sur les affaires françaises, ou de toute autre grande pensée d’un règne si rempli d’actes et si original.

À bien compter, ils n’auront guère été que deux, le pape et le secrétaire d’État, qui aient vu comment le plan se tenait dans son ensemble et qui aient voulu le réaliser ; les autres n’auront pas vu ou n’auront pas voulu et ne sauront à quoi tendait l’effort, que lorsque le but aura été atteint, ou que l’occasion sera perdue de l’atteindre. C’est une accusation à laquelle il ne vaut même pas la peine de répondre que de prétendre, — on ne s’en fait pas faute pourtant, — que Léon XIII oublie l’Eglise dans la direction qu’il imprime à l’Église. Oui, trop souvent l’heure présente aura paru lui donner tort ; ceux qui se brisent aux premiers obstacles et se découragent aux premières résistances peuvent, une heure, croire qu’il s’est trompé ; mais c’est une pauvre politique qu’une politique à si brève échéance. La vérité, c’est que jamais pape, jamais secrétaire d’État n’ont plus sûrement gouverné pour l’Église et par des moyens mieux appropriés à la fois aux conditions nouvelles et aux conditions éternelles de l’Eglise. Quand Mgr Mariano Rampolla del Tindaro, alors archevêque d’Héraclée et secrétaire des affaires ecclésiastiques extraordinaires, fut sur le point d’être nommé à l’une des deux nonciatures de Paris ou de Madrid : « Que pensez-vous, demanda-t-il à un prélat français, que doive être un nonce apostolique en France ? — Prêtre ! » répondit le prélat en le regardant. À la secrétairerie d’État, le cardinal Rampolla est resté prêtre, et c’est les yeux levés au ciel qu’il traverse les défilés de la politique. — Aussi bien, allez à la fenêtre ; sous vos regards s’étendent les jardins pleins de roses, les jardins éclatons de lumière, que l’on dirait bornés seulement au loin par la ligne bleue des collines : la seule ombre qui s’y projette est la grande ombre de Saint-Pierre ; vous avez sous les pieds les loges de Raphaël, où habite un peuple divin, saints et saintes et toutes les milices des anges. Ici, les cris s’éteignent et n’arrivent qu’en des bourdonnemens confus ; le faible bruit qui monte de la terre est fait comme d’un son de cloches très pures, et comme d’un chant d’orgues très douces, et comme d’un cliquetis d’encensoirs mollement balancés. Tout est, autour de vous, ou espace ou durée ; et vous sentez que la politique ne saurait être, ici, une misérable politique d’une lieue et d’un jour. Vous sentez que ce secrétaire d’état, qui est si pleinement et si profondément un prêtre, est le ministre que devait avoir ce pape pour essayer de refaire à l’Eglise, dont le royaume n’est plus de ce monde, un empire qui soit de ce monde et de l’autre.

Les pouvoirs du secrétaire d’État cessent avec la vie du pape qui les lui avait conférés, et rien ne montre mieux que c’est une délégation de personne à personne. Tant que le pape est vivant, le secrétaire d’État est comme un second lui-même et non seulement il dirige la diplomatie du Saint-Siège, mais il en administre les biens ; il dresse chaque année le budget des recettes et des dépenses ; il est le préfet des Saints Palais Apostoliques et le premier des Eminentissimes cardinaux palatins. Mais à peine le pape n’est-il plus, que le secrétaire d’État n’est plus et que ses attributions passent de droit soit au cardinal camerlingue, soit au secrétaire du Sacré-Collège. Jadis la charge de camerlingue était, même du vivant des papes, la plus considérable de l’Eglise. Le camerlingue était le chef de la Chambre apostolique et le surintendant du Trésor pontifical. « Gérer le patrimoine de l’Église, surveiller tous les actes des magistrats de la ville, pourvoir à la sécurité de l’État, se préoccuper surtout de l’argent qui est le nerf des affaires publiques », telles étaient déjà sous Pie II[12] ses fonctions essentielles. Puis peu à peu, impôts, douanes, agriculture, ponts, chaussées et canaux ; monnaies, commerce, postes, marine ; travaux publics, beaux-arts, enseignement, armée, police, tout devint successivement l’objet de la juridiction du camerlingue.

La création de la secrétairerie d’État marque le commencement de sa décadence. Au temps du pouvoir temporel indiscuté, non entamé, il y avait dans l’Eglise catholique connue deux formes de gouvernement juxtaposées : une monarchie, d’une part ; et, de l’autre, une aristocratie, le clergé, et sa plus haute expression, le Sacré-Collège des cardinaux. La souveraineté totale appartenait au pape, mais, en l’exerçant par délégation, il devait tenir compte de cette dualité. Le secrétaire d’État représentait sa personne, le principe monarchique ; le camerlingue représentait le Sacré Collège, le clergé, le corps de l’Eglise. À mesure que les élémens monarchiques l’emportèrent sur les élémens aristocratiques, l’autorité du secrétaire d’État, représentant personnel du pape, alla se développant, et ses fonctions s’étendirent, au détriment de celles du camerlingue. Lorsque l’Eglise eut perdu ses États, ce fut fini ; l’administration de ce qui restait de biens au Saint-Siège passa elle-même à la secrétairerie et, le pape vivant, il n’y eut plus dans l’Eglise qu’un seul principe, qu’un seul pouvoir, tout personnel, et qu’un seul homme, le cardinal secrétaire d’État, à qui ce pouvoir tout personnel fut délégué, en matière politique. Mais cette autorité se tarit avec la source d’où elle naissait et où elle s’alimentait. Il ne demeure alors que le Sacré-Collège, provisoirement investi de la souveraineté, que les cardinaux « gardant la place du Saint-Siège » ; servantes locum S. Sedis. Alors le camerlingue, représentant non la souveraineté personnelle du pape, mais la souveraineté collective du Sacré-Collège, non la souveraineté prescrite du pape défunt, mais la souveraineté imprescriptible du Saint-Siège, reprend le premier rang. Assisté des trois cardinaux chefs des ordres, il est comme le pape de l’interrègne ; il constate le décès du souverain pontife, il a les clefs du commandement et le bâton aux pommes d’or ; il est commis à la garde du conclave et, au nom du Sacré Collège, il exerce le gouvernement effectif de l’Église. — Le camerlingue actuel de la sainte Église romaine est le cardinal Oreglia di Santo Stefano.

Si le secrétaire d’État représente au temporel et parmi les nations la personne du souverain pontife, le cardinal-vicaire la représente au spirituel, dans le diocèse de Home. Seulement, son pouvoir ne tombe pas à la mort du pape ; il le conserve jusqu’à l’élection du successeur, se contentant de changer un peu son titre et, au lieu de Vicaire général de Notre Seigneur le pape, de se dire Vicaire général et Juge ordinaire de Rome. L’union entre le pape et son Vicaire général, malgré ce qu’on en peut supposer, n’est pas nécessairement aussi intime qu’entre le pape et le secrétaire d’État : ils ne sont pas, comme le pape et le secrétaire d’État, en contact incessant, en communication constante. Depuis que l’Église romaine, s’épanouissant et rayonnant, se multipliant et s’unifiant tout ensemble, est devenue l’Église universelle, le pape n’est plus guère, en fait, il n’est plus guère que de nom l’évêque de Rome et, même en ce point, l’ordre ancien est comme retourné. C’est depuis lors, vraiment, que Rome n’est plus dans Rome et que le pape doit être partout où est l’Église. Il en résulte que le cardinal-vicaire est, à côté du pape, évêque nominal et, en quelque sorte, évêque historique de Rome, le véritable évêque, un évêque presque autonome, ainsi que les évêques le sont dans leur diocèse.

Le vicaire général du pape Léon XIII pour le diocèse de Rome est le cardinal Lucido-Maria Parocchi, évêque titulaire d’Albano. Lorsqu’on l’a vu et qu’on a vu le pape, on se les imagine malaisément tous deux en collaboration quotidienne. Dans le langage, dans les manières et comme dans l’aspect physique du cardinal Rampolla, on retrouve quelque chose de Léon XIII ; il semble qu’il porte sur lui comme le pli d’une longue habitude ; Léon XIII se devine et se touche en son secrétaire d’État. Avec le cardinal-vicaire, quel étrange contraste ! Rond, gros, court, rouge, l’œil d’un noir intense et brillant, l’œil de jais, sous le buisson noir des sourcils, toujours abordable à tout venant, toujours en quête d’un confident qui ne se croie point trop lié par le secret professionnel, toujours à la chasse d’un bon mot et même de ce qu’en français nous appelons un calembour, vif, expansif et démonstratif, gai, familier, bonhomme, d’une bonhomie un peu popolana, un peu facile, qui se prodigue un peu, sans que sa familiarité choisisse plus que sa gaieté, le cardinal-vicaire donne ou prête volontiers sa main gantée d’une mitaine de soie, s’épanche ou feint de s’épancher volontiers, a d’autant plus d’amis ou du moins de cliens que, comme le dit un de ses collègues, « son caractère le pousse à témoigner successivement des préférences à tout le monde ».

Chose étonnante chez un princes de l’Eglise ! s’il a des préférences moins fugitives que les autres, c’est pour les journalistes de tout parti et de tout pays. Peut-être se complaît-il en eux, par souvenir du temps où il organisait et inspirait dans la Haute-Italie des campagnes ardentes contre la société moderne en général et, en particulier, contre le gouvernement italien. Il écrivait alors ou il faisait écrire d’une plume emportée, qui éclaboussait d’encre et crevait le papier : il parlait plus encore, d’une parole bouillonnante et colère. La maison de Savoie n’avait pas de plus éloquent, de plus abondant, de plus violent détracteur. Il ne se lassait pas de paraître en public et ce n’était jamais pour prier seulement. Du siège de Pavie, il fut transféré à Bologne et ne put obtenir son exequatur, tant il avait médit du dernier roi, du roi régnant et de la royauté. Appelé à Rome, puis promu au vicariat général, on s’attendait à ce qu’il déclarât la guerre à ceux qui n’étaient plus pour lui que les Piémontais, des barbares, et dont il dit qu’ils ne seraient, en cas de malheur, regrettés que « de quelques concierges de Turin. » Que 1868 était loin, quand, professeur à Mantoue, sa ville natale, il se proclamait fièrement patriote avant tout et célébrait, en phrases exaltées, l’Italie « levée comme un seul homme pour expulser de ses nids redoutables l’aigle à deux têtes de l’Autriche » !

Depuis 1868, que de préférences successives avait montrées le cardinal-vicaire et que d’excessives animosités ! Et néanmoins, patriote avant tout, même dans Home, après le 20 septembre, il crut devoir autoriser la bénédiction solennelle des drapeaux de l’armée royale. Ce fut assez pour qu’aussitôt de belles espérances vinssent se reposer sur lui. On rechercha dans ses premiers discours, dans ses œuvres de jeunesse, et l’on découvrit avec joie qu’avant l’épiscopat il avait commencé par unir en un même culte le roi et le pape, l’Italie et l’Eglise et par concilier toutes choses dans l’amour de Dieu et de la Patrie. Ces espérances italiennes sont-elles à jamais évanouies ? Où en est maintenant le cardinal-vicaire ? Qui hait-il et qui aime-t-il ? Est-il patriote avant tout, ou avant tout est-il vicaire général de Rome ? En politique aussi, ses préférences sont variables et vont successivement à tout le monde ; il y aurait pis, et ce serait que tout le monde pût simultanément se flatter de les avoir… On voit que le cardinal Parocchi ne ressemble en rien ni au pape ni au secrétaire d’État ; sa route n’est pas droite et lisse comme la leur. Il avance et recule, se livre et se reprend. Est-ce défaut de sincérité ? C’est plutôt excès d’abandon, et c’est plutôt faiblesse que calcul ; c’est impuissance à se fixer plutôt que goût et besoin de tromper ; c’est désir de plaire, d’être applaudi, d’être entouré, et il y a comme de la coquetterie en ce vicaire du Vicaire de Jésus-Christ. Au fond et par d’autres côtés, il se rapprocherait plus de Pie IX que de Léon XIII. Tout récemment il publiait pour le centenaire du feu pape un Invito sacro, dont voici le principal passage : « Quand Pie IX s’est éteint, quand l’annonce de sa mort s’est répandue d’un bout à l’autre de l’univers, nos ennemis, les ennemis de la Papauté, eurent un moment d’allégresse et leurs lèvres laissèrent échapper cette phrase qui exprimait les désirs de leurs cœurs : La Papauté est morte ! Mais le Dieu qui sait consoler les justes a lancé dans l’espace immense du ciel cette merveilleuse étoile : Léon XIII, lumen in cœlo. Le monde, à sa vue, est tombé dans l’admiration et les ennemis de l’Eglise eurent de nouveau une preuve irrécusable de la divinité de cette institution, créée par Dieu pour opérer toujours plus de miracles. Malgré tout, la grande figure de Pie IX demeure toujours là ; qui plus est, elle paraît avoir encore grandi, illuminée par les rayons vivifians de l’étoile de Léon XIII. » Pour qui sait lire entre les lignes et en dépit de l’effet de style sur l’étoile merveilleuse, le pape du cardinal Parocchi, c’est Pie IX ; Pie IX qui fut grand et ne fait que grandir, à la lumière du pontificat de Léon XIII, « Pie IX le glorieux, Pie IX l’immortel ! »

Comme le cardinal-vicaire et à la différence du secrétaire d’État, le Grand Pénitencier conserve ses fonctions après la mort du pape qui les lui avait confiées. Il préside, en effet, le tribunal de la Pénitencerie qui a sur les consciences une magistrature suprême. C’est à ce tribunal sacré « qu’on a recours pour demander l’absolution de ses fautes, quand elles sont d’une telle nature qu’elles échappent à la compétence du confesseur ordinaire. » Le droit d’absoudre ne peut être, dans l’Eglise, suspendu ni interrompu, pas plus que la souveraineté du Saint-Siège elle-même. Ce que la mort suspend ou interrompt, c’est le pouvoir personnel du pape. Mais le Sacré-Collège le garde et le nouveau pape le retrouve dans toute son intégrité. Si donc des chrétiens frappés de censures réservées au Souverain Pontife sont, pendant l’interrègne, en danger de mort imminente, c’est le grand pénitencier qui peut les relever des peines encourues. Le grand pénitencier remplit publiquement, du reste, les devoirs de sa charge, quatre fois chaque année, le dimanche des Rameaux à Saint-Jean de Latran ; le mercredi de la semaine sainte, à Sainte-Marie-Majeure ; le jeudi et le vendredi de la même semaine, à Saint-Pierre. Il est armé de la baguette, en signe de correction et, avant de prononcer la sentence de pardon, il en touche le front du pécheur. Austère, sévère et froid, le cardinal Monaco La Valetta était né pour juger les âmes. Il n’a pas le moindre trait commun avec le cardinal-vicaire et, par exemple, il ne se laisse pas aborder facilement, même par les diplomates accrédités à Rome, même par les évêques qui viennent y chercher l’investiture canonique. C’est tout au plus si sa porte s’entre-bâille pour quelques bons bourgeois romains, et cependant le cardinal ne s’est pas retiré au désert, mais il fait des religieux sa compagnie de prédilection. Hors de ce petit cercle, il est avare de paroles, et l’on assure que, même dans ce petit cercle, il les compte. La vieillesse et la maladie ne l’ont rendu que plus casanier et plus taciturne. Il ne connaît du monde que Naples, où son père était procureur de la cour royale sous les Bourbons, et Rome, où il a fait toutes ses études de lettres et de théologie. Naples et Rome exceptées, il n’a jamais vu que Paris, où il se souvient d’être allé, avec le cardinal Patrizzi, pour le baptême du prince impérial. Il dédaigne les salons et ne se plaît que dans les cloîtres et dans les sacristies. Ce serait peut-être forcer les termes que de dire de lui qu’il méprise la politique, mais il ne s’y intéresse point. Il répugne par tempérament aux compromissions et aux combinaisons ; il est l’homme de l’absolu ; le relatif ne le séduit pas ; il est à l’aise dans la foi, mal à l’aise dans la politique. Autant qu’il est permis de lui attribuer une opinion, il est intransigeant sur les droits de l’Eglise, mais d’une intransigeance calme et maîtresse d’elle-même, sans effusions et sans élans, qui ne récrimine pas et qui ne provoque pas, d’une intransigeance qui s’enferme et ignorera toujours ce qu’elle ne veut pas accepter. Mais tout ainsi que ce penchant à l’isolement n’empêche pas le cardinal Monaco La Valetta de prendre plaisir à de certaines fréquentations, sa sévérité naturelle n’exclut nullement la charité, non plus que sa réserve n’exclut la décision, ni son indifférence habituelle aux choses de la politique, une intelligence, avisée au besoin, des choses de la politique. Il est l’ami des pauvres et des moines, qui doivent être un jour trop puissans au ciel pour ne pas l’être un peu à la cour de Rome. Grand pénitencier de l’Eglise et doyen du Sacré-Collège, évêque d’Ostie et Velletri, chef d’ordre des cardinaux-évêques, il est, en outre, protecteur d’une quarantaine d’instituts de réguliers. Cardinal depuis vingt-six ans, il a eu beau se défendre contre les importuns : les événemens sont entrés de force et, même à cet ermite, ils ont appris que la papauté ne pouvait pas vivre dans les convulsions du siècle comme dans le recueillement d’une chartreuse.

Au surplus, tous les cardinaux ne sont pas de l’avis de leur doyen et, loin de se désintéresser comme lui de la politique, plusieurs d’entre eux s’y intéressent et s’y amusent. Il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque l’Eglise a une diplomatie, et que le Sacré-Collège se recrute non seulement parmi les archevêques et évêques, parmi les titulaires de diverses charges pontificales, majordome, secrétaires des congrégations, substitut de la secrétairerie d’État, parmi les prêtres qui honorent l’Église par leur science, leurs talens, leurs vertus, mais parmi les ambassadeurs du Souverain Pontife, parmi les nonces. Aujourd’hui même, dans le Sacré-Collège, les anciens nonces, les diplomates, ne manquent pas. Il y en eut rarement davantage et rarement de plus qualifiés. Citons, entre les plus anciens, les cardinaux Angelo Bianchi, Aloïsi Masella, Di Pietro, et, parmi les plus jeunes, le cardinal Siciliano di Rende, le cardinal Rampolla lui-même et le plus fameux ou le plus célèbre, le plus remuant, le plus entreprenant de tous, le cardinal Galimberti, sans oublier les deux frères Serafino et Vincenzo Vannutelli. Ceux-là sont cardinaux de haute taille et de haute mine, la gloire de Genazzano, au diocèse de Palestrina : le cardinal Serafino, plus âgé de deux ans et touchant à la soixantaine, un peu plus fin, un peu plus grêle, un peu moins ample ; le cardinal Vincenzo, superbe de port et d’allures : Serafino, cardinal évêque de Frascati, et Vincenzo, cardinal prêtre du titre de Saint-Sylvestre in capite : Serafino ayant plus de prudence, de mesure et d’habileté peut-être, Vincenzo plus d’initiative et d’entrain. Tous deux élèves du collège Capranica et de l’Académie des nobles ecclésiastiques, très entendus tous deux à « faire la carrière », far la carriera, Serafino a été nonce à Bruxelles et à Vienne, Vincenzo, délégué apostolique à Constantinople, nonce à Lisbonne, envoyé par le pape en mission décorative au couronnement d’Alexandre III, à Moscou : tous deux ont noué à travers l’Europe et dans les camps opposés de l’Europe des relations qu’ils n’ont pas cessé de cultiver ; Serafino n’a pas les mêmes que Vincenzo, mais chacun d’eux a celles de l’autre ; à Rome, les deux frères ne font qu’un : le cardinal Serafino et le cardinal Vincenzo s’additionnent et donnent au total un Vannutelli ; ce sont deux têtes en un seul chapeau. L’une regarderait plutôt vers l’occident, l’autre, plutôt vers l’orient, mais à elles deux, elles embrassent tout l’horizon, et il y a de l’énigme en elles, comme en une sorte de Janus chrétien.

Le secrétaire d’État, le camerlingue, le cardinal-vicaire, le grand pénitencier sont, par leur position même, les membres les plus en vue de tout le Sacré-Collège. À côté d’eux et à côté des cardinaux sortis de la diplomatie pontificale, que de figures curieuses et attirantes encore ! Le bon et saint cardinal Bonaparte, l’ex-substitut de la secrétairerie d’État ou secrétaire du chiffre, le cardinal Moncenni, Romain de Rome, grand fumeur, grand chasseur, grand conteur d’histoires ; plusieurs archevêques et évêques des diocèses d’Italie, comme le cardinal San Felice, archevêque de Naples ou le cardinal Capecelatro, de Capoue, bibliothécaire de l’Eglise, un prince napolitain comme le cardinal Ruffo-Scilla ; rappelant, celui-ci par son amour du faste, ceux-là par leur amour des lettres, les cardinaux de la Renaissance. À côté d’eux enfin, les cardinaux appartenant aux ordres religieux et qui, jusque dans le Sacré-Collège, demeurent de leur ordre et servent leur ordre, les pères jésuites Mazzella et Steinhüber, le capucin Persico, le barnabite Graniello. Et ce ne serait pas tout : il faudrait comme grouper au fond du tableau les cardinaux français, allemands, autrichiens, hongrois, espagnols, portugais, anglais, et ceux qui, par-delà les océans, sont allés aux États-Unis, au Canada, en Australie, porter le nom, les œuvres et la hiérarchie catholiques. Mais on ne veut voir dans le Sacré-Collège, on ne veut considérer en lui qu’un des organes, que l’organe principal du gouvernement de l’Eglise et l’on ne s’est occupé des hommes que si, à cause de leurs fonctions, ou de leurs travaux, ou de leurs titres, ou de leurs aptitudes, ils participent plus ou moins à ce gouvernement si peu connu et si digne d’être étudié.


IV

Les soixante-dix membres du Sacré-Collège sont répartis entre les seize ou dix-sept congrégations ecclésiastiques. Chacune d’elles a un cardinal pour préfet, sauf les trois congrégations dont les papes se réservent personnellement la préfecture et qui sont : le Saint-Office, la Consistoriale et la Sainte-Visite ou Sagra Visita. Celle de ces congrégations qu’on doit, au point de vue politique, mentionner en première ligne, est la congrégation de la Propagande, où le Saint-Siège a comme une seconde secrétairerie d’État. La Propagande est divisée en deux sections : rite romain (pour les pays qui n’ont pas de concordat) et rite oriental ; c’est à la Propagande que sont rattachées les missions et par elles, par les vicariats apostoliques, elle s’étend au globe tout entier. Le préfet de la Propagande est le cardinal Ledochowski, que M. de Bismarck exila de Posen aux jours troublés du Kulturkampf, qui porta à Rome une longue rancune et que les attentions de Guillaume II ont ramené à de plus doux sentimens pour l’Allemagne. Après la Propagande et en ce qui concerne le gouvernement intérieur de l’Eglise, citons tout de suite le Saint-Office, ou sainte Inquisition romaine et universelle, dont le pape lui-même est préfet et dont le secrétaire est le grand pénitencier, le cardinal Monaco La Valetta. Elle traite des crimes contre Dieu, contre les personnes et des dispenses de lois ecclésiastiques ; c’est bien vrai qu’elle existe encore, mais une invocation à Torquemada et aux bûchers d’Espagne serait, à son propos, on ne peut plus ridicule : il n’y a pas de chambre de torture dans le palais du Saint-Office : l’Inquisition ne verse plus de sang et ne jette plus de flammes. L’Index, qui est comme son appendice, condamne les livres, mais ne les brûle plus par la main du bourreau : toutefois l’Inquisition et l’Index peuvent encore être rangés au nombre des instrumens du gouvernement de l’Eglise. Les autres congrégations[13] sont religieuses et ne touchent ni de près ni de loin à la politique, ou elles n’y touchent que de très loin et d’une manière très indirecte. Il n’en est pas de même des chancelleries, de la Chancellerie apostolique proprement dite, de la Daterie, des Brefs, des Mémoriaux, des Brefs aux princes et des Lettres latines[14].

L’Eglise, qui a son droit à elle, ses lois à elle, a comme une cour d’appel, le tribunal de la Rote, composé de neuf auditeurs, dont un Autrichien, deux Espagnols et un Français. Bien que les décisions de la Rote n’entraînent aucune sanction positive, elles sont tenues on honneur par toute la chrétienté. La Révérende Chambre apostolique n’a pas survécu à la chute du pouvoir temporel ; elle s’occupait surtout de finances et de fiscalité. La Signature papale de justice n’est plus guère qu’une ombre. Les titres restent, à peu près vides de sens, mais perpétuant la mémoire d’institutions très anciennes. La Cour de Rome, la Curia, est comme un assemblage de fonctions et de dignités où, dans les mots, du moins, chaque siècle a laissé son empreinte, et dix-neuf siècles ont déjà passé sur l’Eglise, si bien qu’à regarder de loin cet assemblage, il est étrange. Camériers de cape et d’épée, camériers secrets participans, sacriste pontifical, sous-sacriste des saints palais, chapelains et clercs secrets, chapelains communs, princes romains assistans au trône, protonotaires, commandeur du Saint Esprit, maître du Saint Hospice, avocats du Sacré Consistoire, pénitenciers de la basilique vaticane, acolytes céroféraires, maîtres ostiaires ou huissiers à verge rouge, custode des saints trirègnes, massiers et curseurs apostoliques, n’est-ce pas autrefois, immobilisé, fixé, momifié dans aujourd’hui ? Mais l’Église n’est pas seulement ce cadavre embaumé et paré : elle est vivante sous la châsse. Sans provinces, elle est une puissance ; sans États, elle est un État ; sans armée, sans impôts, sans les moyens ordinaires de contraindre, sans les organes ordinaires du gouvernement, elle possède le gouvernement le plus souple, le plus précis, le plus maître de son action, le plus sûr de son autorité. Même comme puissance, comme État, comme gouvernement, elle a ses morts, mais elle vit : avoir été ne l’empêche pas d’être, hier ne lui interdit pas demain, son histoire n’est pas finie et n’est pas toute derrière elle.

Dès à présent, un fait domine cette histoire : c’est que la Papauté, le Sacré-Collège, le gouvernement de l’église se sont, de romains et locaux qu’ils étaient tout d’abord, catholicisés, universalisés. Ce n’est pas à dire qu’on ne puisse plus distinguer dans le gouvernement de l’Eglise, dans le Sacré-Collège, dans la papauté elle-même, un élément romain, local, et, d’autre part, un élément catholique ou universel. Mais tandis que, plus près des origines, l’élément romain et local était prépondérant, formait comme le noyau, comme la cellule et de la papauté et du Sacré-Collège, de nos jours c’est l’élément universel qui marche, et ce sera de plus en plus lui qui marchera le premier. Le pape est toujours l’évêque de Rome, mais il est, beaucoup plus qu’il ne l’était jadis, le Souverain Pontife, le Père commun des nations catholiques ; le Sacré-Collège comprend toujours des cardinaux de curie et des cardinaux de couronne, mais, quoique les cardinaux de curie y représentent l’élément romain, il faut surtout entendre, par élément romain, l’élément résidant à Rome. Pendant longtemps, il n’y eut aucune proportion entre cet élément prépondérant et l’élément universel : le caractère universel est si bien reconnu désormais qu’il y a entre les deux élémens une proportion établie par l’usage et une certaine proportion, également établie par l’usage, dans la répartition des chapeaux de cardinal entre les différentes nations catholiques. C’est, en effet, une erreur, d’opposer dans le Sacré-Collège des cardinaux italiens à des cardinaux étrangers ; un tel classement n’a ni fondement logique, ni fondement historique, ni fondement politique. Il n’y a pas de cardinaux italiens : il y a des cardinaux romains, des cardinaux de curie ; il n’y a pas de cardinaux étrangers : il y a des cardinaux de couronne ou de nation. Quand l’Italie s’est unifiée, la papauté a achevé de s’universaliser ; on l’a dénationalisée, elle a achevé de s’internationaliser. Par l’unification de l’Italie, on a détruit le dernier motif qu’il y eût à ce que l’Italie comptât dans le Sacré-Collège plus de membres que les autres pays catholiques. Tant qu’il y eut en Italie six ou sept petits royaumes ou petites républiques, il se concevait bien que Naples eût ses cardinaux, que Florence eût les siens, et Venise les siens, et Milan les siens. Mais, depuis 1860 et depuis 1870, il n’y a plus de raison pour que la proportion entre les différentes nations soit rompue en faveur de l’Italie unifiée, laquelle continuerait à jouir d’un privilège, à l’appui duquel on ne saurait donner un bon argument. Voilà pourquoi ce n’est pas une futile querelle de mots, de vouloir dire l’élément romain, au lieu de l’élément italien et l’élément universel, au lieu de l’élément étranger. Il demeure parfaitement juste et absolument nécessaire que l’élément romain ou de curie (étant admis, d’ailleurs, que les cardinaux de curie peuvent appartenir à n’importe quelle nationalité) soit, dans le Sacré-Collège, très fortement représenté : c’est la tradition et il le faut, afin qu’il soit pourvu aux multiples besoins, aux services complexes du gouvernement de l’Eglise. Mais, hors de là, il ne peut y avoir qu’une règle : toutes les nations catholiques doivent entrer pour une part proportionnelle dans la formation du second élément ; les titulaires des diocèses italiens n’y ont pas plus de droits que les archevêques et évêques de France, d’Espagne ou d’Autriche, et cela de par la loi même du développement de l’Eglise, de par les conditions nouvelles de l’Italie et de par les conditions nouvelles de la papauté.

Le Sacré-Collège des cardinaux, Sénat de l’Eglise catholique et Conseil d’État des Souverains Pontifes, doit être international comme l’Eglise, universel comme la papauté. Comme l’Église, comme la papauté, il doit reposer sur des bases de plus en plus larges, il doit attirer à lui tout ce qui, d’un bout à l’autre de l’Église, est lumière et vie, est intelligence et vertu. Tel qu’il est, et bien que sa valeur varie naturellement avec les hommes qui s’y succèdent, nulle part ailleurs on ne trouverait une assemblée qui lui soit comparable. Il se recrute dans l’élite d’une élite, en dehors de toute considération autre que l’intérêt de l’Église, de son intérêt supérieur, universel et éternel. Il est, en somme, aussi peu accessible aux passions humaines qu’une réunion d’hommes puisse l’être. Il ne fait pas de bruit sur terre et, tout attentif qu’il soit en secret aux affaires importantes du monde, il n’occupe le monde qu’à de rares intervalles. Sa fonction d’un jour fait oublier ses fonctions de tous les jours : on ne se rappelle qu’il existe que lorsqu’un pape vient à mourir et qu’il s’agit d’élire un pape. On ne parle du Sacré-Collège que comme du plus vénérable des comices électoraux, du vote duquel doit sortir, suivant la métaphore du poète, une des deux et la première des deux moitiés de Dieu. Ce n’est pas, ce ne pouvait pas être le point de vue où nous nous sommes placé. Pour nous, le Sacré-Collège existe autrement que dans le conclave, et ce qui, à l’heure qu’il est, n’existe pas, Dieu merci, c’est le conclave. Les Romains ont toujours aimé à parier sur le futur pontife, mais depuis que l’élection des papes a pris dans la politique l’importance que lui ont donnée, et l’internationalisation de la papauté et l’occupation de Rome par l’Italie et la division de l’Europe en deux camps, et l’intervention du Saint-Siège sous forme de conseils aux catholiques, c’est devenu pour les uns un sport et pour les autres une industrie, de faire des prédictions et de tirer des horoscopes. Nous savons bien que les événemens ont de soudaines brutalités et que l’on tient toujours prêtes au Vatican trois soutanes blanches de trois tailles, pour Celui qui sera le pape de demain. Mais on ne les étend pas sans cesse sur le passage, on ne les déploie pas sans cesse aux regards du pape régnant. Or, Léon XIII règne et gouverne, et règne si glorieusement, et gouverne si heureusement, qu’on ne peut que répéter le cri par lequel les papes sont salués à leur exaltation : « Que ce soit encore pour de longues années ! Ad multos annos ! » Outre qu’il y a de l’inconvenance, il y a aussi de l’imprudence à trop se presser d’attribuer une succession dont on ne dispose pas et qui, même, n’est pas ouverte. « Le plus souvent les cardinaux, quand ils sont dehors, sont d’une autre opinion que quand ils sont renfermés. Aussi quiconque a quelque intelligence des choses d’ici déclare-t-il qu’on ne peut porter là-dessus aucun jugement. » C’est, du moins, ce qu’écrivait de Rome, le 29 octobre 1503, un envoyé de la République florentine, à qui personne pourtant n’a jamais dénié la pénétration, et qui s’appelait Machiavel.


CHARLES BENOIST.

  1. La liste est longue des qualificatifs que le Pape pourrait prendre Joseph de Maistre (Du Pape, liv. I, chap. VI) on a relevé quarante-cinq dans les Conciles et les Pères. Ils l’appellent le très saint évêque de l’Église catholique, le très saint et très heureux patriarche, le très heureux seigneur, l’évêque élevé au faîte apostolique, le préfet et le porte-clefs de la maison de Dieu, le gardien de la vigne du Seigneur, la bouche et le chef de l’apostolat, la fontaine apostolique, le lieu de l’unité, le port très sûr de toute communion catholique, etc.
  2. Encyclique Immortale Dei, sur la Constitution chrétienne des États, du 1er novembre 1885.
  3. Saint Cyprien, Epist. ad Cornel., IV, 2.
  4. Nous dirons plus loin quelques mots du rôle du cardinal camerlingue, du cardinal doyen et des cardinaux chefs d’ordre.
  5. Voy. Chéruel, Dictionnaire historique des Institutions, mœurs et coutumes de la France, au mot Cardinal.
  6. Lucius Lector. Le Conclave : origines, histoire, organisation, législation ancienne et moderne. Paris, Lethielleux, 1894, un fort vol. in-16.
  7. « La première apparition que fassent les titres dans les documens historiques est seulement de 341, et la première inscription qui les mentionne est de 377. À la fin du Ve siècle ou au commencement du VIe, et sans doute déjà bien auparavant, on ne comptait pas moins de vingt-cinq églises titulaires, comme on le voit aux signa-turcs des prêtres de Rome qui prirent part au fameux Concile tenu sous le Pape Symmaque en l’an 499. Les vingt-cinq titres Gregoriani (595) sont presque identiques encore aux titres Simmachiani. Au XIIe siècle, vers le temps de Calixte II, le nombre des titres presbytéraux fut porté de 25 à 28 ». (Monsignor Isidoro Carini, De’Titoli della Chiesa romana.)
  8. Une ou deux lignes plus bas, Nicolas II le dit formellement : « Qu’ils soient les guides, les chefs, les éclaireurs (prœduces) pour promouvoir l’élection du Pape, et que les autres les suivent. »
  9. Licet de vitunda discordia, promulguée au troisième Concile de Latran, onzième concile œcuménique, en 1180. Il n’y eut plus désormais ni guides ni suivans, plus de distinction entre le choix et le consentement. (V. Lucius Lector, ouvr. cité.)
  10. 1464.
  11. Il en fut de la sorte jusqu’à la fin du XVIIe siècle, jusqu’à Innocent XII, et c’est là, c’est d’ans cet usage qu’est l’origine du népotisme.
  12. Æneas Silvius (Piccolomini), 1458-1464.
  13. Du Concile, des Évêques et réguliers, de la Résidence des évêques, de l’État des réguliers, de l’Immunité ecclésiastique, des Rites, du Cérémonial, des Études, des Indulgences et saintes reliques.
  14. Le chef de la Daterie est le sommiste des lettres apostoliques : la Daterie rédige, calligraphie, scelle, plombe et délivre les Bulles. À la Daterie reviennent ou revenaient les grâces expectatives, les annates, les bénéfices et les réserves ; c’est à elle qu’il faut s’adresser pour les dispenses de mariage. La charge de Pro-Dataire est une des plus enviées. Pour les Brefs, il existe une secrétairerie spéciale, avec laquelle se confond la chancellerie des ordres pontificaux de l’Éperon-d’Or et de Saint-Sylvestre, du Saint-Sépulcre, de Malte, du Christ, de Saint-Grégoire-le-Grand, de Pie IX. Les comtes romains relèvent, à leur création, de la secrétairerie des Brefs ; c’est à elle qu’ils acquittent les taxes de noblesse. Les Mémoriaux sont séparés des Brefs ; cette secrétairerie reçoit les placets, les suppliques et elle y répond. On ne peut encore omettre les secrétaireries palatines, le secrétaire des Brefs aux princes et celui des Lettres latines, chargés : l’un, de correspondre avec les rois et les personnages illustres ou constitués en dignité (ecclésiastique, souvent aussi de préparer les constitutions, allocutions et encycliques des papes ; l’autre, d’examiner les œuvres pour lesquelles est sollicitée l’approbation du Saint-Père. de les lui présenter et de remercier en son nom, dans les formes consacrées. Voy, F. Grimaldi, Le Congregazioni della S. Chiesa romana.