Le Jardin des dieux/Le Jardin des dieux

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 1-3).
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LE JARDIN DES DIEUX


Ma terre, il faut vraiment l’extase des dieux mornes,
             D’ivresse solaire hébétés,
Pour oser affronter le silence sans bornes
             De ta stérile immensité,

Aussi, ce que j’ai vu sur tes golfes arides
             Tapissés d’algue et de varech
Monter de cette mer qui n’a pas plus de rides
             Que le visage des dieux grecs,


Ce que j’ai vu planer sur ces grands monts sans arbres
             Qu’éperdus de soif, nous foulions
Et qui, fauves et roux, semblent cacher leurs marbres
             Sous le pelage des lions,

Ce que j’ai vu surgir de tes villes lunaires
             — Forums vides, cirques déserts —
Par ces livides nuits où l’éclair sans tonnerre
             Fouille le silence des airs,

Ce qui des lacs de sel perdus parmi tes plaines
             Devant mon rêve s’exhala
Tandis qu’une aigle d’or, petite et si lointaine,
             Tremblait toute sur Djemila,

Ce qui, le long du roc tout ruisselant d’aurore
             Et formidable sous nos mains,
Nous apparut un jour brûlant et rouge encore
             De la pourpre et du sang romains,


N’est-ce pas, n’est-ce pas, terre des mosaïques,
             Leur grand visage radieux,
Leur visage divin, leur visage héroïque,
             Jardin des dieux, jardin des dieux !