Le Jeune Loys, prince des Francs/Tome I

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Alexis Eymery, Libraire (Ip. 5-195).

LE JEUNE LOYS,
PRINCE DES FRANCS,
ou
Malheurs d’une auguste Famille.


Depuis plusieurs, années Childéric reposait dans la tombe. Les Francs avaient idolâtré ce prince, qui, dans les premiers jours de son règne, montrant quelques éclairs de valeur, entraîna ce peuple belliqueux, ce peuple toujours avide de lauriers, sur les traces de la victoire. Extrême dans son amour ainsi que dans sa haine, ce même peuple éleva le nom de Childéric jusqu’au ciel. Mais bientôt fatigué des transports que sa présence excitait, le faible monarque s’abandonna aux maîtresses, aux flatteurs ; il ne s’inquiéta nullement des tributs[1] qui pesaient sur les Francs. Dépourvu d’énergie, il ne réprima ni les usurpations des grands, ni l’ambition du clergé, ni les exactions des hommes de guerre : incapable de remédier à aucun abus, il ne sut pas tenir dignement les rênes de ce vaste empire. Alors, l’indignation, le mépris, succédèrent dans le cœur de ses sujets à l’amour le plus vif ; il mourut… Au lieu de le pleurer, la multitude ne fit entendre que des cris de joie et de bruyantes acclamations : inutile leçon, qui est souvent la seule vengeance des sujets opprimés.

Après, ce règne sans gloire, Clodomir monta sur le trône. Ce jeune prince, que le sort ne destinait pas à porter la couronne, avait été élevé loin de la cour : il n’avait reçu de la nature et de l’éducation, que les vertus nécessaires à l’homme assez chéri du ciel pour ne pas ceindre son front d’un diadème : sans faste, sans ambition, sans orgueil, mettant son unique gloire à répandre des bienfaits, à rendre heureux les serviteurs qui l’entouraient, son ame vertueuse était livrée toute entière aux soins paternels, à l’amour qui l’unissait à sa belle épouse. Clodomir perdit un père adoré, et son malheur commença. Aussi lorsqu’on lui annonça la mort du roi, son aïeul, il s’écria : Quel malheur pour moi ! ô mon Dieu ! aidez à mon insuffisance !

Il s’imposa le devoir de travailler constamment à faire refleurir tout ce qui pouvait assurer la prospérité intérieure de ses états. Donnant le premier l’exemple de la simplicité, il réforma un luxe inutile et ruineux, et mit tout en usage pour ramener le règne des mœurs ; il se flattait que, par de sages mesures, il raffermirait la couronne chancelante dont il avait hérité ; que malgré les difficultés de sa pénible tâche, il coulerait des jours, sinon heureux, du moins tranquilles. Faire cesser les abus, les injustices, était l’objet de ses vœux ardens ; déjà il y parvenait, il ne demandait plus rien au ciel. Père fortuné, deux fils, une fille, assuraient encore sa puissance, et promettaient aux Francs une longue suite de rois. Mais, hélas ! qui peut compter sur la constante faveur du ciel ? Qui peut compter sur l’équité des humains ?

Théodoric, enfant de la plus belle espérance, donnait à ses augustes parens la douce assurance de se voir revivre en lui : reconnu pour le successeur de Clodomir, il était chéri des Francs ; chaque jour sa raison se développait ; son intelligence était au-dessus de son âge. Les Francs bénissaient le ciel, en songeant à la brillante perspective que ce jeune prince laissait entrevoir pour leurs neveux… Hélas ! pouvaient-ils compter sur cet avenir ? Faibles mortels ! vous laisserez-vous toujours entraîner à de trompeuses chimères ?… Vous parlez d’avenir ; eh ! pouvez-vous disposer du jour qui va naître ? Demain, dites-vous ! demain vous appartient-il ? Savez-vous si le destin vous en laissera jouir ? La mort n’est-elle pas toujours à vos côtés, près de vous ? sans cesse elle étend sa main décharnée pour saisir à chaque moment une nouvelle victime. Ah ! demain, aujourd’hui, tous les jours passent comme une vapeur légère ; le temps s’écoule et tout finit. Ainsi doit s’évanouir l’espoir des Francs.

Atteint d’un mal imprévu, cet enfant adoré, objet de tant de vœux, touche bientôt à l’instant où il ne restera de lui qu’une dépouille inanimée ; vainement les plus célèbres médecins sont mandés, le mal fait ’en peu d’heures de rapides progrès. La mère de Théodoric se fait illusion, se flatte seule qu’on pourra le sauver. Qui serait assez cruel pour la désabuser ?… Hélas ! elle ne le sera que trop tôt !

À genoux dans le sanctuaire, la belle, la noble Ingonde[2], épouse du vertueux Clodomir, s’adressait ainsi au maître de l’Univers : « Dieu puissant, rends-moi mon fils ! accorde Théodoric aux larmes de sa famille éplorée ! Si jeune, voudrais-tu le ravir aux Francs qui comptent sur les bienfaits de son règne, à son père, à moi sa mère infortunée ?… Cher enfant, je te perdrais ! »… Elle espère que le ciel daignera exaucer ses ardentes prières… À ses côtés, recueillie, les mains jointes, priait aussi la jeune Imma, Imma, l’amour et l’orgueil de sa mère, celle qui la première lui fit éprouver les joies et les douleurs maternelles… Inutiles vœux ! La mort a frappé son innocente victime. L’étiquette, ce tyrannique esclavage auquel les princes sont assujettis, condamne Ingonde à gémir loin de son fils. « Loi barbare ! disait-elle, tu prives une mère des dernières caresses de ses enfans, tu la prives de recevoir leurs derniers soupirs. Ceux qui t’établirent n’avaient donc point d’entrailles. Affreuse contrainte !… La voix défaillante de mon Théodoric m’appelle peut-être ?… ses regards mourans me cherchent sans doute… Déplorable mère ! l’ame de ton fils rejoindra les mânes de ses aïeux, sans que son visage glacé ait reçu ton dernier baiser et ton dernier adieu ! » Ses sanglots interrompaient ses tristes plaintes. Imma, trop jeune pour sentir l’étendue des peines de sa mère, oubliant de prier, jouait prés d’elle. « Elle joue, dit Ingonde, et son frère touche aux portes du trépas ! Heureux âge qui ne connaît de la vie que d’innocens plaisirs ! Puisses-tu, ma fille, mon Imma, couler toujours aussi paisiblement ton existence ! puisse un royal hyménée ne pas t’éloigner de cette terre chérie, de cette belle France, séjour de la gloire et de l’amour !… » Ses yeux sont fixés sur les mouvemens pleins de grâce, sur la beauté naissante de sa fille ; et cette aimable vue éloigne quelques momens les peines douloureuses qui déchirent son cœur maternel.

Fatiguée du silence qui l’environne, de l’isolement où elle se trouve, Ingonde cède à son impatience, et se dispose à braver la défense cruelle qui lui interdit la présence de son enfant : tremblante, elle franchissait le seuil de son appartement, lorsque son époux, la tristesse peinte sur son visage, paraît à ses yeux, précédé du jeune Loys. À cette vue son cœur se serre, sa respiration s’arrête, les sanglots l’étouffent : elle s’assied. Clodomir n’a point encore parlé ; cependant elle connaît tout son malheur.

« Madame, dit-il, en surmontant sa vive émotion, daignez embrasser Loys, prince des Francs » ! Alors il prend le bel enfant des mains de sa nourrice, le dépose sur les genoux de sa mère ; elle s’incline, baise le front charmant de son fils : ses larmes inondent sa blonde chevelure. Touché de sa douleur profonde, le monarque, le père, tâche de la calmer par de douces consolations. « Résignons-nous, Madame, ajoute le vertueux prince ; l’homme est ici bas pour souffrir : pour être les premiers des mortels, nous ne sommes pas exempts des maux, des souffrances attachées à la triste humanité. Souffrons, chère Ingonde, et soumettons-nous ». Elle relève ses beaux yeux vers son époux, et lit dans ses traits une religieuse résignation. Cependant, il est homme, il est père : mais la majesté royale l’oblige à surmonter les peines qu’il éprouve. Il s’efforce de dérober à ceux qui l’entourent, les regrets, les douleurs dont son ame est déchirée ».

« Cher Loys, fils de mon cœur, dit la tendre mère, en le pressant sur son sein ; le trône sera donc ton héritage ! ton destin en sera-t-il plus heureux ? Sans doute, loin de l’éclat qui doit t’environner un jour, ta carrière eut été plus paisible ; mais il le faut, tu seras roi : titre envié, souvent funeste. La couronne cache presque toujours un front sillonné d’ennuis. Obéissons pourtant sans murmure aux décrets éternels. »

De ses mains caressantes, le jeune Loys essuie les larmes qui baignent le visage d’Ingonde : par ses baisers, il cherche à dissiper sa douleur. « Maman, maman, ne pleure pas, dit-il de sa touchante voix. »

« Aimable enfant, le ciel ne m’a pas tout enlevé, puisque je possède encore mon Loys et mon Imma. » Alors les prenant tous les deux dans ses bras et les pressant de nouveau sur son cœur, elle ajoute : « Puisse le sort ne me pas condamner à l’horreur de vous survivre ! »

« Ingonde, dit Clodomir, je vous ai vu plus de courage : comme la vôtre, mon âme est remplie de douleur ; pourtant, j’ai imposé silence à mes regrets, et ma bouche est muette… »

« Ah ! Sire, pardonnez… pouvez-vous juger le cœur d’une mère ? pouvez-vous connaître jusqu’où va sa tendresse pour ces êtres chéris ?… Oui, je saurai me vaincre,… oui, je ferai taire mon désespoir… Cher époux, Ingonde vous imitera. »

Le royal enfant, à l’avenir, objet de toutes les sollicitudes, espoir de toutes les ambitions, s’endort sur les genoux maternels : pour ne point troubler son repos, le roi s’éloigne avec Imma.

« Dors, beau Loys, murmurait la tendre Ingonde, dors : puisse ton sommeil, pendant un long règne, être toujours aussi doux qu’aujourd’hui ! Grand Dieu ! sauve-le des complots que pourraient ourdir contre lui les pervers… Je ne sais, depuis quelques jours mon cœur est oppressé : ma triste imagination ne me présente que des alarmantes idées. Ah ! le malheur va fondre sur nous. Permets, grand Dieu, que les pressentimens qui m’assiègent ne Se réalisent jamais » !

Toute la cour est introduite chez la reine : les princes du sang royal, les grands vassaux, les évêques, les ministres, viennent rendre leurs hommages à l’héritier présomptif : tous adorent cet astre naissant, et tous sont animés par divers intérêts. Les uns comptent sur leur connaissance dans Part de la politique, et prétendent gouverner l’État si Loys monte jeune sur le trône ; les autres se flattent de parvenir par leur courage aux premières dignités de l’État ; les évêques se promettent de diriger à leur gré la conscience du futur monarque ; les courtisans mettront en jeu tous les ressorts de l’intrigue, pour profiter de ses faiblesses, et l’endormir au sein des voluptés ; le guerrier offre son sang, sa vie, et ne veut que la gloire pour prix de son dévouement. Louable ambition ! voilà celui qui mérite l’estime des peuples et des rois ! Couvert de blessures, ayant combattu pour son pays, pour soutenir l’éclat du diadème de ses souverains, il mérite que son nom, inscrit parmi les noms des héros, soit toujours révéré.

Au milieu de cette foule, on distinguait le duc Arnould, né du sang des rois ; ambitieux peut-être, mais déguisant sous des dehors légers la haine, l’envie, qui l’animaient contre le meilleur des hommes et le plus vertueux des monarques. Arnould s’approche, sourit d’un air altier : son orgueil est froissé d’être obligé de fléchir le genou devant cet enfant dont il déteste la race ; il s’incline seulement, et s’adressant à la reine :

« Madame, dit-il, Loys, votre fils chéri, est doublement heureux aujourd’hui. »

— « Que voulez-vous dire, Seigneur ? »

— « Qui n’envierait son destin, Madame ? Une couronne l’attend… ; il repose sur les genoux de la Beauté ».

— « Songez que ce langage ne peut plaire à une mère affligée, Seigneur ; la mort vient d’enlever mon autre fils à mes embrassemens ». Il se retire sans oser répondre à la reine.

Le jeune et bel Enguerrand s’avance, met un genou en terre, et saisissant la main du jeune prince des Francs, il la pose sur sa poitrine, en prononçant avec chaleur ces mots : « Fils dé Clodomir, je te jure de répandre, s’il le faut, tout mon sang pour te défendre et pour te protéger contre tes ennemis, s’il était possible qu’un ange pût en avoir. Reçois, Loys, reçois le serment que je fais !… »

« Enguerrand, dit Clodomir vivement ému, demande-t-on des sermens au fils des héros ?… ton sang lui appartient. Ne descends-tu pas d’une tige royale ? n’es-tu pas le petit-fils du sauveur de la France ? Toi, des sermens » !

« Sire, excusez ma jeunesse, ma franchise ; soldat, j’en ai peut-être la rudesse : j’éprouvais le besoin d’épancher mon cœur, et… pardonnez à mon orgueil, je voulais donner l’exemple à votre peuple. Puissent tous les Francs m’imiter » !…

La présence de la douce et modeste Élisène interrompt l’élan de cette ame ardente : en la voyant, le front du guerrier se couvrit d’une rougeur subite : elle venait la dernière offrir ses vœux à son cher Loys ; elle venait aussi, quand une cour frivole abandonnait les restes glacés d’un prince qui n’était plus, de prier à côté de ce cercueil délaissé, solitaire. Par cette touchante piété, elle enseignait aux esclaves dorés qui assiègent les trônes et les rois, que même après leur trépas, ils doivent encore des respects aux cendres de ceux qu’ils adorèrent pendant leur vie.

Partageant avec la reine les soins qu’exigent les enfans de son frère, Élisène s’applique à former leurs jeunes cœurs à la vertu ; tous les jours, elle leur apprend les devoirs que le ciel impose aux souverains ; elle leur fait connaître combien de calamités pèsent sur les peuples gouvernés par des princes dévorés du besoin de conquérir ; elle présente sous des couleurs effrayantes, à leurs tendres imaginations, l’horrible tableau d’un champ de bataille, et leur dépeint le carnage, la mort, les cris, le désespoir des vaincus. Quelquefois elle parle de la férocité des vainqueurs ; après, elle dit les douleurs d’une mère à qui l’on arrache ses fils. Émus par ces peintures touchantes, les yeux des enfans d’Ingonde sont mouillés de larmes. Ah ! s’écriait Théodoric, ce fils des rois dont on déplore la perte, ah ! je ne veux pas être conquérant… La bouche virginale et pure d’Élisène révélait alors à ses intéressans élèves les préceptes de la morale, les mystères sacrés de notre auguste et sainte religion, refuge et dernière consolation des infortunés. C’est ainsi que cette angélique princesse employait ses momens.

Renonçant à l’hymen, à l’amour, pour se dévouer uniquement à la famille de son frère, on eût dit une intelligence céleste descendue sur la terre pour protéger l’infortune, et faire le bonheur de ceux qui l’approchaient : elle était réservée encore, dans l’espace d’une courte vie, à offrir au monde, aux siècles à venir, le modèle sublime et touchant de l’amitié fraternelle.

Sa profonde tristesse, sa pâleur, émurent toutes les âmes : les courtisans, malgré leur légèreté, s’inclinent avec respect devant l’auguste fille des rois : tous s’éloignent en silence, voulant laisser les deux princesses exhaler en paix la douleur dont elles sont accablées.

« Chère sœur, dit Élisène, en affectant un air serein, cessons de gémir sur celui qui n’est plus ; pleurons plutôt sur nous, sur le destin de cet enfant adoré. Hélas ! qui peut savoir le sort qui nous attend ?… Les trônes, en apparence les mieux affermis, ont quelquefois été ébranlés. Je le répète : qui peut lire dans l’avenir ? »

— « Douce Élisène, craindriez-vous pour Clodomir ? qui, vous ? pourriez-vous douter de la bonté du ciel ? »

— « Ingonde, chère Ingonde, le sort a cessé d’être favorable à notre famille, il nous menace ; peut-être touchons-nous au moment de l’entière destruction de cette race de rois, que l’univers admire, respecte depuis tant de siècles : ma sœur, le temps n’est pas loin où le courage nous sera nécessaire ! Le premier chaînon du malheur qui va nous poursuivre vient de se rompre : nous sommes dévoués à l’infortune, aux douleurs, aux affronts… La main de fer de l’implacable destin va s’appesantir sur nous ! »

— « Qui pourrait vous avoir révélé le secret de nos futures infortunes » !

— « Dieu, et la tombe de ma mère. »

— « Expliquez-vous, Élisène. Hélas ! se pourrait-il que votre imagination n’eût pas été le jouet d’un songe imposteur ? Cependant cet air de persuasion que je remarque en vous, jette l’effroi dans mon ame, et la glace de terreur. »

« Pourquoi s’affliger d’avance, chère Ingonde ? Le ciel n’a peut-être voulu que nous éprouver, que nous avertir de songer à notre salut, en nous menaçant de pertes cruelles, si nous nous éloignons du sentier étroit de la vertu, et de la religion. »

« N’importe ! Éliséne, faites cesser mon incertitude. »

— « Pardonnez, ô reine ; ma faiblesse vient de vous instruire d’un secret que mon cœur renferme depuis plus de trois années ! pourquoi ne l’ai-je pas toujours gardé dans mon sein ? »

— « Ma sœur, reprend Ingonde avec dignité, c’est en connaissant les maux qu’on peut y chercher un soulagement. Expliquez-vous ; ne craignez rien pour moi : vous verrez que, si le sort me désignait pour victime, je saurais supporter sa rigueur… les fers, et même la mort. Grand Dieu ! je l’atteste : si mes {{sic2|enfans} me survivent, je puis tout endurer. Enfin, qui peut vous alarmer sur notre sort à venir ? »

— « Vous devez, Ingonde, vous rappeler que, long-temps après la mort de mes illustres parens, je conservai une tristesse profonde. Combien de fois votre tendre amitié ne me sollicita-t-elle point de vous en confier les motifs ! Je résistai toujours, espérant que ces avertissemens n’étaient que l’effet d’une imagination fatiguée, mélancolique… J’allais donc tous les jours prier sur la tombe de mes pères, les suppliant d’écarter les malheurs qui nous menaçaient… La première fois que ce songe vint m’assaillir, j’y fis peu d’attention : je l’avais même oublié, lorsque le jour où le ciel vous rendit mère de Loys, distraite par les devoirs de mon rang du pieux office d’aller au tombeau de ma mère, je ne pus le visiter que vers la nuit. Tremblante, Incertaine, je parcourais cette longue voûte souterraine où reposent les cendres de tant de rois : agitée comme une feuille poussée par le vent, je n’osais arrêter mes regards sur ces tombeaux encore décorés d’une pompe royale. Fugitive grandeur, me disais-je, tu ne sauves point de l’irrévocable loi du destin.

À quoi servent ces vains attributs ? Ils couvrent une poussière insensible !… on y trace avec orgueil le nom de ceux que le cercueil renferme… Mais, si un mortel profane osait y porter un œil avide, à peine y trouverait-il quelques ossemens desséchés !… L’orgueil peut-il survivre à l’entière destruction ?… L’ame remplie de tristes idées, réfléchissant au sort qui depuis long temps persécute notre famille, je songeais à la fin prématurée de plusieurs fils de rois : hélas ! disais-je, leur mort fut-elle bien naturelle ? La cruelle ambition n’a-t-elle pas terminé leur vie à son aurore ?… Ô mon père ! aurais-tu été frappé par une main criminelle ?… Mes pleurs coulaient à cette affreuse pensée : ma tête appesantie reposait sur le marbre qui couvrait leurs restes glacés : soudain, un orage violent éclata, le vent soufflait avec force dans ces galeries ténébreuses. Épouvantée, j’allai me réfugier à l’ombre de l’autel, et j’attendis alors sans effroi la fin de la tempête. Bientôt la chaleur, la fatigue, m’accablèrent ; je m’endormis… oui, ma sœur, je m’endormis sur des tombeaux… Hélas ! mon sommeil se ressentit de mon agitation, et du lieu où je me trouvais. Un songe pénible déroula devant moi le plus funeste avenir… Je croyais traverser rapidement, sans secours, sans appui, une plaine aride, sablonneuse ; mes pieds ensanglantés pouvaient me soutenir à peine : vos fils, chère Ingonde, me suivaient en chancelant. Tout-à coup cette triste course est interrompue par une foule d’hommes, de femmes, qui se précipitent vers nous en poussant des cris aigus, discordans ; les barbares veulent nous séparer… Je saisis vos enfans dans mes bras, je les défends contre ces furieux… Ils me les arrachent… Je crus malgré le sommeil qui s’était emparé de moi, que mon cœur se détachait… Je sentis une douleur inexprimable. Quelle doit être celle d’une mère !… Après mille efforts impuissans, désespérée, je tombai sur la terre en implorant le ciel… Mais, un autre objet réclama mes secours ; il venait près de moi, et ce touchant objet,… c’était mon frère, mon frère, entouré de bourreaux qui l’outrageaient… En vain quelques braves[3] s’opposaient à leur férocité, ils tombaient sous leurs coups, et le sang ruisselait de toutes parts… J’accours, je lui fais un rempart de mon corps. Ces hommes… ou plutôt ces tigres, semblaient n’attendre qu’un signal pour dévorer leur proie… Dans l’ombre, je crus apercevoir une figure dont le rire infernal paraissait jouir de nos souffrances : sa main reposait sur un crâne hideux ; sur son front, je lus écrit en traits de sang : vengeance. Devant lui, le sceptre, le diadème des rois étaient tombés ; il les foulait aux pieds d’un air triomphant : il nous regarde alors, donne un signal… Tous ces monstres sans pitié se jettent sur nous avec furie, et nous égorgent… vous, Ingonde, votre fils et la malheureuse Élisène… Ô mon frère ! avec quel calme religieux, tu reçus le coup mortel ! quelle noble résignation ! Semblable à la victime purifiée, ornée de bandelettes, ton front calme et pur en imposa à ces cruels ; en-te frappant du fer meurtrier, tremblans plus que toi, ils détournaient la tête !… Vertueux Clodomir, ton ame, au moment où elle fut séparée de ce corps fragile, fut reçue par des anges : elle s’éleva vers le ciel, escortée par des esprits célestes. Oui, des anges vinrent la recevoir sur leurs ailes brillantes : un rayon de lumière traça jusqu’au trône de l’Éternel la route de la victime sans tache. La douce Imma resta seule, au milieu des corps ensanglantés de ses malheureux parens. Saisie d’épouvante, d’horreur, je m’éveillai. Cette vision pénible s’était insensiblement effacée de ma mémoire ; je l’avais chassée, elle avait fui… Il y a deux nuits, elle est revenue m’assiéger avec plus de force. Bien plus, j’ai cru entendre une voix formidable me crier : Le premier né de Clodomir va précéder dans l’éternelle nuit sa déplorable famille : Élisène, le malheur va s’appesantir sur toi ; ta race sera détruite ! Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, et je restai suffoquée par les sanglots… Tel fut cet épouvantable songe. »

— « Élisène, votre récit m’a troublée : mais Dieu n’a-t-il pas toujours protégé la race antique de Clodomir ? Pourquoi l’abandonnerait-il à présent ? Clodomir n’est-il pas le plus vertueux des monarques ? Que de bienfaits n’a-t-il pas répandus ! Non, le ciel ne nous abandonnera point ! Où les Francs trouveraient-ils des princes qui les aimassent davantage ? Chère Élisène, un songe, une illusion, doit-elle nous alarmer ? Votre imagination vous aura frappée. »

— « Ma sœur, je le voudrais. »

— « Vous m’effrayez ! Auriez-vous appris quelque trahison contre un frère, contre sa couronne ? »

— « On m’a dit que le peuple murmure en secret ; que fatigué du joug de la noblesse et des évêques, il prétend le briser en les exterminant… On nomme Arnould. »

— « Arnould ! hélas ! sa cruelle audace vient de blesser mon cœur ; son sourire a jeté l’effroi dans mon ame. Comme il regardait mon fils ! j’en suis tremblante encore ». Clodomir entra, et mit fin à cette conversation.

Rentré dans son palais, le fier Arnould, le regard sombre, le front soucieux, fait appeler Grimoald son confident. Resté seul avec cet homme, il exhale d’un ton véhément les transports de sa haine : « Tu ne penses pas, cher Grimoald, dit le duc, que je sois nullement touché de la douleur de la reine ?… Enfin, le sort commence à me servir : un de plus, et je touche aux pieds du trône… Bientôt… vous surtout, Ingonde ».

« Pardonnez, Seigneur, si je détruis le rêve qui vous égare ; mais, il est loin encore ce trône où vous aspirez ! Clodomir existe ; et ne lui reste-t-il pas un fils ? La mort peut, il est vrai, frapper d’un instant à l’autre ce jeune enfant qui vous éloigne de la couronne ; enfin, pourquoi vous abuser ? Le roi n’a-t-il pas des frères ?… »

« Est-ce toi, Grimoald, qui me parles ainsi ? toi, dont les conseils ont échauffé mon ame, ont éveillé mon ambition ? C’est toi qui me parles d’obstacles ? Ne m’as-tu pas fait sentir qu’il ne serait pas Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/39 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/40 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/41 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/42 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/43 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/44 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/45 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/46 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/47 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/48 Page:Gottis - 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Ils sont à plaindre, ceux qui voient sans émotion les souffrances de leurs semblables ! C’est trop discuter, duc ; le hasard m’a fait connaître la position déplorable de cette triste famille : J’y prends le plus vif intérêt ; j’intercède pour ses enfans ; je vous supplie de me rendre leur père… »

— « Puis-je vous rien refuser, Princesse ? Commandez, les fers de cet homme tomberont à l’instant… Si j’avais su que Votre Majesté daignât jetter un regard de bonté sur lui, eût-il commis un forfait, il n’aurait point été puni !… Reine, Arnould est trop heureux de vous obéir… »

— « Ce n’est donc qu’à la majesté royale que vous accordez la vie de ce malheureux ? et la compassion n’y entre-t-elle pour rien ? Vous avez été trompé, j’en suis certaine : je ne pense pas qu’il ait fait résistance ; vos officiers ont abusé de leur pouvoir, et pour n’être pas répréhensibles, ils auront peint son crime prétendu sous d’odieuses couleurs ; mais, je me flatte que vous en croirez ma parole ; je réponds de lui. Me permettez-vous de vous faire rendre un nouveau compte de cette affaire ? » — « Oui, Madame ; puisque vous desirez qu’il revoie ses enfans, daignez permettre que j’en signe l’ordre à l’instant : les vœux que forme votre belle ame doivent être exaucés sur-le-champ. Si tous les misérables avaient une si touchante protectrice, quel juge pourrait de sang froid les condamner ? »

— « Arnould, seriez-vous devenu flatteur ? ». En terminant ces mots, elle lui remit du papier, et le duc, transporté d’amour, signa l’ordre de rendre Hilaire à sa famille.

— « Je n’éprouve qu’un seul regret, Madame, dit-il en se posant sur la table, c’est que vous ne m’ayiez pas mis à une épreuve plus difficile. Qu’il me serait doux de prouver à la belle Ingonde, qu’elle peut disposer de moi, de mes actions et même de mes pensées ! »

— « Je ne demande pas à disposer des ames ; mais si je souhaitais cette puissance, j’envierais de ramener celle d’Arnould à des sentimens plus doux. On le calomnie ; on cherche à nous inspirer de la défiance contre lui ; on l’accuse de détester Clodomir… Clodomir si vertueux, si bon !… On ajoute encore, pour le noircir davantage, qu’il aspire à la suprême puissance. Voilà, Seigneur, quels sont les bruits répandus sur vous ! »

— « Moi ! moi, Madame, s’écrie-t-il, en pâlissant, on m’accuse de tant d’horreurs ! »

— « Remettez-vous, Arnould, nous ne les croyons pas. Ce serait être trop malheureux que de se défier de ceux dont est entouré, et de vous surtout, Seigneur, qui êtes le parent, l’allié de Clodomir, et qui descendez des rois, de son sang. Non, je le répète, nous ne croirons pas que vous détestiez Clodomir. »

— « Madame, l’envie s’acharne, contre moi, dit-il en se remettant, moi qui donnerais ma vie, mon sang pour Ingonde et sa noble famille » ! — « Je vous crois ».

— « Faut-il vous le dire, Madame ? eh bien ! jugez si ces traits sont fondés. Comment détesterais-je Clodomir, puisque j’aime de toutes les forces de mon ame un objet qui lui appartient ? J’adore celle qui fait l’ornement de la cour, celle qui donne chaque jour l’exemple des vertus les plus modestes et les plus touchantes, celle que tout un peuple chérit, révère ; mais, hélas ! je ne suis point aimé — « Avez-vous déclaré votre amour » ? — « L’oserais-je ! Ses regards ont tant de majesté ; son front a tant de noblesse et de fierté ! Je ne peux que gémir, et dévorer mon amour en silence… »

— « Je connais celle que vous aimez, par le portrait que vous venez de me tracer ; la passion dont vous brûlez, vous a rendu timide : vous avez craint de rencontrer des obstacles insurmontables… »

— « Oui, Madame, insurmontables, dit-il, d’une voix sombre. »

— « En est-il pour un attachement sincère, répond Ingonde avec un doux sourire ? »

— « Charmante reine, répond Arnould, en saisissant sa main et la portant à ses lèvres, auriez-vous pitié de mon triste sort ? »

— « Arnould, vous n’avez pas été insensible à ma prière, mon cœur généreux s’est laissé toucher : je le vois, on ne doit pas craindre de vous confier une existence à laquelle nous attachons notre bonheur. Eh ! que peut-on vous objecter ? N’êtes-vous pas du sang des rois ? Vos ancêtres furent aussi ceux de Clodomir : le trône appartenait à la branche aînée ; ainsi ce n’est qu’un caprice du destin qui s’opposa à la grandeur de vos aïeux ». — « Arnould, votre amour ne sera pas dédaigné, je le crois : vous avez dans Ingonde une protectrice qui n’oubliera pas vos intérêts. Je me flatte de pouvoir vous annoncer une heureuse issue : espérez, duc, espérez. »

Enivré par ces douces promesses, il saisit de nouveau la main de la princesse, et dans son transport, la presse sur son cœur et sur ses lèvres : Ingonde sourit.

— « Je vous ferai avertir lorsqu’il en sera temps, lui dit-elle : espérez, voilà votre devise ».

L’heureux Arnould en retournant au palais, imagina être le jouet d’un songe. Quoi ! pensait-il, serait-il possible qu’elle pût partager mon ivresse ! Quoi ! ses yeux charmans me fixeraient avec amour ! J’entendrais cette voix qui fait vibrer les cordes de mon ame, me dire : Je vous aime ! Ô bonheur ! bonheur que je payerais de ma vie ! Ne m’a-t-elle pas dit : Espérez. Elle a dû lire mon ravissement dans mes regards… Mais, n’ai-je pas osé le lui dire ?… A-t-elle repoussé cet aveu ? Elle souriait… Que ce sourire l’embellissait !… Une femme se trompe rarement aux sentimens qu’elle inspire ! Ingonde trop chère, ah ! pardonne : j’ai voulu faire couler tes pleurs !… Fatale ambition, éloigne-toi ! Je le sens, un trône serait trop acheté, s’il t’en coûtait seulement une larme !… une seule ! qu’elle soit recueillie par ma bouche brûlante ! C’en est fait ! Je renonce à ces funestes projets. Être aimé d’Ingonde !… je ne vivrais désormais que pour elle !… Espérez. Mot charmant ! »

Grimoald l’attendait : en le voyant, Arnould ne put cacher un mouvement de surprise : il sent qu’il ne peut lui faire un mystère de la demande de la reine. Tout entier à son amour, il ne voudrait pas que le sévère Grimoald fût instruit de ses espérances : il craint ses réflexions : il sait trop qu’il n’abandonnera pas aisément ses projets. Arnould heureux, Arnould aimé, y renonce sans regret. Comment oser le lui dire ? comment sortir du labyrinthe où sa faiblesse l’a entraîné ? Grimoald fixe sur le duc un regard scrutateur : habitué à lire dans son ame, il s’aperçoit de son trouble, de son indécision : maître de lui-même, il commande à sa curiosité, bien assuré qu’Arnould fatigué du silence qu’il est contraint de garder, sera le premier à l’instruire de ce qu’il brûle de savoir.

Après avoir parlé de choses indifférentes, la conversation était terminée. Ennuyé du calme de son ami, Arnould se décide sur-le-champ à lui faire part de ce qui vient de lui arriver. Grimoald, dit-il, vous n’êtes guères curieux de savoir le résultat de ma visite chez Ingonde : je suis ici depuis long-temps, et je n’ai aperçu chez vous aucun mouvement qui pût me faire penser que vous désiriez le connaître. Je suis heureux ! que pouviez-vous craindre ? Vous pouviez m’interroger : je ne m’en serais pas offensé !…

— « Vous êtes heureux, Prince ?… le respect me le défendait ; et la distance qui nous sépare ne le permet pas : j’attendais que vous daignassiez me faire part de cette entrevue. »

— « Laisse là le respect ; tu es mon ami, je le crois… il n’en doit plus exister entre nous !… »

— « S’il est ainsi, je vous supplie de satisfaire ma vive impatience ! Que voulait-elle ? que désirait-elle ? »

— « Ingonde m’attendait : quelle était belle ! Après m’avoir fait signe de m’asseoir près d’elle, elle m’a prié de lui rendre cet Hilaire, que ton imbécille d’intendant fit mettre aux galères, il y a trois mois environ. Je lui ai accordé sur-le-champ sa demande. Il m’était si doux de lui obéir ! Ah ! que l’humanité avait de pouvoir sur mon cœur, en passant par sa bouche éloquente ! Que son regard avait de douceur ! Je te l’avoue, en voyant la chaleur avec laquelle elle m’implorait ; en voyant son anxiété, je désirais le sort de ce Bertrand ; j’eusse été plaint par elle. En effet, son destin doit être envié, son nom a été prononcé par Ingonde. Ses yeux charmans ont versé des larmes sur ses malheurs ! Lorsque j’ai eu signé sa grâce, elle a daigné me remercier : pleine de confiance en ma loyauté, elle m’a ouvert son ame, m’a parlé des bruits répandus sur moi. On m’assure, a-t-elle ajouté d’un ton de voix plaintif, que vous haïssez Clodomir : nous ne le croyons pas. J’ai fait mille protestations du contraire ; je le devais. Vous le voyez, Grimoald, la cour a déjà quelques indices contre moi. Je suis résolu à renoncer à ces chimères de grandeur qui ne peuvent que déshonorer mon nom, et me conduire à une mort infamante. Car, n’est-ce pas mourir ignominieusement, que périr avec le nom de traître à son pays ? Que vous dirai-je ! J’ai parlé de mon amour ; j’ai été écouté sans colère. »

— « Vous avez déclaré votre amour, Seigneur, » s’écrie Grimoald ! — « Admirez mon bonheur. Ingonde, loin de s’offenser, a souri à mon aveu ; elle m’a interrogé sur les progrès de ma passion, sur sa violence. En me quittant, elle m’a tendu la main, et m’a dit : Espérez, Arnould ! bientôt vous saurez ma réponse ». En faut-il davantage pour m’enivrer des plus doux transports, et pour me mettre au comble de la joie… »

— « Si ce n’était pas le duc Arnould qui m’assurât ce que je viens d’entendre, j’en conviens, je ne pourrais penser que la vertueuse reine des Francs eût reçu l’aveu d’une flamme adultère, sans rougir et sans indignation… Mais, vous me l’assurez ; je dois y croire. »

— « Sans doute, tu dois être fort surpris ; moi-même j’ai besoin de me rappeler ses paroles, pour ne pas me croire le jouet d’une illusion ».

— «Si vos traits, votre voix n’exprimaient la joie la plus vive, je craindrais que vous ne vous fussiez abusé. »

— « Peux-tu croire qu’un amant puisse se tromper ? penses-tu qu’il n’épie point l’expression du visage de celle qu’il adore ? Rien ne m’est échappé ; j’ai démêlé son trouble, son embarras… Je le répète encore, la belle Ingonde n’est pas insensible à mes vœux. »

— « Je le désire. Mais, Seigneur, pour un coup-d’œil favorable, vous parlez déjà d’anéantir l’entreprise glorieuse que nous avions conçue !… Croyez-vous que les chefs que nous avons séduits, se laissent, sans murmurer contre vous, trahir, et tromper leur espoir ? Que n’oseront-ils pas ? qui sait jusqu’où leur colère peut les entraîner ? N’était-ce point pour vous faire monter sur le trône avec Ingonde, qu’ils vont encourir la haine du peuple et celle de l’univers ? Que leur reviendra-t-il de leurs complots ? Etes-vous le maître de les abandonner ! L’honneur qui doit se faire entendre à votre ame vous impose la loi de partager les périls où vous les avez entraînés. Si le précipice est ouvert, vous devez y tomber avec eux ; telles sont vos promesses. Mais êtes-vous le maître de renoncer, quand il vous plaît, à la gloire de les commander ? Sera-t-il dit qu’Arnould s’est laissé guider par un fol amour ? Non, non, il doit se vaincre, et se montrer dévoué à ceux qui l’ont appelé à leur tête, à ceux qui se sont rangés sous son étendard, sous l’étendard de la rébellion. Vous ne pouvez plus reculer ; montrez-vous digne d’acquérir le titre glorieux de libérateur de la France, de votre pays. »

— « Tu veux inutilement, Grimoald, m’entraîner dans l’abîme. Elle m’aime : je ne suis plus l’ennemi de son époux ; je veux, je serai le défenseur de l’autorité royale. Assez long-temps je me suis écarté de ce devoir pressant : ai-je besoin d’une couronne pour lui plaire ? »

— « Seigneur, j’ai répondu de vous à nos amis. »

— « Il fallait répondre pour toi seul, lui répond Arnould, en lui tournant le dos. Laisse-moi, ajoute-t-il ; j’ai besoin d’être seul. »

Grimoald se retire, la rage au fond du coeur.

Cependant l’aimable Ingonde, impatiente de rendre au bonheur la famille qu’elle protège, veut lui porter elle-même l’ordre qui lui rend un époux, un père. Elisène est avertie ; on se rend à la chaumière où celles qui l’habitent sont loin de soupçonner que ce jour doit finir leurs chagrins.

Les princesses descendirent de leur litière, à peu de distance du village : un pâtre leur servit de guide jusqu’à la porte de la femme d’Hilaire. Hélène filait, tenant un enfant endormi sur ses genoux ; tout interdite, la pauvre fille balbutia quelques mots qu’Ingonde n’entendit pas.

— « Ne t’avais-je pas promis, mon enfant, dit la reine, de venir bientôt voir ta pauvre mère ? Nous voici. Conduis-nous vers son lit ; je pense que la nouvelle que j’ai à lui annoncer doit la guérir. »

— « Madame, elle dort, je vais la réveiller. » — « Non, non, Hélène : nous attendrons. »

La villageoise leur donne des sièges ; la reine des Francs et la fille des rois se reposent sous l’humble toit d’une chaumière, en attendant le réveil d’une infortunée qu’elles viennent rendre à la vie, à la paix. Temps heureux que celui où les princes ne dédaignaient point de visiter la triste demeure des pauvres ! Alors ils étaient adorés… alors on apercevait moins la distance qui sépare l’homme obscur du trône des souverains ; on bénissait leur bonté, leur sollicitude paternelle ; on ne craignait point de leur adresser des plaintes ; ils n’y étaient point insensibles, puisque leurs yeux quelquefois avaient été témoins des larmes que le malheureux verse dans l’isolement et le silence. Aujourd’hui, tout ce qui les entoure ne respire que le luxe et l’opulence ; leurs âmes s’endurcissent aux misères des peuples qu’ils gouvernent : de l’or, toujours de l’or… Leurs cœurs sont glacés par la flatterie, l’égoïsme de leurs courtisans ; jamais on ne les entretient des maux qui affligent les mortels ; bientôt ils dédaignent, ils méprisent les hommes : ces hommes à leur tour ont appris, ont connu la force de leurs droits. Ils exigent dans leurs maîtres, des vertus, du courage, de la magnanimité. S’ils ne possèdent point ces brillans avantages, les diadèmes ne leur en imposent plus !

Hélène, toujours chargée de son jeune frère, allait de temps en temps regarder si le sommeil de sa mère durait toujours : impatiente de faire attendre les belles dames, elle se détermine à l’éveiller doucement.

« Ma mère, ma mère, dit-elle, voici des dames qui viennent vous voir. Pouvez-vous vous lever un peu ; car elles sont là depuis très-long-temps, et doivent bien s’ennuyer ? »

Le mouvement qu’Hélène lui a donné, sa voix, l’ont tirée de son assoupissement :

« J’y vais, répond la pauvre mère, prie ces charitables dames de m’attendre encore un peu. Je me lève dans l’instant. »

— « Non, s’écrie Ingonde, non, restez, pauvre mère, je vais auprès de votre lit, et là nous causerons. »

Elle s’approche ; la malade la considère, et dit avec autant de vivacité que ses forces le lui permettent : — « Juste ciel ! ô mon Dieu ! je ne me trompe pas. C’est la Reine, c’est elle ! C’est l’ange des infortunés qui est venu à notre secours ! »

Elle veut descendre de sa misérable couche pour tomber à genoux ; Ingonde la retient et la repose sur son lit.

— « D’où vient votre surprise ? Le ciel ne m’a placée sur le trône que pour être la mère des malheureux. Calmez-vous ! »

Hélène et les enfans tombent à ses pieds, joignent les mains, en disant : Bonne Reine, nous rendrez-vous notre père ?

— « Oui, oui, mes pauvres petits. Tenez, en voici l’ordre. Hélène, tu porteras cet écrit à l’intendant d’Arnould ; tu lui diras que la Reine et le Duc ordonnent qu’Hilaire Bertrand soit mis en liberté sur-le-champ. Quant à vous, je vous promets d’avoir soin de votre sort, mes bons enfans. »

La femme d’Hilaire ne pouvait croire ce qu’elle voyait ; elle doutait que ce bonheur fut réel. Lorsque la Reine lui donna le papier qui contenait la mise en liberté de son mari, elle ne put proférer une parole ; ses larmes furent les interprètes de ses pensées.

Les princesses, après cette bonne action, laissèrent à la chaumière des secours proportionnés aux besoins de ces bonnes gens. Ingonde promit de revenir dans peu de temps. Hélène et ses frères les accompagnèrent jusqu’à leur litière, en adressant au ciel et aux princesses mille actions de grâces. C’est ainsi que tous les souverains devraient employer leurs loisirs.

— « Vous voyez, chère Elisène, dit Ingonde, lorsqu’elles furent rentrées au palais, combien il en coûte peu pour remédier aux peines les plus amères : que la présence des rois sèche de larmes ! Un seul mot de leur part arrache souvent un mortel au désespoir. Ah ! si la couronne est pesante quelquefois, combien de douceur souvent elle procure ! Est-il rien de plus flatteur que de pouvoir changer en l’avenir le plus riant le sort d’un infortuné ? Un bon roi, sur la terre, n’est il pas l’image de la divinité ? tous les vœux sont pour lui. Heureux s’il peut se dire : On m’aime ; mais j’espère l’avoir mérité. Elisène, cet Arnould qu’on accuse n’est pas si méchant. À peine avais-je témoigné le désir de rendre cet homme à sa famille, que sans examiner si ma prière était juste, il m’a signé l’ordre que je sollicitais. Je le répète, il n’est point méchant. Enfin, qui sait, si son sort était lié à celui d’une épouse aimable, douce, à qui l’humanité fût chère, qui pût lui donner l’exemple des mœurs ; qui sait s’il ne serait pas possible de le tirer de ses égaremens ? Êtes-vous de cet avis, ma sœur ? »

— « Reine, je ne sais pas lire dans l’avenir. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’il aura cru de sa Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/120 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/121 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/122 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/123 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/124 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/125 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/126 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/127 Page:Gottis - Le Jeune Loys, prince des francs ou Malheurs d'une auguste famille, Tome I, 1817.djvu/128 Page:Gottis - 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— « Je pèserai froidement, Seigneur évêque, les discours que je viens d’entendre. Si le roi ne veut pas réparer aux yeux des grands l’injure qu’il m’a faite, alors… vous aurez ma réponse. Jusque-là, je ne puis m’engager. Je ne vous recommande point le secret ; notre sûreté commune en dépend. Je vous quitte, Seigneur ». Il s’éloigne laissant le prélat étonné.

Ce n’était pas le sang qui parlait dans le cœur d’Arnould, et qui criait en faveur de Clodomir : c’était l’indécision de son caractère. D’ailleurs, pouvait-il s’engager sans consulter son digne confident ? Et puis, l’amour, l’espoir qui naissait dans son ame, tout lui disait qu’il ne devait pas se liguer avec les ennemis de celle qu’il aimait.

Tourmenté du désir de se venger de Clodomir en portant le trouble dans l’ame de la reine, en s’en faisant aimer, il veut encore lui inspirer de la haine pour son époux ; transporté de fureur, il se rend au palais, espérant que la vue d’Ingonde dissipera l’amertume dont son cœur fut abreuvé. Là, il attend que la foule des courtisans se soit éloignée : alors il s’approche, voulant connaître le sort qu’elle lui réserve, et mettre un terme à l’anxiété qu’il ressent depuis leur dernière entrevue. Sa figure pâle exprime les sentimens qui l’agitent : la reine, de son côté, éprouve un mouvement d’effroi, lorsque ses regards se portent sur lui ; mais, se remettant de son trouble, elle lui fait signe de s’approcher d’elle. Heureux, il s’empresse d’obéir.

— « Auriez-vous quelques peines secrètes, Seigneur, dit-elle ? Vous êtes triste… : vos amis ne peuvent-ils les partager ?… Pourquoi leur laisser ignorer vos chagrins ? Ils ont droit de se plaindre… Contez-moi vos déplaisirs. »

— « Madame, le roi, au milieu du conseil, m’a reproché ma négligence envers mes vassaux ; cependant, devais-je, après la promptitude que j’avais mise à me rendre à vos ordres, devais-je m’attendre à ce sanglant affront ?… Je l’avoue, de tout autre, ma fierté en eût réprimé l’amertume ; mais il est roi, il peut abuser de son pouvoir… Ce poids m’oppresse… il est là. Sans vous, Ingonde, sans vous… que n’eussé-je point fait… ? »

— « Arnould, si Clodomir a pu vous blesser, oubliez ses torts, je vous en supplie : puis-je espérer que votre reine, que votre amie, ne vous aura pas en vain exprimé ses prières ?… Effacez de votre mémoire les mots qui purent vous offenser : vous connaissez le roi, sa brusque franchise ; mais vous savez aussi combien il regrette bientôt d’avoir pu causer quelque peine à ceux qui l’entourent ; il va sous peu de momens réparer ses torts envers vous ; j’en suis certaine. Je rentre dans mon cabinet, je désire vous parler sans témoins, et vais donner l’ordre que nous ne soyions pas interrompus. »

Elle lui fait un salut gracieux, et s’éloigne.

Arnould, enivré d’un si doux accueil, ne doute plus du bonheur qui l’attend : plus de projets ambitieux, plus de haine ; l’amour s’est de nouveau emparé de tout son être. Adieu, couronne ! adieu, amour d’une vaine renommée ! L’idée des plaisirs qu'il se promet l’occupe tout entier ; il attend sans inquiétude l’instant heureux qui va le rapprocher d’Ingonde.

On l’avertit. Au battement de son cœur, à sa vive émotion, il sent trop combien la reine lui est chère. Il entre ; Ingonde le reçoit avec un léger embarras : « Asseyez-vous, duc Arnould, dit-elle les yeux baissés, et la rougeur sur le front ; j’ai besoin de causer avec vous. Je comptais… j’espérais vous donner une réponse favorable… ; mais, je ne suis pas heureuse en conjectures… Préparez votre courage… celle que vous aimez a fait un choix : son cœur est engagé pour la vie ; elle ne peut répondre à votre amour »…

— « Je le savais, Madame ». — « Vous le saviez ! qu’espériez-vous donc ? dit-elle en levant ses beaux yeux sur lui ? » — « Je voulais seulement l’adorer. Est-ce un crime, Madame ?» — « Non. » — « Je voulais encore lui en donner des preuves toute ma vie et lui demeurer fidèle jusqu’au tombeau. » — « Comment ! et si elle en refuse les témoignages ! » — « En jurant à vos pieds, à vous, Ingonde, un entier dévouement ; même à votre époux, à vos fils, à votre famille… » — « Généreux Arnould, je voulais vous approcher plus près du trône, en vous donnant sa main ; mais un refus positif… » — « Sa main ! s’écrie-t-il, en tombant à genoux, et saisissant celle de la reine ! sa main ! Divine Ingonde, répétez encore ce mot délicieux ! ce mot si doux à mon oreille charmée… »

— « Seigneur, dit la mère de Loys avec fierté, votre amour vous égare ; vous oubliez dans vos transports, le respect que vous devez à votre reine, à l’épouse de Clodomir. » — « Eh ! comment pensez vous que je puisse l’oublier, Madame ? ne vous vois-je pas chaque jour prodiguer de douces caresses à vos fils, à ceux de mon rival, de cet odieux Clodomir ?… » — « Grand Dieu, s’écrie Ingonde épouvantée, qu’ai-je entendu ? fais que je puisse m’abuser, ô ciel ! et que cet horrible aveu ne soit qu’un songe ! Mère, épouse, j’ai pu inspirer de criminels désirs ! Tant de titres au respect ne m’ont pas sauvée de l’horreur de les entendre ». — « Quoi ? Madame, rejeteriez-vous mes vœux ? rejeteriez-vous mon brûlant amour ? » — « Avez-vous pu croire que je l’aie accepté, duc Arnould, e le rejète aujourd’hui… Toujours !… » — « J’ai pu penser, Madame, que mes vœux avaient trouvé grâce devant vous, lorsque vous m’avez dit : Espérez, Arnould, espérez. » — « Je l’ai dit, il est vrai. Je n’ai pas dû imaginer qu’un sujet eût l’audace de me déclarer un amour qui offense ma gloire ! je croyais que la douce Elisène était l’unique objet de cette passion si vive. Quant à moi, elle m’indigne. Arnould devait ne pas oublier que je suis femme, et mère de roi ! » — « Puisque vous dédaignez mes sentimens, Madame, choisissez un ami, ou un ennemi implacable : je vous adore depuis le premier moment où je vous ai vue ; ne pouvant alors me flatter de vous toucher, je cherchai dans les plaisirs une distraction à ce penchant impérieux, irrésistible. Peine inutile ! Aux pieds des beautés les plus célèbres, dans leurs bras même, Ingonde, la belle, la noble Ingonde m’apparaissait parée de ses touchans attraits : je chassais cette image chérie, sans cesse elle revenait plus aimable et plus belle. Fatigué de combattre vainement, je m’écriai : C’en est fait ; laissons-nous entraîner… adorons-là ; le temps peut apporter quelque soulagement à mes cuisantes peines. Il est venu ce jour, Madame. Vous connaissez ma puissance ; je commande l’armée : je vous l’ai dit, un ami dévoué, soumis, ou bien un ennemi que rien (pas même un amour tardif) ne pourrait ramener. J’attends mon sort. Votre bouche va fixer à jamais mon destin et le vôtre. Si je vous quitte en ennemi, qui sait jusqu’où mon amour méprisé peut me conduire ? Qui sait ? « Ingonde voit l’étendue du péril ; elle se résout, malgré sa répugnance, à dissimuler son ressentiment. »

— « S’il est vrai que vous m’aimez, Prince, comment pouvez-vous employer la menace envers moi ? Est-ce le moyen de me faire excuser vos torts ? Hélas ! mes enfans me seraient donc ravis par votre fureur ! Serait-il possible que vous vissiez couler mes larmes sans pitié ? Vous entendriez sans émotion les accens de mon désespoir ? Pouvez-vous rejetter ma prière ? Non, je ne le crois point. Vous serez toujours le défenseur, l’appui du trône, ainsi que du Roi dont vous avez l’honneur d’être le parent. Une autre conduite déshonorerait votre nom dans la postérité ! » — « Je m’inquiette peu, Madame, de ce qu’elle pourra dire de moi. Je méprise ces préjugés auxquels les hommes ont la faiblesse de se soumettre ; je veux jouir de la vie, de cette vie si courte et pourtant si empoisonnée de tourmens. Quand je ne serai plus, qui saura si je fus heureux où malheureux ? Connaîtrait-on les combats douloureux auquels j’aurais été en proie ? On se rira de ma faiblesse. » — « Mais, Seigneur, il est une autre vie ; c’est-là où nous devons recevoir la récompense de nos vertus, ou la punition de nos vices. »

— « Je m’inquiète peu de ce que je deviendrai. Une autre vie ! Langage de la superstition ! C’est par lui que les prêtres nous gouvernent ; c’est par de tels moyens qu’ils soumettent les âmes pusillanimes. Moi, Madame, je ne rendrai point mes actions dépendantes d’une chimère. Je vous aime ; quand l’enfer devrait se déchaîner contre moi, rien, pas même la chute de l’univers, ne me ferait abandonner mes projets… » — « Vous me faites horreur avec un tel langage, dit la Reine avec effroi. » — « Je me retire, Madame. Il viendra le jour, où le malheur vous rendra sans doute plus raisonnable et moins sévère. »

Il sort sans regarder Ingonde, qui reste quelques momens interdite d’étonnement et d’horreur.

C’est ainsi que l’homme sur qui la religion n’a plus de pouvoir, brave les devoirs les plus saints. La vie future, cette vie éternelle, où nous aspirons tous, le malheureux ! il n’y croit pas. Qu’importe ce que je deviendrai après ma mort, dit cet insensé ? Alors, je ne serai qu’une poussière insensible : ce souffle qui m’anime sera évanoui ; ce corps, auquel je prodigue tant de soins, sera décomposé ! Que restera-t-il de ce moi tant aimé ? Un squelette hideux. Voilà donc où se vont engloutir tant de vastes desseins ! où va s’évaporer cette gloire à laquelle les conquérans sacrifient tout ! Les hommes distingueront-ils, dans le chaos des générations qui ne sont plus, la tête défigurée du monarque, de celle du misérable mendiant ? Où sera la différence ? Et toi, jeune amant, dans ce crâne desséché, pourras-tu reconnaître ce front, ces traits, que tu as idolâtrés ? Hélas ! ils ne seraient pour toi qu’un objet d’épouvante. Qu’est devenue cette bouche où respirait l’amour ? Cette voix qui faisait tressaillir ton cœur, n’est plus même un vain son, perdue pour jamais dans l’espace des temps.

L’idée de perdre un bien dont il se croyait déjà possesseur, l’exaspère. La fureur dans les yeux, il demande Grimoald : « Eh bien, dit-il en le voyant, cette femme audacieuse me dédaigne ! Elle a osé rejetter mon amour ! Malheur sur elle et sur sa race ! Le croiras-tu ? Enivré des mots dont elle m’avait encouragé, je me rends à ses ordres. Ses ordres ! Désormais elle en recevra de moi. Plus de pitié pour la cruelle !… J’arrive, ses yeux sont fixés vers la terre : je crois y lire l’embarras d’un aveu… Et c’est un refus que sa bouche prononce !… Elisène, dit-elle, me voit sans émotion… Je prends ces mots pour une feinte. Indigné de ce subterfuge qui offense mon amour, je le déclare, je rappelle les espérances qu’elle m’avait données… Ah ! si tu avais vu ce regard insolent… Il est gravé dans mon ame, et rien que là mort ne l’effacera…»

— « Seigneur, j’avais jugé qu’Ingonde ne partageait point le sentiment qu’elle vous avait inspiré : toute entière à Clodomir, s’en est-elle aperçue seulement? Je vous l’avais bien dit. » — « Eh ! quel est celui qui dévoré d’une passion insensée, ne se persuade pas aisément que ses soins, son ardent amour, seront payés au moins de quelque faible retour? N’y avais-je pas des droits? Car enfin, je fus aimé des plus belles femmes de France, et cette étrangère me méprise! » — « Prince, le cœur des femmes est un dédale impénétrable à l’œil de l’homme le plus expérimenté. Ne les voit-on pas sacrifier l’amant qui les adore à celui qui ne leur témoigne que de l’indifférence ? Elles se plaisent à déchirer les plaies qu’elles ont faites: riant intérieurement des chagrins qu’elles causent aux hommes assez faibles pour se soumettre à leurs caprices, alors elles en font leurs esclaves. Plus on leur accorde, plus elles exigent : leurs dédains, leurs fantaisies, sont notre ouvrage. Bravons ce sexe impérieux, et nous le soumettrons à notre tour. » — « Oui, je le braverai; je braverai cette orgueilleuse Reine. Je jure ici, par ce ciel qui m’entend, que toute pitié est éteinte en mon ame : désormais, un mur de fer s’élèvera entre Clodomir et Arnould. Son trépas ou le mien… Je te remets mon sort, Grimoald: agis, fais-moi des partisans, dispose de mes trésors; j’approuve tout. Que bientôt ma vengeance apprenne à Tunirers, que l’imprudence d’une femme causa la perte d’un royaume, et peut-être celle d’un peuple tout entier. »

Libre d’agir, sûr de ne plus trouver d’obstacles, le perfide Grimoald déploye une activité étonnante à chercher les moyens de grossir les ennemis de Clodomir et de la Reine. Chaque jour, des agens répandent d’affreuses calomnies qui défigurent leurs actions les plus innocentes : disposant de sommes immenses, le cruel s’en sert pour affamer le peuple. Ces Francs, autrefois bons, si légers en même temps, qui passent si rapidement de la douceur à la férocité, murmurent hautement. Ils recueillent avec avidité les faux bruits semés par la méchanceté. Bientôt ils ne considèrent plus les maîtres qu’ils adoraient que comme des tyrans dont ils détestent la puissance, et dont ils espèrent, dans leur aveuglement, pouvoir incessamment secouer le joug odieux.




FIN DU TOME PREMIER.
  1. Tributs, on nommait ainsi les impôts dans les premiers temps de la monarchie.
  2. Ingonde, en vieux langage, signifie reine aimable.
  3. On nommait ainsi les gardes des rois, sous la première race.