Le Juif errant (Eugène Sue)/Partie XV/16

La bibliothèque libre.
Méline, Cans et compagnie (9-10p. 159-174).
Quinzième partie


XVI


Les anonymes.


Nous dirons tout à l’heure ce qu’il advint de la lettre que Rabat-Joie tenait entre ses dents, et pourquoi il quitta son maître lorsque celui-ci courut au-devant d’Agricol.

Dagobert n’avait pas vu son fils depuis plusieurs jours ; l’embrassant d’abord cordialement, il le conduisit ensuite dans une des deux pièces du rez-de-chaussée qui composaient son appartement.

— Et ta femme, comment va-t-elle ? dit le soldat à son fils.

— Elle va bien, mon père, je te remercie.

S’apercevant alors de l’altération des traits d’Agricol, Dagobert reprit :

— Tu as l’air chagrin ! T’est-il arrivé quelque chose depuis que je ne t’ai vu ?

— Mon père… tout est fini ;… il est perdu pour nous, dit le forgeron avec un accent désespéré.

— De qui parles-tu ?

— De M. Hardy.

— Lui ?… mais il y a trois jours, tu devais, m’as-tu dit, aller le voir ?…

— Oui, mon père, je l’ai vu, mon digne frère Gabriel aussi l’a vu… et lui a parlé ! comme il parle… avec la voix du cœur : aussi l’avait-il si bravement ranimé, encouragé, que M. Hardy s’était décidé à revenir au milieu de nous ; alors, moi, fou de bonheur, je cours apprendre cette bonne nouvelle à quelques camarades qui m’attendaient pour savoir le résultat de notre entrevue avec M. Hardy ; je reviens avec eux pour le remercier. Nous étions à cent pas de la porte de la maison des robes noires…

— Les robes noires ? dit Dagobert d’un air sombre. Alors… quelque malheur doit arriver ;… je les connais.

— Tu ne te trompes pas, mon père, répondit Agricol avec un soupir ; j’accourais donc avec mes camarades, lorsque je vois de loin arriver une voiture ; je ne sais quel pressentiment me dit que c’était M. Hardy qu’on emmenait…

— De force ! dit vivement Dagobert.

— Non, répondit amèrement Agricol, non ; ces prêtres sont trop adroits pour ça ;… ils savent toujours vous rendre complices du mal qu’ils vous font, ne sais-je pas comment ils s’y sont pris avec ma bonne mère ?

— Oui… digne femme… encore une pauvre mouche qu’ils ont enlacée dans leur toile ;… mais cette voiture dont tu parles ?

— En la voyant sortir de la maison des robes noires, reprit Agricol, mon cœur se serre, et, par un mouvement plus fort que moi, je me jette à la tête des chevaux, en appelant mes camarades à l’aide ; mais le postillon me renverse d’un coup de fouet qui m’étourdit ; je tombe… Quand je revins à moi, la voiture était loin.

— Tu n’as pas été blessé ? s’écria vivement Dagobert en examinant son fils avec inquiétude.

— Non, mon père… une égratignure.

— Qu’as-tu fait alors, mon garçon ?

— J’ai couru chez le bon ange, chez mademoiselle de Cardoville ; je lui ai tout conté. « Il faut, m’a-t-elle dit, suivre à l’instant la trace de M. Hardy. Vous allez prendre une voiture à moi, des chevaux de poste ; M. Dupont vous accompagnera, vous suivrez M. Hardy de relais en relais, et, si vous parvenez à le revoir, peut-être votre présence, vos prières, vaincront la funeste influence que ces prêtres ont su prendre sur lui. »

— C’était ce qu’il y avait de mieux à faire ;… cette digne demoiselle avait raison.

— Une heure après, nous étions sur la voie de M. Hardy, car nous avions su par les postillons de retour qu’il tenait la route d’Orléans ; nous le suivons jusqu’à Étampes ; là on nous dit qu’il avait pris la traverse pour gagner une maison isolée dans une vallée, à quatre lieues de toute grande route ; que cette maison, appelée le Val-de-Saint-Hérem, appartient à des prêtres ; mais que la nuit est si noire, les chemins si mauvais, que nous ferions mieux de coucher à l’auberge et de repartir de grand matin ; nous suivons ce conseil. Au point du jour nous montons en voiture ; un quart d’heure après, nous quittons la grande route pour une traverse montueuse et déserte ; ce n’étaient partout que des rocs de grès avec quelques bouleaux. À mesure que nous avancions, le site devenait de plus en plus sauvage ; on se serait cru à cent lieues de Paris. Enfin, nous nous arrêtons devant une grande et vieille maison noirâtre, à peine percée de quelques petites fenêtres, et bâtie au pied d’une haute montagne toute couverte de ces roches de grès. De ma vie je n’ai rien vu de plus désert, de plus triste. Nous descendons de voiture, je sonne à une porte ; un homme vient m’ouvrir. « L’abbé d’Aigrigny est arrivé ici, cette nuit, avec un monsieur ? dis-je à cet homme avec un air d’intelligence ; prévenez tout de suite ce monsieur que je viens pour quelque chose de très-important, et qu’il faut que je le voie à l’instant. » Cet homme, me croyant d’accord avec l’abbé, nous fait entrer ; au bout d’un instant l’abbé d’Aigrigny ouvre la porte, me voit, recule et disparaît ; mais, cinq minutes après, j’étais en présence de M. Hardy.

— Eh bien ! dit Dagobert avec intérêt.

Agricol secoua tristement la tête et reprit :

— Rien qu’à la physionomie de M. Hardy, j’ai vu que tout était fini. M. Hardy, s’adressant à moi, d’une voix douce, mais ferme, me dit : « Je conçois, j’excuse même le motif qui vous amène ici ; mais je suis décidé à vivre désormais dans la retraite et dans la prière ; je prends cette résolution librement, volontairement, parce que je songe au salut de mon âme ; du reste, dites à vos camarades que mes dispositions sont telles qu’ils conserveront de moi un bon souvenir. » Et comme j’allais parler, M. Hardy m’a interrompu en me disant : « C’est inutile, mon ami, ma détermination est inébranlable ; ne m’écrivez pas, vos lettres resteraient sans réponse… La prière m’absorbera désormais tout entier ; adieu, excusez-moi si je vous quitte, mais le voyage m’a fatigué. » Il disait vrai, car il était pâle comme un spectre, il avait même, ce me semble, quelque chose d’égaré dans les yeux et, depuis la veille, il était à peine reconnaissable ; sa main qu’il m’a donnée en nous quittant était sèche et brûlante. L’abbé d’Aigrigny est rentré. « Mon père, lui a dit M. Hardy, voulez-vous avoir la bonté de reconduire M. Agricol Baudoin ? » En disant ces mots, il m’a fait de la main un signe d’adieu, et il est rentré dans la chambre voisine. Tout était fini, il était à jamais perdu pour nous.

— Oui, dit Dagobert, ces robes noires l’ont ensorcelé comme tant d’autres…

— Alors, reprit Agricol, désespéré, je suis revenu ici avec M. Dupont. Voilà donc que les prêtres sont parvenus à faire de M. Hardy… de cet homme généreux, qui faisait vivre près de trois cents ouvriers laborieux dans l’ordre et dans le bonheur, développant leur intelligence, améliorant leur cœur, se faisant enfin bénir par ce petit peuple dont il était la providence… Au lieu de cela, M. Hardy est maintenant à jamais voué à une vie contemplative, sinistre et stérile…

— Oh ! les robes noires !… dit Dagobert en frissonnant sans pouvoir cacher un effroi indéfinissable, plus je vais… plus j’en ai peur… Tu as vu ce que ces gens-là ont fait de ta pauvre mère… tu vois ce qu’ils viennent de faire de M. Hardy ;… tu sais leurs complots contre mes deux pauvres orphelines, contre cette généreuse demoiselle… Oh ! ces gens-là sont bien puissants… J’aimerais mieux affronter un carré de grenadiers russes qu’une douzaine de ces soutanes. Mais ne parlons plus de ça, j’ai bien d’autres sujets de chagrin et de crainte.

Puis, voyant l’air surpris d’Agricol, le soldat, ne pouvant contenir son émotion, se jeta dans les bras de son fils, en s’écriant d’une voix oppressée :

— Je n’y tiens plus, mon cœur déborde ; il faut que je parle… et à qui me confier, sinon à toi ?…

— Mon père… vous m’effrayez ! dit Agricol, que se passe-t-il donc ?

— Tiens, vois-tu… sans toi et ces deux pauvres petites, je me serais vingt fois brûlé la cervelle… plutôt que de voir ce que je vois… et surtout de craindre… ce que je crains.

— Que crains-tu donc… mon père ?

— Depuis quelques jours, je ne sais pas ce qu’a le maréchal, mais il m’épouvante.

— Cependant, ses derniers entretiens avec mademoiselle de Cardoville…

— Oui… il y avait un peu de mieux. Par ses bonnes paroles cette généreuse demoiselle avait répandu comme un baume sur ses blessures ; la présence du jeune Indien l’avait aussi distrait ;… il ne paraissait presque plus soucieux, et ses pauvres petites filles s’en étaient ressenties… Mais, depuis quelques jours… je ne sais quel démon s’est de nouveau déchaîné contre la famille. C’est à en perdre la tête… Je suis sûr d’abord que les lettres anonymes, qui avaient cessé, ont recommencé[1].

— Quelles lettres ? mon père.

— Les lettres anonymes…

— Et ces lettres… à quel propos ?

— Tu sais la haine que le maréchal avait déjà contre ce renégat d’abbé d’Aigrigny ; quand il a su que ce traître était ici, et qu’il avait poursuivi les deux orphelines, comme il avait poursuivi leur mère… jusqu’à la mort… mais qu’il s’était fait prêtre, j’ai cru que le maréchal allait devenir fou d’indignation et de fureur… Il voulait aller trouver le renégat ;… d’un mot je l’ai calmé.

« — Il est prêtre, lui ai-je dit ; vous aurez beau faire : l’injurier, le crosser, il ne se battra pas. Il a commencé par servir contre son pays, il finit par être un mauvais prêtre ; c’est tout simple ; ça ne vaut pas la peine de cracher dessus.

« — Mais il faut bien pourtant que je le punisse du mal qu’il a fait à mes enfants, et que je venge la mort de ma femme ! s’écriait le maréchal exaspéré.

« — Vous savez bien qu’on dit qu’il n’y a que les tribunaux qui peuvent vous venger, lui ai-je dit. Mademoiselle de Cardoville a déposé une plainte contre le renégat pour avoir voulu séquestrer vos enfants dans un couvent… Il faut ronger son frein… attendre… »

— Oui, dit tristement Agricol ; et malheureusement les preuves manquent contre l’abbé d’Aigrigny… L’autre jour, lorsque j’ai été interrogé par l’avocat de mademoiselle de Cardoville sur notre escalade du couvent, il m’a dit que l’on rencontrait des obstacles à chaque instant, faute de preuves matérielles, et que ces prêtres avaient si bien pris leurs mesures que la plainte n’aboutirait peut-être pas.

— C’est ce que croit aussi le maréchal… mon enfant, et son irritation contre une telle injustice augmente encore.

— Il devrait mépriser ces misérables.

— Et les lettres anonymes ?

— Comment cela, mon père ?

— Apprends donc tout ; brave et loyal comme l’est le maréchal, son premier mouvement d’indignation passé, il a reconnu qu’insulter le renégat depuis que ce lâche s’était déguisé en prêtre, ce serait comme s’il insultait une femme ou un vieillard ; il a donc méprisé, oublié autant de fois qu’il l’a pu ; mais alors, presque chaque jour, par la poste sont venues des lettres anonymes, et dans ces lettres on tâchait par tous les moyens possibles de réveiller, d’exciter la colère du maréchal contre le renégat, en rappelant tout le mal que l’abbé d’Aigrigny lui avait fait, à lui ou aux siens. Enfin on reprochait au maréchal d’être assez lâche pour ne pas tirer vengeance de ce prêtre, le persécuteur de sa femme et de ses enfants, qui, chaque jour, se raillait insolemment de lui.

— Et ces lettres… de qui les soupçonnes-tu, mon père ?

— Je n’en sais rien… c’est à en devenir fou… Elles viennent sans doute des ennemis du maréchal, et il n’a d’ennemis que ces robes noires.

— Puis, mon père, ces lettres excitant la colère du maréchal contre l’abbé d’Aigrigny, elles ne peuvent être écrites par ces prêtres.

— C’est ce que je me suis dit…

— Mais quel peut donc être le but de ces anonymes ?

— Le but ? mais il n’est que trop clair ! s’écria Dagobert ; le maréchal est vif, ardent, il a mille fois raison de vouloir se venger du renégat. Mais il ne veut pas se faire justice lui-même, et l’autre justice lui manque ;… alors il prend sur lui, il tâche d’oublier, il oublie. Mais voilà que, chaque jour, des lettres insolemment provocantes viennent ranimer, exaspérer cette haine si légitime, par des moqueries, par des injures… Mille tonnerres !… je n’ai pas la tête plus faible qu’un autre… mais, à ce jeu-là, je deviendrais fou…

— Ah ! mon père, cette combinaison serait horrible et digne de l’enfer.

— Et ce n’est pas tout.

— Que dites-vous ?

— Le maréchal a encore reçu d’autres lettres ; mais celles-là… il ne me les a pas montrées ; seulement lorsqu’il a lu la première, il est resté comme atterré sous le coup, et il a dit à voix basse : « Ils ne respectent même pas cela… Oh !… c’est trop… c’est trop… » Et cachant son visage entre ses mains… il a pleuré.

— Lui… le maréchal pleurer ! s’écria le forgeron, ne pouvant croire ce qu’il entendait.

— Oui, reprit Dagobert, lui… il a pleuré… comme un enfant.

— Et que pouvaient contenir ces lettres, mon père ?

— Je n’ai pas osé le lui demander… tant il a paru malheureux et accablé.

— Mais, ainsi harcelé, tourmenté sans cesse, le maréchal doit mener une vie atroce…

— Et ses pauvres petites filles donc, qu’il voit de plus en plus tristes, abattues, sans qu’il soit possible de deviner la cause de leurs chagrins ? et la mort de son père… qu’il a vu expirer dans ses bras ? tu croirais que c’est assez comme ça, n’est-ce pas ? Eh bien ! non… j’en suis sûr… le maréchal éprouve quelque chose de plus pénible encore ; depuis quelque temps il n’est plus reconnaissable ; maintenant, pour un rien, il s’irrite, il s’emporte, il entre dans des accès de colère tels… que…

Après un moment d’hésitation, le soldat reprit :

— Après tout, je puis bien te dire ceci à toi… mon pauvre enfant ; eh bien ! tout à l’heure je suis monté chez le maréchal… et j’ai ôté les capsules de ses pistolets…

— Ah !… mon père !… s’écria Agricol, tu craindrais !…

— Dans l’état d’exaspération où je l’ai vu hier, il faut tout craindre.

— Que s’est-il donc passé ?

— Depuis quelque temps, il a souvent de longs entretiens secrets avec un monsieur qui a l’air d’un ancien militaire, d’un brave et digne homme ; j’ai remarqué que l’agitation, que la tristesse du maréchal, redoublent toujours après ces visites ; deux ou trois fois je lui ai parlé là-dessus ; j’ai vu, à son air, que cela lui déplaisait, je n’ai pas insisté. Hier, ce monsieur est revenu le soir ; il est resté ici jusqu’à près de onze heures, et sa femme est venue le chercher et l’attendre dans un fiacre ; après son départ, je suis monté pour voir si le maréchal avait besoin de quelque chose ; il était très-pâle, mais calme ; il m’a remercié ; je suis redescendu. Tu sais que ma chambre, qui est à côté, se trouve juste au-dessous de la sienne ; une fois chez moi, j’entends d’abord le maréchal aller et venir, comme s’il avait marché avec agitation ; mais bientôt il me semble qu’il pousse et renverse des meubles avec fracas. Effrayé, je monte ; il me demande d’un air irrité ce que je veux, et m’ordonne de sortir. Alors, le voyant dans cet état, je reste ; il s’emporte ; je reste toujours ; mais, apercevant une chaise et une table renversées, je les lui montre d’un air si triste, qu’il me comprend ; et comme il est aussi bon que ce qu’il y a de meilleur au monde, il me prend la main, et me dit : « Pardon de t’inquiéter ainsi, mon bon Dagobert ; mais tout à l’heure j’ai eu un moment d’emportement absurde, je n’avais pas la tête à moi ; je crois que je me serais jeté par la fenêtre, si elle eût été ouverte. Pourvu que mes pauvres chères petites ne m’aient pas entendu !… » ajouta-t-il en allant sur la pointe du pied ouvrir la porte de la pièce qui communique à la chambre à coucher de ses filles. Après avoir écouté un instant à leur porte avec angoisse, n’entendant rien, il est revenu près de moi : « Heureusement, elles dorment, » m’a-t-il dit. Alors je lui ai demandé ce qui causait son agitation, s’il avait reçu, malgré mes précautions, quelque nouvelle lettre anonyme. « Non,… m’a-t-il répondu d’un air sombre ; mais laisse-moi, mon ami, je me sens mieux ; cela m’a fait du bien de te voir ; bonsoir, mon vieux camarade ; descends chez toi, va te reposer. » Moi, je me garde bien de m’en aller ; je fais semblant de descendre et je remonte m’asseoir sur la dernière marche de l’escalier, l’oreille au guet. Sans doute, pour se calmer tout à fait, le maréchal a été embrasser ses filles, car j’ai entendu ouvrir et refermer la porte qui conduit chez elles. Puis, il est revenu, s’est encore promené longtemps dans sa chambre, mais d’un pas plus calme ; enfin, je l’ai entendu se jeter sur son lit, et je ne suis redescendu chez moi qu’au jour… Heureusement le reste de sa nuit m’a paru tranquille.

— Mais que peut-il avoir, mon père ?

— Je ne sais ;… lorsque je suis monté, j’ai été frappé de l’altération de sa figure, de l’éclat de ses yeux… il aurait eu le délire ou une fièvre chaude, qu’il n’eût pas été autrement ;… aussi, lui entendant dire que si la fenêtre avait été ouverte, il s’y serait jeté, j’ai cru prudent d’ôter les capsules de ses pistolets.

— Je n’en reviens pas ! dit Agricol. Le maréchal… un homme si ferme, si intrépide, si calme… avoir de ces emportements !…

— Je te dis qu’il se passe en lui quelque chose d’extraordinaire ; depuis deux jours il n’a pas une seule fois vu ses enfants, ce qui pour lui est toujours mauvais signe, sans compter que les pauvres petites sont désolées, car alors ces deux anges se figurent avoir donné à leur père quelque sujet de mécontentement, et alors leur tristesse redouble… Elles… le mécontenter !… si tu savais leur vie… chères enfants… une promenade à pied ou en voiture avec moi et leur gouvernante, car je ne les laisse jamais aller seules ; et puis elles rentrent et se mettent à étudier, à lire ou à broder, toujours ensemble… et puis elles se couchent ; leur gouvernante, qui est, je crois, une digne femme, m’a dit que quelquefois, la nuit, elle les avait vues pleurer en dormant ; pauvres enfants, jusqu’ici elles n’ont guère connu le bonheur ! dit le soldat avec un soupir.

À ce moment, entendant marcher précipitamment dans la cour, Dagobert leva les yeux et vit le maréchal Simon, la figure pâle, l’air égaré, tenant de ses deux mains une lettre qu’il semblait lire avec une anxiété dévorante.




  1. On sait combien les dénonciations, menaces, calomnies anonymes sont familières aux révérends pères et autres congréganistes. Le vénérable cardinal de Latour-d’Auvergne s’est plaint dernièrement, dans une lettre adressée aux journaux, des manœuvres indignes et des nombreuses menaces anonymes qui l’ont assailli, parce qu’il refusait d’adhérer sans examen au mandement de M. de Bonald contre le Manuel de M. Dupin, qui, malgré le parti prêtre, restera toujours un Manuel de raison, de droit et d’indépendance. Nous avons eu sous les yeux les pièces d’un procès en captation, actuellement déféré au conseil d’État, dans lesquelles se trouvaient un grand nombre de notes anonymes écrites au vieillard que les prêtres voulaient capter, et contenant soit des menaces contre lui s’il ne déshéritait pas ses neveux, soit d’abominables dénonciations contre son honorable famille ; il ressort des faits du procès même que ces lettres sont de la main de deux religieux et d’une religieuse qui ne quittaient pas le vieillard à ses derniers moments, et qui ont enfin spolié la famille de plus de cinq cent mille francs.