Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre XII

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Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 124-144).

CHAPITRE XII

Ensuite, Religieux, le jeune prince ayant encore grandi, le roi Çouddhôdana, une autre fois, était assis dans la salle du conseil, avec l'assemblée des Çâkyas. Là, ceux-ci ayant à leur tête les plus vieux parmi les plus vieux Çàkyas, parlèrent ainsi au roi Çouddhôdana : roi, il faut que vous sachiez ce qui a été prédit à plusieurs reprises sur le jeune Sarvârthasiddha par les Brahmanes qui connaissent les signes et les dieux dont l'intelligence est sûre. Si le jeune homme sort de la famille, il sera un Tathâghata Arhat Bouddha parfait et accompli. Ou bien, s'il n'en sort pas, il sera roi Tchakravartin, vainqueur, attaché à la loi, roi de la loi, en possession des sept choses précieuses qui sont : Le joyau de la roue, de l'éléphant, du cheval, de la pierre Mani, de la femme, du maître de maison et du conseiller, qui est le septième. Il aura un millier complet de fils, héros courageux aux corps les mieux proportionnés, vainqueurs des armées des ennemis. Après avoir conquis cet empire de la terre sans employer le châtiment ni les armes, il le gouvernera avec la loi. C'est pourquoi il faut faire le mariage du jeune prince. Alors, entouré d'une troupe de femmes, il connaîtra le plaisir et ne sortira pas de la famille, de sorte qu'il n'y aura pas d'interruption de la race des rois Tchakravartin. Nous serons respectés et non dédaignés par tous les petits rois des forteresses.

Alors le roi Çouddhôdana dit : S'il en est ainsi, voyez donc quelle peut être la jeune fille assortie au jeune homme.

Au même instant, les cinq cents Çâkyas se dirent l’un à l’autre : Ma fille serait celle qui conviendrait le mieux au jeune prince ; ma fille serait celle qui lui conviendrait le mieux !

Le roi dit : Le jeune homme est difficile à gagner. Nous l’avertirons donc en lui disant : Quelle est la jeune fille qui te plaît ?

Puis tous s’étant rassemblés dirent au jeune homme l’affaire dont il était question.

Le jeune prince dit : Dans sept jours vous entendrez ma réponse. Et le Bôdhisattva se mit à penser : Je le sais, les maux du désir sont sans fin ; ils sont des racines de douleurs, accompagnés de chagrins, de combats et d’inimitiés ; ils sont pareils à la feuille vénéneuse qui fait peur, pareils au feu, pareils au tranchant de l’épée. Pour les qualités du désir, je n’ai ni goût ni inclination et je ne me plais poiut au milieu d’une troupe de femmes, moi qui dois demeurer dans un bois, silencieux et l’esprit apaisé par le bonheur delà méditation et de la contemplation.

Et ayant encore réfléchi en déployant la science des moyens, en pensant à produire la maturité complète des êtres, il fut pris d’une grande compassion, et, au même instant, récita ces Gâthâs.

1. Au milieu de la végétation confuse d’un marais les lotus grandissent : au milieu de la foule des hommes, le roi reçoit les hommages. Quand les Bôdhisattvas obtiennent le meilleur entourage, c’est lorsqu’ils disciplinent des centaines de millions d’êtres pour l’immortalité.

2. Ce qu’il y a eu de savants Bôdhisattvas antérieurs se sont montrés avec une épouse et un fils ainsi qu’une suite de femmes. Et cependant ils n’ont pas été agités par le désir ni détournés des délices de la contemplation. 1-jh bien, j’imiterai, moi aussi, les qualités de ceux-ci.

3. Une femme qui serait vulgaire ne me conviendrait pas, qui n’aurait pas les qualités de la bonne conduite et le reste, toujours disant la vérité. Celle qui réjouit vraiment mon esprit est modeste et très pui’e de corps, de naissance, de famille et de race.

4. Et il écrivit en Gâthâs une liste de qualités (en disant) : S’il y a une jeune fille comme celle là (ô mon Père) tu peux la choisir pour moi. Je ne veux point d’une créature vulgaire et sans éducation. Celle dont je décris les qualités, tu peux la choisir pour moi.

5. Dans la fleur de la jeunesse et de la beauté, et pourtant sans orgueil de sa beauté ; comme une mère ou une sœur qu’elle agisse avec un esprit de bienveillance. Se plaisant au renoncement, accoutumée à faire des dons aux Çramanas et aux Brahmanes. Une pareille femme, ô mon père, tu peux la choisir pour moi.

6. Sans orgueil, sans méchanceté ni aigreur, sans ruse, sans envie, sans artifice, non détournée de la droiture. Que pas même en songe, elle n'ait ou de pensée pour un autre homme, satisfaite de son mari ; qu'elle soit toujours retenue et modeste.

7. Qu'elle ne soit ni fière, ni hautaine, ni présomptueuse. Modeste et ayant mis de côté tout orgueil, comme si elle était une esclave. Qu'elle soit sans passion pour les liqueurs, les mets délicats, la musique et les parfums. Qu'exempte de convoitise et évitant de demander, elle soit satisfaite de sa fortune.

8. Ferme dans la vérité, ni légère, ni étourdie, ni orgueilleuse et revêtue du vêtement de la pudeur : qu'elle n'aime ni les spectacles ni les fêtes, toujours appliquée à la loi, se conservant toujours pure de corps, de parole et de pensée.

9. Sans goût pour le sommeil et la paresse, ni troublée par l'orgueil ; remplie de jugement, faisant de bonnes actions, et pratiquant toujours la loi. Respectant son beau-père et sa belle-mère comme un précepteur spirituel ; bonne pour les esclaves des deux sexes comme pour elle-même.

10. Connaissant, comme une courtisane, les règles des Castras (livres sacrés) ; qu'elle dorme la dernière et sorte la première de son lit ; agissant avec bienveillance, sans affectation, comme une mère. S'il y a une pareille femme, maître des hommes, choisis-la pour moi.


Cependant le roi Çouddhôdana ayant fait réciter ces Gâthâs, s'adressa au Pourôhita : Toi, grand Brahmane, va ; et étant entré dans toutes les maisons de Kapilavastou, la grande cité, examine les jeiuies filles. Celle en qui ces qualités seront reconnues, qu'elle soit la fille d'un Kchatriya, d'an Brahmane, d'un Vâiçya ou d'un Çoûdra, amène-nous cette jeune fille. Pourquoi cela ? C'est que le jeune homme ne regarde pas à la famille, ne regarde pas à la race ; le jeune homme regarde seulement aux qualités. Et, en ce moment, il prononça ces Gâthâs :

11. Que ce soit la fille d'un Brahmane, d'un Kchatriya, d'un Vâiçya et même d'un Çoûdra, celle qui a en partage ces qualités, amène-la-moi.

12. Mon fils n'est ébloui ni par la famille ni par la race ; les qualités réelles et la vertu, voilà en quoi son esprit se complaît.

Alors, Religieux, le Pourôhita ayant pris cette liste en Gâthâs, s'en alla dans la grande cité de Kapilavastou, examinant une maison après une autre, cherchant à voir une jeune fille douée de qualités semblables ; et n'en voyant pas une qui fût douée, il arriva successivement jusqu'à la demeure de Dandapàni, de la famille des Çâkyas. Arrivé là, il aperçut une jeune fille remarquablement belle et gracieuse, charmant la vue par l'éclat de ses belles couleurs ; pas trop grande, pas trop petite, pas trop grasse, pas trop maigre, pas trop blanche, pas trop noire, dans la première fleur de la jeunesse et désignée comme la perle des femmes.

Cependant la jeune fille ayant touché les deux pieds du Brahmane Pourohita, lui parla ainsi : Grand Brahmane, qu'y a-t-il pour votre service ?

Le Brahmane Pourôhita lui répondit par cette Gâthà :

13. Le fils de Çouddhôdana, Joué de la plus grande beauté, est marqué de trente-deux signes et doué de l'éclat des qualités. Une liste des qualités des femmes a été écrite par lui. Celle qui a ces qualités sera son épouse.


Et il lui présenta cette liste en Gâthâs. Le jeune fille ayant parcouru cette liste, montra un visage riant, et répondit au Pourohita par cette Gâthâ :

14. Brahmane, j'ai en moi toutes les qualités convenables. Que cet aimable et beau jeune homme soit mon époux ! Le jeune homme a parlé ; si c'est son désir, point de retard ; il ne pourrait demeurer avec une personne vulgaire et sans éducation.

Alors le Brahmane Pourohita étant retourné auprès du roi Couddhôdana lui raconta ce qui était arrivé : Grand roi, j'ai vu une jeune fille qui serait assortie au jeune prince.

Le roi dit : À qui appartient-elle ?

Celui-ci dit : Sire, c'est la fille du Çâkya Dandapâni.

Alors le roi Couddhôdana pensa : Le jeune prince est difficile à satisfaire et porté vers ce qui est beau. En général, le sexe féminin ne se distingue pas par les qualités, quoiqu'on lui reconnaisse des qualités. Je ferai donc faire de ravissantes parures que le jeune prince pourra donner à toutes les les jeunes filles. Alors celle des jeunes filles sur laquelle l'œil du jeune homme s'arrêtera, je la choisirai pour lui. Telle fut sa pensée.

Cependant le roi Couddhôdana fit faire des ornements gracieux d'or, d'argent, de lapis lazuli et de diverses choses précieuses, puis il fit annoncer à son de cloche dans la grande cité de Kapilavastou : Dans sept jours, le jeune prince se fera voir et distribuera aux jeunes filles de ravissantes parures. Que ce jour-là, toutes les jeunes filles se réunissent dans la salle d'assemblée.

Ainsi donc, Religieux, le septième jour étant venu, le Bodhisattva étant allé à -la salle d’assemblée, s’y assit sur le trône.

Cependant le roi Çouddhôdana plaçant des espions (leur dit) : Celle des jeunes filles sur laquelle l’œil du jeune prince s’arrêtera, faites-la-moi connaître.

Ainsi, Religieux, tout ce qu’il y avait de jeunes filles dans la grande cité de Kapilavastou, vinrent dans la salle d’assemblée où se trouvait le Bodhisattva, pour le voir et recevoir de ravissantes parures.

Ainsi, Religieux, le Bodhisattva distribua de ravissantes parures à toutes les jeunes filles qui étaient venues. Et toutes ces jeunes filles, ne pouvant supporter l’éclat et la majesté du Bodhisattva, s’en allèrent promptement, emportant les ravissantes parures.

Alors la fille du Çàkya, Dandapàni, nommée Gôpà, entourée et précédée d’une suite de femmes esclaves arriva à la salle d’assemblée et, s’approchant de l’endroit où était le Bodhisattva, s’arrêta à côté de lui et le regarda sans cligner les yeux. En ce moment, toutes les ravissantes parures avaient été données par le Bodhisattva. Alors Gôpâ s’approchant de lui avec un visage riant, lui parla ainsi : Jeune homme, en quoi t’ai-je offensé que tu me dédaignes ?

Il dit : Je ne te dédaigne pas, mais c’est que tu es arrivée la dernière. Et ôtant de son doigt un anneau valant plus de cent mille (palas), il le lui donna.

La jeune fille dit : Jeune homme, dois-je recevoir ceci de toi ?

Il dit : Ces parures étant à moi, il faut les accepter !

Elle lui dit : Nous ne priverons pas le jeune prince de ses parures, nous parerons (plutôt) le jeune prince ! Et en parlant ainsi, la jeune fille se retira.

Alors les espions du roi Çouddhôdana étant allés le retrouver, lui rapportèrent ce qui s’était passé. « Sire, la fille du Çàkya Dandapàni, nommée Gôpà, est celle sur laquelle s’est fixé l’œil du jeune prince ; il y a même eu entre eux un moment d’entretien.

Après avoir entendu ce discours, le roi Çouddhôdana envoya au Çâkya Dandapàni, le Pourôhita avec ce message : — La jeune fille qui est la tienne, il faut la donner à mon fils !

Dandapâni dit : Seigneur, le jeune homme a grandi dans la mollesse au milieu du palais, et c’est une loi de notre famille de donner notre fille à un homme habile dans les arts et non à celui qui ne l’est pas. Le jeune prince n’excelle pas dans les arts ; il ne connait ni les règles de l’escrime, ni celles de l’exercice de l’arc, ni celles du pugilat, ni celles de la lutte. Comment donc donnerai-je ma fille à celui qui n’est pas habile dans les arts ? Telles furent ses paroles, et cela fat rapporté au roi qui se mit à penser : Deux fois déjà j’ai été blâmé avec justice à ce sujet. Lorsque j’ai dit : Pourquoi les jeunes Çàkyas ne viennent-ils pas rendre hommage au prince ?

J’ai été alors averti ainsi : Pourquoi donc irions-nous rendre hommage à un indolent ?

Aujourd’hui encore il en est de même. Et, à cette pensée, le roi demeure immobile et soucieux.

Le Bôdhisattva apprit ce qui se passait. S’étant rendu auprès du roi Çouddhôdana, il lui dit : Sire, qu’y a-t il donc que vous ayez ainsi l’esprit soucieux ?

Le roi dit : Jeune homme, assez sur ce sujet.

Le jeune prince dit : Il est toujours nécessaire de s’expliquer. Et jusqu’à trois fois, le Bôdhisattva interrogea le roi Çouddhôdana.

Alors le roi raconta l’affaire au Bôdhisattva. Quand il on fut instruit, le Bôdhisattva dit : Sire, y en a-t-il ici, dans la ville, un seul qui puisse rivaliser avec moi pour la dextérité dans les arts ?

Alors le roi Çouddhôdana, avec un visage riant, parla ainsi au Bôdhisattva : Pourras-tu, mon fils, montrer ton habileté dans les arts ? — Certainement je le pourrai. Sire ; qu’ils s’assemblent donc tous ceux qui excellent dans les arts, et, en leur présence, je montrerai mon savoir-faire.

Le roi Çouddhôdana fit donc annoncer au son de la cloche dans la ville excellente de Kapilavastou : Dans sept jours le jeune Sarvârthasiddha montrera son habileté dans les arts. Que tous ceux qui excellent dans les arts se rassemblent alors.

Au septième jour, cinq cents jeunes Çàkyas se réunirent, et la fille de Dandapâni, nommée Gôpâ, fut promise pour prix do la victoire. Celui qui, ici, à l’escrime, à l’excercice de l’arc, au pugilat et à la lutte sera vainqueur, c’est à lui qu’elle appartiendra.

Alors, en tête de tous les autres, le jeune Dévadatta sortit de la ville. Au même instant, on amenait à la ville un éléphant blanc de grande taille, destiné au Bôdhisattva. En le voyant, le jeune Dêvadatta, par envie, par orgueil d’être un Çâkya et enivré aussi par l’orgueil de sa force, saisit cet éléphant de la main gauche par la trompe et le tua avec la paume de la main droite, d’un seul coup.

Aussitôt après lui, sortit le jeune Soundarananda. Il vit cet éléphant à la porte de la ville. À cette vue, il demanda : Par qui a-t-il été tué ? Une grande foule d’hommes rassemblés dirent : C’est par Dêvadatta. Il dit : C’est une mauvaise action de sa part, et ayant pris l’éléphant par la queue, il l’attira eu dehors de la porte de la ville.

Aussitôt après lui, monté sur son char, le Bôdhisattva, sortait. Il vit l’éléphant tué. Eu le voyant, il demanda : Par qui a-t-il été tué ? On dit : Par Dêvadatta. Il dit : C’est une mauvaise action de la part de Dêvadatta. Et par qui a-t-il été attiré en dehors de la ville ? On dit : Par Soundarananda. Il dit : Cela est bien de la part de Soundarananda ; mais cet être qui a un grand corps, en se décomposant, remplira toute la ville d’une mauvaise odeur.

Alors le jeune prince, debout sur sou char, ayant allongé un seul pied à terre, après avoir pris cet éléphant par la queue avec le pouce de son pied, et avoir dépassé sept remparts et sept fossés, le jeta au delà de la ville à la distance d’un Krôça.

Et, à l’endroit même où tomba cet éléphant, il se fît une grande excavation qui, aujourd’hui, est appelée Hastigarttâ (fosse de l’éléphant).

En ce moment, les dieux et les hommes, par centaines de mille, firent entendre des cris d’admiration et de plaisir et jetèrent des vêtements.

Les fils des dieux qui se tenaient dans l’étendue du ciel prononcèrent ces deux Gâthâs :

15. Avec la démarche superbe d’un roi des éléphants, après avoir, avec le bout du pouce de son pied, saisi le roi des éléphants, celui-ci a été jeté hors de la ville, après avoir dépassé les sept remparts de la cité.

16. Sans nul doute, plein d’intelligence et par la force de la sagesse, il lancera, bien loin de la cité de la transmigration ceux dont les corps ont grandi par la force de l’orgueil !

Ainsi donc, Religieux, cinq cents jeunes Çâkyas étant sortis de la ville se rendaient à un autre endroit où l’on montrait son habilité dans les arts. Le roi Çouddhôdana, précédé des plus vieux entre les plus vieux de la tribu des Çâkyas, ainsi qu'une multitude de gens, se rendaient à ce même endroit, désireux de voir l'habileté dans les arts du Bôdhisattva et des autres jeunes Çâkyas.

Et là, pour commencer, les jeunes Çàkyas qui connaissaient les règles de l'écriture venaient disputer le prix au Bôdhisattva, et le précepteur Viçvâmitra fut pris pour juge par ces Çàkyas. Toi, examine ici quel est le jeune homme qui se distingue dans la science de l'écriture, soit par le tracé des lettres, soit par la science achevée d'un grand nombre d'écritures.

Alors le précepteur des jeunes gens, Viçvàmitra, qui avait été témoin delà science du Bôdhisattva en écriture, se mit à sourire et prononça ces deux Gâthâs :


17. Dans le monde des hommes ou dans le monde-des dieux, dans le monde des Gandharbas ou dans le monde des Asouras, autant il y a d'écritures pour tous les mondes, cet être pur est arrivé à leur perfection.

18. Ni vous ni moi ne connaissons même le nom des écritures ni des lettres que connaît cette lune des hommes. .J'en suis bien sûr, il sera vainqueur.


Les Çâkyas dirent : De même que sa supériorité dans la science de l'écriture, que le jeune homme fasse connaître sa science en arithmétique et qu'il s'y distingue.

Alors un Çâkya nommé Ardjouna, grand calculateur, arrivé à une science transcendante des nombres et des calculs, fut établi juge. Toi, examine lequel de ces jeunes gens se distingue ici par sa supériorité dans la science des nombres, lui dit-on.

Là, le Bôdhisattva proposa un calcul, et un jeune Çâkya calcula ; mais il ne put le résoudre.

Ensuite deux jeunes Çâkyas, trois, quatre, cinq, dix, vingt, trente, quarante, cinquante, même jusqu'à cinq cents, se mirent ensemble à calculer ; mais ils ne parvinrent pas (à faire le calcul).

Alors le Bôdhisattva dit : Proposez vous-mêmes un calcul et je le ferai. Et là, un jeune Çâkya en proposa un ; mais il ne put arrêter le Bôdhisattva.

Puis deux jeunes Çâkyas, trois, quatre, cinq, dix, vingt, trente, quarante. cinquante, même jusqu’à cinq cents Çâkyas à la fois, proposèrent un calcul ; mais il ne purent parvenir à embarrasser le Bôdhisattva.

Le Bôdhisattva dit : Assez, assez de cette lutte ; tous maintenant, ne faisant qu’un, proposez-moi un calcul et je le ferai.

Alors les cinq cents jeunes Çâkyas, d’un commun accord, proposèrent un calcul qu’on n’avait jamais fait auparavant, et le Bôdhisattva, sans être aucunement troublé, l’exécuta. Ainsi tous ces jeunes Çâkyas ne purent arriver à leurs fins, tandis que le Bôdhisattva arriva à ses fins. En ce moment le grand arithméticien Ardjouna, rempli d’admiration, récita ces deux Gâthâs :


19. Des cinq cents qui interrogent la promptitude de la science de celui qui a une intelligence parfaite, il est le directeur dans la voie des nombres.

20. Et telle est cette sagesse, cette intelligence, cette science, cette mémoire, ce jugement, qu’aujourd’hui même celui qui enseigne le calcul, c’est cet océan de science !


Alors toute la multitude des Çâkyas fut remplie d’un suprême étonnement ; et entraînés par un sentiment d’admiration tous, d’une seule voix, s’écrièrent : Victoire ! victoire au jeune Sarvàrthasiddha ! Puis tous se levant de leurs siéges et joignant les mains, s’inclinèrent devant le Bôdhisattva, et adressèrent ces paroles au roi Çouddhôdana : Tes avantages, ô grand roi, sont des avantages incomparables, toi dont le fils est ainsi prompt, vif, alerte et animé par les interrogations !

Ensuite le roi Çouddhôdana parla ainsi au Bôdhisattva : Peux-tu, mon fils, rivaliser avec le grand arithméticien Ardjouna pour l’habileté dans la science des calculs ? Sire, je le puis. — Eh bien, calculez donc ! Alors le grand arithméticien Ardjouna parla ainsi au Bôdhisattva : Connais-tu, jeune homme, la marche de la numération nommée Kôtiçatôttarâ (au-dessus de cent Kôtis) ? Le Bôdhisattva répondit : Je la connais. — Eh bien, comment faut-il entrer dans la marche de la numération au-dessus de cent Kôtis ?

Le Bôdhisattava dit : De cent Kôtis le nom est Ayouta ; de cent Ayoutas le nom est Niyouta ; de cent Niyoutas le nom est Kañgkara ; de cent Kañgkaras le nom est Vivara ; de cent Vivaras le nom est Akchôbya ; de cent Akchôbyas le nom est Vivàha ; de cent Vivàhas le nom est Outsañga ; de cent Outsañgas le nom est Bahoula ; de cent Bahoulas le nom est Nàgabala ; de cent Nàgabalas le nom est Titilambha ; de cent Titilambhas le nom est Vyavasthânapradjñapti ; de cent Vyavasthânapradjñaptis le nom est Hêtouhila ; de cent Hètouhilas le nom est Karaliou : de cent Karalioiis le nom est Hètvindrva ; de cent Hètvindryas le nom est Samâptalambha ; de cent Samâptalambhas le nom est Gananâgati : de cent Gananâgatis le nom est Xiravadya : de cent Niravadyas le nom est Madrâbala ; de cent Madrâbalas le nom est Sarvabala : de cent Sarvabalas le nom est Visaudjiiàgati : de cent Visandjîïâgatis le nom est Sarvasandjnâ ; de cent Sarvasaiidjnâs le nom est Vibhoùtangamà ; de cent Vibhoûtailgamâs le nom est Tallakchana : à l’aide de cette numération appelée Tallakchana, on pourrait dissoudre le Mèrou, le roi des montagnes, en le prenant pour sujet de calcul. Au-dessus de celle-ci est la numération appelée Dhvadjàgravati ; à l’aide de cette numération, on pourrait dissoudre tous les sables de la rivière Gañgâ, en les prenant pour sujet de calcul. Encore au-dessus de celle-ci est la numération appelée Dlivadjâgranicîmanî. Et encore, au-dessus de celle-ci la numération appelée Vâhauapradjnapti. Et encore au-dessus de celle-ci la numération appelée Iñgga. Et encore au-dessus de celle-ci est la numération appelée Kouroutâvi. Et encore au-dessus de celle-ci la numération appelée Sarvanikchèpâ, à l’aide de laquelle on pourrait dissoudre les sables de dix rivières Gañgàs, eu les prenant pour sujet de calcul. Et encore au-dessus de celle-ci est la numération appelée Agrasârâ, à l’aide de laquelle on pourrait dissoudre les sables de cent Kôtis de rivières Gañgâs, en les prenant pour sujet de calcul. Et encore au-dessus de celle-ci est la numération dite parvenue à pénétrer les atomes les plus subtils. Cette numération, excepté un Tathâgata qui est parvenu à la plus pure essence de l’Intelligence, et un Bôdhisattva qui a vu face à face l’initiation à toutes les lois, il n’y a aucun être, dans la collection des êtres, qui connaisse cette numération, excepté moi ou celui qui, semblable à moi, est arrivé à sa dernière existence, un Bôdhisattva qui demeure hors de sa maison, qu’il a quittée.

Ardjouna dit : Jeune homme, comment faut-il entrer dans la numération qui pénètre la poussière des atomes les plus subtils ?

Le Bôdhisattva dit : Sept grains de poussière d’atomes subtils font un grain de poussière fine ; sept grains de poussière fine font un petit grain de poussière ; sept petits grains de poussière font un grain de poussière de vâtâyana ; sept grains de poussière de vàtàjana font un grain de poussière de lièvre ; sept grains de poussière de lièvre font un grain de poussière de bélier ; sept grains de poussière de bélier font un grain de poussière de taureau ; sept grains de poussière de taureau font une lente ; sept lentes font un grain de sénevé ; sept grains de sénevé font un grain d’orge ; sept grains d’orge font une jointure des doigts ; douze jointures des doigts font un empan ; deux empans font une coudée ; quatre coudées font un arc ; raille arc font un Krôça (du pays) de Magadlia ; quatre Krôças font un Yôdjana. Et maintenant, quel est celui d’entre vous qui connaît bien la masse d’un Yôdjana, et combien il s’y trouve de ces atomes subtils ?

Ardjouna dit : Moi-même je suis dans l’étonnement, à plus forte raison les autres qui ont peu d’intelligence. Que le jeune prince nous montre donc ce qu’est la masse d’un Yôdjana et combien il s’y trouve d’atomes subtils ?

Le Bôdhisattva dit : Dans la masse d’un Yôdjana, il y a d’atomes subtils un Niyouta complet d’Akchôbyas, et trente centaines de mille de Niyoutas de Kôtis, et soixante centaines de Kotis, et trente-deux Kôtis, et cinq fois dix centaines de mille et douze mille.

Telle est la masse du Yôdjana du calcul des atomes subtils. Par cette entrée

[Inclure l’image] Étages des Cieux. (V. p. 136-137.)
(dans la numération des atomes subtils), il y a ici, dans le Djamboudvipa,

sept mille Yôdjanas ; dans le pays de Gaudana, huit mille Yôdjanas ; dans le pays de Poùrvavidèha, neuf mille Yôdjanas ; dans le pays d’Outtarakourou, dix mille Yôdjanas.

Avec cette entrée (dans la numération des atomes subtils), eu commençant par cet ensemble du monde composé de quatre continents, où se trouvent les cent Kôtis des grands océans de l’ensemble du monde composé de quatre continents, il y a : les cent Kôtis de Tchakravàlas et de Mahâ Tchalcravâlas, les cent Kôtis de Soumêrous, rois des monts ; les cent Kôtis de dieux Tchâtour MahâRàdjikas ; les cent Kôtis de Trâyastrimçats ; les cent Kôtis de Yàmas ; les cent Kôtis de Touchitas ; les cent Kôtis de Nii-mânaratis ; les cent Kôtis de Paranirmitavaçavartins ; les cent Kôtis de Brahmakàyikas ; les cent Kôtis de Brahmapourôhitas ; les cent Kôtis de Brahmapârcbadyas ; les cent Kôtis de Mahàbrabmas ; les cent Kôtis de Parîttàbhâs ; les cent Kôtis de Çoubhakritsnas ; les cent Kôtis d’Anabhrakas ; les cent Kôtis de Pounyaprasavas ; les cent Kôtis de Vrihatphalas ; les cent Kôtis d’Asañdjñisattvas ; les cent Kôtis d’Avrïhâs ; les cent Kôtis d’Atapas ; les cent Kôtis de Soudrïças ; les cent Kôtis de Soudarçauas, et les cent Kôtis de dieux Akanichthas, ce qui est dit l’ensemble étendu et développé des trois mille grands milliers de mondes. Ce qu’il y a de centaines de Yôdjanas d’atomes subtils dans cette masse de trois mille grands milliers de mondes, ce qu’il y a de milliers de Yôdjanas, ce qu’il y a de Kôtis de Yôdjanas, ce qu’il y a de Niyoutas, de Yôdjanas, comme plus haut (p. 134), tels sont tous les calculs de la principale essence des Yôdjanas. Combien y a-t-il de poussière d’atomes subtils ? Il parla ainsi et ajouta : Le calcul de cette numération étant dépassé, c’est la tin du calcul, dit-on, et ce qui est incalculable. Voilà ce qu’il y a d’atomes subtils les plus incalculables dans la masse des trois mille grands milliers de mondes.

Pendant que ce chapitre de la numération était enseigné par le Bôdhisattva, le grand arithméticien Ardjouna et toute la foule des Çâkyas furent remplis de contentement, de joie, de plaisir et d’admiration ; et tous, chacun de son côté, se tenant debout avec des vêtements et des ornements qu’ils avaient déposés, rendirent hommage au Bôdhisattva. Alors le grand arithméticien Ardjouna prononça ces deux Gâthâs : 21. Les centaines de Kôtis, les Ajoutas, vs JN’àjoutas, les Niyoutas, la marche des Kang-karas ainsi que les Vivâhas et les Akchôbyas, cette science suprème, je ne l’ai pas. Ainsi dans cette matière au-dessus de moi, sa science des nombres est celle d’un être, incomparable.


ÉTAGES DES CIEUX SUPERPOSES (Figure A)
D’aprés une gravure de l’Aphabetum tibetanum, de Georgi, et qui est la copie d’un tableau d’un peintre tibétain.


22. Et sans doute, ô Càkyas, la poussière des trois mille mondes, de même que les herbes, les bois, les plantes médicinales et les gouttes d’eau, il pourrait les compter dans le temps qu’on mettrait à dire : Houm ! quoi de plus merveilleux pourrait être fait par ces cinq cents Çâkyas ?

Alors les dieux et les hommes, par centaines de mille, jetèrent des cris d’admiration et de joie. Et les fils des dieux qui se tenaient dans l’étendue du ciel récitèrent cette Gâthâ :

23. Dans la totalité des êtres, quels qu’ils soient, appartenant aux trois temps,


ÉTAGES DES CIEUX SUPERPOSÉS (Figure B).


les esprits et les idées produites par ces esprits, ainsi que les raisonnements bons ou mauvais, petits et grands, il les connaît parfaitement par un seul mouvement de son esprit.

Ainsi, Religieux, tous les jeunes Çàkyas furent surpassés. Le Bôdhisattva seul se distingua par sa supériorité. Aussitôt après, au saut, à la natation, à la course et tout le reste, le Bôdhisattva continua à se distinguer par sa supériorité. Et les fils des dieux qui se tenaient dans l’étendue des deux prononcèrent ces Gâthâs :


24. Par le mérite de la dévotion et des austérités, par l’abnégation, par la force de la patience et par le pouvoir sur soi-même, pendant des Kôtis de Kalpas, s’il a ainsi rendu légers son corps et son esprit, apprenez quelle est la supériorité de sa vitesse.

25. Vous le voyez ici entré dans la ville, ce meilleur des êtres, et cependant il va aux dix points de l’espace en un moment ; avec des offrandes variées de diamant et d’or, il fait des sacrifices aux innombrables Djinas, à tous les points du monde.

26. Vous ne connaissez ni son départ ni son retour, tant est grand le pouvoir surnaturel qu’il a acquis ; qui donc produirait ici cette merveille de vitesse ? Il est sans pareil. Montrez-vous respectueux pour lui.


C’est en faisant de pareilles choses que le Bôdhisattva se distingua par sa supériorité. Ensuite les Çâkyas dirent : On désire que le jeune homme fasse connaître aussi sa supériorité dans les luttes.

Alors le Bôdhisattva se tint seul debout, d’un côté, et les cinq cents jeunes Çàkyas s’étant réunis, se tinrent prêts à lutter. Et d’abord trente-deux jeunes Çâkyas s’étant réunis se tinrent prêts à la lutte. Alors Nanda et Ananda, tous les deux, s’étant approchés du Bôdhisattva dans le dessein de lutter de force avec lui, ne furent pas plutôt touchés par la main du Bôdhisattva, que tous les deux, incapables de soutenir sa force et sa splendeur, tombèrent à la renverse sur le sol.

Aussitôt après, le jeune Gùkya Dèvadatta, fier et enfié de l’orgueil de sa force, et de l’orgueil (d’être un) des Çàkyas, se hasardant contre le Bôdhisattva, et tournant tout autour de l’arène, sauta en se jouant sur le Bôdhisattva.

Alors le Bôdhisattva, sans se troubler et sans se presser, ayant pris doucement le jeune Dèvadatta avec sa main droite, sans pensée de lui nuire, et (seulement) pour rabaisser sou orgueil, le fit, dans sa bonté, tourner trois fois dans l’air, puis le remit sur la terre et ne blessa pas son corps.

Puis le Bôdhisattva dit : Assez, assez de cette lutte ! Venez tous à la fois pour la lutte.

Et tous réunis, emportés par l’orgueil, vinrent attaquer le Bôdhisattva. Mais il ne furent pas plutôt touchés qu’incapables de soutenir la noblesse, la majesté et la force de son corps, ils tombèrent aussitôt renversés sur le sol.

Eu ce moment les dieux et les hommes par centaines de mille poussèrent de grands cris d’admiration ; et les fils des dieux, qui se tenaient dans l’étendue des cieux firent tomber une grande pluie de fleurs, et récitèrent en chœur ces Gâthâs :


27. Tout ce qu’il y a d’êtres dans les dix points de l’espace, fussent-ils semblables à un lutteur redoutable, seraient renversés en un moment ; aussitôt touchés par le plus éminent des hommes, ils seraient renversés sur la terre.

28. Le Mèrou ainsi que le Soumêrou et les monts Tchakravâlas, de même que toute autre montagne, aux dis points de l’espace, en les touchant de ses mains, il les réduirait en poudre. Quoi de merveilleux en celui qui, dans un corps humain, n’en a pas la substance ?

29. Celui-ci, près du meilleur roi des arbres, après avoir renversé, par la force de la mansuétude, le grand et terrible lutteur Màra, allié de ceux qui sont noirs, son armée, ses soldats et ses chevaux, précédés de leurs étendards, touchera au calme de l’Intelligence suprême.


C’est en faisant de pareilles choses que le Bôdhisattva se distingue par sa supériorité.

Alors Dandapàni adressa ces paroles aux jeunes Çâkyas : Ce qu’on désirait connaître ayant été vu, montrez donc maintenant l’art de lancer les flèches.

Aussitôt Ânanda, à la distance de deux Krôças, mit pour but un tambour de fer. Après lui, Dêvadatta mit pour but un tambour de fer à la distance de quatre Krôças ; après lui, Soundarananda mit uu tambour de fer à la distance de six Krôças ;

Après lui, le Çàkya Dandapàni mit pour but uu tambour de fer à la distance de deux Yôdjanas. Puis le Bôdhisattva après avoir, à dix Krôças, mis pour but un tambour de fer, arrangea sept arbres Tâlas auprès, et, à la suite, une machine de fer de la figure d’un sanglier.

Alors Ananda atteignit le tambour mis pour but à la distance de deux Krôças ; mais il ne put faire plus.

Dêvadatta atteignit le tambour mis pour but à quatre Krôças, sans pouvoir faire plus.

Soundarananda atteignit le tambour mis pour but à six Krôças, sans pouvoir faire plus.

Dandapâni atteignit le tambour mis pour but à deux Yôdjanas, et parvint à le percer, sans pouvoir faire plus.

Alors le Bôdhisattva, après avoir brisé successivement tous les arcs qu'on lui présentait : Y a-t-il ici, dans la ville, quelque autre arc qui, tendu par moi, résiste à la force de mon corps et soutienne mon effort ?

Le roi dit : Mon fils, il y en a un. Le jeune homme dit : Sire, où est-il ? Le roi dit : Il y a eu ton grand-père, nommé Siñhahanou (mâchoire de lion), dont l'arc est honoré maintenant dans le temple des dieux, au milieu des parfums et des guirlandes ; et personne, jusqu'à présent, n'a pu soulever et, par conséquent, tendre cet arc.

Le Bôdhisattva dit : Sire, qu'on apporte cet arc, nous l'essayerons.

L'arc fut donc aussitôt apporté ; et tous les jeunes Çâkyas, quoique faisant les plus grands efforts, ne purent soulever cet arc, ni, à plus forte raison, le tendre.

Ensuite cet arc fut présenté au Çâkya Dandapàni, et quoiqu'il y employât toute la force de son corps, il parvint seulement à le soulever, sans pouvoir le tendre.

Cet arc fut enfin présenté au Bôdhisattva ; et lui, ayant saisi cet arc sans se lever de son siége en restant assis, les jambes à moitié croisées, il le saisit de la main gauche, et le tendit avec un seul doigt de la main droite.

Au moment où cet arc fut ainsi tendu, le son en retentit dans toute la grande cité de Kapilavastou, et tous les habitants, effrayés, se demandaient l'un à l'autre ce que c'était qu'un pareil bruit. Puis l'on se disait que le jeune Sarvârthasiddha avait tendu l'arc de son grand-père et que ce bruit venait de là.

Ensuite les dieux et les hommes par centaines de mille jetèrent de grands cris d'étonnement et d'admiration, et les fils des dieux qui se tenaient dans l'étendue du ciel adressèrent cette Gâthâ au roi Çouddhôdana et à cette grande multitude de peuple.


30. Puisque cet arc a été tendu par le Mouni, sans même qu'il se lève de son siége et sans faire d’efforts, sans nul doute, le Mouni aura bientôt accompli ses desseins, après avoir vaincu l'armée de Mâra.


Ainsi donc. Religieux, le Bôdhisattva, ayant tendu cet arc et ayant pris une flèche, lança cette flèche avec la même force. Et du côté où était le tambour d’Ânanda, le tambour de Dêvadatta, le tambour de Soundaranauda, le tambour de Dandapàui, après les avoir traversés tous, il perça, à la distance de dix Krôças, le tambour de fer que lui-même avait mis pour but, dépassa les sept arbres Tàlas, et enfin, après avoir transpercé la machine figurant un sanglier, la flèche perça la terre, et disparut en s’y enfonçant. A l’endroit où cette flèche était entrée en perçant le sol de la terre, il se forma un puits qui, encore aujourd’hui, est appelé Çarakoùpa (puits de la flèche).

Au même instant, les dieux et les hommes, par centaines de mille, poussèrent de grands cris d’étonnement et d’admiration, et toute la foule des Çâkyas émerveillés se disaient : C’est une merveille, en vérité ! Sans qu’aucune étude ait été faite par lui, il a une pareille habileté dans les arts !

Et les fils des dieux qui se tenaient dans l’étendue des cieux parlèrent ainsi au roi Çouddhôdana et à cette grande multitude de gens : Pourquoi ce grand étonnement et quelle eu est la cause ?

Après avoir parlé ainsi, les fils des dieux jetèrent sur le Bôdhisattva une profusion de fleurs et s’en allèrent.

Ainsi, dans le saut, la science de l’écriture, des sceaux, du calcul, de l’arithmétique, de la lutte, de l’arc ; dans la course, la natation, dans l’art de lancer les flèches, de conduire l’éléphant en montant sur son cou, le cheval en montant sur son dos ; dans l’art de conduire les chars, dans l’exercice de l’arc ; pour la fermeté, la force, le courage ; dans l’effort des bras, dans la conduite (de l’éléphant) avec le crochet, avec un lien ; dans l’action de se lever, de sortir, de descendre ; dans la ligature des poings, la ligature des pieds, la ligature des mèches de cheveux ; dans l’action de couper, défendre, de traverser, de secouer, de percer ce qui n’est pas entamé, de percer le joint, de percer ce qui résonne, dans l’action de frapper fortement ; au jeu de dés, dans la poésie, la grammaire, la composition des livres, la peinture, le drame, l’action dramatique, la lecture attentive, l’entretien du feu sacré, l’art de jouer de la Vîṇâ, la musique instrumentale, la danse, le chant la lecture, la déclamation, la plaisanterie, l’union de la danse et de la musique, la danse théâtrale, la mimique, la disposition des guirlandes dans l’action de rafraîchir avec l’éventail, dans la teinture des pierres précieuses, la teinture des vêtements, dans l’œuvre de la magie, l’explication des songes, le langage des oiseaux, dans (l’art de connaître) les signes des femmes, les signes des hommes, les signes des éléphants, des chevaux, des taureaux, des chèvres, des béliers, des chiens ; la composition des vocabulaires, l’écriture sainte, les Pourânas, les Itihâsas, le Vêda, la grammaire le Niroukta, l’art de prononcer la poésie, les rites du sacrifice ; dans l’astronomie, l’arithmétique, le Yoga, les cérémonies religieuses, la méthode des Vâicêchikas, la connaissance des richesses, la morale, l’état de précepteur, l’état Asoura, le langage des oiseaux et des animaux, la science des causes, l’arrangement des filets, les ouvrages de cire, la couture, la ciselure, la coupure des feuilles, le mélange des parfums, (eu toutes ces choses) et dans tout le reste des arts du monde, le Bôdhisattva, surpassant l’ouvrage des dieux et des hommes, s’est, lui seul, distingué éminemment par sa supériorité.

Alors, au même instant, le Çâkya Dandapâni donna sa fille Gôpâ au Bôdhisattva. Et, en conséquence, elle fut, par le roi Çouddhôdana, choisie comme fiancée du Bôdhisattva.

Et en ce temps-là aussi, le Bôdhisattva, afin d’agir selon les usages du monde, se montra, au milieu de quatre-vingt-quatre mille femmes, livré aux jeux et aux plaisirs. Parmi ces quatre-vingt-quatre mille femmes, Gôpâ, de la famille Çâkya, fut solennellement reconnue pour la première épouse.

Cependant Gôpâ, la jeune femme de la famille de Çâkya, en présence de son beau-père et de sa belle-mère et des gens de la maison, quels qu’ils fussent, ne voilait pas son visage. Ceux-ci se disaient, en la blâmant avec sévérité : Cette jeune femme a un maintien relâché, car elle n’est jamais voilée.

Alors Gôpâ, de la famille de Çâkya, ayant appris cela, récita ces Gâthâs en présence de tous les gens de la maison :


32. Découverte, une personne honorable brille assise, debout ou marchant ; le joyau Mani, au sommet d’un étendard, apparaît plus brillant.

33. Une personne honorable brille en partant, brille aussi en arrivant ; debout ou assise, une personne honorable brille partout.

34. Une personne honorable brille en parlant, brille aussi en restant silencieuse, comme l’oiseau nommé Kalavingka, quand ou le voit ou quand il chante.

35. Avec un vêtement de Kouça, sans vêtement ou avec un vêtement misérable et le corps amaigri, une personne honorable brille de sa propre splendeur ; celui qui a des qualités est paré de ses qualités.

30. Partout brille la personne honorable qui est sans péché ; quelque paré qu’il soit l’insensé qui commet le péché ne brille pas.

37. Ceux qui, avec la malice dans le cœur, ont des paroles douces, sont comme un pot de poison recouvert d’ambroisie. Comme la pierre du rocher, rude au toucher, ou comme le contact de la tête du serpent est dur le fond de l’âme de pareilles gens.

38. Tous vont avec plaisir là où se trouvent les gens distingués, comme vers les étangs sacrés nécessaires à la vie de tous les êtres ; les gens honorables sont toujours comme un vase rempli de lait et de caillé ; c’est une vraie bénédiction que la vue de pareils êtres purs.

39. Ceux qui, abandonnés depuis longtemps par des amis vicieux, ont été accueillis par de précieux amis vertueux et ont abandonné le péché pour demeurer dans la loi du Bouddha, c’est une bénédiction pleine de fruits que la vue de gens semblables.

40. Ceux qui se sont rendus maîtres de leur corps et ont bien dompté les défauts du corps ; ceux qui, maîtres de leur parole, ont toujours des paroles réservées ; ceux qui, ayant réprimé leurs sens, sont calmes et ont l’esprit apaisé, pourquoi des gens semblables se voileraient-ils le visage ?

41. Quand même ils couvriraient leur corps do mille vêtements, ceux qui, avec un esprit dissipé, n’ont ni honte ni modestie, et qui, sans aucune de ces qualités, n’ont pas non plus un langage véridique, s’en vont par le monde plus nus que ceux qui sont nus.

42. Celles qui, ayant l’esprit gardé et les sens toujours domptés, satisfaites de leur époux, ne pensent pas à un autre que lui, apparaissent, sans voile, brillantes comme le soleil et la lune, pourquoi de telles personnes voileraient elles leur visage ? Et encore :

43. Ils connaissent mes intentions les Richis magnanimes habiles à pénétrer la pensée des autres, de même que les assemblées des dieux connaissent ma conduite, mes qualités, ma retenue et ma modestie ; pourquoi donc me voilerais-je le visage ?


Religieux, le roi Çouddhôdona écouta toutes ces stances qui montraient la sagesse de la jeune Gôpà de la famille des Çàkyas. Après les avoir entendues, il fut rempli de contentement, de satisfaction et de plaisir, et, dans la joie qu’il éprouvait, ayant couvert la jeune Gôpâ de la famille des Çâkyas d’une couple de pièces d’étoffe blanche semée de pierres précieuses de la valeur de cent mille Kôṭis de Palas, ainsi que d’un collier de perles et d’une guirlande d’or incrustée de belles perles rouges, il prononça cette Gâthâ :

44. Puisque mon fils est orné de qualités, et puisque cette jeune fille aussi brille par ses qualités, ces deux êtres purs réunis sont comme le beurre clarifié et l’essence du beurre clarifié.

Chapitre appelé : Épreuve de l’habileté dans les arts, le douzième.