Le Livre de la pitié et de la mort/07
DANS LE PASSÉ MORT
Le temps passé, tout l’antérieur amoncelé des durées, obsède mon imagination d’une manière presque constante.
Et souvent j’ai eu ce désir, — le seul irréalisable d’une façon absolue, impossible même à Dieu, — de retourner, ne fût-ce que pour un instant furtif, en arrière, dans l’abîme des temps révolus, dans la fraîcheur matinale des autrefois plus ou moins lointains.
Avec un peu d’attentive volonté, la demi-illusion d’un de ces retours peut me venir, à certaines heures particulières, quand par exemple je pénètre dans des lieux qui n’ont pas changé depuis des siècles, dans des habitations restées intactes, — où de vieux ossements, aujourd’hui éparpillés on ne sait plus dans quelle terre, vivaient, pensaient, souriaient. Je l’éprouve aussi en retrouvant par hasard de ces choses tout à fait fragiles, frêles, qui parfois se conservent miraculeusement, après que les êtres auxquels elles ont appartenu sont depuis longtemps retournés à la plus méconnaissable poussière. — Alors je revois assez bien, en esprit, des personnages disparus, vieux ou délicieusement jeunes. Mais jamais je n’arrive à me les représenter à la lumière du plein jour : le vague crépuscule dans lequel ils me réapparaissent d’ordinaire tient à la fois de l’extrême matin et de la nuit qui tombe, de l’aube étrangement fraîche et du suprême soir.
Mes ancêtres les plus proches, ceux du commencement de ce siècle ou de la fin de l’autre, que les portraits m’ont appris à connaître de visage et de sourire, desquels on m’a dit les allures et les façons habituelles, dont certaines phrases entières m’ont même été rapportées, — et qui, d’ailleurs, vivaient d’une vie déjà si semblable à la nôtre au milieu d’objets connus, — je les revois parfaitement, ceux-là ; mais toujours par des soirs de printemps, par de beaux crépuscules limpides embaumés de jasmin.
Cette association, qui se fait malgré moi entre les soirées de mai, l’odeur de ces fleurs et le temps passé, je lui trouve beaucoup de charme. Je me l’explique d’ailleurs assez facilement. D’abord, le jasmin est une plante de mode ancienne ; les vieux murs de notre maison familiale, dans l’île d’Oléron, en sont tapissés depuis deux ou trois siècles. Et puis surtout, un soir, dans mes commencements à moi, comme je revenais de la promenade, au crépuscule, grisé des senteurs de la campagne, du foin nouveau, de la belle verdure partout réapparue, je trouvai au fond de notre cour ma grand’mère et ma grand’tante Berthe, assises là à prendre le frais sur un banc, dans la pénombre, sous des branches retombantes dont on distinguait encore confusément les fleurs blanches (vieux jasmins toujours). Elles étaient en train de causer de deux de leurs sœurs, mortes accidentellement très jeunes, — vers 1820 à peu près, — qui, paraît-il, s’attardaient aussi dans cette cour, les soirs des printemps d’alors, à chanter des duos accompagnés de guitares… Alors, il me vint une impression subite de temps passé, la première vraiment vive depuis que j’étais au monde, saisissante, presque effrayante, avec tout un rappel de sensations qui semblaient ne plus bien m’appartenir à moi-même…
On n’en avait encore jamais parlé devant moi, de ces deux jeunes filles mortes, et je m’approchai, frissonnant, l’imagination tendue, pour écouter avec une crainte avide ce qu’on dirait d’elles. Oh ! ces duos qu’elles chantaient, ces voix d’autrefois qui vibraient à cette même place et par des soirs de mai pareils !… Poussière à présent, les lèvres, les gosiers, les cordes qui avaient donné, dans la même tranquillité fraîche des crépuscules, ces harmonies-là… Et très vieilles, près de mourir aussi, les deux aïeules qui, les dernières, s’en souvenaient… J’écoutais, je questionnais timidement sur leurs aspects : « Comment étaient leurs figures, à qui ressemblaient-elles ?… » Déjà se dressait devant ma route le sombre et révoltant mystère de l’anéantissement brutal des personnalités, de la continuation aveugle des familles et des races… Pendant tous ces printemps-là, le soir, sous ce berceau de jasmin, je songeai obstinément à ces deux jeunes filles, mes grand’tantes inconnues… Et l’association d’idées dont je parlais tout à l’heure fut faite dans mon esprit pour toujours.
Tout récemment, un soir de ce dernier mois de mai, à la fenêtre de mon cabinet de travail, je regardais la belle lumière s’éteindre peu à peu sur notre quartier tranquille, sur les maisons toujours connues d’alentour. Les hirondelles, les martinets, après des tournoiements et des cris de joie effrénée, intimidés maintenant par l’ombre, avaient fait silence tous en même temps, comme au signal d’un chef, s’étaient nichés un à un sous les tuiles, laissant libres les champs de l’air pour les rapides et à peine visibles chauves-souris. Un reste de splendeur rose planait au-dessus de nous, n’effleurant bientôt plus que le sommet des vieux toits, puis remontait toujours, et se perdait en haut dans le vide trop profond du ciel… La vraie nuit allait venir…
Une senteur de jasmin m’arriva tout à coup des jardins du voisinage, — et alors je songeai au passé, — mais à ce passé qui nous précède à peine, à celui dont les acteurs ont encore forme sous la terre dévorante et encombrent les cimetières de leurs cercueils presque intacts : hommes qui portaient au cou la cravate à plusieurs tours de 1830, femmes qui se coiffaient en papillotes, pauvres débris qui ont été des grands-pères, des grand’mères tendrement pleurés — et que déjà l’on oublie… Sans doute, grâce à l’immobilité des petites villes de province, ce quartier placé sous mes yeux n’avait dû guère changer depuis l’époque antérieure qui maintenant préoccupait mon imagination. Restée la même aussi, cette vieille maison qui nous fait vis-à-vis et où jadis une de mes grand’mères habitait. Et l’obscurité aidant, je m’efforçai, avec toute ma volonté, de me figurer que les temps actuels n’avaient pas encore commencé d’être ; que la date de ce jour était plus jeune de soixante ou quatre-vingts années. — Si la porte de cette maison d’en face allait s’ouvrir, pour donner passage à cette grand’mère à peine connue, qui apparaîtrait là, jeune encore et jolie, avec des manches à gigot et une étrange coiffure ; si d’autres promeneuses aussi, dans des atours de la même époque, allaient peupler la rue de leurs ombres légères… Oh ! quel charme, quel amusement mélancolique il y aurait à revoir, ne fût-ce qu’un seul instant, ce même quartier par un crépuscule de mai 1820 ou 1830 ; les jeunes filles d’alors, dans leurs costumes et leurs attitudes surannés, partant pour la promenade ou paraissant aux fenêtres pour prendre la fraîcheur du soir !…
Il s’ensuivit que, la nuit d’après, je vis en songe ce que je m’étais si intensément représenté à moi-même pendant cette rêverie-là : une tombée de nuit de mai, vers le premier quart de ce siècle prêt à finir. Dans les rues de ma ville natale, qui n’étaient guère changées mais où descendait une pénombre de soir assez sinistre, je me promenais, avec quelqu’un de ma génération… je ne sais trop qui, par exemple, un être invisible, pur esprit, comme en général mes compagnons de rêve, — ma nièce peut-être, ou bien Léo, en tout cas un personnage en communion habituelle d’idées avec moi et hanté à ma manière par l’obsession du passé. Et nous regardions de nos pleins yeux, pour ne rien perdre de cet instant, que nous savions rare, unique, instable, impossible à retenir, instant d’une époque si ensevelie, qui revivait par quelque artifice magique. — On sentait très bien du reste qu’on ne pouvait compter sur la fixité de ces choses ; parfois les images s’éteignaient brusquement, pour une demi-seconde, réapparaissaient, puis s’éteignaient encore ; c’était comme une pâle fantasmagorie clignotante, qu’un effort de volonté, très pénible à soutenir, aurait réussi à faire jouer à travers des couches trop épaisses d’ombre morte. — Nous pressions le pas, un peu affolés, pour voir, voir le plus possible, avant le coup de baguette qui replongerait tout dans la grande nuit définitive ; il nous tardait d’arriver jusqu’à notre quartier, dans l’espoir d’y rencontrer quelque personne de la famille, quelque aïeul que nous pourrions reconnaître, — ou, qui sait, peut-être maman et tante Claire, encore très petites filles, qu’on ramènerait de la promenade du soir, de la cueillette des fleurs de mai… Les passants se hâtaient aussi de rentrer, de disparaître, dans les maisons dont ils fermaient vite les portes, — comme des ombres déshabituées d’errer en pleine rue, un peu inquiètes de se retrouver en vie. Les femmes avaient des manches à gigot, des peignes à la girafe, des chapeaux si surannés que, malgré notre saisissement et notre vague effroi, il nous arrivait de sourire… Un vent triste, au coin des rues surtout, agitait, dans le crépuscule confus, les jupes, les petits châles, les écharpes un peu comiques des promeneuses, leur donnant l’air encore plus fantôme. Mais, malgré ce vent-là et malgré cette pénombre funèbre, c’était bien le printemps : les tilleuls étaient en fleurs, et, sur les vieux murs, des jasmins embaumaient… Bien près de nous, passa un couple encore tout jeune, deux amoureux tendrement appuyés au bras l’un de l’autre, et je ne sais quoi de déjà connu dans leurs figures nous fit les dévisager avec plus d’attention : « Oh ! dit ma nièce, d’un ton moitié attendri, moitié moqueur sans méchanceté… les vieux Dougas ! » (C’était devenu définitivement ma nièce, cette personne, imprécise au début, qui m’accompagnait ; je la voyais même à présent d’une façon assez nette, cheminant à mes côtés, très vite elle aussi, courant presque.)
Les vieux Dougas, en effet ! c’était la ressemblance que je cherchais moi-même. Et nous étions tout émus, non pas précisément à cause d’eux, mais du fait seul d’avoir enfin réussi à reconnaître quelqu’un dans ce peuple de spectres furtifs. Cela donnait tout à coup un charme de plus frappante vérité à cette replongée dans le temps et cela jetait sur cette revue de choses effacées une mélancolie encore plus indicible…
Ces vieux Dougas, les personnages certes auxquels nous pensions le moins, sous quel aspect inattendu ils venaient de passer près de nous !… Deux pauvres êtres grotesques, connus de vue autrefois dans le quartier, déjà caducs et perclus quand nous étions encore enfants, de ces vieillards qui font aux jeunes l’effet d’avoir toujours été ainsi… Et c’étaient vraiment eux qui trottaient de ce pas alerte, à ce petit vent du soir, avec ces airs de tourtereaux. Elle, absolument jeune, tête penchée, cheveux très noirs, arrangés assez coquettement sous un grand chapeau de son temps. Pas plus ridicules que d’autres, mon Dieu, pas plus laids, transfigurés par la seule magie de la jeunesse, ayant l’air de jouir autant que n’importe qui des heures fugitives du printemps et de l’amour… Et, de les voir amoureux et jeunes, eux aussi, ces vieux Dougas, cela me donnait une compréhension encore plus désolée de la fragilité de ces deux choses, amour et jeunesse, — les seules qui vaillent la peine que l’on vive…
Une autre impression très poignante de temps passé m’est venue tout dernièrement, en pays corse.
À Ajaccio, où j’arrivais à peine et pour la première fois, des amis m’avaient mené voir la maison où naquit Napoléon Ier. — C’était au printemps, toujours, — un printemps plus chaud que le nôtre, lourd sous un ciel couvert, avec des senteurs d’orangers et de je ne sais quelles autres plantes presque africaines. — Par avance, je ne m’en souciais guère de cette maison, comme du reste de tous les lieux très cotés dans les guides et où chacun se croit obligé de courir ; ça ne me disait rien, et je n’en attendais aucune émotion.
Le quartier cependant me plut assez dès l’abord ; on sentait que, dans le voisinage immédiat, rien n’avait dû beaucoup changer, depuis l’enfance de cet homme qui a tant bouleversé le monde.
La maison surtout était intacte et, dès l’entrée, l’heure du soir et le silence aidant, le passé commença de sortir pour moi des ténèbres d’en-dessous — évoqué comme toujours par les détails les plus infimes : l’usure des marches de l’escalier, le badigeon fané des murailles, le vieux râcloir en fer placé sur le seuil, pour les pieds crottés du xviiie siècle… — Le passé commença de s’agiter d’une vie spectrale, dans ma tête attentive…
D’abord la cour, la toute petite cour triste et sans verdure, entourée de hautes maisons très anciennes… Je vis jouer là-dedans, en costume d’autrefois, l’enfant singulier qui devint l’empereur…
Les appartements, où je pénétrai au crépuscule, ne s’éclairaient qu’à travers des jalousies partout fermées, comme pour plus de mystère. Les choses avaient un air d’élégance, un parfum de bon ton dans cette grande demeure ; évidemment, en tenant compte de l’époque, les maîtres de céans avaient dû être des gens fort bien. Et puis le sceau du passé était imprimé si fortement partout ! L’odeur de poussière, le délabrement extrême de ces meubles Louis XV ou Louis XVI, mangés par les mites et la vermoulure, donnaient si facilement l’illusion d’un abandon absolu, d’une longue immobilité de sépulcre, comme si personne n’eût pénétré là, depuis tantôt cent ans que les hôtes historiques en étaient sortis. Dans la salle à manger, donnant sur la petite rue presque déserte, il y avait au milieu leur table encore dressée, avec de bizarres chaises de forme antique rangées autour, — et peu à peu j’arrivai à me représenter, par une soirée de printemps effroyablement pareille à celle-ci, avec les mêmes bruits d’oiseaux sur les toits et les mêmes senteurs dans l’air, un de leurs soupers de famille ; ils ressuscitaient tous à mes yeux maintenant, dans la pénombre favorable aux morts, avec leurs costumes et leurs visages ; la pâle madame Lœtitia, assise au milieu de ses enfants un peu étranges, dont l’avenir énigmatique préoccupait déjà son esprit grave… C’est si près de nous, leur époque, quand on y songe ; nous sommes encore si voisins les uns des autres, dans la suite profonde et sans commencement des durées…
Puis, de cette mère d’empereur, ma pensée se reporta sur la mienne, à moi l’obscur, et — sans qu’il me soit possible d’expliquer en aucune façon ce sentiment-là — j’éprouvai une tristesse subite, quelque chose comme un vertige d’abîme, à me dire que ce souper des Bonaparte, revu tout à coup si nettement, se passait plus d’un demi-siècle avant qu’il fût question dans ce monde de ma mère à moi ; de ma mère qui est toujours ce que j’ai de plus précieux et de plus stable, qui est toujours celle contre qui je me serre, avec un reste de confiance tendre de petit enfant, quand la terreur me prend, plus sombre, de la destruction et du vide.
Je ne sais comment exprimer cela, mais j’aimerais mieux pouvoir me figurer que ses commencements à elle remontent plus haut que tout, que sa foi douce, qui me rassure encore, a des origines un peu lointaines dans le passé ; — de même que j’ai l’inconséquence de presque espérer pour son âme, au delà de la mort, un prolongement sans fin. Non, songer à un temps déjà si semblable au nôtre et où cependant elle n’avait pas même commencé d’exister, cela me déroute ; je crois que cela me donne une perception nouvelle, plus décevante encore, du rien que nous sommes tous deux dans le tourbillonnement immense des êtres et dans l’infinité des temps.
L’attention est vite distraite, par fatigue, dès qu’elle a été un peu trop tendue sur un sujet donné. Je continuai maintenant ma visite à la maison de l’empereur en pensant à autre chose, à n’importe quoi, sans m’y intéresser plus.
Je regardai pourtant encore sa modeste chambre à lui, sa chambre de jeune homme, où, dit-on, il coucha pour la dernière fois à son retour d’Égypte. Elle était assez saisissante d’aspect, avec tous ses menus détails respectés. Dans notre vieille maison de l’île d’Oléron, je me souviens d’en avoir connu une pareille, habitée jadis par une arrière-grand’tante huguenote qui avait été presque sa contemporaine.
Mais, pour moi, l’âme et l’épouvante du lieu, c’est, dans la chambre de madame Lœtitia, un pâle portrait d’elle-même, placé à contre-jour, que je n’avais pas remarqué d’abord et qui, à l’instant du départ, m’arrête pour m’effrayer au passage. Dans un ovale dédoré, sous une vitre moisie, un pastel incolore, une tête blême sur fond noir. Elle lui ressemble à lui ; elle a les mêmes yeux impératifs et les mêmes cheveux plats en mèches collées ; son expression, d’une intensité surprenante, a je ne sais quoi de triste, de hagard, de suppliant ; elle paraît comme en proie à l’angoisse de ne plus être… La figure, on ne comprend pas pourquoi, n’est pas restée au milieu du cadre, — et l’on dirait d’une morte, effarée de se trouver dans la nuit, qui aurait mis furtivement la tête au trou obscur de cet ovale pour essayer de regarder, à travers la brume du verre terni, ce que font les vivants — et ce qu’est devenue la gloire de son fils… Pauvre femme ! à côté de son portrait, sur la commode de sa vieille chambre mangée aux vers, il y a sous globe, une « crèche de Bethléem » à personnages en ivoire, qui semble un jouet d’enfant ; c’est son fils, paraît-il, qui lui avait rapporté ce cadeau d’un de ses voyages… Ce serait si curieux à connaître, leur manière d’être ensemble, le degré de tendresse qu’ils pouvaient avoir l’un pour l’autre, lui affolé de gloire, elle toujours inquiète, sévère, attristée, clairvoyante…
Pauvre femme ! Elle est bien dans la nuit, en effet, et le grand éclat mourant de l’empereur suffit à peine à maintenir son nom dans quelques mémoires humaines. — Ainsi, cet homme a eu beau s’immortaliser autant que les vieux héros légendaires, en moins d’un siècle sa mère est oubliée ; pour la sauver du néant, il reste à peine deux ou trois portraits à l’abandon, comme celui-ci qui déjà s’efface. Alors, les nôtres, — nos mères à nous les ignorés, — qui s’en souviendra ? Qui conservera leur image chérie quand nous n’y serons plus ?…
En face de ce pastel, à un angle opposé de cette même chambre, une autre petite chose triste attire encore mes yeux, malgré l’obscurité crépusculaire qui tombe : c’est, dans un simple cadre de bois, une photographie jaunie accrochée au mur. Elle représente, tout enfant et en pantalon court, ce très jeune prince impérial qui fut tué en Afrique il y a une douzaine d’années. Une fantaisie singulière, assez touchante, de l’ex-impératrice Eugénie a placé là ce souvenir de son fils, dernier des Napoléon, dans la chambre même où était né l’autre, le grand qui remua le monde…
Je songe à ce qu’il y aura de frappant et d’étrange, dans un siècle ou deux, pour quelques-uns de nos arrière-fils, à passer en revue des photographies d’ancêtres ou d’enfants morts. Si expressifs qu’ils soient, ces portraits, gravés ou peints, que nos ascendants nous ont légués, ne peuvent produire sur nous rien de pareil comme impression. Mais les photographies, qui sont des reflets émanés des êtres, qui fixent jusqu’à des attitudes fugitives, des gestes, des expressions instantanées, comme ce sera curieux et presque effrayant à revoir, pour les générations qui vont suivre, quand nous serons retombés, nous, dans le passé mort…