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Le Livre des sonnets
Le Livre des sonnetsAlphonse Lemerre (p. Titre-np).
LE LIVRE


des Sonnets


Seize dizains de ſonnets choiſis



PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
23-31, PASSAGE CHOISEUL, 23-31
M DCCC XCIII

LE LIVRE


des Sonnets

L. Monziès del. & sculp.Imp. A. Salmon.

LE LIVRE


des Sonnets


Seize dizains de ſonnets choiſis



PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
23-31, PASSAGE CHOISEUL, 23-31
M DCCC XCIII
AVERTISSEMENT


Nous avons voulu réunir en ce petit volume les Sonnets français qu’on ſait les plus fameux, ou qu’on eſtime les mieux faits.

Nous avons clos le recueil après le ſeizième dizain, eſpérant n’avoir rien omis d’illuſtre ou d’excellent.

Notre recueil commence avec la Pléiade & finit avec les poètes contemporains. On pourra ſuivre ainſi, à travers trois ſiècles, les variations du plus ſévère & du plus charmant des poèmes à forme fixe.

En publiant le texte des Sonnets, nous avons, ſuivant notre coutume, reſpecté l’orthographe & la ponctuation originales.

On ſait que les vieux poètes ne donnaient point de titre à chacun de leurs Sonnets. Nous ne nous ſommes permis d’ajouter un titre que lorſque le titre même du recueil d’où nous tirions un Sonnet y pouvait être appliqué, ou que la tradition littéraire nous fournirait une déſignation conſacrée.

Il nous a paru utile d’indiquer, dans des notes, la provenance de chaque Sonnet, & de produire, quand il y avait lieu, des variantes & des éclairciſſements,


Une prompte faveur a accueilli les précédentes éditions de ce recueil. Celle-ci contient ſoixante Sonnets de plus que la première, celle de 1871, & offre, nous oſons le croire, un tableau aſſez complet des deſtinées du Sonnet en France.

Ce nous eſt un devoir agréable d’exprimer toute notre reconnaiſſance à MM. les Éditeurs qui ont bien voulu nous autoriſer à publier les Sonnets choiſis par nous dans les œuvres dont ils ont la propriété. Ils nous ont fait part de leur bien en faveur du public. Tous ceux qui se plairont à ce petit livre leur ſauront gré de nous avoir permis de le faire auſſi riche.


A. L.

HISTOIRE


DU SONNET

HISTOIRE DU SONNET





Jai toujours penſé qu’il y avait un chapitre d’hiſtoire littéraire amuſante à faire ſur le Sonnet. Et, en effet, le Sonnet, indépendamment de ſon importance littéraire, a eu ſon importance hiſtorique.

Depuis le jour où le caprice d’un poète inventa ſa règle ſavante, on peut ſuivre à travers les âges ſa marche parfois interrompue. On le voit se mêler aux événements, s’accrocher à des noms célèbres, & quelquefois devenir cauſe lui-même & occaſionner, comme au temps des Jobelins & des Uranins, de véritables émeutes. Parfois, il a émigré, disparaiſſant d’un pays pour aller florir dans un autre ; & deux grandes nations littéraires ſe diſputent l’honneur de ſon invention.

Enfin, je n’ai jamais lu qu’on ſe fût battu pour une Ode, qu’une Élégie eût créé des diſſenſions ; & le Sonnet, comme nous l’apprend Balzac, a partagé la cour & la ville & diviſé la maiſon de France. Le commentaire de Saint-Hyacinthe ſur un couplet de chanſon n’a qu’un volume, & l’on ferait une bibliothèque de ce qui a été écrit, tant en proſe qu’en vers, à différentes époques, pour, contre & ſur le Sonnet.

On ſait que Boileau a dit que le dieu des vers,


Voulant pouſſer à bout tous les rimeurs françois,
Inventa du Sonnet les rigoureuſes lois.

Quant à moi, elles ne m’ont jamais paru tellement rigoureuſes, & c’eſt indubitablement à ſa coupe ſi heureuſe — véritable invention de génie — & à la perfection impoſée par ſa conciſion que le Sonnet a dû ſon ſuccès & ſa popularité.

Godeau, évêque de Vence, qui fut un poète diſtingué, allait encore plus loin que Deſpréaux : il prétendait que le règne du Sonnet n’eſt pas de ce monde & niait qu’on en pût faire de parfaits ; il était athée en Sonnet.

Il n’eſt pas douteux néanmoins qu’il ne ſoit fort aiſé d’en faire de médiocres, à voir l’innombrable quantité de Sonnets répandus dans les œuvres des poètes français & étrangers. Titon du Tillet, auteur du Parnaſſe françois, dit, en parlant de Jodelle : « Il lui étoit fort ordinaire de prononcer des Sonnets ſur-le-champ ; & ceux de rencontre ne l’ont ſouvent occupé que le tour d’une allée de jardin. »

L’origine du Sonnet a donné lieu, dès le xvie siècle ſiècle, à de nombreuſes conteſtations. Quelques auteurs ont penſé qu’il était d’invention italienne.

M. Sainte-Beuve, un des derniers qui aient parlé du Sonnet, s’eſt laiſſé prendre à cette opinion lorſqu’il a dit :


Du Bellay, le premier, l’apporta de Florence.


Mais ce n’eſt là qu’une héréſie, réfutée dès ſa naiſſance par Étienne Paſquier, Michel de Noſtradamus, Vauquelin de La Freſnaye, Antoine du Verdier, Lacroix du Maine, Henry Eſtienne, Scévole de Sainte-Marthe, &, après eux, par Colletet, l’académicien.

Selon ce dernier, homme très compétent[1], Du Bellay n’aurait fait que reprendre aux Italiens ce qu’ils avaient emprunté aux troubadours de la Provence, & ce que ceux-ci mêmes avaient appris des poètes qui floriſſaient à la cour des premiers rois de France.

Voici comment Colletet motive cette aſſertion, qui a du moins le mérite d’être patriotique :

« Mais quoy que diſent tous ces fameux Autheurs touchant la première inuention du Sonnet, ie croy qu’il eſt bien encore de plus ancienne datte. Car ie trouue que Thibaut VII, Comte de Champagne, qui fit vne infinité de Chanfons amoureuſes en faueur de la Reyne Blanche, Mere du Roy faint Loüis…, témoigne qu’auparauant luy le Sonnet eſtoit déjà en vſage, puis qu’il en fait mention dans ſes Vers,


Et maint Sonnet, & mainte recordie.


Or ce Thibaut, comte de Champagne, & Roy de Nauarre, premier du nom, viuoit l’an 1226, desjà pour lors aſſez âgé ; c’eſt à dire plus de ſix vingts ans auparauant Petrarque, qui, comme i’ay dit, eſtoit (ſelon quelques-vns) le premier Autheur des Sonnets ; & enuiron ſoixante ans auparauant ce Bertrand de Marſeille, ce Guilhem des Almarics, & ce Girard de Bourneüil, qui en ont auſſi paſſé pour les premiers inuenteurs. Ainſi il y a bien de l’apparence que ce ſont les Poètes qui floriſſoient en la Cour de nos premiers Roys, qui ont les premiers inuenté le Sonnet. Et ce qui me confirme d’autant plus dans cette creance, c’eſt que… le premier Autheur du fameux Romant de la Roſe, Guillaume de Loris, qui mourut l’an 1260, ſous le regne du meſme Roy ſaint Loüis, témoigne que les François en auoient vſé, lors qu’il dit dans ſon fameux Romant,


Lais d’amours, & Sonnets courtois[2]. »


Une fois rentré en France, rapporté & non plus apporté par Du Bellay, le Sonnet devint la fureur, la paſſion de tout ce qui rimait à la cour de Henri II.

Du Bellay avait donné, ſous le titre de L’Olive, un recueil de Sonnets en l’honneur de ſa maîtreſſe ; on eut la Francine, de Baïf, recueil de Sonnets adreſſés à une dame ; la Claire, de Charondas, Loys le Caron ; la Caſtianire, d’Olivier de Magny ; l’Ariane & l’Artèmife, d’Amadis Jamyn ; l’Hippolyie, la Diane & la Cléonice, de Philippe Desportes, abbé de Tyron ; l’Admirée, de Jacques Tahureau ; l’Olympe, de Jacques Grévin, médecin de Marguerite de France ; la Flore, de Pierre Le Loyer ; l’Amalthée, de Claude du Buttet. Enfin Ronſard, ſous les noms de Caſſandre, de Marie & d’Hélène, publia trois recueils de Sonnets amoureux, & Marc-Antoine de Muret, N. Richelet & Remy Belleau, le chantre d’avril, commentèrent Hélène, Marie & Cassandre. Voilà donc les deux titres de la nobleſſe littéraire acquis au Sonnet : la vogue & le commentaire. N’oublions pas de conſigner, pour compléter la litanie, le recueil de ſoixante & onze Sonnets politiques de Pierre Le Loyer.

Mais ce n’était là que le prélude de la gloire du Sonnet. Il n’avait paſſionné que les poètes. Voici venir le temps où la paſſion devait gagner le public, & quel public !

Vers 1599, Honorat Laugier, ſieur de Porchères, qui fut plus tard de l’Académie, compoſa ſur les yeux de la ducheſſe de Beaufort, maîtreſſe de Henri IV, un Sonnet dont la vogue durait encore vingt ans après, & qui ſe trouve imprimé dans tous les recueils de poésies galantes de l’époque. « Sa réputation, dit Colletet, s’épandit tellement par la France, qu’il en fit naiſtre vne infinité d’autres à ſon imitation. »


Je le cite comme un monument du goût qui régnait alors :


Ce ne ſont pas des yeux, ce ſont plustoſt des dieux,
Ils ont deſſus les Rois, la puiſſance abſoluë :
Dieux, non, ce ſont des cieux, ils ont la couleur bluë
Et le mouuement prompt comme celuy des deux :

Cieux, non, mais deux Soleils clairement radieux,
Dont les rayons brillans nous offuſquent la veuë :
Soleils, non, mais eſclairs de puiſſance incognuë,
Des foudres de l’Amour ſignes preſagieux.


Car s’ils eſtoient des dieux feroient-ils tant de mal ?
Si des Cieux, ils auroient leur mouuement eſgal :
Des Soleils, ne ſe peut, le Soleil eſt unique :

Eſclairs, non, car ceux-cy durent trop, & trop clairs.
Toutesfois ie les nomme, à fin que ie m’explique,
Des yeux, des dieux, des cieux, des ſoleils, des eſclairs.


Il faut ajouter qu’ici Colletet prend ſoin de nous avertir que ce qui fut alors une pièce rare & excellente pourrait bien aujourd’hui tomber dans le ridicule.

Nous trouvons mentionné avec détail, dans le livre de Colletet, le ſuccès obtenu par un Sonnet d’Olivier de Magny à la cour de Henri II. Je tranſcris la page entière, à cauſe des particularités intéreſſantes qui s’y rencontrent :


« Comme Oliuier de Magny, qui viuoit ſous le regne de Henry ſecond, écriuoit d’vn ſtyle aſſez doux, & meſme aſſez fleury pour ſon ſiecle, il compoſa vn grand nombre de Sonnets ſur des ſuiets differens. Mais entre les liens il y en eut vn qui paſſa pour vn ouurage ſi charmant, & ſi beau, qu’il n’y eut preſque point alors de curieux qui n’en chargeait ſes Tablettes, ou ſa mémoire. Ie ne feindray point de l’inſerer icy tout entier, puis que ſes œuures ne ſe rencontrent auiourd’huy que fort rarement. Et puis il ne faut pas méprifer ces nobles Eſprits qui ont tant trauaillé à défricher noſtre langue, qui eſtoit deuant eux ſi barbare, & ſi inculte. Voicy donc ce fameux Sonnet, qui eft vn Dialogue entre l’Autheur & le vieux Charon.


magny.

Holà, Charon, Charon, Naulonnier infernal !

charon.

Oui eſt cet importun qui ſi preſſé m’appelle ?

magny.

C’eſt le cœur éploré d’un Amoureux fidelle,
Lequel pour bien aimer n’eut iamais que du mal.

charon.

Que cherches-tu de moy ?

magny.

Que cherches-tu de moy ? Le passage fatal.

charon.

Quelle eſt ton homicide ?

magny.

Quelle eſt ton homicide ? Ô demande cruelle !
Amour m’a fait mourir.

charon.

Amour m’a fait mourir. Iamais dans ma Nacelle
Nul fuiet à l’Amour ie ne conduis à val.

magny.

Et de grace, Charon, conduy-moy dans ta Barque.

charon.

Cherche vn autre Nocher, car ny moy, ny la Parque,
N’entreprenons iamais ſur ce Maiſtre des Dieux.

magny.

Piray donc malgré toy, car ie porte dans l’âme
Tant de traits amoureux, tant de larmes aux yeux,
Que ie feray le Fleuue, & la Barque, & la Rame.


Ie ne fçay pas ce qu’en dira maintenant noſtre Cour ; mais ie ſçay bien que toute la Cour du Roy Henry ſecond en fit tant d’eſtime, que tous les Muſiciens de ſon temps, iuſques à Orlande, trauaillerent à l’enuy à le mettre en muſique, & le chantèrent mille & mille fois, auec vn grand applaudiſſement, en la preſence des Roys, & des Princes. »

On voit par cette citation que c’était déjà la coutume des courtiſans, ſous Henri II, de conſigner ſur leurs Tablettes les vers à la mode ; c’eſt peut-être là le commencement de la manie des Albums.

Quant à la fantailie de mettre les Sonnets en muſique, ce qui peut ſembler bizarre en raiſon de la forme même du poème, il paraît que ce fut auſſi une mode à cette époque, car Colletet ajoute : « Comme ils firent auſſi la pluſpart des Sonnets de Ronſard, dont nous voyons encore la belle & curieuſe tablature faite par Orlande de Laſſus, Iean Maletti, Antoine de Bertrand, P. Certon, C. Goudimel, Gabriel Bony, Nicolas de la Grotte Vallet de chambre & Organiſte du Roy Henry III, & pluſieurs autres excellens Maiſtres de Muſique ; ce qui fut comme vn heureux augure de leur éternité. »

L’hiſtoire du Sonnet préſente deux périodes d’éclat : au xvie & au xviie.

Ronſard fut le roi de la première[3] ; nous verrons plus loin qui fut le roi de la ſeconde.

C’eft au xvie siècle, dans la fureur de la nouveauté, que furent imaginées ces complications baroques, auprès deſquelles n’étaient plus rien les difficultés qui rendaient ſceptiques Boileau & l’évêque de Vence : Sonnets boiteux, acroſticbes, méſoſticbes, en bouts-rimés, retournés, lozangés, ſerpentins, croix de Saint-André, &c., nus, revêtus, commentés, rapportés.

Dans le Sonnet acroſtiche, les premières lettres de chaque vers devaient former une phraſe à part, qu’on liſait perpendiculairement de haut en bas ; dans le méſoſtiche, la phraſe était formée par les dernières lettres des derniers mots du premier hémiſtiche, ou par les premières lettres des premiers mots du ſecond. Le Sonnet rapporté était tranché en trois ou quatre phraſes perpendiculaires. Le ſerpentin devait ramener à la fin le premier vers, mais inverſé, de façon, dit Colletet, « qu’à l’imitation du ſerpent, il ſemble retourner en luy-meſme. » Enfin on compoſa des Sonnets licencieux ou libertins, où l’auteur feignait de violer les règles par emportement poétique ou par entraînement de paſſion. Baïf, Ronſard, Maynard & Malherbe en ont compoſé de ſemblables ; on en cite même de Du Bellay, « dont tous les vers courent à toute bride comme des cheuaux eſchappez, & n’ont aucune alliance de rime l’vn auecque l’autre. Témoin celuy-cy :


Arriere, arriere, ô meſchant populaire,
O que ie hais ce faux peuple ignorant !
Doctes Eſprits, fauoriſez les Vers
Que veut chanter l’humble Preſtre des Muſes[4]. »


Le phénix, le merle blanc de la poéſie difficile & compliquée eſt ſans contredit le Sonnet ſuivant, indiqué par Colletet dans la vie de Jean de Schelandre[5], & qui eſt à la fois acroſtiche, méſoſticbe, lozangé & croix de Saint André.


SONNET

en acroſtiche, méſoſtiche, croix de Saint-André & lozenge

CONTÉ PAR SYLLABES



ANNE DE MONTAVT
DONTANT VNE AME



A Diuge à ma Cypris D’Amour la mèr’ & dAme
Non pOint la pomme d’Or Ou uN pareil honNeur
Ne rien d’iN a Nimé Ni preſeNt de ſeNteur.
En un au Tel ſi beau, Tout don vil Eſt infame.
Donn’, ô brAue pAſſant Autre Don tout De flame
Et rieN de trop commuN Ni dE l’ex te ri Eur ;
MeTs y pour l’adorer TeMps, trauail, cœur & aMe,
Ou ſVr tout n’y a pOint Vn plVs cher que le cOeur :
Nul vienN’à ſemblaNt faux, Noſtre baNd’ eſt ſaNs art.
Tel ſous vn fEinT diſcours Et recouuErT de fard
A bord’A ces beAutés, A ceux lA l’on Adiouſte :
Vous qVi feignez l’aMour, MeſVrez vous au Mien,
Tout hypocrit’ eſt traiſtr’ ET perira ſans doutE.

deſtournez tout amant qvI ne veut aymer bien,
a ne feindre daymer mon cœur montre la rovte.

Saint-Amant ſe moque de ces Sonnets caſſe-tête :


I’ay vey qu’un Sonnet accroſtiche
Anagrammé par l’Émiſtiche,
Auſſi bien que par les deux bouts,
Paſſoit pour miracle chez vous.

(Le Poëte crotté.)

Au reſte, la réaction avait déjà commencé. Colletet lui-même, en citant le Sonnet que nous venons de tranſcrire, remarque que c’eſft là « vn exercice monacal & indigne de la liberté d’vn gentilhomme. »

À quoi Schelandre répondait fièrement :


Il eſt rude & contraint, ſi en fais-ie grand cas.
Venez, doctes ouuriers (l’ignorant n’y voit goutte) :
C’eſt aſſaut de défi, tous ne le feront pas,
Ie ne ſais ce qu’il vaut, ie ſais ce qu’il me couſte.


Le Sonnet, revenu italien d’Italie, avait accrédité en France le goût de la littérature italienne.

De là prit naiſſance la ſecte, ou, comme on dirait aujourd’hui, l’école des Pétrarquiſtes ou Pétrarquiſeurs.

Du Bellay nous paraît quelque peu fatigué de cet engouement, qu’il avait lui-même provoqué, lorſqu’il dit :


I’ay oublié l’art de Petrarquiſer ;
Ie veux d’amour franchement deuiſer.

Quoi qu’il en ſoit & malgré Du Bellay, le goût italien continua de fleurir[6].

« On comparoit vers par vers, dit Paſquier, les Sonnets de Bembo & d’Arioſte auec les imitations françoiſes de Ronsard, de Du Bellay, de Baïf, » & d’Étienne Paſquier lui-même.

Nous trouvons dans ſes Recherches un Sonnet de Bembo, imité par Baïf, Ronſard & Ét. Paſquier.

Un autre Sonnet, d’un poète italien dont Paſquier ne donne pas le nom, & commençant par ces mots :


O chiome, parte de la treccia d’oro
Di chi fè Amor il laccio,


eſt traduit par Deſportes :


Cheueux, preſent fatal de ma douce contraire,
Mon cœur plus que mon bras eſt par vous enchaiſné,
Par vous ie ſuis captif en triomphe mené,
Sans que d’vn ſi beau rets ie cherche à me deffaire.



Ie ſçay qu’on doit fuir les dons d’vn aduerſaire,
Toutesfois ie tous aime, & me tiens fortuné
Qu’auec tant de cordons ie ſois empriſonné :
Car toute liberté commence à me deſplaire.

O Cheueux mes vainqueurs, vantez-vous hardiment
D’enlacer en vos nœuds le plus fidelle amant
Et le cœur plus deuôt qui fut oncq en ſeruage.

Mais voyez ſi d’amour ie ſuis bien tranſporté,
Qu’au lieu, de m’effayer à vivre en liberté
Ie porte en tous endroits mes ceps & mon cordage.


Mais de tous ces Sonnets italiens, à qui la renommée, ou le goût du moment, a fait franchir les Alpes, il n’en eſt pas un qui ait obtenu plus de ſuccès que celui compoſé par Annibal Caro ſur le réveil de ſa maîtreſſe[7].

Ce Sonnet, imité lui-même d’une épigramme du poète latin Quintus Catullus, fut trouvé ſi beau en France, que tout ce qui tenait la plume, ou la lyre, ſi l’on veut, ſe piqua de le traduire.

Quelques-unes de ces traductions font devenues fameuſes ſous la dénomination commune de Sonnets de la belle Matineufe. Gilles Ménage mit le ſceau à leur célébrité en compoſant une diſſertation, adreſſée ſous forme de lettre à Conrart, dans laquelle il examina les principales pièces de ce concours.

L’honneur en reſta à Voiture & à Malleville, dont les vers balancèrent les ſuffrages de la cour & des gens de lettres.

Ménage nous apprend que, ſollicité par Balzac de ſe mettre à l’ouvrage, « Monſieur de Voiture s’en excuſa d’abord ſur ſa pareſſe (cette excuſe me ſemble fort légitime), mais enfin ſa pareſſe céda à la paſſion qu’il avoit de plaire à Monſieur de Balzac, & il luy envoya ce Sonnet :


Des portes du matin l’Amante de Cephale[8]


« Ce Sonnet, ajoute Ménage, eſt admirablement beau. N’en déplaiſe aux Vraniſtes il vaut mieux mille fois que celuy pour Vranie qu’ils ont tant proſné : & ie m’aſſure que… Monfieur de Voiture,long-temps avant que d’avoir fait ce Sonnet pour cette Belle qui au lever du Soleil fut priſe pour le Soleil, en avoit fait vn pour vne autre Belle qui, ayant paru dans vn Iardin à l’heure que le Soleil ſe couchoit, fut priſe pour l’Aurore ; & ce Sonnet, comme vous allez voir, eſt auſſi vne eſpece d’imitation de celuy du Caro :


Sous vn babil de fleurs la Nymphe que j’adore
L’autre ſoir apparut ſi brillante en ces lieux,
Qu’à l’éclat de ſon teint celuy de ſes yeux,
Tout le monde la prit pour la naiſſante Aurore.



La Terre en la voyant fit mille fleurs éclore,
L’Air fut par tout remply de chants mélodieux,
Et les feux de la Nuit pâlirent dans les Cieux
Et crûrent que le Iour recommençoit encore.

Le Soleil qui tombait dans le ſein de Thetis,
Rallumant toutacoup ſes rayons amortis,
Fit tourner ſes chevaux pour aller apres elle,

Et l’empire des Flots ne l’eût ſeu retenir ;
Mais la regardant mieux, & la voyant ſi belle,
Il ſe cacha ſous l’Onde, & n’oſa revenir. »


On connaît le Sonnet de Malleville :


Le ſilence regnait ſur la terre & ſur l’onde [9],
...............


Parmi les Sonnets rapportés par Ménage dans ſon commentaire, il s’en trouve un ſecond de Voiture, deux autres de Malleville ; les autres concurrents ſont Francefco Rainerio, gentilhomme milanais, ſecrétaire de Paul III ; Ménage ; Mareſcal, de l’Académie françaiſe ; Triſtan-l’Hermite ; enfin, un anonyme, & de Rampalle qui, par exception, fit un Madrigal au lieu d’un Sonnet.

La querelle des Jobelins & des Uranins marque la ſeconde période éclatante de l’hiſtoire du Sonnet.

Voiture fut pour cette période ce que Ronſard avait été pour la première[10].

L’origine de cette querelle fut la rivalité des maiſons de Condé & de Longueville, qui protégeaient l’une Benſerade, & l’autre Voiture.

« En envoyant à une Dame de qualité une Paraphraſe fur le Livre de Job, Benſerade l’accompagna d’un Sonnet qui fit beaucoup de bruit[11]. »

L’hôtel de Longueville ne voulut pas être en reſte & produiſit un Sonnet de Voiture, ſon poète, adreſſé à une dame ſous le nom d’Uranie. « L’importante queſtion de ſupériorité entre ces deux Sonnets partagea la cour & la ville, comme on diſait alors. Le prince de Conti ſe déclara le chef des Jobelins ; la ducheſſe de Longueville était à la tête des Uranins. Tous les beaux eſprits de ce temps-là prirent parti : Balzac, Sarraſin, Chapelain, Deſmarets, La Meſnardière & le grand Corneille lui-même, ſe prononcèrent pour ou contre… En général, les hommes préféraient le Sonnet de Job ; les femmes, celui d’Uranie. Une des filles d’honneur de la reine, nommée La Roche du Maine, preſſée de ſe prononcer, dit qu’elle ſe déclarait pour Tobie. Ce mot réuffit & devint la réponfe de tous ceux qui n’avaient pas d’avis arrêté, ou qui craignaient de le donner[12]. »

On trouve dans le Recueil de Sercy (t. I) la plupart des pièces compoſées en vers & en proſe pour ou contre ces deux Sonnets.

Nous avons vu tout à l’heure que Conrart était Jobelin ; Scarron l’était auſſi, comme on l’apprend par un Madrigal intitulé Cartel de deſſy ſur les Sonnets de Iob & d’Vranie, qui commence ainſi :


             En qualité de lobbelin,
             Et de ſeruiteur tres-fidele
De feu Iob dont ie ſuis tres~indigne modelle,…
Ie ſouſtien qu’on deuroit laiſſer en patience
Ce Iob, qui de ſouffrir nous apprit la ſcience.


La Meſnardière était Uranin ; c’eſt ce que font du moins ſuppoſer deux Madrigaux aſſez équivoques qu’il adreſſe, l’un à la ducheſſe de Longueville, l’autre à la Princeſſe Palatine.

Corneille ſe tira d’affaire à la normande, par le Sonnet :


Deux Sonnets partagent la Ville[13]*…


De toutes les pièces compoſées ſur ce ſujet, la plus ingénieuſe eſt certainement la gloſe imaginée par Sarraſin, qui était Uraniſte, ſur le Sonnet de Job. Cette gloſe eſt en quatorze quatrains, dont chacun ſe termine par un des vers du Sonnet de Benſerade, Elle eſt adreſſée à l’abbé Eſprit, de l’Oratoire, frère de l’académicien, qui, en qualité de commenſal de l’hôtel de Condé, était Jobelin.

Voici la glofe de Sarrafin :


Monſieur Eſprit, de l’Oratoire,
Vous agiſſez en homme ſaint,
De couronner auecque gloire
Iob de mille tourmens atteint.

L’ombre de Voiture en fait bruit,
Et s’eſtant enfin reſoluë
De vous aller voir cette nuit,
Vous rendra ſa douleur connue.



C’est vne aſſez faſcheuſe veuë,
La nuit, qu’vne Ombre qui ſe plaint.
Voſtre eſprit craint cette venuë,
Et raiſonnablement il craint.

Pour l’appaiſer, d’vn ton fort doux
Dites, i’ay fait vne beueuë
Et ie vous conjure à genoux
Que vous n’en ſoyez point émeuë.

Mettez, mettez voſtre bonnet,
Reſpondra l’Ombre, & ſans berluë
Examinez ce beau Sonnet,
Vous verrez ſa miſere nuë.

Diriez-vous, voyant Iob malade
Et Benſecrade en ſon beau teint,
Ces vers ſont faits pour Benſſerade,
Il s’eſt luy-meſme icy dépeint.

Quoy, vous tremblez, Monſieur Eſprit ?
Auez-vous peur que ie vous tuë ?
De Voiture, qui vous chérit,
Accouftumez’vous à la veuë.

Qu’ay-je dit qui irons peut furprendre,
Et faire paſlir voſtre teint ?
Et que deuiez-vous moins attendre
D’vn homme qui ſouffre & ſe plaint ?



Vn Autheur qui dans ſon eſcrit,
Comme moy, reçoit vue offenſe,
Souffre plus que Iob ne ſouffrit,
Bien qu’il eut d’extremes ſouffrances.

Avec mes Vers vue autre fois
Ne mettez plus dans vos Balances
Des Fers, où ſur des Palefrois
On voit aller des patiences.

L’Herty, le Roy des gens qu’on lie,
En ſon temps aurait dit cela.
Ne pouſſez pas voſtre folie
Plus loin que la ſienne n’alla.

Alors l’Ombre vous quittera
Pour aller voir tous vos ſemblables,
Et puis chaque Iob vous dira
S’il ſouffrit des maux incroyables.

Mais à propos, hyer au Parnaſſe
Des Sonnets Phœbus se meſla,
Et l’on dit que de bonne grâce
Il s’en plaignit, il en parla ;

I’ayme les Vers des Vranins,
Dit-il, mais ie me donne aux Diables,
Si pour les Vers des Iobelins
I’en connois de plus miſerables.


Balzac fit pour les Sonnets de Job & d’Uranie ce que Ménage avait fait pour les Sonnets de La Belle Matineuſe : il ſe fit le rapporteur du procès. Il eſt curieux de voir, dans la longue diſſertation qu’il conſacra à ce ſujet, comment Balzac parle, après vingt-cinq ans écoulés, de ce débat qui l’avait tant paſſionné.

Il ſerait injuſte, dans cette énumération des Sonnets célèbres, d’omettre le Sonnet de Des Barreaux, La Pénitence, qui fit auſſi beaucoup de bruit dans ſon temps.

Des Barreaux était un épicurien fort original ; il avait été lié dans ſa jeuneſſe avec Des Yveteaux & Théophile.

Bayle cite de lui, entre autres particularités, qu’il ſe plaifait à changer de domicile ſelon les ſaiſons de l’année, fantaiſie qui, pour le dire en paſſant, m’a toujours beaucoup ſéduit.

« Quatre ou cinq ans avant ſa mort il revint de tous ſes égaremens : il paia ſes dettes ; il abandonna à ſes ſœurs tout ce qui lui reſtoit de bien, moiennant une penſion viagère de quatre mille livres ; & ſe retira à Châlon ſur Saône, le meilleur air, diſoit-il, & le plus pur qui fût en France. Il y loua une petite maiſon, où il étoit viſité des honnêtes gens, & ſur tout de Monſieur l’Évêque, qui lui a rendu un bon témoignage. Il y mourut en bon Chrétien l’an 1674[14] »

Ce fut ſans doute pour témoigner de ſon retour à la foi chrétienne qu’il compoſa ce Sonnet :


Grand Dieu, tes jugemens ſont remplis d’équité[15]


Malheureuſement pour Des Barreaux, comme poète & comme chrétien, la paternité de ce Sonnet lui eſt fort conteſtée : La Monnoye doutait qu’il en fût l’auteur ; Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV, le nie poſitivement & attribue le Sonnet de La Pénitence à l’abbé de Lavau.

Mathurin Regnier, après avoir été, comme Des Barreaux, un libertin, fit auſſi des Sonnets dévots, ſur la fin de ſa vie[16].

La ſplendeur du Sonnet s’éteignit en France avec le xviie ſiècle. Ronſard, Olivier de Magny, lui avaient valu des honneurs royaux ; il avait, au temps de Voiture & de ſa petite école, tourné toutes les têtes ; enfin la caricature s’en empara & marqua le premier terme de ſa décadence. Scarron, le père de la poéſie burleſque, dont la perſonne même était l’incarnation du genre, obtint le ſuccès du ridicule avec ce Sonnet,

demeuré fameux ſous le titre de Sonnet comique :


Superbes monumens de l’orgueil des humains,
Piramides, Tombeaux, dont la vaine ſtructure
A témoigné que l’art, par l’adreſſe des mains
Et l’aſſidu trauail, peut vaincre la nature !

Vieux Palais ruinez, chef-d’œuures des Romains
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colliſée, où ſouuent ces peuples inhumains
De s’entr’aſſaſſiner ſe donnaient tablature,

Par l’injure des ans vous eſtes abolis,
Ou du moins la plus-part vous eſtes démolis :
Il n’eſt point de ciment que le temps ne diſſoude.

Si vos marbres ſi durs ont ſenty ſon pouvoir,
Dois-ie trouuer mauuais qu’vn meſchant pourpoint noir,
Qui m’a duré deux ans, ſoit percé par le coude ?


Jean Regnard, le poète comique, a auſſi compoſé un Sonnet burleſque, ou plutôt un Sonnet gras, que je m’abſtiendrai de citer.

En somme, le Sonnet, comme le Rondeau, comme le Triolet & les autres exercices du rhythme & de la rime, ſont un ſymptôme en hiſtoire littéraire. On ne les trouve cultivés & floriſſants qu’aux époques de forte poéſie, où l’imagination des poètes s’inquiète également du ſentiment & de la forme, de l’art & de la penſée. Auſſi le xviiie siècle, époque de déclamation & de nonchalance poétique, a-t-il peu produit de Sonnets, ſi tant eſt qu’on y en trouve. Il ſemble que la langue poétique, travaillée pendant deux cents ans, éprouva le beſoin de ſe donner du relâche & de courir un peu à ſa guiſe, pour repoſer ſes articulations fatiguées par le chevalet rhythmique.

Il eſt d’ailleurs à remarquer que, dans tous les temps, les Sonnets des grands poètes ont toujours été les plus réguliers & les plus irréprochables[17]. Ainſi : au xvie siècle, ceux de Ronſard, de Deſportes, de Du Bellay ; au xviie siècle, ceux de Corneille, de Regnier, de Malherbe.

La nouvelle école poétique qui s’ouvrit après 1827, curieuſe de tout ce qui tenait au paſſé de notre hiſtoire littéraire, devait naturellement rencontrer le Sonnet dans ſes recherches, & le revendiquer.

Quelques-uns des poètes de cette école en ont compoſé de fort beaux, que tout le monde a lus.

Il eſt cependant à noter que les deux plus glorieux, MM. de Lamartine & Victor Hugo, n’ont fait ni l’un ni l’autre de Sonnets[18]. Eſt-ce mépris d’une forme qui leur ſemblait puérilement tyrannique ? Eſt-ce ſimplement une conſéquence de leur première éducation littéraire ? Dans tous les cas, le Sonnet a pour ſe conſoler de ces dédains les noms des grands hommes qui l’ont cultivé : Dante, Pétrarque, Shakeſpeare, Corneille, Milton, Ronſard, &c.

M. Sainte-Beuve, qui a tenté d’être le Du Bellay du xixe siècle, a compoſé dans ſa jeuneſſe un Sonnet apologétique où ſont raſſemblés les noms des poètes français & étrangers qui ont écrit des Sonnets :


Ne ris point des ſonnets, ô Critique moqueur[19] !

. . . . . . . . . . . . . . .

Et l’on en fait plus d’un de notre vieux Ronſard.


Je remarque, en transcrivant ce dernier vers, que je n’ai pas cité un ſeul Sonnet de Ronſard, non plus que de Du Bellay, ni de Malherbe qui en a fait d’excellents.

J’aurais dû peut-être, pour n’omettre aucun rayon de cette apothéoſe du Sonnet, rappeler les recompenſes faſtueuſes accordées à certains Sonnets célèbres par de grands rois & de grands hommes : les trois mille livres données à Achillini par Richelieu, pour le Sonnet ſur la Priſe de la Rochelle[20] ; les trente mille livres payées par Henri IV à Deſportes, pour le Sonnet de Diane & Hippolyte.

Mais ces largeſſes mêmes, que prouvent-elles, ſinon l’impoſſibilité radicale de remercier dignement certaines choſes ?

Les trois mille livres de Richelieu, les trente mille livres de Henri IV, ne ſont pas une marque plus exacte de la valeur des vers de Deſportes & d’Achillini que les deux mille livres de rente de M. de Rambouillet ne prouvent le mérite des vers de La Pucelle. Tout ce qu’elles prouvent, c’eſt que les beaux Sonnets, comme toute belle choſe en ce monde, ſont ſans prix ; & cette preuve, l’hiſtoire nous la fourniſſait déjà dans les lettres de Balzac & de Ménage, & auſſi par le ſouvenir qui s’eſt perpétué juſqu’à nous des Sonnets que j’ai rapportés.


CHARLES ASSELINEAU.

LE


LIVRE DES SONNETS




Sonnet




Il n’eſt point tant de barques à Veniſe,.
D’huiſtres à Bourg, de lieures en Champaigne,
D’ours en Sauoye, & de veaux en Bretaigne,
De Cygnes blancs le long de la Tamiſe,

Ne tant d’Amours ſe traitent en l’egliſe,
De differents aux peuples d’Alemaigne,
Ne tant de gloire à un ſeigneur d’Eſpaigne,
Ne tant ſe trouue à la Cour de feintiſe,

Ne tant y a de monſtres en Afrique,
D’opinions en une republique,
Ne de pardons à Romme aux iours de feſte,

Ne d’auarice aux hommes de pratique,
Ne d’argument en une Sorbonique,
Que m’amie a de lunes en la teſte,


Mellin de Saint-Gelais.




Épigramme à M. L. D. D. F.
Lui eſtant en Italie




Me ſouvenant de tes graces divines
Suis en douleur, Princeſſe, en ton abſence :
Et ſi languis quand ſuis en ta preſence,
Voyant ce Lys au milieu des eſpines.

Ô la douceur des douceurs feminines !
Ô cœur ſans fiel ! ô race d’excellence !
Ô dur mari rempli de violence
Qui s’endurcit par les choſes bénignes !

Si ſeras tu de la main ſouſtenue
De l’Eternel, comme chere tenue,
Et les nuiſans auront honte & reproche.

Courage donq, en l’air ie voy la nue
Qui çà & là s’eſcarte & diminue
Pour faire place au beau temps qui approche.


Clément Marot.




Sonnet de Pétrarque
Sur la mort de ſa Dame Laure




Des plus beaux yeux, & du plus cleir viſage.
Qui onques fut, & des beaux cheveux longs,
Qui faiſoient l’or & le Soleil moins blons,
Du plus doux ris, & du plus doux langage,

Des bras & mains, qui euſſent en ſervage,
Sans ſe bouger, mené les plus felons,
De celle qui du chef iuſqu’aux talons
Sembloit divin plus qu’humain perſonnage,

Ie prenois vie. Or d’elle ſe conſolent
Le Roy celefte & ſes courriers qui volent,
Me laiſſant nud, aveugle en ce bas eſtre,

Vn ſeul confort attendant à mon dueil,
C’eſt que là haut, elle, qui ſçait mon vueil,
M’impetrera qu’avec elle puiſſe eſtre.


Clément Marot.




Sonnet pour Caſſandre




Auant le temps tes temples fleuriront.
De peu de iours ta fin ſera bornée,
Allant le ſoir ſe clorra ta iournée.
Trahis d’eſpoir les pensers périront :

Sans me flechir les eſcrits fletriront,
En ton deſaſtre ira ma deſtinée,
Pour abuſer les poetes ie ſuis née,
De tes ſoupirs nos neueux ſe riront :

Tu ſeras fait du vulgaire la fable,
Tu baſtiras ſus l’incertain du ſable,
Et vainement tu peindras dans les Cieux.

Ainſi diſoit la Nymphe qui m’affolle.
Lors que le Ciel, teſmoin de ſa parolle,
D’un dextre éclair fut preſage à mes yeux.


Pierre de Ronſard.

Sonnet pour Marie




Marie, leuez-vous, ma ieune pareſſeuſe,.
Ia la gaye Alouette au ciel a fredonné,
Et ia le Roſſignol doucement iargonné,
Deſſus l’efpine aſſis, ſa complainte amoureuſe.

Sus, debout, allon voir l’herbelette perleuſe,
Et voſtre beau roſier de boutons couronné,
Et vos œillets mignons auſquels auiez donné
Hier au ſoir de l’eau d’une main ſi ſongneuſe.

Harſoir en vous couchant vous iuraſtes vos yeux
D’eſtre plus-toſt que moy ce matin eſueillée :
Mais le dormir de l’Aube aux filles gracieux

Vous tient d’un doux ſommeil encor les yeux ſillée.
Ça ça, que ie les baiſe & voflre beau tetin
Cent fois, pour vous apprendre à vous leuer matin.


Pierre de Ronſard.




Sonnet




Ceſſe les pleurs, mon liure : il n’eſt pas ordonné.
Du deſtin, que moy vif tu ſois riche de gloire :
Auant que l’homme paſſe outre la rive noire.
L’honneur de ſon trauail ne luy eſt point donné.

Quelqu’un apres mille ans de mes vers eſtonné
Voudra dedans mon Loir, comme en Permeffe, boire :
Et voyant mon pays, à peine pourra croire
Que d’un ſi petit lieu tel Poëte ſoit né.

Pren, mon liure, pren cœur : la vertu precieuſe
De l’homme, quand il vit, eſt touſiours odieuſe ;
Apres qu’il eſt abſent, chacun le penſe un Dieu.

La rancœur nuit toujours à ceux qui ſont en vie :
Sur les vertus d’vn mort elle n’a plus de lieu,
Et la poſterité rend l’honneur ſans envie.


Pierre de Ronſard.




Sonnet pour Marie




Comme on voit ſur la branche au mois de May la roſe.
En ſa belle ieuneſſe, en ſa première fleur
Rendre le ciel jaloux de ſa viue couleur,
Quand l’Aube de ſes pleurs au poinct du iour l’arroſe :

La grâce dans ſa fueille, & l’amour ſe repoſe,
Embaſmant les jardins & les arbres d’odeur :
Mais batue ou de pluye, ou d’exceſſiue ardeur,
Languiſſante elle meurt fueille à feuille déclofe.

Ainſi en ta première & jeune nouueauté,
Quand la terre & le ciel honoroient ta beauté,
La Parque t’a tuée, & cendre tu repoſes.

Pour obſeques reçoit mes larmes & mes pleurs.
Ce vaſe plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif & mort ton corps ne ſoit que roſes.


Pierre de Ronfard.




Sonnet pour Hélène




Quand vous ſerez bien vieille, au ſoir à la chandelle,
Aſſiſe auprès du feu, deuidant & filant,
Direz chantant mes vers, en vous eſmerueillant :
Ronſard me celebroit du temps que i’eſtois belle.

Lors vous n’aurez ſeruante oyant telle nouuelle,
Deſia ſous le labeur à demy ſommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille reſueillant,
Beniſſant voſtre nom de louange immortelle.

Ie feray ſous la terre, & fantôme ſans os
Par les ombres myrteux ie prendray mon repos :
Vous ſerez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour & voſtre fier deſdain.
Vivez, ſi m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès auiourdhuy les roſes de la vie.


Pierre de Ronſard.




Sonnet pour Hélène




« Il ne faut s’esbabir, diſoient ces bons vieillars.
Deſſus le mur Troyen, voyons paſſer Helene,
Si pour telle beauté nous ſouffrons tant de peine,
Noſtre mal ne vaut pas vn ſeul de ſes regars.

« Toutefois il vaut mieux, pour n’irriter point Mars,
La rendre à ſon eſpoux afin qu’il la r’emmeine,
Que voir de tant de ſang noſtre campagne pleine,
Noſtre haure guigné, l’aſſaut à nos rampars. »

Peres, il ne falloit, à qui la force tremble,
Par vn mauuais conſeil les ieunes retarder :
Mais & ieunes & vieux vous deuiez tous enfemble

Pour elle corps & biens & ville bazarder.
Menelas fut bien ſage, & Pâris, ce me ſemble :
L’vn de la demander, l’autre de la garder.


Pierre de Ronſard.




Sonnet pour Hélène




Afin que ton honneur coule parmy la plaine.
Autant qu’il monte au Ciel engravé dans vn Pin,
Invoquant tous les Dieux & reſpandant du vin
Ie confacre à ton nom ceſte belle Fontaine.

Paſteurs, que vos troupeaux friſez de blanche laine
Ne paiſſent à ces bords : y fleuriſſe le Thin,
Et tant de belles fleurs qui s’ouurent au matin,
Et ſoit dite à iamais la Fontaine d’Helene.

Le paſſant en Eſté s’y puiſſe repoſer,
Et aſſis deſſus l’herbe à l’ombre compoſer
Mille chanſons d’Helene, & de moy luy ſouuienne.

Quiconques en boira, qu’amoureux il deuienne,
Et puiſſe, en la humant, vne flame puiſer
Auſſi chaude qu’au cœur ie ſens chaude la mienne.


Pierre de Ronſard.




À Monſeigneur le Duc de Touraine,
François de France,
fils & frere de Roy,
entrant en la maiſon de l’Autheur.




Bien que ceſte maiſon ne vante ſon porphire,
Son marbre ny ſon iaſpe en œuure elabouré,
Que ſon plancher ne ſoit lambriſſé ny doré,
Ny portrait de tableaux que le vulgaire admire :

Toutefois Ampbion Va bien daigné conſtruire,
Où le ſon de fa lyre eſt encor demeuré,
Où Phebus comme en Delpbe y eſt ſeul honoré,
Où la plus belle Muſe a choiſi ſon Empire.

Apprenez, mon grand Prince, à meſpriſer les biens.
La richeſſe d’vn Prince eſt l’amitié des ſiens :
Le reſte des grandeurs nous abuſe & nous trompe.

La bonté, la vertu, la iuſtice & les lois
Aiment mieux habiter les antres & les bois
Que l’orgueil des Palais qui n’ont rien que la pompe.


Pierre de Ronſard.




Sonnet




Ie vous enuoye vn bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies :
Qui ne les euſt à ce veſpre cueillies,
Cheutes à terre elles fuſſent demain.

Cela vous ſoit vn exemple certain
Que vos beautés, bien qu’elles ſoient fleuries,
En peu de temps cherront toutes flaitries,
Et, comme fleurs, périront tout ſoudain.

Le temps s’en-va, le temps s’en-va, ma Dame,
Las ! le temps non, mais nous nous en-allons,
Et toſt ſerons eſtendus ſous la lame :

Et des amours deſquelles nous parlons,
Quand ſerons morts, n’en ſera plus nouuelle :
Pour ce aymez-moy, ce pendant qu’eſtes belle.


Pierre de Ronſard.




Sonnet




Si noftre vie eſt moins qu’vne tournée
En l’eternel, ſi l’an qui fait le tour
Chaſſe nz iours ſans eſpoir de retour,
Si periſſable eſt toute choſe nee,

Que ſonges-tu, mon ame empriſonnee ?
Pourquoy te plait l’obſcur de noſtre iour,
Si pour voler en vn plus cler ſeiour
Tu as au dos l’aile bien empennée ?

Là eſt le bien que tout eſprit deſire,
Là le repos où tout le monde aſpire,
Là eſt l’amour, là le plaiſir encore.

Là, ô mon ame au plus hault ciel guidee,
Tu y pourras recognoiſtre l’Idee
De la beauté qu’en ce monde i’adore.


Joachim du Bellay.




Sonnet




Ce pendant que Magny ſuit ſon grand Auanſon,
Panjas ſon Cardinal, & moy le mien encore,
Et que l’eſpoir flateur, qui noz beaux ans deuore,
Appaſte noz deſirs d’un friand hameſſon,

Tu courtiſes les Roys, & d’un plus heureux ſon
Chantant l’heur de Henry, qui ſon ſiecle décoré,
Tu t’honores toymeſme, & celuy qui honore
L’honneur que tu luy fais par ta docte chanſon.

Las ! & nous ce pendant vous conſumons noſtre aage
Sur le bord incogneu d’un eſtrange riuage,
Où le malheur nous fait ces tri fies vers chanter,

Comme on uoid quelquefois, quand la mort les appelle,
Arrangez flanc à flanc parmy l’herbe nouvelle,
Bien loing ſur un eſtang trois cygnes lamenter.


Joachim du Bellay.




Sonnet




Heureux qui, comme Vlyſſe, a fait un beau uoyage,
Ou comme ceſtuy là qui conquit la toiſon,
Et puis eſt retourné, plein d’uſage & raiſon,
Viure entre ſes parents le reſte de ſon aage !

Quand reuoiray-ie, helas, de mon petit uillage
Fumer la cheminee : & en quelle ſaiſon
Reuoiray-ie le clos de ma pauure maiſon,
Qui m’eſt une prouince, & beaucoup d’auantage ?

Plus me plaiſt le ſeiour qu’ont baſty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaiſt l’ardoiſe fine,

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur Angeuine.


Joachim du Bellay.




Sonnet




Voicy le Carneual, menons chaſcun la ſienne,
Allons baller en maſque, allons nous pourmener,
Allons uoir Marc Antoine, ou Zany bouffonner,
Auec ſon Magnifique à la Venitienne :

Voyons courir le pal à la mode ancienne.
Et uoyons par le nez le ſot bufle mener :
Voyons le fier taureau d’armes enuironner,
Et uoyons au combat l’adreſſe Italienne :

Voyons d’œufz parfumez un orage greſler,
Et la fuſee ardent’ ſiffler menu par l’air.
Sus donc, depeſchons-nous, uoicy la pardonnance :

Il nous fauldra demain uiſiter les ſaincts lieux,
Là nous ferons l’amour, mais ce ſera des yeux,
Car paſſer plus auant c’eſt contre l’ordonnance.


Joachim du Bellay.




Sonnet




Toy qui de Rome emerueillé contemples
L’antique orgueil, qui menaſſoit les cieux,
Ces uieux palais, ces monts audacieux,
Ces murs, ces arcz, ces thermes, & ces temples.

Iuge, en uoyant ces ruines ſi amples,
Ce qu’a rongé le temps iniurieux,
Puis qu’aux ouuriers les plus induſtrieux
Ces uieux fragmens encor ſeruent d’exemples.

Regarde apres, comme de iour en iour
Rome fouillant ſon antique ſeiour,
Se rebatiſt de tant d’œuures diuines :

Tu ingeras, que le dæmon Romain
S’efforce encor d’une fatale main
Reſſuſciter ces poudreuſes mines.


Joachim du Bellay.




Sonnet de l’amour de Francine




Songe heureux & diuin, trompeur de ma triſteſſe,
O que ie te regrette ! ô que ie m’éueillay,
Helas, à grand regret, lors que ie deſſillay
Mes yeux, qu’vn mol ſomeil d’vn ſi doux voile preſſe.

I’enferray bras à bras nu à nu ma maiſtreſſe,
Ma iambe auec ſa iambe heureux i’entortillay,
Sa bouche auec ma bouche à ſouhet ie mouillay,
Cueillant la douce fleur de ſa tendre ieuneſſe.

O plaiſir tout diuin ! ò regret ennuieux !
O gracieux fomeil ! ò reueil enuieux !
O ſi quelcun des dieux des amans ſe ſoucie !

Dieux, que ne fiſtles vous, ou ce ſonge durer
Autant comme ma vie, ou non plus demeurer
Que ce doux ſonge court, ma miſerable vie !


Jean-Antoine de Baïf.




Sonnet




Lors que pour vous baiſer ie m’approche de vous,
En ſouſpirant, mon aine à ſecrettes emblees
S’eſcoule hors de moy ſur vos léures comblees
D’vu Nectar dont les Dieux meſme ſeroyent ialoux.

Puis quand elle s’eſt peut eu ce breuuage doux,
Et la mienne & la voſtre enſemble ſont meſlees,
Tout auſſi toſt ie ſens les forces eſcoulees
De mon corps afoibly qui demeure ſans poux.

Que ſeras-tu, chétif ? Qu’en dites-vous, ma vie ?
C’eſt par voſtre douceur qu’elle a touſiours ſuiuie,
Que ſon corps est reſté de ſes membres perclus.

Hà ! changez ce baiſer : hà ! changez-le, maiſtreſſe,
Changez-le, ou dans vos bras mon ame ie vous laiſſe :
Non, ne le changez pas, mais ne m’en donnez plus.


Remy Belleau.




Sonnet




Ie vis, ie meurs : ie me brule & me noye.
I’ay chaut eſtreme en endurant froidure :
La vie m’eſt & trop molle & trop dure,
I’ay grans ennuis entremeſtez de ioye :

Tout à un coup ie ris & ie larmoye,
Et en plaiſir maint grief tourment i’endure :
Mon bien s’en va, & à iamais il dure :
Tout en un coup ie ſeicbe & ie verdoye.

Ainſi Amour inconſtamment me meine :
Et quand ie penſe auoir plus de douleur,
Sans y penſer ie me treuue hors de peine.

Puis quand ie croy ma ioye eſtre certeine,
Et eſtre au haut de mon deſiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.


Louife Labé.




Sonnet




Tant que mes yeus pourront larmes eſpandre,
A l’heur paſſé auec toy regretter,
Et qu’aus ſanglots & ſoupirs reſiſter
Pourra ma voix, & un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes graces chanter ;
Tant que l’eſprit ſe voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre :

Ie ne ſoubaitte encore point mourir.
Mais quand mes yeus ie ſentiray tarir,
Ma voix caſſee, & ma main impuiſſante,

Et mon eſprit en ce mortel ſeiour
Ne pouuant plus montrer ſigne d’amante :
Priray la Mort noircir mon plus cler iour.


Louiſe Labé.




Sonnet




Oh ſi i’estois en ce beau ſein rauie
De celui là pour lequel vois mourant :
Si auec lui viure le demeurant
De mes cours iours ne m’empeſchoit enuie :

Si m’acollant me diſoit : Chere Amie,
Contentons nous l’un l’autre, s’aſſeurant
Que ia tempeſte, Euripe, ne Courant
Ne nous pourra deſioindre en notre vie :

Si de mes bras le tenant acollé,
Comme du Lierre eſt l’arbre encercelé,
La mort venoit, de mon aiſe enuieuſe :

Lors que ſouef plus il me baiſeroit,
Et mon eſprit ſur ſes leures fuiroit,
Bien ie mourrois, plus que viuante, heureuſe,


Louiſe Labé.




Sonnet




Baiſe m’encor, rebaiſe moy & baiſe :
Donne m’en un de tes plus ſauoureus,
Donne m’en un de tes plus amoureus :
Ie t’en rendray quatre plus chaus que braiſe.

Las, te pleins tu ? ça, que ce mal i’apaiſe,
En t’en donnant dix autres doucereux.
Ainſi meſlans nos baiſers tant heureus
Iouiſſons nous l’un de l’autre à noſtre aiſe.

Lors double vie à chacun en ſuiura.
Chacun en ſoy & ſon ami viura.
Permets m’Amour penſer quelque folie :

Touſiours ſuis mal, viuant diſcrettement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moy ne fay quelque ſaillie.


Louiſe Labé.




À ma quenoille




Quenoille mon ſouci, ie vous promets & iure
De vous aimer touſiours, & iamais ne changer
Voſtre honneur domeſtic pour vn bien eſtranger,
Qui erre inconſtamment & fort peu de temps dure.

Vous ayant au coſté ie ſuis beaucoup plus ſeure
Que ſi encre & papier ſe venaient aranger
Tout à l’entour de moy, car pour me reuanger
Vous pouuez bien pluſtoſt repouſſer vne iniure.

Mais, quenoille m’amie, il ne faut pas pourtant
Que pour vous eſtimer, & pour vous aimer tant,
Ie delaiſſe du tout ceſt’ honneſte couſtume

D’eſcrire quelque fois : en eſcriuant ainſi
l’eſcri de vos valeurs, quenoille mon ſouci,
Ayant dedans la main le fuzeau & la plume.


Catherine Des Roches.




Sonnet




Ce iourd’huy dit Soleil la chaleur alterce
A iauny le long poil de la belle Ceres,
Ores il ſe retire, & nous gaignons le frais,
Ma Marguerite & moy, de la douce ſerce.

Nous traçons dans les bois quelque voye eſgaree,
Amour marche deuant, & nous marchons apres :
Si le vert ne nous plaiſt des eſpeſſes foreſts,
Nous deſcendons pour voir la couleur de la prie.

Nous viuons francs d’eſmoy, & n’auons point ſoucy
Des Roys, ny de la Cour, ne des villes auſſi.
O Medoc mon pais ſolitaire & ſauuage,

Il n’eſt point de pais plus plaiſant à mes yeux :
Tu es au bout dit monde, & ie t’en aime mieux,
Nous ſçauons apres tous les malheurs de noſtre aage.


Étienne de la Boétie.




Sonnet




Quand ie voy quelque fois Madame emmy la rue,
Qui tient tous les paſſans en esbayſſement,
Bien que de la veoir i’aye vn grand contentement,
Ie ne fay point ſemblant de l’auoir iamais veuë.

Mais quand dedans vn lict ie la tiens toute nue,
Et que nous nous baiſons l’vn l’autre ardantement,
Et que nous nous ſerrons l’vn l’autre eſtroitement,
Il ne ſemble pas lors qu’ell’ me ſoit incongnuë.

Ie ne dy point ſon nom, & dire ne le veux,
Pource que les amours qui ſont entre nous deux
Ie ne voudroy pour rien eſtre ſçeus de perſonne :

Il me ſuffit auſſi de cognoiſtre mon bien,
Et d’auoir en aimant la fortune ſi bonne,
Que ie ſuis bien aimé ſans qu’il me couſte rien.


Olivier de Magny.




Sonnet




Icare eſt cheut icy le ieune audacieux,
Qui pour voler au Ciel eut aſſez de courage :
Icy tomba ſon corps degarni de plumage
Laiſſant tous braues cœurs de ſa cheute enuieux.

O bien-heureux travail d’vn eſprit glorieux,
Qui tire vn ſi grand gain d’vn ſi petit dommage !
O bien-heureux malheur plein de tant d’auantage,
Qu’il rende le vaincu des ans victorieux !

Vn chemin ſi nouueau, n’eſtonna ſa ieuneſſe,
Le pouuoir luy faillit mais non la hardieſſe.
Il eut pour le brûler des aſtres le plus beau.

Il mourut pourſuiuant vne haute aduenture,
Le Ciel fut ſon deſir, la Mer ſa ſepulture,
Eſt-il plus beau deſſein, ou plus riche tombeau ?


Philippe Deſportes.




Sonnet pour Diane




Lettres, le ſeul repos de mon ame agitee,
Helas ! il le faut donc me ſeparer de vous :
Et que par la rigueur d’vn iniuſte courroux
Ma plus belle ricbeſſe ainſi me fait oſtee.

Ha ! ie mourray plutſoſt, & ma dextre indontee
Flechira par mon ſang le Ciel traiſtre & ialoux,
Que ie m’aille privant d’vn bien qui m’eſt ſi doux :
Non, ie n’en feray rien, la chance en eſt ici iettee.

Il le faut toutesfois, elle les veut rauoir,
Et de luy reſiſter ie n’ay cœur ny pouuoir,
A tout ce qu’elle veut mon ame eſt trop contrainte.

O Beauté ſans arreſt, mais trop ferme en rigueur,
Tien, repren tes papiers & ton amitié ſainte,
Et me rens mon repos, ma franchiſe & mon cœur.


Philippe Deſportes.




D’vne Fontaine




Ceſte fontaine eſt froide, & ſon eau doux-coulante,
A la couleur d’argent, ſemble parler d’amour :
Vn herbage mollet reuerdit tout autour,
Et les aunes font ombre à la chaleur brulante.

Le fueillage obéit à Zéphyr qui l’eſuante
Soupirant amoureux en ce plaiſant ſeiour :
Le Soleil clair de flamme eſy au milieu du iour,
Et la terre ſe fend de l’ardeur violante.

Paſſant, par le trauail du long chemin laſſé,
Brulé de la chaleur, & de la ſoif preſſé,
Arreſte en ceſte place où ton bon-heur te maine.

L’agréable repos ton corps delaſſera,
L’ombrage & le vent frais ton ardeur chaſſera,
Et ta ſoif ſe perdra dans l’eau de la fontaine.


Philippe Deſportes.




Sonnet ſpirituel




Depuis le triſte poinct de ma fraiſle naiſſance,
Et que dans le berceau pleurant ie fu poſè,
Quel iour marqué de blanc m’a tant fauoriſé
Que de l’ombre d’vn bien i’aye eu la cognoiſſance ?

A peine eſtoient ſechez les pleurs de mon enfance
Qu’au froid, au chaud, à l’eau ie me veis expoſé,
D’amour, de la fortune, & des grands maiſtriſé,
Qui m’ont payé de vent pour toute recompanſe.

I’en ſuis fable du monde, & mes vers diſperſez
Sont les ſignes pileux des maux que i’ay. paſſez,
Quand tant de fiers tyrans rauageoyent mon courage.

Toy qui m’oſtes le ioug & me fais reſpirer,
O Seigneur, pour iamais vueille moy retirer
De la terre d’Egypte, & d’vn ſi dur ſeruage.


Philippe Deſportes.




Au Roy




Sire, Thulene eſt mort : i’ay veu ſa ſepulture :
Mais il eſt preſque en vous de le reſuſciter :
Faictes de ſon eſtat vn poëte heriter :
Le poëte & le fou ſont de meſme nature.

L’vn fuit l’ambition, & l’autre n’en a cure :
Tous deux ne font iamais leur argent profiter :
Tous deux ſont d’vne humeur aiſée à irriter :
L’vn parle ſans penſer, & l’autre à l’auenture.

L’vn a la teſte verte, & l’autre va couuert
D’vn ioly chapperon faict de iaune & de vert :
L’vn chante des ſonets, l’autre danſe aus ſonettes.

Le plus grand different qui ſe treuue entre nous,
C’eſt qu’on dict que touſiours fortune aime les fouls,
Et qu’elle eſt peu ſouuent favorable aus poëtes.


Jean Paſſerat.




Sonnet




François, arreſte-toy, ne paffe la campagne
Que nature mura de Rochers d’vn coſté,
Que l’Auriege entrefend d’vn cours précipité :
Campagne qui n’a point en beauté de compagne.

Paſſant, ce que tu vois n’eſt point vne montagne,
C’eſt vn grand Briaree, vn géant haut-monté.
Qui garde ce paſſage, & defend, indomté,
De l’Eſpagne la France, & de France l’Eſpagne.

Il tend à l’vne l’vn, à l’autre l’autre bras :
Il porte ſur ſon chef l’antique faix d’Atlas,
Dans deux contraires mers il poſe ſes deux plantes.

Les eſpaiſſes foreſts ſont ſes cheueux eſpaix,
Les rochers ſont ſes os, les riuieres bruyantes
L’eternelle ſueur que luy cauſe vn tel faix.


Du Bartas.




Sonnet au Roi




Sire, voſtre Citron, qui couchoit autrefois
Sur voſtre lict paré, couche ores ſur la dure :
C’eſt ce fidelle chien qui apprit de nature
A faire des amis & des traiſtres le choix :

C’eſt lui qui les brigands effrayoit de ſa voix,
Et de dents les meurtriers : d’où vient donc qu’il eudure
La faim, le froid, les coups, les deſdains, & l’iniure,
Payement couſtumier du ſervice des Rois ?

Sa fierté, ſa beauté, ſa ieuneſſe agreable
Le fit chérir de vous ; mais il fut redoutable
A vos haineux, aux ſiens, par ſa dextérité.

Courtiſans, qui iettez vos deſdaigneuſes veuës
Sur ce chien delaiſſé, mort de faim par les ruës,
Attendez ce loyer de la fidelité.


Agrippa d’Aubigné.




Au Roy




Qu’auec vne valeur à nulle autre ſeconde,
Et qui ſeule eſt fatale à noſtre gueriſon,
Voſtre courage meur en ſa verte ſaiſon
Nous ait acquis la paix ſur la terre & ſur l’onde ;

Que l’Hydre de la France, en reuoltes ſeconde,
Par vous ſoit du tout morte, ou n’ait plus de poiſon,
Certes c’eſt vn bon-heur dont la juſte raiſon
Promet à voſtre front la couronne du monde.

Mais qu’en de ſi beaux faits vous m’ayez pour témoin,
Connoiſſez-le, mon Roy, c’eſt le comble du foin
Que de vous obliger ont eu les deſtinées.

Tous vous ſçauent louer, mais non également ;
Les ouurages communs vivent quelques années ;
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.


François de Malherbe.




Sur la mort du fils de l’Autheur




Que mon Fils ait perdu ſa deſpoüille mortelle,
Ce fils qui fut ſi braue, & que i’aimay ſi fort :
Ie ne l’impute point à l’iniure du fort,
Puis que finir à l’homme eſt choſe naturelle.

Mais que de deux moraux la ſurpriſe infidelle
Ait terminé ſes iours d’vne tragique mort,
En cela ma douleur n’a point de reconfort :
Et tous mes ſeniimens ſont d’accord auec elle.

Ô mon Diev, mon Sauueur, puiſque par la raiſon
Le trouble de mon ame eſtant ſans gueriſon,
Le veu de la vengeance eſt vn veu legitime,

Fais que de ton appuy ie fois fortifié :
Ta Iuſtice t’en prie ; & les autheurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t’ont crucifié.


François de Malherbe.




Sonnet




Cependant qu’en la Croix plein d’amour infinie,
Dieu pour noſtre ſalut tant de maux ſupporta,
Que par ſon iuſte ſang noſtre ame il racheta
Des priſons où la mort la tenoit affermie,

Altéré du deſir de nous rendre la vie,
I’ay ſoif, dit-il aux Iuifs ; quelqu’un lors apporta
Du vinaigre, & du fiel, & le luy preſenta ;
Ce que voyant ſa mere en la ſorte s’écrie :

Quoy ! n’eſt-ce pas aſſez de donner le trépas
A celuy qui nourrit les hommes icy bas,
Sans frauder ſon deſir, d’vn ſi piteux breuuage ?

Venez, tirez mon ſang de ces rouges canaux.
Ou bien prenez ces pleurs qui noyent mon viſage.
Vous ſerez moins cruels, & i’auray moins de maux.


Mathurin Regnier.




Sonnet




Le péché me ſurmonte, & ma peine eſt ſi grande,
Lors que mal-gré moy-meſme il triomphe de moy,
Que pour me retirer du gouffre où ie me voy,
Ie ne ſçay quel hommage il faut que ie te rende.

Ie voudrais bien t’offrir ce que ta loy commande,
Des prieres, des vœux, & des fruits de ma foy.
Mais voyant que mon cœur n’eſt pas digne de toy,
Ie ſay de mon Sauveur mon eternelle offrande.

Reçoy ton Fils, ô Pere ! & regarde la Croix,
Où preſt de ſatisfaire à tout ce que ie dois
Il te fait de luy-meſme vn fanglant ſacrifice.

Et puis qu’il a pour moy cèt excès d’amitié,
Que d’eſtre inceſſamment l’obict de ta Iuſtice,
Ie feray, s’il te plaiſt, l’obiect de ta pitié.


Ogier de Gombauld.




Sonnet




Ton orgueil peut durer au plus deux ou trois ans.
Apres, ceſte beauté ne ſera plus ſi vine,
Tu verras que ta flame alors ſera tardiue
Et que tu deuiendras l’obiect des meſdiſans.

Tu ſeras le refus de tous les Courtiſans,
Les plus ſots laiſſeront ta paſſion oyſiue,
Et tes deſirs honteux, d’vue amitié laſcine
Tenteront vn valet à force de preſens.

Tu chercheras à qui te donner pour maiſtreſſe,
On craindra ton abord, on fuira ta careſſe ;
Vn chacun de par tout te donnera congé,

Tu reviendras à moy, ie n’en feray nul compte,
Tu pleureras d’amour, ie riray de ta honte :
Lors ta ſeras punie, & ie ſeray vengé.


Théophile de Viau.




Sonnet




Aſſis ſur vn fagot, vne pipe à la main,
Triplement accoudé contre vne cheminée,
Les yeux fixes vers terre, & l’ame mutinée,
Ie ſonge aux cruautez de mon ſort inhumain.

L’eſpoir qui me remet du iour au lendemain
Eſſaye à gaigner temps ſur ma peine obſtinée,
Et me venant promettre vne autre deſtinée
Me fait monter plus haut qu’vn Empereur Romain.

Mais à peine celle herbe eſt-elle miſe en cendre,
Qu’en mon premier eſtat il me conuient deſcendre,
Et paſſer mes ennuis à redire ſouuent :

Non, ie ne trouue point beaucoup de difference,
De prendre du tabac, à viure d’eſperance,
Car l’vn n’eſt que fumée, & l’autre n’eſt que vent.


Saint-Amant (de).




Les Goinfres




Coucher trois dans vn drap, ſans feu ny ſans chandelle,
Au profond de l’Hyuer dans la Sale aux fagots.
Où les Chats, ruminans le langage des Gots,
Nous eſclairent ſans ceſſe, en roüant la prunelle ;

Hauſſer noſtre cheuet avec vne eſcabelle,
Eſtre deux ans à ieun comme les Eſcargots,
Reſuer en grimaſſant ainſi que les Magots
Qui bâillans au Soleil ſe gratent ſous l’aiſſelle ;

Mettre au lieu de bonnet la coiffe d’vn chapeau,
Prendre pour ſe couurir la friſe d’vn manteau
Dont le deſſus ſeruit à nous doubler la panſe ;

Puis fouffrir cent brocars d’vn vieux hoſte irrité
Qui peut fournir à peine à la moindre deſpenſe,
C’eſt ce qu’engendre enfin la prodigalité.


Saint-Amant (de).




Le Pareſſeux




Accablé de Pareſſe, & de Melancholie,
Ie rêue dans vn lict, où ie ſuis fagotté
Comme vn lièure ſans os, qui dort dans vn paſté,
Ou comme vu Dom-Quichot en ſa morne folie.

Là, ſans me ſoucier des Guerres d’Italie,
Du Comte Palatin, ny de ſa Royauté,
Ie conſacre vn bel Hymne à ceſte oiſiueté
Où mon Ame en langueur eſt comme enſeuelie.

Ie trouue ce plaiſir ſi doux & ſi charmiant,
Que ie croy que les biens me viendront en dormant,
Puis que ie voy des-ia s’eu enfler ma bedaine ;

Et hay tant le trauail, que, les yeux entr’ouuers,
Vne main hors des draps, cher Bavdoin, à peine
Ay-je pû me reſoudre à t’eſcrire ces Vers.


Saint-Amant (de).




L’Automne des Canaries




Voicy les ſeulls coſtautx, voicy les ſeuls valons
Où Baccus & Pomone ont eſtably leur gloire,
Iamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne reſſentit l’effort des rudes Aquilons.

Les Figues, les Muſcats, les Peſches, les Melons,
Y couronnent ce Dieu qui ſe delecte à boire,
Et les nobles Palmiers ſacrez à la Victoire,
S’y courbent ſous des fruicts qu’au miel nous égalons.

Les Cannes au doux ſuc, non dans les Mareſcages,
Mais ſur des flancs de Roche y forment des boccages,
Dont l’Or plein d’ambroſie éclatte & monte aux Cieux.

L’Orange en meſme tour y meurit & boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le Printemps & l’Eſté confondus eu l’Automne.


Saint-Amant (de).




Sonnet




Il eſt temps, ma belle ame, il eſt temps qu’on finiſſe
Le mal dont vos beaux yeux m’ont quatre ans tourmenté,
Soit rendant mon deſir doucement contenté,
Soit faiſant de ma vie vn cruel ſacrifice,

Vous tenez en vos mains ma grâce & mon ſupplice,
Iugez lequel des deux mon cœur a mérité :
Car ma fidele amour, ou ma temerité,
Veut qu’on me recompenſe, ou bien qu’on me puniſſe.

Mais ſi vous ne portez vn cœur de diamant,
Vous ue punirez point vn miſerable amant
De vous auoir eſté ſi longuement fidele :

Veu meſme que ſon mal vous doit eſtre imputé.
Car en fin puis qu’Amour eſt fils de la Beauté,
Si c’eft péché qu’aimer, c’eſt malheur qu’eſtre belle.


Bertaut.




Aduis, à vn Poëte beuueur d’eau




En vain, pauure Tircis, tu te romps le cerueau,
Pour changer en beaux vers tes rimes imparfaites ;
Tu n’auras point l’ardeur des illuſtres Poëtes,
Si ton Eſprit d’oyſon ſe refroidit dans l’eau.

Va trinquer à longs traits de ce Nectar nouueau
Que le Cormié recelle en ſes caues ſecrettes,
Si tu veux effacer ces antiques Prophètes
Dont le Nom brille encor dans la nuit du tombeau.

Bien que les neuf Beautez des riues d’Hipocreine
Exaltent la vertu des eaux de leur Fontaine,
Les fines qu’elles ſont ne s’en abreuuent pas ;

Là ſous des lauriers vers, ou pluſtoſt ſous des treilles,
Les tonneaux de vin Grec eſchauffent leurs repas,
Et l’eau n’y rafraiſcehit que le cu des Bouteilles.


Guillaume Colletet.




Sur la Naiſſance
de Noſtre Seigneur




Qui vid iamais au monde vn miracle pareil ?
Vn Dieu s’aſſuiettit aux loix de la Nature,
Le Créateur de tout naiſt de ſa Créature,
Et la Lumière ſort des ombres du Sommeil.

Bien qu’il vienne ſur Terre eu vn pauure appareil,
Qu’vn Antre ténébreux luy ſerue de cloſture,
C’eſt luy qui fit du Ciel la belle Architecture,
Et qui fonda ſon Throne au milieu du Soleil.

Ô celeſtes Eſprits, ſainctes Intelligences,
Qui vous glorifiez de vos pures eſſences.
Et rendiez voſtre heur tous les Hommes ialoux,

Euuiez auiourd’huy, par vn contraire eſchange,
Le bon-beur que le Ciel vient reſpandre ſur nous,
Puiſque Dieu s’et fait Homme, & ne s’efit point fait Ange.


Guillaume Colletet.




A Monſieur de Charleval




Lors qu’Adam vit cette jeune beauté
Faite pour luy d’vne main immortelle,
S’il l’aima fort, elle de ſon coſté
(Dont bien nous prend) ne luy fut pas cruelle.

Cher Charleval, alors en vérité
Ie croy qu’il fut vne femme fidelle ;
Mais comme quoy ne l’auroit-elle eſté,
Elle n’auoit qu’un ſeul homme auec elle.

Or en cela nous nous trompons tous deux,
Car bien qu’Adam fut jeune & vigoureux,
Bien fait de corps & d’eſprit agréable,

Elle aima mieux pour s’en faire conter
Preſter l’oreille aux fleuretes du Diable,
Que d’eſtre femme & ne pas coqueter.


Sarraſin.




La Belle Matineuſe




Le ſilence regnoit ſur la terre & ſur l’onde,
L’air deuenoit ſerain, & l’Olympe vermeil,
Et l’amoureux Zepbire affranchy du ſommcil
Reſuſcitoit les fleurs d’vne haleine ſeconde,

L’Aurore deſployoit l’or de ſa treſſe blonde
Et ſemoit de rubis le chemin du Soleil,
Enfin ce Dieu venoit au plus grand appareil
Qu’il ſoit iamais venu pour eſclairer le monde,

Quand la ieune Philis au viſage riant,
Sortant de ſon Palais plus clair que l’Orient,
Fit voir vne lumière & plus viue & plus belle.

Sacré flambeau du iour, n’en ſoyez point ialoux,
Vous paruſtes alors auſſi peu deuant elle
Que les feux de la nuit auoient fait deuant vous.


Claude de Malleville.




La Belle Matineuſe




Des portes du matin l’Amante de Cephale
Ses roſes eſpandoit dans le milieu des airs,
Et iettoit ſur les deux nonuellement ouuers
Ces traits d’or, & d’azur, qu’en naiſſant elle eſtale,

Quand la Nymphe diuine, à mon repos fatale,
Apparut, & brilla de tant d’attraits diuers,
Qu’il fembloit qu’elle ſeule eſclairoit l’vniuers.
Et rempliſſoit de feux la riue Orientale.

Le Soleil ſe haſtant pour la gloire des Cieux,
Vint oppoſer ſa flame à l’éclat de ſes yeux,
Et prit tous les rayons dont l’Olympe ſe dore ;

L’onde, la terre, & l’air s’allumoient à l’entour :
Mais auprès de Pbilis on le prit pour l’Aurore,
Et l’on creut que Philis eſtoit l’Aſtre du iour.


Voiture.




Sonnet d’Vranie




Il faut finir mes iours en l’amour d’Vranie,
L’abſence ni le temps ne m’en ſçauroient guérir,
Et ie ne voy plus rien qui me pût ſecourir,
Ni qui ſeuſt r’appeller ma liberté bannie.

Dés long-temps ie connois ſa rigueur infinie,
Mais penſant aux beautés pour qui ie dois périr,
le bénis mon martyre, & content de mourir
le n’oſe murmurer contre ſa tyrannie.

Quelquefois ma raiſon, par de foibles diſcours,
M’incite à la reuolte, & me promet ſecours ;
Mais lors qu’à mon beſoin ie me veux ſeruir d’elle,

Apres beaucoup de peine, & d’efforts impuiſſans,
Elle dit qu’Vranie eſt ſeule aymable & belle,
Et m’y r’engage plus que ne font tous mes ſens.


Voiture.




Sur Job




Job de mille tourments atteint,
Vous rendra ſa douleur connuë ;
Et raiſonnablentent il craint
Que vous n’en ſoyez point émuë.

Vous verrez ſa miſere nul ;
Il s’eſt luy-même icy dépeint :
Acoûtumez-vous à la vue
D’un homme qui ſouffre & ſe pleint.

Bien qu’il eût d’extrêmes ſouffrances,
On voit aller des patiences
Plus loin que la ſienne n’alla.

Il ſouffrit des maux incroyables,
Il s’en plaignit, il en parla ;
J’en connais de plus miſérables.


Benſerade.




Sur les ſonnets
d’Vranie et de lob




Deux Sonnets partagent la Ville,
Deux Sonnets partagent la Cour,
Et ſemblent vouloir à leur tour
R’allumer la guerre Ciuille,

Le plus ſot & le plus habile
En mettent leur aduis au iour,
Et ce qu’on a pour eux d’amour
A plus d’vn échauffe la bile.

Chacun en parle hautement
Suiuant ſon petit jugement.
Et s’il y faut meſler le noſtre,

L’vn eſt ſans doute mieux reſué,
Mieux conduit, & mieux acheué,
Mais ie voudrois auoir fait l’autre.


Pierre Corneille.




Pour Mélite




Apres l’œil de Melite il n’eſt rien d’admirable,
Il n’eſt rien de ſolide apres ma loyauié,
Mon feu comme ſon teint ſe rend incomparable,
Et ie fuis en amour ce qu’elle eſt en beauté.

Quoy que puiſſe à mes ſens offrir la nouueauté.
Mon cœur à tous ſes traits demeure inuulnerable,
Et bien qu’elle ait au ſien la meſme cruauté,
Ma foy pour ſes rigueurs n’en eſt pas moins durable.

C’eſt donc avec raiſon que mon extrême ardeur
Trouue chez cette belle vne extrême froideur,
Et que ſans eſtre aimé ie brûle pour Melite.

Car de ce que les Dieux nous enuoyant au iour,
Donnerent pour nous deux d’amour, & de merite,
Elle a tout le merite, & moy i’ay tout l’amour.


Pierre Corneille.




A la Reine Régente




Que vos ſoins, grande Reine, enfantent de miracles !
Bruxelles & Madrid en ſont tous interdits,
Et ſi noſtre Apollon me les auoit prédits,
I’aurois moy-meſme oſé douter de ſes oracles.

Sous vos commandemens on force tous obſtacles,
On porte l’épouvante aux cœurs les plus hardis,
Et par des coups d’eſſay vos Eſtats agrandis
Des drapeaux ennemis font d’illuſtres ſpectacles.

La Victoire elle-meſme accourant à mon Roy,
Et mettant à ſes pieds Thionuille & Rocroy,
Fait retentir ces vers ſur les bords de la Seine :

France, atten tout d’vn regne ouuert en triomphant,
Puis que tu vois deſia les ordres de ta Reyne
Faire vn foudre en tes mains des armes d’vn Enfant.


Pierre Corneille.




Sur la Mort
de Damoiſelle Elizabeth Ranquet




Ne verſe point de pleurs ſur cette ſepulture,
Paſſant, ce lit funebre eſt vn lit précieux,
Où giſt d’vn corps tout pur la cendre toute pure.
Mais le zele du cœur vit encore en ces lieux.

Auant que de payer les droits à la Nature,
Son aine s’eſleuant au deſſus de ſes yeux
Auoit au Createur vny la créature,
Et marchant ſur la terre elle eſtoit dans les Cieux.

Les pauures bien mieux qu’elle ont ſenty ſa richeſſe ;
L’humilité, la peine eſtoit ſon allegreſſe,
Et ſon dernier ſoupir fut vn foupir d’amour.

Paſſant, qu’à fon exemple vn beau feu te tranſporte,
Et loin de la pleurer d’avoir perdu le iour,
Croy qu’on ne meurt iamais quand on meurt de la ſorte.


Pierre Corneille.




Sur la mort du Roy Louis XIII




Sous ce marbre repoſe un monarque ſans vice
Dont la ſeulle bonté depleut aux bons François,
Et qui pour tout péché ne fit qu’un mauvais chois
Dont il fut trop longtemps innocemment complice.

L’ambition, l’orgueil, l’audace, l’auarice,
Saiſis de ſon pouuoir, nous donnèrent des lois,
Et bien qu’il fuſt en foy le plus juſle des Rois
Son regne fut pourtant celuy de l’injuſtice.

Vainqueur de toutes parts, eſclaue dans ſa cour,
Son tiran & le noſtre à peine perd le jour
Que juſque dans la tombe il le force à le ſuiure.

Jamais de tels malheurs furent-ils entendus ?
Apres trentetrois ans ſur le troſne perdus,
Commençant à regner, il a ceſſé de viure.


Pierre Corneille.




Sur la Paſſion de Jeſus-Chriſt




Quand le Sauveur ſouffroit pour tout le genre humain,
La mort en l’abordant au fort de ſon ſupplice,
Parut toute interdite, & retira ſa main,
N’oſant deſſus ſon Maiſtre exercer ſon office.

Mais Jeſus en baiſſant la teſte ſur ſon ſein,
Fit ſigne l’implacable & ſourde executrice,
De n’avoir point d’egard au droit du Souverain,
Et d’exercer ſur lui ſon fameux ſacrifice.

La cruelle obéït, & ce coup ſans pareil
Fit frémir la Nature, & pâlir le Soleil,
Comme ſi de ſa fin le Monde eût eſté proche.

Tout pâlit, tout ſe meut, dans la terre & dans l’air,
Excepté le pecbeur qui prit un cœur de roche,
Quand la roche ſembloit avoir un cœur de chair.


Le comte de Modène.




A Monſieur de la Mothe le Vayer,
ſur la mort de Monſieur ſon fils.




Aux larmes, le Vayer, laiſſe les ieux ouuerts,
Tou deuil eſt raiſonnable encor qu’il ſoit extrême,
Et lors que pour touſiours on perd ce que tu perds
La ſageſſe, croy moy, peut pleurer elle-meſme.

On ſe propoſe à tort cent preceptes divers
Pour vouloir d’vn œil ſec voir mourir ce qu’on ayme
L’effort en eſt barbare aux yeux de l’Univers,
Et c’eſt brutalité plus que vertu ſuprême.

On ſçait bien que les pleurs ne rameneront pas
Ce cher fils que t’enleue un imprèveu trépas,
Mais la perte par là n’en eſt pas moins cruelle :

Ses vertus d’un chacun le faiſoient reverer,
Il avoit le cœur grand, l’eſprit beau, l’ame belle,
Et ce ſont des ſujets à touſiours le pleurer.


Molière.




Sonnet




Grand Dieu, tes jugemens ſont remplis d’équité :
Toujours tu prens plaiſir à nous être propice ;
Mais j’ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me peut pardonner ſans choquer ta juſtice.

Oui, mon Dieu, la grandeur de mon impiété
Ne laiſſe à ton pouvoir que le choix du ſupplice :
Ton intérêt s’oppoſe à ma félicité,
Et ta clémence même attend que je périſſe.

Contente ton deſir puiſqu’il t’eſt glorieux :
Offenſe-toi des pleurs qui coulent de mes yeux ;
Tonne, frappe, il eſt temps ; rens-moi guerre pour guerre.

J’adore, en périſſant, la raiſon qui t’aigrit :
Mais deſſus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne ſoit tout couvert du Sang de Jesus-Christ ?


Des Barreaux.




Sonnet




Vn amas confus de maiſons,
Des crottes dans toutes les ruës,
Ponts, Egliſes, Palais, Priſons,
Boutiques bien ou mal pourueuës ;

Force gens noirs, blancs, roux, griſons,
Des Prudes, des filles perduës,
Des meurtres & des trahiſons,
Des gens de plume aux mains crochuës ;

Maint poudré qui n’a point d’argent,
Maint homme qui craint le Sergent,
Maint Fanfaron qui toujours tremble ;

Pages, Laquais, Voleurs de nuict,
Caroſſes, cheuaux, & grand bruit :
C’eft-là Paris ; que vous en ſemble ?


Paul Scarron.




Pour Mademoiſelle C.




Sève, qui peins l’objet dont mon cœur ſuit la loy,
Son pouvoir ſans ton art aſſez loin peut s’eſtendre ;
Laiſſe en paix l’Univers, ne luy va point apprendre
Ce qu’il faut ignorer ſi l’on veut eſtre à ſoy.

Auſſi bien manque-t-il icy je ne ſçais quoy
Que tu ne peus tracer, ny moy le faire entendre ;
J’en conſerve les traits qui n’ont rien que de tendre ;
Amour les a formez, plus grand peintre que toy.

Par d’inutiles ſoins pour moy tu te ſurpaſſes ;
Clarice eſt en mon ame avec toutes ſes graces ;
Je m’en fais des Tableaux ou tu n’as point de part :

Pour me faire ſans ceſſe adorer cette Belle,
Il n’eſtoit pas beſoin des efforts de ton art,
Mon cœur ſans ce Portrait ſe ſouvient aſſez d’elle.


Jean de La Fontaine.




Sur la mort d’une Parente




Parmi les doux tranſports d’une amitié fidele,
Je voïois près d’Iris couler mes heureux jours ;
Iris que j’aime encore, & que j’aimai toujours,
Brûloit des meſmes feux dont je brûlois pour elle,

Quand par l’ordre du Ciel une fievre cruelle
M’enleva cet objet de mes tendres amours,
Et de tous mes plaiſirs interrompant le cours,
Me laiſſa de regrets une ſuite éternelle.

Ah, qu’un ſi rude coup étonna mes eſprits !
Que je verſai de pleurs ! Que je pouſſai de cris !
De combien de douleurs ma douleur fut ſuivie !

Iris, tu fus alors moins à plaindre que moi ;
Et bien qu’un triſte ſort t’ait fait perdre la vie,
Helas ! en te perdant, j’ay perdu plus que toi.


Nicolas Boileau Deſpréaux.




Sonnet




Dans un fauteuil doré, Phèdre tremblante & blême
Dit des Vers où d’abord perſonne nentend rien ;
Sa Nourrice lui fait un ſermon fort chrétien,
Contre l’affreux deſſein d’attenter à ſoi-meme ;

Hypolyte la hait preſque autant qu’elle l’aime,
Rien ne change ſon cœur, ni ſon chaſte maintien ;
La Nourrice l’accuſe, elle s’en punit bien ;
Thèſée a pour ſon fils une rigueur extrême ;

Une groſſe Aricie, au cuir rouge, aux crins blons,
N’eſt-là que pour montrer deux énormes tetons,
Que malgré ſa froideur Hypolyte idolâtre.

Il meurt enfin traîné par ſes courfiers ingrats ;
Et Phedre, après avoir pris de la mort aux rats,
Vient en ſe confeſſant mourir ſur le Théatre.


Madame Deſhoulières.




Sur la Tragédie de Genſéric





La jeune Eudoxe eſt une bonne enfant,
La vieille Eudoxe une franche diableſſe,
Et Genſeric un Roi fourbe & méchant,
Digne Heros d’une méchante Pièce.

Pour Traſimond, c’eſt un pauvre innocent,
Et Sophronie envain pour lui s’empreſſe,
Hunineric eſt un homme indiferent,
Qui comm’ on veut & la prend & la laiſſe.

Et ſur le tout le ſujet eſt traité,
Dieu ſçait comment ! Auteur de qualité,
Vous vous cachez, en donnant cèt ouvrage.

C’eſt fort bien fait de ſe cacher ainſi :
Mais pour agir en perſonne bien ſage,
Il nous faloit cacher la Pièce auſſi.


Jean Racine.




Sur la mort de M. Duché




Celui que nous plaignons, & qu’un fort glorieux
Place au rang des Elus dans la Cité céleſte,
Brilla par ſes talents, fut doux, ſimple, modefte,
Fidèle à ſes amis, diſcret, oficieux.

Des charmes dont le monde avoit ſéduit ſes yeux
Dieu diſſipa bientôt l’illuſion funeſte,
Et de ſes jeunes ans il conſacra le reſte
A chanter les grandeurs du Monarque des Cieux.

Il n’eſt plus, & j’ai vû paſſer ſa derniere heure ;
Mais en pleurant ſa mort, c’eſt moi ſeul que je pleure,
Mon aveugle fureur n’accuſe point le fort.

Il joüit des ſeuls biens qui faiſoient ſon envie,
Et ne pouvait trouver qu’en paſſant par la mort
Le port tranquille & ſûr de l’éternelle vie.


Jean-Baptifte Rouſſeau.




A M. le Comte Algarotti




On a vanté vos murs bâtis fur l’onde,
Et votre ouvrage eft plus durable qu’eux.
Venife & lui femblent faits pour les dieux ;
Mais le dernier fera plus cher au monde.

Qu’admirons-nous dans ce dieu merveilleux
Qui, dans fa courfe éternelle & féconde,
Embraffe tout, & traverfe à nos yeux
Des vaftes airs la campagne profonde ?

L’invoquons-nous pour avoir fur les mers
Bâti ces murs que la cendre a couverts,
Cet Ilion caché dans la pouffière ?

Ainfi que vous il eft le dieu des vers,
Ainfi que vous il répand la lumière :
Voilà l’objet des vœux de l’univers.


Voltaire.




Après la mort de Laure




La vie avance & fuit ſans ralentir le pas,
Et la mort vient derrière, à ſi grandes journées
Que les heures de paix qui me furent données
Me paraiſſent un rêve & comme n’étant pas !

Je m’en vais meſurant d’un ſévère compas
Mon ſiniſtre avenir, & vois mes déftinées
De tant de maux divers encore environnées,
Que je veux me donner de moi-même au trépas !

Si mon malheureux cœur eut jadis quelque joie,
Triſte, je m’en fouviens ; & puis, tremblante proie.
Devant je vois la mer qui va me recevoir !

Je vois ma nef ſans mât, ſans antenne & ſans voiles,
Mon nocher fatigué, le ciel livide & noir,
Et les beaux yeux éteints, qui me ſervaient d’étoiles.


Antoni Deſchamps.




Ave, dea, moriturus te salutat !




La mort & la beauté ſont deux choſes profondes
Qui contiennent tant d’ombre & d’azur, qu’on dirait
Deux ſœurs, également terribles & fécondes,
Ayant la même énigme & le même ſecret.

Ô femmes, voix, regards, cheveux noirs, treſſes blondes,
Vivez, je meurs ! Ayez l’éclat, l’amour, l’attrait,
Ô perles que la mer mêle à ſes grandes ondes,
Ô lumineux oiſeaux de la ſombre forêt !

Judith, nos deux deſtins ſont plus près l’un de l’autre
Qu’on ne croirait, à voir mon viſage & le vôtre :
Tout le divin abîme apparaît dans vos yeux,

Et moi, je ſens le gouffre étoilé dans mon âme ;
Nous ſommes tous les deux voiſins du ciel, madame,
Puiſque vous êtes belle & puiſque je ſuis vieux.


Victor Hugo.




Imité de Wordfworth




Ne ris point des ſonnets, ô Critique moqueur !
Par amour autrefois en fit le grand Shakſpeare ;
C’eſt ſur ce luth heureux que Pétrarque ſoupire,
Et que le Taſſe aux fers ſoulage un peu ſon cœur ;

Camoens de ſon exil abrège la longueur.
Car il chante en ſonnets l’amour & ſon empire ;
Dante aime cette fleur de myrte, & la reſpire,
Et la mêle au cyprès qui ceint ſon front vainqueur ;

Spencer, s’en revenant de l’île des féeries,
Exhale en longs ſonnets ſes trifteſſes chéries ;
Milton, chantant les ſiens, ranimait ſon regard :

Moi, je veux rajeunir le doux ſonnet en France ;
Du Bellay, le premier, l’apporta de Florence,
Et l’on en ſait plus d’un de notre vieux Ronſard.


Sainte-Beuve.




Sonnet




J’étais un arbre en fleur où chantait ma Jeuneſſe,
Jeuneſſe, oiſeau charmant, mais trop vite envolé ;
Et même, avant de fuir du bel arbre effeuillé,
Il avait tant chanté qu’il ſe plaignait ſans ceſſe.

Mais ſa plainte était douce, & telle en ſa triſteſſe
Qu’à défaut de témoins & de groupe aſſfemblé,
Le buiſſon attentif avec l’écho troublé
Et le cœur du vieux chêne en pleuraient de tendreſſe.

Tout ſe tait, tout eſt mort ! L’arbre, veuf de chanſons,
Étend ſes rameaux nus ſous les mornes ſaiſons ;
Quelque craquement ſourd s’entend par intervalle :

Debout, il ſe dévore, il ſe ride, il attend,
Juſqu’à l’heure où viendra la Corneille fatale
Pour le ſuprême hiver chanter le dernier chant.


Sainte-Beuve.




Sonnet




Que vient-elle me dire, aux plus tendres inſtants,
En réponſe aux ſoupirs d’une âme conſumée,
Que vient-elle conter, ma folle Bien-Aimée,
De charmes défleuris, de ravages du temps,

De bandeaux de cheveux déjà moins éclatants ?
Qu’a-t-elle à me montrer ſur ſa tête embaumée,
Comme un peu de jaſmin dans l’épaiſſe ramée,
Quelques rares endroits pâlis dès le printemps ?

Qu’a-t-elle ? dites-moi ! fut-on jamais plus belle ?
Le déſir la revêt d’une flamme nouvelle,
Sa taille eſt de quinze ans, ſes yeux gagnent aux pleurs ;

Et, pour mieux couronner ma jeune Fiancée,
Amour qui fait tout bien, docile à ma penſfée,
Mêle à ſes noirs cheveux quelque neige de fleurs.


Sainte-Beuve.




Michel-Ange




Que ton viſage eſt triſte & ton front amaigri,
Sublime Michel-Ange, ô vieux tailleur de pierre !
Nulle larme jamais n’a mouillé ta paupière ;
Comme Dante, on dirait que tu n’as jamais ri.

Hélas ! d’un lait trop fort la Muſe t’a nourri,
L’art fut ton ſeul amour & prit ta vie entière ;
Soixante ans tu courus une triple carrière
Sans repoſer ton cœur ſur un cœur attendri.

Pauvre Buonarotti ! ton ſeul bonheur au monde
Fut d’imprimer au marbre une grandeur profonde,
Et, puiſſant comme Dieu, d’effrayer comme lui :

Auſſi, quand tu parvins à ta ſaiſon dernière,
Vieux lion fatigué, ſous ta blanche crinière,
Tu mourus longuement plein de gloire & d’ennui.


Auguſte Barbier.




Mazaccio




Ah ! s’il eſt ici-bas un aſpect douloureux,
Un tableau déchirant pour un cœur magnanime,
C’eſt ce peuple divin que le chagrin décime,
C’eſt le pâle troupeau des talents malheureux ;

Ô Mazaccio ! c’eſt toi, jeune homme aux longs cheveux,
De la bonne Florence enfant cher & fublime ;
Peintre des premiers temps, c’eſt ton air de victime,
Et ta bouche entr’ouverte & tes ſombres yeux bleus…

Hélas ! la mort te prit les deux mains ſur la toile :
Et du beau ciel de l’art jeune & brillante étoile,
Aſtre ſi haut monté, mais ſi vite abattu,

Le ſouffle du poiſon ternit ta belle flamme,
Comme ſi, tôt ou tard, pour dévorer ton âme,
Le venin du génie eût été ſans vertu.


Auguſte Barbier.




Le Corrège




Nourrice d’Allegri, Parme, cité chrétienne,
Sois fière de l’enfant que tes bras ont porté
J’ai vu d’un œil d’amour la belle antiquité,
Rome en toute ſa pompe & ſa grandeur païenne ;

J’ai vu Pompéi morte, & comme une Athénienne,
La pourpre encor flottant ſur ſon lit déſerté ;
J’ai vu le dieu du jour rayonnant de beauté
Et tout humide encor de l’onde ionienne ;

J’ai vu les plus beaux corps que l’art ait revêtus :
Mais rien n’eſt comparable aux timides vertus,
A la pudeur marchant ſous ſa robe de neige ;

Rien ne vaut cette roſe à la fraîche couleur
Qui ſecoua ſa tige & ſa divine odeur
Sur le front de ton fils, le ſuave Corrège.


Auguſte Barbier.




Sonnet




Pétrarque, au doux ſonnet je fus longtemps rebelle ;
Mais toi, divin Toſcan, chaſte & voluptueux,
Tu choiſis, évitant tout rhythme impétueux,
Pour ta belle penſée une forme humble & belle.

Ton poème aujourd’hui par des charmes m’appelle :
Vaſe étroit mais bien clos, coffret, plaiſir des yeux,
D’où s’exhale un parfum ſubtil, myſiérieux,
Que Laure retirait, le ſoir, dans la chapelle ;

Aux ſoupleſſes de l’art la grâce ſe plaiſait.
Maître, tu ſouriras ſi ma muſe rurale
Et libre a fait ployer la forme magiſtrale ;

Puis, ſur le tour léger de l’Étruſque, naiſſait,
Docile à varier la forme antique & ſainte,
L’urne pour les parfums, ou le miel, ou l’abſinthe.


Auguſte Brizeux.




Vers dorés




Homme, libre penſeur ! te crois-tu ſeul penſant
Dans ce monde où la vie éclate en toute choſe ?
Des forces que tu tiens ta liberté diſpoſe,
Mais de tous tes conſeils l’univers eſt abſent,

Reſpecte dans la bête un eſprit agiſſant ;
Chaque fleur eſt une âme à la Nature écloſe ;
Un myſtère d’amour dans le métal repoſe ;
« Tout eſt ſenſible ! » Et tout ſur ton être eſt puiſſant.

Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie :
A la matière même un verbe eſt attaché…
Ne la fais pas ſervir à quelque uſage impie !

Souvent dans l’être obſcur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naiſſant couvert par ſes paupières,
Un pur eſprit s’accroît ſous l’écorce des pierres !


Gérard de Nerval.




Sonnet




Béatrix Donato fut le doux nom de celle
Dont la forme terreſtre eut ce divin contour.
Dans ſa blanche poitrine était un cœur fidèle,
Et dans ſon corps ſans tache un eſprit ſans détour.

Le fils du Titien, pour la rendre immortelle,
Fit ce portrait, témoin d’un mutuel amour ;
Puis il ceſſa de peindre à compter de ce jour,
Ne voulant de ſa main illuſtrer d’autre qu’elle.

Paſſant, qui que tu fois, ſi ton cœur ſait aimer,
Regarde ma maîtreſſe avant de me blâmer,
Et dis ſi, par hafard, la tienne eſt auſſi belle.

Vois donc combien c’eſt peu que la gloire ici-bas,
Puiſque, tout beau qu’il eſt, ce portrait ne vaut pas
(Crois-moi ſur ma parole) un baiſer du modèle.


Alfred de Muſſet.




Triſteſſe




J’ai perdu ma force & ma vie,
Et mes amis & ma gaîté ;
J’ai perdu juſqu’à la fierté
Qui faiſait croire à mon génie.

Quand j’ai connu la Vérité,
J’ai cru que c’était une amie ;
Quand je l’ai compriſe & ſentie,
J’en étais déjà dégoûté :

Et pourtant elle eſt éternelle,
Et ceux qui ſe ſont paſſés d’elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
Le ſeul bien qui me reſte au monde
Eſt d’avoir quelquefois pleuré.


Alfred de Muſſet.




A M. Régnier,
de la Comédie-Françaiſe
après la mort de ſa fille.




Quel eſt donc ce chagrin auquel je m’intéreſſe ?
Nous nous étions connus par l’eſprit ſeulement ;
Nous n’avions fait que rire, & cauſé qu’un moment,
Quand ſa vivacité coudoya ma pareſſe.

Puis j’allais par haſard au théâtre, en fumant,
Lorſque du maître à tous la vieille hardieſſe,
De ſa verve cauſtique aiguiſant la fineſſe,
En Pancrace ou Scapin le transformait gaîment.

Pourquoi donc, de quel droit, le connaiſſant à peine,
Eſt-ce que je m’arrête & ne puis faire un pas.
Apprenant que ſa fille eſt morte dans ſes bras ?

Je ne ſais. — Dieu le ſait ! Dans la pauvre âme humaine,
La meilleure penſée eſt toujours incertaine,
Mais une larme coule & ne ſe trompe pas.


Alfred de Muſſet.




Sonnet imité de l’italien




Mon âme a ſon ſecret, ma vie a ſon myſtère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal eſt ſans eſpoir, auſſi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien ſu.

Hélas ! j’aurai paſſé près d’elle inaperçu,
Toujours à ſes côtés, & pourtant ſolitaire,
Et j’aurai juſqu’au bout fait mon temps ſur la terre,
N’oſant rien demander & n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ai faite douce & tendre.
Elle ira ſon chemin, diſtraite, & ſans entendre
Ce murmure d’amour élevé ſur ſes pas ;

À l’auſtère devoir pieuſement fidèle,
Elle dira, liſant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle eſt donc cette femme ? » & ne comprendra pas.


Félix Arvers.




Sonnet




Pour veiner de ſon front la pâleur délicate,
Le Japon a donné ſon plus limpide azur ;
La blanche porcelaine eſt d’un blanc bien moins pur
Que ſon col tranſparent & ſes tempes d’agate ;

Dans ſa prunelle humide un doux rayon éclate ;
Le chant du roſſignol près de ſa voix eſt dur,
Et, quand elle ſe lève à notre ciel obſcur,
On dirait de la lune en ſa robe d’ouate ;

Ses yeux d’argent bruni roulent moelleuſement ;
Le caprice a taillé ſon petit nez charmant ;
Sa bouche a des rougeurs de pêche & de framboiſe ;

Ses mouvements ſont pleins d’une grâce chinoiſe,
Et près d’elle on reſpire autour de ſa beauté
Quelque choſe de doux comme l’odeur du thé.


Théophile Gautier.




Verſailles




Verſailles, tu n’es plus qu’un ſpectre de cité ;
Comme Veniſe au fond de ſon Adriatique,
Tu traînes lentement ton corps paralytique,
Chancelant ſous le poids de ton manteau ſculpté.

Quel appauvriſſement ! quelle caducité !
Tu n’es que ſurannée, & tu n’es pas antique,
Et nulle herbe pieuſe au long de ton portique
Ne grimpe pour voiler ta pâle nudité.

Comme une délaiſſée, à l’écart, ſous ton arbre,
Sur ton fein douloureux croiſant tes bras de marbre,
Tu guettes le retour de ton royal amant.

Le rival du ſoleil dort ſous ſon monument ;
Les eaux de tes jardins à jamais ſe ſont tues,
Et tu n’auras bientôt qu’un peuple de ſtatues.


Théophile Gautier.




La Caravane




La caravane humaine au ſahara du monde,
Par ce chemin des ans qui n’a pas de retour,
S’en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour,
Et buvant ſur ſes bras la ſueur qui l’inonde.

Le grand lion rugit & la tempête gronde ;
À l’horizon fuyard, ni minaret, ni tour ;
La ſeule ombre qu’on ait, c’eſt l’ombre du vautour,
Oui traverſe le ciel, cherchant ſa proie immonde.

L’on avance toujours, & voici que l’on voit
Quelque choſe de vert que l’on ſe montre au doigt :
C’eſt un bois de cyprès, ſemé de blanches pierres.

Dieu, pour vous repoſer, dans le déſert du temps,
Comme des oaſis, a mis les cimetières :
Couchez-vous & dormez, voyageurs haletants.


Théophile Gautier.




L’Impaſſible




La Satiété dort au fond de vos grands yeux ;
En eux, plus de déſirs, plus d’amour, plus d’envie ;
Ils ont bu la lumière, ils ont tari la vie,
Comme une mer profonde où s’abſorbent les deux.

Sous leur bleu ſombre on lit le vaſte ennui des Dieux,
Pour qui toute chimère eſt d’avance aſſouvie,
Et qui, ſachant l’effet dont la cauſe eſt ſuivie,
Mélangent au préſent l’avenir déjà vieux.

L’infini s’eſt fondu dans vos larges prunelles,
Et devant ce miroir qui ne réfléchit rien
L’Amour découragé s’aſſoit, fermant ſes ailes.

Vous, cependant, avec un calme olympien,
Comme la Mnémoſyne à ſon focle accoudée,
Vous pourſuivez rêveuſe, une impoſſible idée.


Théophile Gautier.




Au bord du puits




Le puits profond était poli comme un miroir ;
Le ciel s’y reflétait tout bleu, pur de nuages,
Formant d’azur & d’or un nimbe aux frais viſages
Des amoureux penchés & ravis de s’y voir.

Sur le riant criſtal encadré d’un mur noir
Se jouaient leurs yeux vifs en mille badinages ;
Lancés du bout des doigts, entre ces deux images
Les baiſers voltigeaient dans le ſombre couloir.

Voici qu’aux doux ſignaux & qu’à l’œillade folle
La ſource en bouillonnant vient couper la parole :
Du flot qui les traduit le ſourire eſt moins clair…

Mais pour mieux ſe parler dans ces brèves tempêtes,
Mêlant leurs cheveux blonds, ils rapprochaient leurs têtes,
Et les baiſers ceſſaient de ſe perdre dans l’air.


Victor de Laprade.




Lettre à une éplorée




Cachez vos pleurs, madame, & votre épaule,
Si vous voulez — mais là, ſincèrement, —
Que le bon Dieu calme votre tourment ;
Ne chantez plus romance du Saule,

C’eſt la coutume aux dames de la Gaule
D’avoir le cœur en plein déchirement
Et de rogner trop ſur le vêtement :
Leur deuil n’eſt triſte, hélas ! que de ſon rôle.

Donc, il faudrait qu’un ange vint des cieux
Pour étancher les pleurs de vos beaux yeux,
Et vous brillez un peu plus qu’une étoile…

Dame, Dieu fit les anges, s’il vous plaît,
Pour admirer la beauté qui ſe voile
Et conſoler la douleur qui ſe tait.


Louis Veuillot.




Le Sonnet




« Je n’entrerai pas là, — dit la folle en riant, —
Je vais faire éclater ce corſet de Procuſte ! »
Puis elle enfle ſon ſein, tord ſa hanche robuſte,
Et prête à contre-ſens un bras luxuriant.

J’aime ces doux combats, & je ſuis patient.
Dans l’étroit vêtement qu’à ſa taille j’ajuſte,
Là ferrant un atour, ici le déliant,
J’ai fait paſſer enfin tête, épaules & buſte.

Avec art maintenant deſſinons ſous ces plis
La forme bondiſſante & les contours polis.
Voyez ! la robe flotte, & la beauté s’accuſe.

Eſt-elle bien ou mal en ces ſimples dehors ?
Rien de moins dans le cœur, rien de plus ſur le corps,
Ainſi me plaît la femme, ainſi je veux la Muſe.


Joſéphin Soulary.




Rêves ambitieux




Si j’avais un arpent de ſol, mont, val ou plaine,
Avec un filet d’eau, torrent, ſource ou ruiſſeau,
J’y planterais un arbre, olivier, ſaule ou frêne,
J’y bâtirais un toit, chaume, tuile ou roſeau.

Sur mon arbre, un doux nid, gramen, duvet ou laine,
Retiendrait un chanteur, pinſon, merle ou moineau ;
Sous mon toit, un doux lit, hamac, natte ou berceau,
Retiendrait une enfant, blonde, brune ou châtaine.

Je ne veux qu’un arpent ; pour le meſurer mieux,
Je dirais à l’enfant la plus belle à mes yeux :
« Tiens-toi debout devant le ſoleil qui ſe lève ;

« Auſſi loin que ton ombre ira ſur le gazon,
Auſſi loin je m’en vais tracer mon horizon. »
— Tout bonheur que la main n’atteint pas n’eſt qu’un rêve.


Joſéphin Soulary.




L’Ancolie




Mon cœur eſt enterré ſous ce grand noiſetier.
— C’était un ſoir d’hiver ; il gelait ſur la plaine.
Ma chérie, au retour d’une courſe lointaine,
Se frayait dans la neige un douloureux ſentier.

Le ſommeil la prit là. Succombant à la peine,
Elle croiſa ſes mains ſur ſon cœur, pour prier.
On la trouva couchée au pied du coudrier ;
Mais la mort avait bu, d’un tirait, ſa douce haleine.

Le printemps eſt venu. L’arbre a ſon habit vert,
Une fauvette a fait ſon nid ſous le couvert,
Et, juſte où fut le corps, s’élève une ancolie.

Je voudrais la cueillir ; mais je n’oſe, j’ai peur
Que l’âme de l’enfant, palpitante en la fleur,
De nouveau ne s’exhale avec mélancolie.


Joſéphin Soulary.




Les deux cortèges




Deux cortèges ſe ſont rencontrés à l’égliſe.
L’un eſt morne : — il conduit le cercueil d’un enfant ;
Une femme le fuit, preſque folle, étouffant
Dans ſa poitrine en feu le ſanglot qui la briſe.

L’autre, c’eſt un baptême : — au bras qui le défend
Un nourriſſon gazouille une note indécife ;
Sa mère, lui tendant le doux ſein qu’il épuiſe,
L’embraſſe tout entier d’un regard triomphant !

On baptiſe, on abſout, & le temple ſe vide.
Les deux femmes, alors, ſe croifant ſous l’abſide,
Échangent un coup d’œil auſſitôt détourné ;

Et — merveilleux retour qu’inſpire la prière —
La jeune mère pleure en regardant la bière,
La femme qui pleurait ſourit au nouveau-né !


Joſéphin Soulary.




Le Sang des Géants




Quand les Géants, tordus ſous la foudre qui gronde,
Eurent enfin payé leurs complots haſardeux,
La Terre but le ſang qui ſtagnait autour d’eux
Comme un linceul de pourpre étalé ſur le monde.

On dit que, priſe alors d’une pitié profonde,
Elle cria : « Vengeance ! » &, pour punir les dieux,
Fit du ſable fumant ſortir le cep joyeux
D’où l’orgueil indompté coule à flots, comme une onde.

De là cette colère & ces fougueux tranſports
Dès que l’homme ici-bas goûte à ce fang des morts,
Qui garde, juſqu’à nous, ſa rancune éternelle.

Ô vigne ! ton audace a gonflé nos poumons,
Et ſous ton noir ferment de haine originelle
Bout encor le déſir d’eſcalader les monts !


Louis Bouilhet.




Aux Morts




Après l’apothéoſe, après les gémonies,
Pour le vorace oubli marqués du même ſceau,
Multitudes ſans voix, vains noms, races finies,
Feuilles du noble chêne ou de l’humble arbriſſeau,

Vous dont nul n’a connu les mornes agonies,
Vous qui brûliez d’un feu ſacré dès le berceau,
Lâches, ſaints & héros, brutes, mâles génies,
Ajoutés au fumier des ſiècles par monceau ;

Ô lugubres troupeaux des morts, je vous envie,
Si, quand l’immenſe eſpace eſt en proie à la vie,
Léguant votre miſère à de vils héritiers,

Vous goûtez à jamais, hôtes d’un noir myſtère,
L’irrévocable paix inconnue à la terre,
Et ſi la grande nuit vous garde tout entiers !


Leconte de Liſle.




Le Colibri




Le vert colibri, le roi des collines,
Voyant la roſée & le ſoleil clair
Luire dans ſon nid tiſſé d’herbes fines,
Comme un frais rayon s’échappe dans l’air.

Il ſe hâte & vole aux ſources voiſines
Où les bambous font le bruit de la mer,
Où l’açoka rouge, aux odeurs divines,
S’ouvre & porte au cœur un humide éclair.

Vers la fleur dorée, il deſcend, ſe poſe,
Et boit tant d’amour dans la coupe roſe,
Qu’il meurt, ne ſachant s’il l’a pu tarir !

Sur ta lèvre pure, ô ma bien-aimée,
Telle auſſi mon âme eût voulu mourir
Du premier baiſer qui l’a parfumée.


Leconte de Liſle.




La Mort du Soleil




Le vent d’automne, aux bruits lointains des mers pareil,
Plein d’adieux ſolennels, de plaintes inconnues,
Balance triſtlement le long des avenues
Les lourds maſſifs rougis de ton ſang, ô ſoleil !

La feuille en tourbillons s’envole par les nues ;
Et l’on voit oſciller, dans un fleuve vermeil,
Aux approches du ſfoir inclinés au ſommeil,
De grands nids teints de pourpre au bout des branches nues.

Tombe, Aſtre glorieux, ſource & flambeau du jour !
Ta gloire en nappes d’or coule de ta bleſſure,
Comme d’un fein puiſſant tombe un ſuprême amour.

Meurs donc, tu renaîtras ! L’eſpérance en eſt ſûre.
Mais qui rendra la vie & la flamme & la voix
Au cœur qui s’eſt briſé pour la dernière fois ?


Leconte de Liſle.




Le Parfum impériſſable




Quand la fleur du ſoleil, la roſe de Lahor,
De ſon âme odorante a rempli goutte à goutte
La fiole d’argile ou de criſlal ou d’or.
Sur le ſable qui brûle on peut l’épandre toute.

Les fleuves & la mer inonderaient en vain
Ce ſanctuaire étroit qui la tint enfermée :
Il garde en ſe brifant ſon arôme divin,
Et ſa pouſſiere heureuſe en reſte parfumée.

Puiſque par la bleffure ouverte de mon cœur
Tu t’écoules de même, ô céleſte liqueur,
Inexprimable amour, qui m’enflammais pour elle !

Qu’il lui ſoit pardonné, que mon mal ſoit béni !
Par delà l’heure humaine & le temps infini
Mon cœur eſt embaumé d’une odeur immortelle.


Leconte de Liſle.




Recueillement




Sois ſage, ô ma Douleur, & tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il deſcend ; le voici ;
Une atmoſphère obſcure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le ſouci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaiſir, ce bourreau ſans merci,
Va cueillir des remords dans la fête ſervile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d’eux. Vois ſe pencher les défuntes Années
Sur les balcons du ciel, en robes ſurannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret ſouriant ;

Le Soleil moribond s’endormir ſous une arche ;
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.


Charles Baudelaire.




Sonnet




Je te donne ces vers afin que ſi mon nom
Aborde heureuſement aux époques lointaines
Et fait rêver un ſoir les cervelles humaines,
Vaiſſeau favoriſé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainſi qu’un tympanon,
Et par un fraternel & myſtique chaînon
Reſte comme pendue à mes rimes hautaines,

Être maudit, à qui, de l’abime profond
Juſqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond !
— Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d’un pied léger & d’un regard ſerein
Les ſtupides mortels qui t’ont jugée amère,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain !


Charles Baudelaire.




La Mort des Amants




Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs ſur des étagères,
Écloſes pour nous fous des deux plus beaux.

Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs ſeront deux vaſtes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux eſprits, ces miroirs jumeaux.

Un ſoir fait de roſe & de bleu myſtique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long ſanglot, tout chargé d’adieux ;

Et plus tard un Ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle & joyeux,
Les miroirs ternis & les flammes mortes.


Charles Baudelaire.




La Nuit




À cette heure où les cœurs, d’amour raſſaſiés,
Flottent dans le ſommeil comme de blanches voiles.
Entends-tu ſur les bords de ce lac plein d’étoiles
Chanter les roſſignols aux ſuaves goſiers ?

Sans doute, ſoulevant les flots extaſiés
De tes cheveux touffus & de tes derniers voiles,
Les couſſins attiédis, les draps aux fines toiles
Baiſent ton ſein, fleuri comme un bois de roſiers ?

Vois-tu, du fond de l’ombre où pleurent tes penſées,
Fuir les fantômes blancs des pâles délaiſſées,
Moins pâles de la mort que de leur déſeſpoir ?

Ou, peut-être, énervée, amoureuſe & farouche,
Pieds nus ſur le tapis, tu cours à ton miroir,
Et des ruiſſeaux de pleurs coulent juſqu’à ta bouche.


Théodore de Banville.




Sur une Dame blonde




Sur la colline,
Quand la ſplendeur
Du ciel en fleur
Au ſoir décline,

L’air illumine
Ce front rêveur
D’une lueur
Triſte & divine.

Dans un bleu ciel,
Ô Gabriel !
Tel tu rayonnes ;

Telles encor
Sont les madones
Dans les fonds d’or.


Théodore de Banville.




Paſiphaé




Ainsi, Paſiphaé, la fille du Soleil,
Cachant dans ſa poitrine une fureur ſecrète,
Pourſuivait à grands cris parmi les monts de Crète
Un taureau monſtrueux au poil roux & vermeil.

Puis, ſur un roc géant au Caucaſe pareil,
Laſſe de le chercher de retraite en retraite,
Le trouvait endormi ſur quelque noire crête,
Et, les ſeins palpitants, contemplait ſon fommeil ;

Ainſi notre âme en feu, qui ſous le déſir ſaigne,
Dans ſon vol haletant de vertige, dédaigne
Les abris verdoyants, les fleuves de criſtal,

Et, fuyant du vrai beau la ſource ſavoureuſe,
Pourſuit dans les déſerts du ſauvage Idéal
Quelque monſtre effrayant dont elle eſt amoureuſe.


Théodore de Banville.




La Reine de Saba




La Reine Nicosis, portant des pierreries,
A pour parure un calme & merveilleux concert
D’étoffes, où l’éclair d’un flot d’aſtres ſe perd
Dans les lacs de lumière & les flammes fleuries.

Son vêtement tremblant chargé d’orfèvreries
Eſt fait d’un tiſſu rare & ſur la pourpre ouvert,
Où l’or éblouiſſant, tour à tour rouge & vert,
Sert de fond mépriſable aux riches broderies.

Elle a de lourds pendants d’oreilles, copiés
Sur les feux des ſoleils du ciel, & ſur ſes pieds
Mille eſcarboucles font pâlir le jour livide.

Et, fière ſous l’éclat vermeil de ſes habits,
Sur les genoux du Roi Salomon elle vide
Un vaſe de ſaphir d’où tombent des rubis.


Théodore de Banville.




Initiation




Du haut dit ciel profond, vers le monde agité,
S’abaiſſent les regards des âmes éternelles :
Elles ſentent monter de la terre vers elles
L’ivreſſe de la vie & de la volupté ;

Les effluves d’en bas leur deſſèchent les ailes ;
Et, tombant de l’éther & du cercle lacté,
Elles boivent, avec l’oubli du ciel quitté,
Le poiſon du déſir dans les coupes mortelles.

Pourtant, dans leur exil, un reflet du ciel bleu
Les remplit du dégoût des choſes paſſagères.
Mais c’eſt par la douleur qu’on franchit les ſept ſphères :

L’initiation, qui fait de l’homme un Dieu,
La mort en tient les clefs ; le ſacrifice épure,
Et le ſang rédempteur lave toute ſouillure.


Louis Ménard.




Novembre




L’hirondelle eſt partie, & la biſe eſt venue.
On preſſent le retour des froids & longs hivers ;
Et, veuve pour longtemps de ſes feuillages verts,
Elle friſſonne au vent, la haute forêt nue.

On voit clair juſqu’au bout de la grande avenue,
Le chevreuil inquiet paſſe vite au travers,
Regrettant la fougère & fes vaſtes couverts
Où s’abritait ſi bien ſa chevrette ingénue.

Novembre, c’eſt l’époque où le cerf en amour
Trop ſouvent ſe réveille avant le point du jour,
Au bruit lointain d’un cor troublant ſa nuit heureuſe,

Ignorant de quel droit la meute aux longs abois,
Qui fait hurler en chœur tous les échos des bois,
Interrompt le ſommeil de ſa belle amoureuſe.


André Lemoyne.




Le Berceau




Quel temple pour ſon fils elle a rêvé neuf mois !
Comme elle fêtera l’enfant dont Dieu diſpoſe !
Il lui faut un berceau tel que les fils des rois
N’en ont point de pareil, ſi beaux qu’on les ſuppoſe !

Fi de l’oſier flexible, ou bien du ſimple bois !
L’artiſte a deſſiné la forme qu’elle impoſe :
Elle y veut incruſter la nacre au bois de roſe ;
Il ſerait d’or maſſif, s’il était à ſon choix !

Rien ne ſemble trop cher, dentelle ni guipure,
Pour encadrer de blanc cette tête ſi pure
Dans le lit qu’on apprête à ſon calme ſommeil.

Il eſt venu, le fils dont elle était ſi fière !
Il eſt fait, le berceau, — le berceau ſans réveil !
Il eſt de chêne, hélas ! & ce n’eſt qu’une bière.


Eugène Manuel.




Au clair de la lune




Sur l’étang bleu que vient rider le vent des ſoirs
Séléné penche, avec amour, ſa face blonde,
Et ſa clarté, qui ſe reflète au ras de l’onde,
Met un point d’or au front mouvant des roſeaux noirs.

Déjà la flore a refermé ſes encenſoirs,
L’oiſeau ſe tait & le ſommeil étreint le monde :
Écoute bien, tu n’entendras rien à la ronde
Que palpiter mon cœur gonflé d’ardents eſpoirs.

Dans une main je tiens ta main mignonne & blanche,
Mon bras te ceint, mon autre main eſt ſur ta hanche,
Je ſens ton corps, ton corps charmant, tout contre moi.

Ta lèvre s’ouvre, un mot divin ſur elle expire,
Mais ton regard qui laiſſe voir ton doux émoi,
Avant ta lèvre à mon regard a ſu le dire.


C1audius Popelin.




Les Ruines




Les vieillards, quand près d’eux, ſemaine par ſemaine.
Le temps a dévaſté, tour à tour, fleurs & fruits,
Les vieillards ont, ainſi que la cité romaine,
Au cœur un forum, mort plein de temples détruits ;

Silencieux déſert où leur âme promène
Son long ennui ſtérile, où l’ortie & le buis,
Et l’herbe ſolitaire, en l’antique domaine,
Ont étouffé l’orgueil des faſtes & des bruits ;

Où des frontons muets la légende effacée
Sous la rouille des ans dérobe ſa penſée.
Plus de chants, les oiſeaux aiment les floraiſons ;

Plus de priſme charmeur iriſant les bruines ;
Mais de graves ſoleils, de vaſtes horizons,
Éclairant la beauté dernière des ruines.


Jules Breton.




Une vieille fille




La maiſon qu’elle habite aux portes d’un faubourg,
En province, eſt muette, oubliée & mauſſade ;
Les grands vents pluvieux ont noirci la façade,
L’ombre emplit les couloirs, l’herbe croît dans la cour.

Avec de vieilles gens elle eſt là tout le jour,
Dans une chambre cloſe où règne une odeur fade ;
Tout le jour elle eſt là, pâle & déjà malade,
Pauvre fille ſans dot, ſans beauté, ſans amour.

Jadis, quand le printemps fleuriſſait ſa fenêtre,
Elle diſait, ſentant friſſonner tout ſon être :
« Le bonheur inconnu viendra-t-il aujourd’hui ?… »

Les printemps ſont paſſés, vides & lourds d’ennui ;
Son œil bleu s’eſt voilé d’une langueur mortelle ;
Elle dit maintenant : « La fin, quand viendra-t-elle ?… »


André Theuriet.




Camélias




Mon amour, tu te plains qu’avec le coloris
Dont les camélias décorent leur pétale,
Ils n’offrent nulle odeur à l’amateur ſurpris
Qui rêvait un parfum d’eſſence orientale ;

Ayant de leur éclat admiré tout le prix,
Tu n’en gémis que plus de cette loi fatale
Qui ſur le roſſignol jette un plumage gris
Et qui veut que, plein d’or, le paon rauque s’étale.

Moi, je ſuis plus heureux. Depuis le ſoir ſi doux,
Où, dans l’oubli profond du monde autour de nous,
J’ai reſpiré ces fleurs à tes cheveux unies,

Elles ont pour mon cœur des douceurs infinies ;
Et, réveillant en moi les ſouvenirs aimés,
Tous les camélias me ſemblent parfumés.


Armand Renaud.




Mon âne




Il avait ſur l’échine une croix pour blaſon !
Pouſſif, galeux, arqué, chauve & la dent pourrie,
Squelette, on le traînait, hélas ! à la voirie ;
Je l’achetai cent ſous : il loge en ma maiſon.

Sa langue avec amour épile ma prairie,
Et ſon œil réfléchit les arbres, le gazon,
La brouſſaille & les feux ſanglanis de l’horizon ;
Sa croupe ma intenant n’eſt plus endolorie,

À mon approche, il a des rires d’ouragans,
Il chante, il danſe, il dit des mots extravagants,
Et me tend ſes nafeaux imprégnés de lavande.

Mon âne, ſois tranquille, erre & dors, mange & bois,
Et vis joyeux parmi mes prés, parmi mes bois ;
Va, je te comblerai d’honneurs & de provende !


Léon Cladel.




Attente




Dans le ciel diaphane où l’oiſeau s’aſſoupit,
Quand tourbillonne au ſoir la pouſſière des mondes,
La nuit, quand l’Océan traîne au loin, ſans répit,
Les ſanglots obſtinés de ſes vagues profondes,

Partout où la nature aux aſpects inconſtants
De ſes immenſités me tourmente & m’attire,
Devant le bois épais qui brille & qui ſoupire,
Comme un homme attardé je treſſaille & j’attends.

J’attends ! Qui donc ? Hélas ! j’attends, joie & ſouffrance,
La forme de mon rêve & de mon eſpérance,
Le Dieu qui peut venir, ſes yeux, ſes pas, ſa voix.

Qu’importe ſi les jours ont trompé mon attente ?
Prenez, jetez vers lui mon âme haletante,
Ô profondeurs des cieux, de la mer & des bois !


Georges Lafeneſtre.




Les Incroyables




Fantoches à la mode, automates mondains,
Submergés dans des flots de cravate, lunettes
En arrêt, & pareils à des marionnettes,
Les étranges galants que tous ces muſcadins !

Engeance hermaphrodite, à travers les jardins
Ils vont en payant d’enfantines ſornettes,
Portent chignon de femme & molles cadenettes,
Et brandiſſent avec fracas d’affreux gourdins.

C’eſt en habit vert-pomme, en chapeau qui gondole,
En pantalon nankin, qu’auprès de leur idole,
Copiſtes des marquis, ils font auſſi leur cour.

Mais cet accoutrement, dont le ſeul miniſtère
Semble d’effaroucher les oiſeaux de l’Amour,
Leur prête l’air vainqueur de Jocriſſe à Cythère.


Emmanuel des Eſſarts.




Les Violettes




Une habitude longue & douce lui faiſait
Aimer pendant l’hiver les violettes blanches ;
À l’agrafe du châle un peu court, ſur les hanches
Son doigt fin, ſentant bon comme elles, les poſait.

Un jour que le ſoleil piquant & clair griſait
Les moineaux francs criant par terre & dans les branches,
Elle me propoſa d’aller tous les dimanches
Cueillir avec l’amour la fleur qui lui plaiſait,

À préſent, ce bouquet eſt tout ce que j’ai d’elle ;
Mais j’y trouve toujours, pénétrant & fidèle,
Un vivace parfum émané de ſon cœur.

Tel le verre vidé qu’un ſouvenir colore :
Le regret du buveur penſif l’embaume encore
Et la lèvre y croit boire un reſte de liqueur.


Albert Mérat.




L’Abſente




C’eſt une chambre où tout languit & s’effémine ;
L’or blême & chaud du ſoir, qu’émouſſe la perſienne,
D’un ton de vieil ivoire ou de guipure ancienne
Apaiſe l’éclat dur d’un blanc tapis d’hermine.

Plein de la voix mêlée autrefois à la ſienne,
Et triſte, un clavecin d’ébène que domine
Une coupe où ſe meurt, tendre, une balſamine,
Pleure les doigts défunts de la muſicienne.

Sous des rideaux imbus d’odeurs fades & moites,
De peſants bracelets hors du ſatin des boîtes
Se répandent le long d’un chevet ſans haleine.

Devant la glace, auprès d’une veilleuſe éteinte,
Bat le pouls d’une blanche horloge en porcelaine,
Et le clavecin noir gémit quand l’heure tinte.


Catulle Mendès.




Sonnet païen




N’eſpère pas que tu l’apaifes,
Le déſir qui brûle mes reins :
Je fuis les bras dont tu m’étreins
Et la bouche dont tu me baiſes.

Les ſerpents jetés aux fournaiſes
Des lourds trépieds pythoniens,
En des tourments pareils aux miens
Se tordaient, vivants, ſur les braiſes.

Je ſuis comme un cerf aux abois
Qui, par la plaine & par les bois,
Emporte en bramant, ſes bleſſures.

Tourne vers moi tes yeux ardents :
Ouvre ta lèvre ! à moi tes dents !
Plus de baiſers, mais des morſures !


Armand Silveſtre.




Sonnet




Souvent, — & j’en frémis, — quand ſur ta lèvre infâme
J’ai bu, dans un ſanglot, d’amères voluptés,
Alors qu’une détreſſe immenfe prend mon âme,
Ô toi pour qui je meurs, tu dors à mes côtés.

L’ombre épaiſſe envahît tes ſereines beautés
Et, juſque ſous tes cils, éteint tes yeux de flamme ;
Ton ſouffle égal & lent fait comme un bruit de rame :
C’eſt ton rêve qui fuit vers des bords enchantés.

Repoſe ſans remords, ô cruelle maitreſſe !
Ignore, dans mes bras, les pleurs de ma careſſe :
Car tu n’es pas ma ſœur, cœur à peine vivant.

Mais, quand la nuit a clos tes paupières meurtries,
Quelle pitié des dieux pour les choſes flétries
Te rend, ſous mes baiſers, le ſommeil d’un enfant ?


Armand Silveſtre.




La Grande Ourſe




La Grande Ourſe, archipel de l’Océan ſans bords,
Sçinlillait bien avant qu’elle fût regardée,
Bien avant qu’il errât des pâtres eu Chaldée
Et que l’âme anxieuſe eût habité les corps ;

D’innombrables vivants contemplent depuis lors
Sa lointaine lueur aveuglément dardée ;
Indifférente aux yeux qui l’auront obſédée,
La Grande Ourſe luira ſur le dernier des morts.

Tu n’as pas l’air chrétien, le croyant s’en étonne,
Ô figure fatale, exacte & monotone,
Pareille à ſept clous d’or plantés dans un drap noir ;

Ta préciſe lenteur & ta froide lumière
Déconcertent la foi : c’eſt toi qui la première
M’as fait examiner mes prières du ſoir.


Sully Prudhomme.




Les Danaïdes




Toutes, portant l’amphore, une main ſur la hanche,
Théano, Callidie, Amymone, Agavé,
Eſclaves d’un labeur ſans ceſſe inachevé,
Courent du puits à l’urne où l’eau vaine s’épanche.

Hélas ! le grès rugueux meurtrit l’épaule blanche,
Et le bras faible eſt las du fardeau ſoulevé :
« — Monſtre, que nous avons nuit & jour abreuvé,
Ô gouffre, que nous veut ta ſoif que rien n’étanche ? »

Elles tombent, le vide épouvante leurs cœurs ;
Mais la plus jeune alors, moins triſte que ſes ſœurs,
Chante, & leur rend la force & la perſévérance.

Tels ſont l’œuvre & le ſort de nos illuſions :
Elles tombent toujours, & la jeune Eſpérance
Leur dit toujours : « Mes ſœurs, ſi nous recommencions !


Sully Prudhomme.




L’Art ſauveur




S’il n’était rien de bleu que le ciel & la mer,
De blond que les épis, de roſe que les roſes,
S’il n’était de beauté qu’aux inſenfibles choſes,
Le plaiſir d’admirer ne ſerait point amer.

Mais avec l’océan, la campagne & l’éther,
Des formes d’un attrait douloureux ſont écloſes :
Le charme des regards, des ſourires, des poſes,
Mord trop avant dans l’âme, ô femme ! il eſt trop cher.

Nous t’aimons, & de là les douleurs infinies :
Car Dieu, qui fit la grâce avec des harmonies,
Fit l’amour d’un ſoupir qui n’eſt pas mutuel.

Mais je veux, revêtant l’art ſacré pour armure,
Voir des lèvres, des yeux, l’or d’une chevelure,
Comme l’épi, la roſe, & la mer, & le ciel.


Sully Prudhomme.




La Patrie




Viens ! ne marche pas ſeul dans un jaloux ſentier,
Mais ſuis les grands chemins que l’humanité foule ;
Les hommes ne ſont forts, bons & juſtes, qu’en foule :
Ils s’achèvent enſemble, aucun d’eux n’eſt entier.

Malgré toi tous les morts t’ont fait leur héritier ;
La patrie a jeté le plus fier dans ſon moule,
Et ſon nom fait toujours monter comme une houle
De la poitrine aux yeux l’enthouſiaſme altier !

Viens ! il paſſe au forum un immenſe zéphire ;
Viens ! l’héroïſme épars dans l’air qu’on y reſpire
Secoue utilement les moroſes langueurs.

Laiſſe à travers ton luth ſouffler le vent des âmes,
Et tes vers flotteront comme des oriflammes
Et comme des tambours ſonneront dans les cœurs.


Sully Prudhomme.




La Coupe




Dans les verres épais du cabaret brutal
Le vin bleu coule à flots & ſans trêve à la ronde ;
Dans les calices fins plus rarement abonde
Un vin dont la clarté ſoit digne du criſtal.

Enfin la coupe d’or du haut d’un piédeſtal
Attend, vide toujours, bien que large & profonde,
Un cru dont la nobleſſe à la ſienne réponde :
On tremble d’en fouiller l’ouvrage & le métal.

Plus le vaſe eſt groſſier de forme & de matière,
Mieux il trouve à combler ſa contenance entière ;
Aux plus beaux ſeulement il n’eſt point de liqueur.

C’eſt ainſi : plus on vaut, plus fièrement on aime ;
Et qui rêve pour ſoi la pureté fuprême
D’aucun terreſtre amour ne daigne emplir ſon cœur.


Sully Prudhomme.




Révolte




Car les bois ont auſſi leurs jours d’ennui hautain,
Et, las de tordre au vent leurs grands bras ſéculaires,
S’enveloppent alors d’immobiles colères ;
Et leur mépris muet inſulte leur deſtin.

Ni chevreuils, ni ramiers chanteurs, ni ſources claires.
La forêt ne veut plus ſourire au vieux matin,
Et, refoulant la vie aux plaines du lointain,
Semble arborer l’orgueil des douleurs ſans ſalaires.

— Ô bois ! premiers enfants de la terre, grands bois !
Moi, dont l’âme en votre âme habite & vous contemple,
Je ſens les piliers prêts à maudire le temple ;

Un jour, demain peut-être, arbres aux longs abois !
Quand le banal printemps ramènera nos fêtes,
Tous, vous reſterez noirs, des racines aux faîtes !


Léon Dierx.




Horoſcope




Malgré les larmes de ta mère,
Ardent jeune homme, tu le veux,
Ton cœur eſt neuf, ton bras nerveux,
Viens lutter contre la chimère !

Uſe ta vie, uſe tes vœux
Dans l’enthouſiaſme éphémère,
Bois juſqu’au fond la coupe amère,
Regarde blanchir les cheveux !

Iſolé, combats, ſouffre, penſe !
Le ſort te garde en récompenſe
Le dédain du ſot triomphant,

La barbe auguſte des apôtres,
Un cœur pur, & des yeux d’enfant
Pour ſourire aux enfants des autres.


André Gill.




Dans un bal




Vous dont les regards purs, éclatants de lumière,
Riaient comme une eau bleue aux rayons du matin ;
Vous qui gliſſiez joyeuſe en robe de ſatin,
Blonde, longue, élancée, & ſi ſvelte & ſi fière ;

Vous qui brilliez, pareille à l’aube printanière ;
Vous qui me rappeliez le fin profil lointain
Et le pâle & lucide albâtre florentin
Des vierges de Fieſole en leur candeur première ;

Vous qui m’illuminiez de l’azur de vos yeux,
Et muſicale, avec des mots délicieux,
Rajeuniriez mon âme & lui rendiez ſes fièvres,

Ô lueur dans ma nuit, vous ne ſaurez ja&mais
Que tout un ſoir j’ai bu le ſouffle de vos lèvres,
Et que j’en étais ivre, & que je vous aimais !


Henri Cazalis.




La Sœur novice




Lorſque tout douloureux regret fut mort en elle
Et qu’elle eut bien perdu tout eſpoir décevant,
Réſignée, elle alla chercher dans un couvent
Le calme qui prépare à la vie éternelle.

Le chapelet battant la jupe de flanelle,
Et pâle, elle venait ſe promener ſouvent
Dans le jardin ſans fleurs, bien abrité du vent,
Avec ſes plants de choux & ſa vigne en tonnelle.

Pourtant elle cueillit, un jour, dans ce jardin,
Une fleur exhalant un ſouvenir mondain,
Qui pouſſait là malgré la ſainte obédience ;

Elle la reſpira longtemps, puis, vers le ſoir,
Saintement, ayant mis en paix ſa conſcience,
Mourut, comme s’éteint l’âme d’un encenſoir.


François Coppée.




Déſeſpérément




L’immenſe ennui, ce fils bâtard de la douleur,
En maître eſt inſtallé dans mon âme, & l’habite ;
Et moins que la vieilleſſe affreuſe & décrépite,
Cette âme de trente ans a gardé de chaleur.

J’en atteſte ces yeux éteints, cette pâleur
Et ce cœur ſans amour où plus rien ne palpite ;
Je vois mon avenir, & je m’y précipite
Ainſi qu’en un déſert qui n’a pas une fleur.

Pourtant, vers la ſaiſon des briſes réchauffées,
La jeuneſſe parfois me revient par bouffées,
J’aſpire un air plus pur, je vois un ciel plus beau,

Mais cette illuſion ne m’eſt pas un préſage,
Et l’eſpoir n’eſt pour moi qu’un oiſeau de paſſage
Qui, pour faire ſon nid, choiſirait un tombeau.


François Coppée.




À un Amant




Amant abandonné qu’une maitreſſe oublie,
Pourquoi ce poing fermé que tu montres aux cieux ?
Pourquoi ce pli profond dans ton front ſoucieux
Et ce regard où brûle une ardeur de folie ?

Pourquoi ce déſeſpoir ? Parce qu’elle eſt jolie,
Parce qu’en careſſant ſon corps délicieux,
En reſpirant ſa bouche, en admirant ſes yeux,
Tu trouvais un remède à ta mélancolie !

Tu pâlis en ſongeant à l’odeur de ſa chair ;
Son vif âge eſt toujours le ſeul qui te ſoit cher :
De tout autre, auſſitôt blaſé, tu te dégoûtes.

Va ! tu me fais pitié, triſte martyr d’amour.
La vie eſt un éclair, la beauté dure un jour !
Songe aux têtes de morts qui ſe reſſemblent toutes.


François Coppée.




Ruines du Cœur




Mon cœur était jadis comme un palais romain,
Tout conſtruit de granits choiſis, de marbres rares.
Bientôt les paſſions, comme un flot de barbares,
L’envahirent, la hache ou la torche à la main.

Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain.
Vipères & hiboux. Terrains de fleurs avares.
Partout giſaient, briſés, porphyres & carrares ;
Et les ronces avaient effacé le chemin.

Je ſuis reſté longtemps, ſeul, devant mon déſaſtre.
Des midis ſans ſoleil, des minuits ſans un aſtre,
Paſſèrent ; & j’ai, là, vécu d’horribles jours.

Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière ;
Et bravement, afin de loger nos amours,
Des débris du palais j’ai bâti ma chaumière.


François Coppée.




Pour toujours




« Pour toujours ! » me dis-tu, le front ſur mon épaule.
Cependant nous ſerons ſéparés. C’eſt le fort.
L’un de nous, le premier, ſera pris par la mort
Et s’en ira dormir ſous l’if ou ſous le ſaule.

Vingt fois, les vieux marins qui flânent ſur le môle
Ont vu, tout pavoiſé, ce brick rentrer au port ;
Puis, un jour, le navire eſt parti vers le Nord.
Plus rien. Il s’eſt perdu dans les glaces du Pôle.

Sous mon toit, quand ſoufflait la briſe du printemps,
Les oiſeaux migrateurs ſont revenus, vingt ans ;
Mais, cet été, le nid n’a plus ſes hirondelles.

Tu me jures, maitreſſe, un éternel amour ;
Mais je ſonge aux départs qui n’ont pas de retour.
Pourquoi le mot « toujours » ſur des lèvres mortelles ?


François Coppée.




Fuite de Centaures




Ils fuient, ivres de meurtre & de rébellion,
Vers le mont eſcarpé qui garde leur retraite ;
La peur les précipite, ils ſentent la mort prête
Et flairent dans la nuit une odeur de lion.

Ils franchiſſent, foulant l’hydre & le ſtellion,
Ravins, torrents, huiliers, ſans que rien les arrête ;
Et déjà ſur le ciel ſe dreſſe au loin la crête
De l’Oſſa, de l’Olympe ou du noir Pélion.

Parfois, l’un des fuyards de la farouche harde
Se cabre bruſquement, ſe retourne, regarde,
Et rejoint d’un ſeul bond le fraternel bétail,

Car il a vu la lune éblouiſſante & pleine
Allonger derrière eux, ſuprême épouvantail,
La giganteſque horreur de l’ombre Herculéenne.


Joſé-Maria de Heredia.




Sur l’Othrys




L’air fraîchit. Le ſoleil plonge au ciel radieux.
Le bétail ne craint plus le taon ni le bupreſte.
Aux pentes de l’Othrys l’ombre eſt plus longue. Reſte,
Reſte avec moi, cher hôte envoyé par les Dieux.

Tandis que tu boiras un lait fumant, tes yeux
Contemplerontj du ſeuil de ma cabane agreſte,
Des cimes de l’Olympe aux neiges du Thymphreſte,
La riche Theſſalie & les monts glorieux.

Vois la mer & l’Eubée &, ronge au crépuſcule,
Le Callidrome ſombre, & l’Œta, dont Hercule
Fit ſon bûcher ſuprême & ſon premier autel ;

Et là-bas, à travers la lumineuſe gaze,
Le Parnaſſe où, le ſoir, las d’un vol immortel,
Se poſe, & d’où s’envole, à l’aurore, Pégaſe !


Joſé-Maria de Heredia.




Villula




Oui, c’eſt au vieux Gallus qu’appartient l’héritage
Que tu vois au penchant du coteau ciſalpin ;
La maiſon tout entière eſt à l’abri d’un pin
Et le chaume du toit couvre à peine un étage.

Il ſuffit pour qu’un hôte avec lui le partage ;
Il a ſa vigne, un four à cuire plus d’un pain
Et dans ſon potager foiſonne le lupin.
C’eſt peu ? Gallus n’a pas déſiré davantage.

Son bois donne un fagot ou deux tous les hivers,
Et de l’ombre, l’été, ſous les feuillages verts ;
À l’automne, on y prend quelque grive au paſſage.

C’eſt là que, ſatisfait de ſon deſtin borné,
Gallus finit de vivre où jadis il eſt né.
Va, tu ſais à préſent que Gallus eſt un ſage.


Joſé-Maria de Heredia.




Les Conquérants




Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal.
Fatigués de porter leurs miſères hautaines.
De Palos de Moguer, routiers & capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque & brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ſes mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords myſtérieux du monde occidental.

Chaque ſoir, eſpérant des lendemains épiques,
L’azur phoſphoreſcent de la mer des Tropiques
Enchantait leur ſommeil d’un mirage doré ;

Ou, penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter eu un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.


Joſé-Maria de Heredia.




Émail




Le four rougit ; la plaque eſt prête. Prends ta lampe.
Modèle le paillon qui s’iriſe ardemment,
Et fixe avec le feu dans le ſombre pigment
La poudre étincelante où ton pinceau ſe trempe.

Dis ! ceindras-tu de myrte ou de laurier la tempe
Du penſeur, du héros, du prince, ou de l’amant ?
Par quel Dieu feras-tu, ſur un noir firmament,
Cabrer l’hydre écaillée ou le glauque hippocampe ?

Non. Plutôt, en un orbe éclatant de ſapbir,
Inſcris un fier profil de guerrière d’Ophir,
Thaleſtris, Bradamante, Aude ou Penthéſilée ;

Et, pour que ſa beauté ſoit plus terrible encor,
Caſque ſes blonds cheveux de quelque bête ailée
Et fais bomber ſon ſein ſous la gorgone d’or.


Joſé-Maria de Heredia.




Le Samouraï




D’un doigt diſtrait frôlant la ſonore biva,
À travers les bambous treſſés en fine latte,
Elle a vu, par la plage éblouiſſante & plate,
S’avancer le vainqueur que ſon amour rêva.

C’eſt lui. Sabres au flanc, l’éventail haut, il va.
La cordelière rouge & le gland écarlate
Coupent l’armure ſombre, & ſur l’épaule éclate
Le blaſon de Hizen ou de Tokungawa.

Ce beau guerrier, vêtu de lames & de plaques,
Sous le bronze, la ſoie & les brillantes laques,
Semble un cruſtacé noir, giganteſque & vermeil.

Il l’a vue. Il ſourit dans la barbe du maſque,
Et ſon pas plus hâtif fait reluire au ſoleil
Les deux antennes d’or qui tremblent à ſon caſque.


Joſé-Maria de Heredia.




Le Récif de corail




Le ſoleil ſous la mer, myſtérieuſe aurore,
Éclaire la forêt des coraux abyſſins
Qui mêle, aux profondeurs de ſes tièdes baſſins,
La bête épanouie & la vivante flore.

Et tout ce que le ſel ou l’iode colore,
Mouſſe, algue chevelue, anémones, ourſins,
Couvre de pourpre ſombre, en ſomptueux deſſins,
Le fond vermiculé du pâle madrépore.

De ſa ſplendide écaille éteignant les émaux,
Un grand poiſſon navigue à travers les rameaux ;
Dans l’ombre tranſparente indolemment il rôde ;

Et, bruſquement, d’un coup de ſa nageoire en feu,
Il fait, par le criſtal morne, immobile & bleu,
Courir un friſſon d’or, de nacre & d’émeraude.


Joſé-Maria de Heredia.




Tîma




Bigarre comme un ſinge, & pareille aux Houris,
Tîma riait, Tîma croquait une praline ;
Son pied émergeait, nu, d’un flot de mouſſeline,
Sur des carreaux épais, brodés d’or, & fleuris :

Petit pied gras & fin, blanc comme un grain de riz !
Chaque ongle étroit ſemblait fait d’une cornaline.
Tîma berçait ſon pied d’une façon câline,
Et, riant, grignotait un bonbon de Paris.

Le dur ſoleil d’Alger brûlait ſur les terraſſes ;
Mais Tîma ſouriait au voyageur roumi.
Heure paſſée à l’ombre, ô ſouvenir ami !

Et lorſque, fils-de-chien, de mes lèvres voraces
Je baiſai ſon pied nain, pour la première fois,
Tîma rit largement, une dragée aux doigts…


Erneſt D’Hervilly.




Jalouſie




Ah ! toi, l’indifférent, tu ſouffres à ton tour :
L’angoiſſe t’a mordu, les peines ſont venues,
Tu trembles & tu crains en attendant le jour,
Et la nuit te remplit de terreurs inconnues ;

J’ai vu luire en tes yeux, par un bruſque retour,
Des larmes, juſque-là vainement retenues ;
Et toi, qui ris de tout, toi, qui ris de l’amour,
Pour fonder l’avenir tu regardes les nues.

Tout n’eſt donc pas menſonge en nos maux ici-bas,
Que tu ſubis auſſi, toi, dont le cœur la nie,
De la loi de douleur la ſanglante ironie ?

Et tu peux donc aimer, toi, qui ne m’aimes pas ?
Mais quel déchirement qu’une telle penſée,
Dans ma bleſſure encor quelle épine enfoncée !


Louiſa Siefert.




Sonnet de mars




C’eſt un matin de mars qu’elle m’eſt revenue,
Éveillant le jardin d’un bruit de falbalas,
L’enfant toujours cruelle & toujours ingénue
Que je n’ai point aimée & qui ne m’aimait pas.

Le givre s’égouttait aux branches, mais plus bas
La neige ourlait encor les buis de l’avenue ;
Et le friſſon d’hiver, ſous leur écorce nue,
Empriſonnait le rire embaumé des lilas.

Un clair rayon parut : — « Bonjour, c’eſt moi ! » dit-elle
Dans l’air moins froid paſſa comme un cri d’hirondelle,
Je la vis me ſourire & crus avoir ſeize ans.

Et depuis, quelquefois je me ſurprends à dire,
Songeant à ce rayon, ſongeant à ce ſourire ;
« C’était preſque l’Amour & preſque le Printemps ! »


Paul Arène.




Rupture




Pars, puiſque tu le veux, va-t’en, laiſſe le deuil
Avec ton ſouvenir dans la maiſon muette,
Pars vite, ſans adieux & ſans tourner la tête :
Des pleurs pourraient ternir l’éclat pur de ton œil.

Marche au but qu’ont marqué la folie & l’orgueil ;
Que rien ne le fléchiſſe & que rien ne t’arrête !
La porte eſt large ouverte & la voiture eſt prête,
Je veux t’accompagner, tranquille, juſqu’au ſeuil.

Un autre irait, pareil au pauvre qu’on repouſſe,
Triſte & ſuivant de loin la trace de tes pas :
Tu me verras plus fier… Surtout, n’eſpère pas

Que jamais contre toi mon regret ſe courrouce ;
Car ſeule aux jours amers ta lèvre me fut douce,
Et je n’ai ſu trouver l’oubli qu’entre tes bras.


Paul Arène.




Mon rêve familier




Je fais fouvent ce rêve étrange & pénétrant
D’une femme inconnue, & que j’aime, & qui m’aime,
Et qui n’eſt, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, & m’aime & me comprend.

Car elle me comprend ; & mon cœur, tranſparent
Pour elle ſeule, hélas ! ceſſe d’être un problème
Pour elle ſeule, & les moiteurs de mon front blême,
Elle ſeule les fait rafraîchir, en pleurant.

Eſt-elle brune, blonde, ou rouſſe ? Je l’ignore.
Son nom ? Je me ſouviens qu’il eſt doux & ſonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard eft pareil au regard des ftaines ;
Et pour fa voix, lointaine, & calme, & grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui fe font lues.


Paul Verlaine.




Sur une Signature de Marie Stuart




Cette relique exhale un parfum d’élégie,
Car la reine d’Ecoſſfe, aux lèvres de carmin,
Qui récitait Ronſard & le miſſel romain,
Y mit en la touchant un peu de ſa magie.

La reine blonde, avec ſa fragile énergie,
Signa MARIE au bas de ce vieux parchemin,
Et le feuillet heureux a tiédi ſous la main
Que bleuiſſait un ſang fier & prompt à l’orgie.

Là de merveilleux doigts de femme font paſſés.
Tout empreints du parfum des cheveux careſſés
Dans le royal orgueil d’un ſanglant adultère.

J’y retrouve l’odeur & les reflets roſés
De ces doigts aujourd’hui muets, décompoſés,
Changés peut-être en fleurs dans un champ ſolitaire.


Anatole France.




Le Mauvais Ouvrier




Maître Laurent Coſter, cœur plein de poéſie,
Quitte les compagnons qui, du matin au ſoir,
Vignerons de l’eſprit, font gémir le preſſoir ;
Et Coſter va rêvant ſelon ſa fantaiſie :

Car il aime d’amour le démon Aſpaſie.
Sur ſon banc, à l’égliſe, il va parfois s’aſſeoir,
Et voit dans la vapeur flotter ſur l’encenſoir
La Dame de l’Enfer que ſon âme a choiſie ;

Ou bien encor, tout ſeul au bord d’un puits mouſſeux,
Joignant ſes belles mains d’ouvrier pareſſeux,
Il écoute ſans fin la Sirène qui chante.

Et je ne puis non plus travailler ni prier :
Je ſuis, comme Coſter, un mauvais ouvrier,
À cauſe des yeux noirs d’une femme méchante.


Anatole France.




Déſir d’infini




Tous, l’amant qui dans un baiſer verſe ſon âme,
Le grand lis qui jaillit vers le ſoleil levant,
L’oiſeau de mer qui plane & ſe ſoûle de vent,
Le martyr qui ſe jette en chantant dans la flamme,

Le cerf qui, fou de rut, vers les étoiles brame,
Le lion accroupi dans ſa cage & rêvant,
Le poète aſſoiffé de rhythme, le ſavant
Qui dans l’obſcur coït d’un problème ſe pâme,

Tous, un pareil déſir, ſouvent à leur inſu,
Les travaille, &, toujours pareillement déçu,
Il demeure quand même à jamais implacable.

Ô déſir d’infini, malgré tout perſiſtant !
Hélas ! il nous ſoutient autant qu’il nous accable.
On en meurt, & la vie en eſt faite pourtant.


Jean Richepin.




Les Songeants




Dans le pays on les appelait Les Songeants.
À force d’être enſemble ayant mine pareille,
On eût dit deux ſarments, ſecs, de la même treille.
C’étaient un vieux marin & ſa femme, indigents.

Ils ſe trouvaient heureux & n’étaient exigeants,
Car, elle, avait perdu la vue, & lui, l’oreille.
Mais chaque jour, à l’heure où le flux appareille,
Ils venaient, ſe tenant par la main, bonnes gens,

Et demeuraient aſſis ſur le bord de la grève,
Sans parler, abîmés dans l’infini d’un rêve,
Et juſqu’au fond de l’être avaient l’air de jouir.

Ainſi de leurs vieux ans ils achevaient la trame,
Le ſourd à voir la mer, & l’aveugle à l’ouïr,
Et tous deux à humer ſon âme dans leur âme.


Jean Richepin.




Les Dieux




S’il eſt vrai que ce ſiècle ait tué tous les Dieux,
Et que l’homme, éveillé de ſon ſommeil antique,
Ne doive plus les voir en légion myſtique
Monter vers leur Olympe immenſe & radieux,

Eſt-ce à nous d’applaudir au déſaſtre des Cieux,
À nous que trouble encor la plainte d’un cantique,
Et qui ſous le ſymbole ou païen ou gothique
Sentons frémir les cœurs de nos lointains aïeux ?

Non, France ! Il eſt plus noble & d’un eſprit plus ſage
D’adorer dans les Dieux la plus ſublime image
Que l’âme périſſable ait rêvée ici-bas ;

Et, ſceptiques enfants d’une race laſſée,
Offrons-leur, à ces Dieux que nous ne prions pas,
L’aſile inviolé d’une calme Penſée.


Paul Bourget.




Spleen




Les cloches qui tintaient ſous l’azur clair du ciel,
Juſqu’à la chambre cloſe éparpillant leur âme,
Vainement, d’une voix d’amour qui plaint & blâme,
Ont répété : « Les fleurs ſe fanent ſur l’autel… »

Un portrait, qui riait d’un rire ſenſuel
Sur une cheminée où tremblait une flamme,
A fait étinceler ſes yeux comme une lame,
Vainement, & redit : « Mes baiſers ſont de miel… »

Les cloches ont ceſſé ; l’ombre crépuſculaire
Du portrait ſenſuel a voilé la colère ;
La nuit myſtérieufe erre dans la maiſon.

Et l’homme dont le cœur répugne à toute envie
Savoure longuement, comme un divin poiſon,
La taciturne mort du Jour & de la Vie.


Paul Bourget.




Mortuæ




Je n’ai gardé de toi, ma Mère, douce morte,
— Oh ! ſi douce ! — qu’un vieux portrait où l’on te voit
Accoudée, appuyant ta tempe ſur ton doigt,
Comme pour comprimer une peine trop forte.

Quand tu ſongeais ainſi, Mère, je n’étais pas :
Tu n’avais pas tiré mon être de ton être…
Réponds ! devinais-tu qu’un fils devait te naître
Que tu devais laiſſer orphelin ici-bas ?

Voyais-tu mon deſtin d’avance, & mon angoiſſe,
Et ce cœur, né du tien, que tout maltraite & froiſſe,
Et cette hérédité de tes plus noirs ennuis ?

Réponds ! figure aimée & ſi vite ravie
Qui, de tes ſombres yeux, pareils aux miens, me ſuis :
Avais-tu déjà peur de me donner la vie ?


Paul Bourget.




La Mort




Tout ce qui doit finir eſt court, — a dit un ſage.
Aux heures de plaiſir ce mot ſi vrai me fuit.
Je le creuſe. Je ſens comme le jour s’enfuit :
Il approche, l’inſtant que l’affreux mot préſage.

Je me vois au tragique & ſupréme paſſage.
Je ſuis mort. Ce qui fut mon cœur s’évanouit.
Mes yeux ſont obſcurcis par l’éternelle nuit,
Et le drap du ſuaire a moulé mon viſage.

Que ce ſoit dans un mois, que ce ſoit dans vingt ans,
Il n’en viendra pas moins, je le ſais trop, ce temps ;
Il eſt déjà venu, tant les jours ſont rapides !

Et devant ta préſence épouvantable, ô Mort !
Trouvant les voluptés de la vie inſipides,
Je ſonge qu’aucun but ne vaut aucun effort.


Paul Bourget.




Déſeſpoir en Dieu




Oh ! qu’il fût ſeulement une perſonne, un être !
Qu’à l’heure où l’on ſe ſent mourir de déſeſpoir
On pût voir là quelqu’un, oh ! même ſans le voir,
Le ſentir là, vivant, & qui pût nous connaître !

Tendre Dieu paternel, ou tyrannique maître,
Que ſeulement on pût près de ſon cœur s’aſſeoir,
Comme Jean, près du cœur de Jéſus, fit un ſoir,
Ou l’inſulter, l’étreindre, & d’horreur ſe repaître !

Ô Dieu, parais, éclaire un ſi ſombre univers !…
— Hélas ! que l’homme en pleurs tende ſes bras ouverts,
Ou qu’il criſpe ſon poing frénétique, & blaſphème,

La matière ſe meut en ſa ſtupidité,
L’affreuſe ſolitude eſt à jamais la même,
Et l’homme ſeul répond à l’homme épouvanté.


Paul Bourget.




Sonnet




Si, comme je l’eſpère & comme tu le dis,
Dans cette lourde chair ſouffre une âme immortelle,
Au ſortir de mon corps ſe délaſſera-t-elle
Sous les magnolias d’un calme paradis ?

Goûtera-t-elle en paix, loin des brûlants midis,
Au bord d’un fleuve heureux qui mouillera ſon aile,
La fraîcheur d’une eau vive & d’une ombre éternelle,
Sur des tapis de fleurs par les ſylphes ourdis ?

Pourrai-je, ſans douleur, revivre & me connaître ?
Sentirai-je en rêvant ſe mêler à mon être
La muſique de l’eau, des feuilles & du ciel ?

Serai-je toujours moi, comme tu me l’aſſures,
Sans que le ſouvenir perſiſtant & cruel
Dans ce qui fut mon cceur imprime ſes morſures ?


Maurice Bouchor.




Sonnet




Juge notre querelle, ô Toi qui nous entends.
Je ſais que l’Être épanche à torrents l’exiſtence,
Et que tu peux tirer de ta pure ſubſtance
Une profuſion d’univers éclatants.

Mais ce qui ſort du temps ſombrera dans le temps.
Je revois en eſprit le monde qui commence ;
Moi, chétif, je prédis la fin du ciel immenſe,
Et je prends en pitié les aſtres haletants.

Mon âme attend la mort des étoiles, ſans crainte :
L’unité de mon Dieu s’eſt fortement empreinte
Sur mon indeſtructible & vivante unité.

Mais vous, globes errants, ô peuple ſans mémoire,
Vous n’êtes rien, malgré vos tréſors de clarté,
Que matière ſublime & poussière de gloire.


Maurice Bouchor.




À Théodore de Banville




Ô Maître bien aimé, voici que tu repoſes,
Pâle & beau, dans la paix du ſuprême ſommeil.
Elle eſt tarie en toi, la ſource au flot vermeil ;
Tu ne reſpires pas le ſouffle de ces roſes.

Mais, qui pourrait douter que tes paupières cloſes
Ne ſe rouvrent bientôt pour un divin réveil,
Et que, pareil à toi ſous un plus pur ſoleil,
Tu ne chantes la grâce & la ſplendeur des choſes ?

Tandis qu’autour de loi nous retenons nos pleurs,
Tu ſommeilles, ton lit eſt parfumé de fleurs,
Et l’immortalité rayonne ſur ta face.

La Muſe, que ton cœur aima ſans varier,
Te treſſe une couronne éclatante & vivace,
Ô Maître qui vécus pour l’amour du laurier !


Maurice Bouchor.




Phthifica




Frêle enfant, doux fantôme au contour délié,
Oh ! parle bas, & ſois de ton ſouffle économe !
Le drame inaperçu lentement ſe confomme,
La mort ronge en ſecret ton corps émacié.

Faut-il pleurer ? Pourquoi ? — Cher ange fourvoyé,
Tu partiras bientôt, ayant connu de l’homme
Ce qu’il a de plus chaſte & de meilleur en ſomme :
La tendre ſympathie & la ſainte pitié.

Tu t’évanouiras comme l’âme des roſes.
Tu n’auras point ſubi l’affront des ans moroſes,
Et la maternité ne te flétrira pas.

Mais tu laiſſeras, pur de tout regret profane,
Au cœur de ceux qui t’ont rencontrée ici bas,
Le ſouvenir léger d’une ombre diaphane.


Jules Lemaître.




Le Flambeau




À peine ont-ils vingt ans, qu’ils ont déjà fermé
Au Bien autant qu’au Beau les portes de leur âme.
L’inaction ſtupide & la débauche infâme
Ont éteint dans leur cœur l’Idéal enflammé.

Mais dans ces cœurs blaſés, que le néant réclame,
Si le flambeau divin un jour s’eſt abîmé,
Oh ! bien ſûr, ce jour-là, c’eſt qu’ils n’ont plus aimé
Nulle ſœur, nul ami, nul enfant, nulle femme.

Flambeau ſublime & pur, mais qui trembles ſouvent,
Pour te bien abriter de la pluie & du vent
Et faire rayonner la clarté ſouveraine,

Heureux qui peut paſſer, ſans s’interrompre un jour,
De l’amour de ſa mère à l’amitié ſereine.
Et de l’amitié ſainte à ſon premier amour ! —


Auguſte Dorchain.




Réconciliation




J’ai voulu de l’Amour ſéparer le Déſir,
Quand ce maître fatal, d’un regard ou d’un ſigne
Liant ma chair fragile à quelque chair indigne,
M’impoſait en dégoût la rançon du plaiſir.

Depuis ce temps, — ô joie ! orgueil ! — J’ai pu choiſir
La beauté dont l’amour a des pudeurs de cygne,
Et j’ai compris, alors, quelle faveur inſigne
Fit, quand s’aiment les cœurs, les bras pour ſe ſaiſir.

Ô mon Amour unique ! à préſent que je t’aime,
Je vois dans le Déſir la Chaſteté ſuprême,
L’ineffable lien de la terre à l’azur ;

Et ſur ton ſein pâmé lorſque mon ſein ſe pâme,
Je me ſens noble & fier, je me ſens jeune & pur,
Comme ſi j’étreignais la forme de ſon âme !


Auguſte Dorchain.




Notre Rêve




Donc, en ce même inſtant, flottait à mon inſu
Au fond de tes regards humides de tendreſſe
Ce rêve qui mettait dans les miens ſon ivreſſe :
Un frêle & doux enfant de notre chair iſſu.

Notre enfant ! Quel eſpoir en lui ſerait déçu ?
Quels dons ne recevrait avec ſon droit d’aîneſſe
Ce fruit de notre force & de notre jeuneſſe,
Ce fils, en plein bonheur, en plein amour conçu ?

Car pour te révéler juſqu’au bout ma chimère,
Je veux un fils : les fils reſſemblent à leur mère.
Qu’il ait tes yeux, tes traits, ta fierté, ta douceur…

Et s’il doit retenir une part de moi-même,
Que ſon cœur ſeulement ſoit pareil à mon cœur,
Afin qu’un jour il ſache aimer comme je t’aime !


Auguſte Dorchain.




Le Cloître




Un crucifix de fer tend ſes bras ſur le ſeuil.
De larges remparts gris ceignent le cloître auſtère,
Où viennent ſe briſer tous les bruits de la terre,
Comme des flots mourants aux angles d’un écueil.

Le ſaint lieu, clos à tout, gît comme un grand cercueil.
Plein de ſilence, plein d’oubli, plein de myftère.
Des vierges dorment là leur ſommeil volontaire,
Et ſous le voile blanc portent leur propre deuil.

Tous les reſſorts humains ſe ſont rompus en elles.
Dans l’éblouiſſement des choſes éternelles,
Elles marchent ſans voir, hors du Temps, hors du Lieu.

Elles vont, ſpectres froids, corps dont l’âme eſt ravie,
Êtres inexiſtants qui s’abîment en Dieu,
Vivantes dans la mort, & mortes dans la vie.


Edmond Haraucourt.




Le Nénuphar




L’air s’embrume ; les joncs, roux comme de vieux os,
Encadrent l’étang noir qui dort ſous le ſilence.
L’eau plate luit dans une opaque ſomnolence
Où le ciel renverſé fait gliſſer des oiſeaux.

Et là-bas, loin des bords gluants, loin des roſeaux,
Seul, bercé dans ſa fière & ſouple nonchalance,
Un Nénuphar, ſplendeur nageante, ſe balance,
Tout blanc ſur la noirceur immobile des eaux.

— Ainſi, tu t’ouvriras peut-être, un ſoir d’automne,
Ô mon ſuprême amour, eſpoir d’un cœur atone,
Fleur triſte & froide écloſe au lac de mes ennuis.

Et le chaſte parfum de la corolle pâle
Montera dans le calme inſondable des nuits,
Avec le dernier cri de ma douleur qui râle.


Edmond Haraucourt.




La Voix des Morts




Morts qui dormez, couchés dans nos blancs cimetières,
Parfois, en reliſant tous vos noms oubliés,
Je ſonge que nos cœurs à vos froides pouſſières
Par des fils infinis & puiſſants ſont liés.

Muets, vous dirigez nos volontés altières,
Par vos déſirs éteints nos déſirs ſont pliés,
Vos âmes dans nos ſeins revivent tout entières,
En nous vos longs eſpoirs vibrent, multipliés.

Bien que nous franchiſſions une ſphère plus haute,
Vos antiques erreurs nous induiſent en faute,
Nous aveuglant encor malgré tous nos flambeaux ;

Car le paſſé de l’homme en ſon préſent ſubſiſte,
Et la profonde voix qui monte des tombeaux
Dicte un ordre implacable, auquel nul ne réſiſte.


Jeanne Loifeau.




Hirondelles




Une minute avant l’ondée
Les hirondelles ſont là-haut ;
Elles deſcendent auſſitôt
De la profondeur inſondée,

La rivière eſt déjà ridée
Par un friſſon fait d’un ſanglot ;
Elles viennent raſer le ſol
Avec leur aile intimidée.

Ô chère Muſe, c’eſt ainſi
Que tu viens, délicate auſſi,
Nous conſoler par les careſſes,

Dans l’attente ou le ſouvenir
Des plus douloureuſes tendreſſes,
Lorſque les larmes vont venir.


Jacques Madeleine.




NOTES ET VARIANTES

NOTES

ET VARIANTES




Page ix, ligne 18.

Colletet ne ſavait pas que le mot de ſonnet tel que l’emploient Thibaut de Champagne & Guillaume de Lorrïs s’applique indiſtinctement à toute eſpèce de chant. Pour les trouvères comme pour les troubadours le ſonnet eſt ce qui ſonne. « Les Provençaux, dit Ginguené, appelaient ſonnets des pièces dont le chant était accompagné du ſon des inſtruments. » (Hiſtoire littéraire de l’Italie, 1811, tome Ier, page 295.) Le poème de quatorze vers à forme fixe, que nous appelons Sonnet, eſt abfolument étranger à la vieille poéſie provençale, & c’eſt en Italie qu’il faut en chercher les premiers types. On connaît, il eſt vrai, un ſonnet provençal attribué à Guilhem des Amalrics, troubadour du xive ſiècle. Mais ce Guilhem des Amalrics fut imaginé au xvie par Jehan de Notre-Dame, & le prétendu ſonnet de ce Guilhem n’eſt que la fin d’un vieux chant, coupée & remaniée ; c’eſt un octain ſuivi de deux tercets.


Page xxi, ligne 14.


Sonnet de Annibal Caro



Eran l’aer tranqillo & l’onde chiare,
Soſpiraua Fauonio, & fuggia Clori,
L’alma Ciprigna innanzi à i primi albori,
Ridendo, empiea d’amor la terra e’l mare ;

La rugiadoſa Aurora in ciel più rare
Facea le ſtelle, & di più bei colori
Sparſe le nubi e i monti ; uſcia già fuori
Febo, qual più lucente in Delfo appare :

Quando altra Aurora un più uezzoſo hoſtello
Aperſe, & lampeggiò ſereno & puro
Il Sol, che ſol m’abbaglia, & mi disface.

Volſimi ; e’n contro à lei mi parue oſcuro
(Santi lumi del Ciel, con noſtra pace)
L’oriente, che dianzi era ſi bello.

(Rime… in Venetia, Appreſſo Aldo Manutio. M. D. LXXII.)


Page xxxiii, ligne 22.

Voici le fonnet compoſé pour Louis XIII par Claudio Achillini.


Lodafi il Ré Luigi


Il Grande, il Vittorioſo, il Giuſto.



Sudate, o Fochi, à liquefar metalli,
E voi, Ferri vitali, itenc pronti,
Ite di Paro à ſuiſcerare i monti,
Per inalzar Coloſſi al Rè de’ Galli.

Vinſe l’inuitta, Rocca, e de’ vaſſalli
Spezzò gli orgogli à le rubelle fronti,
E machinaudo inujitatl pontî,
Diè fuga à i mari, e li conuerſe in valli.

Volò quindi fù l’Alpi, e il ferro ſtrinſe,
E con mano d’Aſtrea gli alti litigi
Temuto ſolo, e non veduto eſtinſe.

Ceda le palme pur Roma à Parigi ;
Che, ſe Ceſare venne, e vide, e vinſe,
Venne, vinſe, e von vide il Gran Luigi.

(Al Rè chriſtianiſſimo il Gran Luigi il Vittorioſo, il Giuſto. In Bologna, preſſo gli Eredi del Cochi. 1629.)


Sonnet 1.

Œuures poétiques de Mellin de S. Gelais, À Lyon, par Antoine de Harſy. 1574.

Sonnets 2 & 3.

Les Œuures de Clement Marot, de Cahors, en Querci, Vallet de Chambre du Roy… A Niort, Par Thomas Portau, 1596.

Le fonnet 3 eſt traduit d’un des ſonnets de Pétrarque : In morte di Madonna Laura. In Vinegia appreſſo Gabriel Giolito de Ferrari e fratelli. m d l :


Da piu begli occhi, e dal plu chiaro uiſo
Che mai ſplendeſſe, e da piu bei capelli
Che facean l’oro e’l ſol parer men beli ;
Dal piu dolce parlar, e dolce riſo ;

Da le man, da le braccia, che conquiſo,
Senza mouerſi, haurian quai piu ribelli
Fur d’amor mai ; da piu bei piedi ſnelli ;
Da la perſona fatta in paradiſo

Prendean uita i miei ſpirti : hor n’ha diletto
Il re celeſte, e i ſuoi alati corrieri ;
Et io ſon qui rimaſo ignudo e cieco.

Sol un conforto a le mie pcne aſpetto :
Ch’ ella, che uede tutti i miei penſieri,
M’impetri gratta, ch’ i poſſa eſſer ſeco.


Sonnet 4.

Les Œuvres de P. de Ronſard Gentilhomme Vandomois. Reueues, corrigées & augmentées par l’Autheur. A Paris, Chez Gabriel Buon, au clos Bruneau, à l’enſeigne S. Claude. 1584.

Ce ſonnet eſt au Premier liure des Amours,

« Ronſard identifie ſa maitreſſe Caſſandre avec l’antique prophéteſſe de ce nom, & ſe fait prédire par elle ſes deſtinées, qui ſe ſont accomplies juſqu’à la lettre. Il mourut en effet tout infirme & caſſé dans un âge peu avancé encore. Ses neveux ont ri de ſes ſoupirs, & il a été la fable du vulgaire. » (Sainte-Beuve.)

Cette Caſſandre était une demoiſelle de Blois. Ronſard a dit (l. I des Amours) :


Ville de Blois, naiſſance de ma Dame.


Sonnets 5, 6 & 7.

Mêmes Œuures. Le ſecond liure des Amours.

Nous ne connaiſſons de Marie ni ſa famille ni ſon nom. Nous ſavons ſeulement qu’elle était de Bourgueil, en Anjou, & qu’elle avait ſeize ans lorſque Ronſard s’éprit d’elle. Le portrait qu’il en fait eſt vague & charmant (l. II des Amours) ;


Marie, vous auez la iouë auſſi vermeille
Qu’vne roſe de May, vous auez les cheueux
Entre bruns & châtains, friſez de mille neuds,
Gentement tortillez tout autour de l’oreille.

Quand vous eſtiez petite, vue mignarde abeille
Sur vos léures forma ſon nectar ſauoureux,
Amour laiſſa ſes traits en vos yeux rigoureux,
Pithon vous feit la voix à nulle autre pareille.


Vous auez les tetins comme deux monts de lait,
Qui pommelent ainſi qu’au printemps nouuelet
Pommelent deux boutons que leur chaſſe environne,

De Iunon ſont vos bras, des Graces voſtre ſein,
Vous auez de l’Aurore & le front & la main,
Mais vous auez le cœur d’vue fiere Lionne.

L’édition de 1567 donne cette variante au fonnet 5 :


Mignonne, leuez-vous, vous eſtes pareſſeuſe,
Ia la gale Alouette au ciel a fredonné,
Et la le Roſſignol doucement iargonné,
Deſſus l’eſpine aſſis, ſa complainte amoureuſe.

Debout donc, allon voir l’herbelette perleuſe,
Et voſtre beau roſier de boutons couronné,
Et voz œillets aime, auſquels auiez donné
Hier au ſoir de Veau d’vue main ſi ſongneuſe.

Hier en vous couchant, vous me fiſtes promeſſe
D’eſtre plus-toſt que moy ce matin éueillée,
Mais le fommeil vous tient encor toute ſillée :

Ha ie vous puniray du peché de pareſſe,
Ie vais baiſer’ vos yeux & voſtre beau tetin
Cent fois pour vous aprendre à vous lever matin.

Le fonnet 7 fe trouve dans la Seconde partie : Sur la mort de Marie.


Sonnets 8, 9 & 10.

Mêmes Œuvres. Le fecond livre des fonnets pour Helene.

Hélène de Fonſèque, fille du baron de Surgères & d’Anne de Coſſé-Briſſac, était fille d’honneur de Catherine de Médicis.

La chanſon de Béranger :

Vous vieillirez ô ma belle maîtreſſe !…

rappelle le ſonnet 8.

Le tableau des vieillards aſſis ſur les remparts (ſonnet 9) eſt emprunté à Homère :

Εἴατο δημογέροντες ἐπὶ Σϰαιῇσι πύλῃσιν·
γήραϊ δὴ πολέμοιο πεπαυμένοι…
Ἦϰα πρὸς ἀλλήλους ἔπεα πτερόεντ’ ἀγόρευον·
Οὐ ν'μεσις Τρῶας ϰαὶ εὔϰνήμιδας Ἀχαιοὺς
τοιῇδ’ ἀμφὶ γυναιϰὶ πολὺν χρόνον ἄλγεα πάσχειν·
αἰνῶς ἀθανάτῃσι θεῇς εἰς ὦπα ἔοιϰεν.
Ἀλλα ϰαὶ ὥς, τοίη περ ἐοῦσ', ἑν νηυσὶ νεέσθω,
μηδ’ ἡμῖν τεϰέεσσί τ’ ὀπίσσω πῆμα λίποιτο.

                        (ΙΛΙΑΔΟΣ Γ, vers 149…-160).

Voici comment Hugues Salel, traducteur des onze premiers livres de l’Iliade, a traduit ce paſſage (édition de 1580) :

Là ces vieillards affis de peur du halle
Cauſoyent enſemble.......
..............
..............
Leſquels voyant la diuine Gregeoiſe,
Diſoyent entr’ eux, que ſi la grande noiſe
De ces deux camps duroit longue ſaiſon,
Certainement ce n’eſtoit ſans raiſon :
Veu la beauté & plus qu’humain ouurage
Qui reluiſoit en ſon diuin viſage.

Ce neantmoins il vaudroit mieux la rendre
(Ce diſoyent-ils) ſans gneres plus attendre,
Pour euiter le mal qui peult venir
Qui la voudra encore retenir.

Properce a fourni à Ronſard les deux derniers vers du même ſonnet :


Nunc, Pari, tu ſapiens, & tu, Menelae, fuiſſi ;
Tu, quia poſcebas ; tu, quia lentus eras.

(Livre II, élégie III, vers 37.)


Sonnet 11.

Mêmes Œuures. Sonnets à diuerſes perſonnes.


Sonnet 12.

Le Recueil des Sonnets, Odes, Hymnes, Elegies, Fragments, & autres pieces retranchees aux editions precedentes des Œuures de P. de Ronſard Gentilhomme Vendomois, Avec quelques autres non imprimees cy-deuant.

Ce Recueil fait partie des Œuures de Ronsard, éd. 1623 (t. II).


Sonnet 13.

L’Oliue, & autres Œuvres poétiques de Ioachim Du-Bellay Gentilhomme Augeuin. A Paris, De l’imprimerie de Federic Morel… m. d. lxviiii.

Olive eſt l’anagramme de Viole, nom de la maîtreſſe poétique de Du Bellay.


Sonnets 14, 15 & 16.

Les Regrets & autres Œuures poétiques de Ioach. du Bellay Ang. A Paris, de l’imprimerie de Federic Morel, rue S. Ian de Beauuais, au franc Meurier. m. d. lviiii. Auec priuilege du Roy.


Sonnet 17.

Le Premier Liure des Antiquitéz de Rome, contenant une generale deſcription de ſa grandeur, & comme une déploration de ſa ruine : par Ioach. Dubellay Ang. Plus un Songe ou viſion ſur le meſme ſubiect, du meſme autheur. A Paris, De l’imprimerie de Federic Morel… m. d. lviii.


Sonnet 18.

Les Amours de Ian Antoine de Baïf. A Monſeigneur le Duc d’Aniou fils & frere de Roy. A Paris, Pour Lucas Breyer. 1572.

La dame à qui Baïf dédia ces poéſies était Francine ou Françoiſe de Gennes.


Sonnet 19.

Les Œuures poétiques de Remy Belleau… A Paris, Pour Gilles Gilles… 1585.

Ce fonnet eſt dans la Seconde iournée de la Bergerie.

Sonnets 20, 21, 22 & 23.

Euures de Louize Labé lionnoize. A Lion. Par Ian de Tournes, m. d. lvi. Auec Priuilege du Roy.

« C’eſt dans ſes ſonnets ſur tout que la paſſion de Louiſe éclate & ſe couronne par inſtants d’une flamme qui rappelle Sapho & l’amant de Lesbie. Pluſieurs des ſonnets pourtant ſont pénibles, obſcurs : on s’y heurte à des duretés étranges… Elle n’obſerve pas toujours l’entrelacement des rimes maſculines & féminines, ce qui la rattache encore à l’école antérieure à Du Bellay. Mais toutes ces critiques inconteſtables ſe taiſent devant de petits tableaux achevés comme celui-ci, où ſe réſument au naturel les mille gracieuſes verſatilités & contradictions d’amour :


Ie vis, ie meurs : ie me brûle & me noye… »

(Sainte-Beuve. Portraits contemporains & divers, pp. 175-176.)


Sainte-Beuve ajoute, en parlant du ſonnet Tant que mes yeux pourront larmes eſpandre… : « Admirable de ſenſibilité, il fléchirait les plus ſévères ; à lui ſeul il reſterait la couronne immortelle de Louiſe. »

Le fonnet 23 eft un fouvenir de ces vers de l’élégiaquc latin :


Da mi baſia, mille, deinde centum,
Dein mille altera, dein ſecunda centum,
Deinde uſque altera mille, deinde centum.
Deinu, cum milia multa fecerimus,
Conturbabimus illa, ne ſciamus,

Aut ne quis malus invidere poſſit,
Cum tantum ſciat eſſe baſiorum.

(Catullus, V.)


Un ſonnet d’Olivier de Magny, intitulé : Des beautez de D. L. L. & imprimé tout d’abord dans l’édition originale de Louiſe Labé, parmi les Eſcriz de diuers Poëtes à la louenge de Louize Labé Lionnoiſe, nous retrace un portrait, bien peu précis malheureuſement, de la belle Cordière. Voici ce ſonnet :


Où print l’enfant Amour le fin or qui dora
En mile creſpillons ta teſte blondiſſante ?
En quel tardin print il la roze rougiſſante
Qui le liz argenté de ton teint colora ?

La douce grauité qui ton front honora,
Les deus rubis balais de ta bouche allechante,
Et les rais de cet œil qui doucement m’enchante,
En quel lieu les print il quand il t’en décora ?

D’où printl Amour encor ces filets & ces leſſes,
Ces hains & ces apaſts que ſans fin tu me dreſſes
Soit parlant ou riant ou guignant de tes yeus ?

Il print d’Herme, de Cypre, & du ſein de l’Aurore,
Des rayons du Soleil, & des Graces encore,
Ces atraits & ces dons, pour prendre hommes & Dieus.


Ces filets, ces leſſes & ces bains allégoriques révéleraient un ſentiment véritable, s’il eſt vrai, comme on tend à le croire, qu’Olivier de Magny ait aimé Louiſe Labé. (Voir la favante Notice de M. Erneſt Courbet, en tête de ſon édition des Soupirs.)


Sonnet 24.

Les Œuures de Mes-Dames des Roches de Poetiers mere & fille… A Paris, Pour Abel l’Angelier… 1579.

Les dames Des Roches, célèbres pour leur bel eſprit, le ſont notamment pour la puce qu’Eſtienne Paſquier vit ſur l’une d’elles. Cette puce fut l’objet d’un recueil de poèmes qui parut en 1581.


Il paraît que Mme  Des Roches, dont le vrai nom eſt Madeleine Neveu, n’était point auſſi bonne filandière que ſa fille Catherine. Témoin ce tercet final d’un ſonnet de la dame :


Le feu de mon eſprit perd ſa douce lumière,
Et ne me reſte plus de ma forme premiere
Sinon que i’ayme mieux eſcrire que filer.


Sonnet 25.

Vers François de feu Eſtienne De la Boetie Conſeiller du Roy en ſa Cour de Parlement à Bordeaux. A Paris. Par Federic Morel Imprimeur du Roy. m. d. lxxii. Auec priuilege.

Marguerite de Carle, veuve d’un premier mari, d’Arſat, épouſa La Boétie. Elle appartenait à une famille diſtinguée, qui comptait parmi ſes membres un poète illuſtre à ſon époque, Lancelot de Carle, évêque de Riez.


Sonnet 26.

Les Souſpirs, d’Oliuier de Magny, A Paris, Pour Vincent Sertecnas… 1557.

Sonnets 27, 28 & 29.

Les Premières Œuures de Philippes Des-Portes… A Paris, Par Mamert Patiſſon… m.dc.

Le fonnet 27 eft le premier des Amours d’Hippolyte. Il eſt imité d’un ſonnet de Sannazar :


Icaro cadde qui, queſte onde il ſanno

Le ſonnet 28 eſt l’un de ceux réunis ſous le titre de : Diane premieres amours de Philippes Des-Portes, & compoſés en l’honneur de Diane de Coſſé, comteſſe de Mansfeld. Le ſonnet 29 ſe trouve dans Bergeries & Maſquarades,


Sonnet 30.

Prières & Méditations Chreſtiennes. Par Philippes Des-Portes… A Paris, chez Abel l’Angelier… m. dciii.


Sonnet 31.

Recueil des Œuures poétiques de lan Paſſerat, lecteur & interprete du Roy. Augmenté de plus de la moitié, outre les precedantes impreſſions. Dédié à Monfeigneur le Duc de Suilly. A Paris, Chez Abel l’Angelier… 1606.

Dans un recueil publié du vivant de Paſſerat (Le Premier Liure des mignardes & gaies poeſies de A. D. C. A. M… A Paris, Pour Gilles Robinot, tenant ſa boutique au Palais, en la gallerie, par où on va à la Chancellerie), m. d. lxxviii, on trouve un ſonnet qui reſſfemble ſingulièrement à celui-ci & qui peut bien en avoir été le prototype. C’eſt le dixième des Sonnets ſur la conualeſcence de M. L. G. Damoiſelle D. S. M.

Voici ce ſonnet de A. D. C. (Antoine de Cotel, Conſeiller au Parlement de Paris) :


Tulene, & ſon eſtat, font eſteincts d’vn coup, Sire.
Toutesfois (s’il vous plaiſt) encore eſt-il en vous
De les faire reuivre ; il eſt aſſez de ſouls,
Et trop de demandeurs, pour vous faire encor rire.

Entre vn pœte, & vn fou, il y a peu à dire :
Chacun d’eux eſt mocqué, & ſe mocque de tous.
L’vn eſt fouuent deſpit, l’autre eſt prompt à courrous :
Chacun d’eux dict, & va, où ſon plaiſir le tire.

L’vn porte vn gay chappeau, l’autre des bonnets verts :
Chacun aime ſon chant : l’vn ialoux de ſes vers,
L’autre de ſa marotte, on ne ſçauroit desfaire.

Ils different pourtant d’vn ſeul poinct en viuant :
Car l’on dict que fortune aide aux fouls bien ſouuent,
Et qu’aux pœtes elle eſt quaſi touſiours contraire.


Sonnet 32.

C’eft le VIIe des neuf ſonnets qui ont pour titre général : Les Neuf Muſes Pyrenees, preſentees par G. de Saluſte, Sieur du Bartas, au Roy de Navarre.

Ce recueil de ſonnets eſt à la ſuite de : Premiere Sepmaine ou Creation du monde de Guillaume de Saluſte, Seigneur du Bartas… A Rouen, de l’imprimerie De Raphaël du Petit Val, Libraire & Imprimeur du Roy. 1602.


Sonnet 33.

Petites Œuures meſlees du Sieur d’Aubigné… A Genève, Chez Pierre Aubert, Imprimeur Ordinaire de la Republique & Academie, m. oc, xxx. Avec permiſſion & privilege.

En tête de ce ſonnet on lit : « L’autheur trouva en paſſant par Agen un fort beau chien nommé Citron, qui avoit accouſtumé de coucher avec Sa Majeſté. Il lui fit coudre ſur le col, en forme de Placet, ce qui s’enfuit ; & le chien ne faillit point dès le ſoir à s’aller preſenter au Roi. »


Sonnet 34.

Les Œuures de Meſſiare François de Malherbe, Gentil-homme Ordinaire de la Chambre du Roy. Troiſieſme edition… A Paris, Chez Iean Promé. 1635.

Ce ſonnet a été compoſé en 1624, au dire de Racan.


Sonnet 35.

Ce ſonnet ſe trouve dans un cahier in-4o, ſans titre ni couverture (catalogué Ye 619, Bibliothèque nationale), paginé de 1 à 17, & ſigné A. B. C. D.

Le cahier contient trois pièces : io une ode Pour le Roy allant chaſtier la rebellion des Rochelois, & chaſſer les Anglois, qui en leur faueur eſtoient deſcendus en l’Iſle de Ré ; 2o une lettre au Roy contre les aſſaſſins de ſon fils, commençant ainſi : « Sire, les Vers que Voſtre Majeſté vient de lire paſſeront, s’il luy plaiſt, pour vn tres-humble remerciment de la promeſſe qu’elle m’a faite, de ne donner iamais d’abolition à ceux qui ont aſſaſſiné mon fils… ; » 3o le ſonnet Sur la mort du fils de l’Autheur, ſigné Malherbe, imprimé p. 17, Pas de ſignature à cette page, & rien au verſo.

Ce fils, Marc-Antoine, était âgé de 26 ans lorſqu’il fut tué. Il était Avocat au Parlement de Provence. Malherbe pourſuivit à outrance les meurtriers & mourut ſans avoir pu obtenir ſatisfaction.

Les vers 13 & 14 du ſonnet s’appliquaient à Pol de Fortia, ſieur de Pilles, iſſu, diſait-on, d’une famille juive.

Balzac, dans ſa Diſſertation xxviii, ſur Malherbe, adreſſée à M. de Plaſſac-Méré, ne manque pas de s’étendre aſſez longuement ſur ce douloureux événement : « La dernière année de ſa vie, il perdit ſon Fils vnique, qui fut tué en duel, par vn Gentil-homme de Provence. Cette perte le toucha ſenſiblement. Ie le voyois tous les jours dans le fort de ſon affliction, & je le vis agité de pluſieurs penſées differentes. Il ſongea vne fois… à ſe battre contre celuy qui avoit tué ſon Fils : Et comme nous luy repreſentafmes, Monſieur de Porcheres-d’Arbaud & moy, qu’il y avoit trop de diſproportion de ſon âge de ſoixante & douze ans, à celuy d’vn homme qui n’en avoit pas encore vingt & cinq : C’eſt à cauſe de cela, que je me veux battre, nous reſpondit-il ; Ne voyez-vous pas que je ne hasarde qu’vn denier, contre vne piſtole ?

« On luy parla en ſuite d’accommodement, & vn Conſeiller du Parlement de Provence, ſon Ami particulier, luy porta parole de dix mille eſcus : Il en rejetta la premiere proportion (cela eſt encore vray) & nous dit l’apreſdinée, ce qui s’eſtoit paſſé le matin, entre luy & ſon Ami. Mais nous luy fiſmes conſiderer que la vengeance qu’il deſiroit, eſtant apparemment impoſſible, à cauſe du crédit que ſa Partie avoit à la Cour, il ne devoit pas refuſer cette legere ſatisfaction,

qu’on luy preſentoit, que nous appellaſmes


                                folatia luctus
Exigua ingentis, miſero ſed debita Patri.

Et bien, dit-il, je croiray voſtre confeil, je pourray prendre de l’argent, puiſqu’on m’y force ; mais je proteſte que je ne garderay pas vn teſton, pour moy, de ce qu’on me baillera. I’employeray le tout à faire baſtir vn Mauſolée à mon Fils. Il vſa du mot de Mauſolée, au lieu de celuy de Tombeau, & fit le Poëte par tout.

« Peu de temps apres il fit vn voyage à la Cour, qui eſtoit alors devant la Rochelle, & apporta de l’Armée la maladie dont il vint mourir à Paris. Ainſi le traité des dix mille eſcus ne fut point conclu, de le deſſein du Mauſolée demeura dans ſon efprit. Il fit ſeulement imprimer vn Factum, & trois Sonnets, qui n’ont point eſté mis dans le Corps de ſes autres Ouvrages. Ie voudrois bien pouvoir contenter la curioſité que vous avez de les voir ; Mais de pluſieurs Exemplaires qu’il m’en avoit donnez, il ne s’en eſt pû trouver aucun, parmi mes Papiers, & il ne me ſouvient que de ce ſeul Vers,


Mon Fils qui fut ſi brave, & que j’aimay ſi fort.

Sur ma parole affleurez vous qu’ils eſtoient tous excellens, & que ce n’eſt pas vne petite perte, que celle que vous en faites. » (Les Œuvres de Mouſieur de Balzac… A Paris, Chez Louis Billaine… m. dc. lxv. T. II, p. 683.)


Sonnet 36.

Les Satyres, & autres Œuures du Sieur Regnier. Augmentez de diuerſes Pièces cy-deuant non imprimées, A Paris, Chez Louys Chamhoudry… 1655.

Sonnet37.

Les Poeſies de Gomhauld. A Paris, Chez Auguſtin Courbé… 1636.


Sonnet 38.

Les Œuures de Théophile… A Rouen, Chez Louys & Daniei Loudet, 1636.


Sonnet 39.

Les Œuures du Sieur de Saint-Amant… A Paris, Chez Nicolas Traboulliet… 1635.


Sonnets 40 & 41.

La Suitie des Œuures du Sieur de Saint-Amant.

A la ſuite de l’édition précédente.


Sonnet 42.

Les Œuvres du Sieur de Saint-Amant. Troiſieſme partie. A Rouen, De l’imprimerie de Iean Tieucelin… 1668.


Sonnet 43.

Les Œuures poétiques de Mr  Berlaut, Eueſque de Sees… A Paris, Chez Robert Bertault… 1633.


Sonnet 44.

Poefies diuerſes de Monſieur Colletet. Contenant des Sujets Héroïques, Des Paſſions Amoureuſes. Et d’autres Matières Burleſques & Enjouées. A. Paris, Chez Louis Chamhoudry… 1656.

Ce ſonnet eſt le xive du Quatorzain Burleſque. Ou quatorze Sonnets, Burleſques, & Satyriques.


Sonnet 45.

Les Couches ſacrées de la Vierge, Poëme héroïque de Sannazar. Mis en François, Par Colletet. A Paris, Chez Iean Camuſat… 1634.

Voici la traduction latine que La Monnoye fit de ce ſonnet :


AD CAROL. CATONEM CURTIUM.


Cum vidiſſet Adam formoſæ conjugis ora
       Fecerat æternâ quam Deus ipſe manu,
Protinus arſit amans, nec amanti reſtitit ilia.
       Et bené : tranſmiſſum duximus inde genus.
Blanditiis juvenum mulier tunc invia, credo,
       Una fuit, Curti, nulla vel eſſe poteſt.
Quidni blanditiis tunc invia nempé fuiſſet ?
       In loto, dices, orbe vir unus erat.
Fallimur ambo ſed hic, quamvis fortiſſimus eſſet
       Ac primo ætatis flore vigeret adhuc,
Quamvis ingenio quamvis foret indole felix
       Et quamvis forma conſpiciendus Adam,
Maluit Eva tamen pellacem audire colubrum
       Quam nullas mulier noſcere blanditias.

(Poëſies de M. de La Monnoye… A La Haye, Chez Charles le Vier. 1716.)


Sonnet 46.

Les Œuvres de Monſieur Saraſin. Poeſies. A Paris, Chez Auguſtin Courbé. 1656.


Sonnet 47.

Poeſies dit Sieur de Malleville. A Paris, Chez Auguſtin Courbé… 1649.

La Belle Matineuſe eſt, ſelon Boileau, le meilleur ſonnet de Malleville. La Harpe dit que La Belle Matineuſe eſt fort au-deſſous de ſa réputation, qu’il y a trop de mots & pas aſſez d’idées. Quoi qu’il en ſoit, ce ſonnet fonda la renommée de l’auteur.


Sonnet 48 & 49.

Les Œuures de Monſieur de Voiture. Troiſieſme édition… Poeſies. A Paris, Chez Auguſtin Courbé… 1652.


Sonnet 50.

Les Œuures de Monſieur de Benſſerade. Premiere partie. A Paris, Chez Charles de Sercy… 1697.


Sonnet 51.

Poéſies choiſies de Meſſieurs Corneille, Benſſerade… & pluſieurs autres. A Paris, Chez Charles de Sercy… 1653.

Corneille fit encore un ſonnet & un madrigal ſur la querelle des Jobelins & des Uranins. Il donne plus nettement ſon opinion dans la première de ces pièces, que voici :


Sur la conteſtation entre le Sonnet
d’Vranie & de Iob.


Demeurez en repos, Frondeurs & Mazarins,
Vous ne meritez pas de partager la France ;
Laiſſez-en tout l’honneur aux partis d’importance
Qui mettent ſur les rangs de plus nobles mutins.

Nos Vranins liguez contre nos Iobelins
Portent bien au combat vne autre vehemence ;
Et s’il doit s’acheuer de meſme qu’il commence,
Ce ſont Guelfues nouueaux, & nouueaux Gibelins.

Vaine démangeaiſon de la guerre Ciuille
Qui partagiez n’aguere & la Cour & la Ville,
Et dont la paix éteint les cuiſantes ardeurs,

Que vous auez de peine d demeurer oiſiue !
Puis qu’au meſme qu’on voit bas les Frondeurs,
Pour deux meſehants Sonnets on demande : Qui vive ?


Sonnet 52.

Le Theatre de P. Corneille. Reueu & corrigé par l’Autheur. I. Partie. À Paris, Chez Auguſtin Courbé… Et Guillaume de Luyne… 1660.

Thomas Corneille, dans ſon Dictionnaire univerſel géographique & hiſtorique, au mot Rouen, dit de ſon frère : « Une avanture galante luy fit prendre le deſſein de faire une Comedie pour y employer un Sonnet qu’il avoit fait pour une Demoiſelle qu’il aimoit. Cette Piece dans laquelle eſt traitée toute l’aventure, & qu’il intitula Melite, eut un ſuccès extraordinaire. »

Le nom de cette Demoiſelle eſt révélé par Le Moréri des Normands, manuſcrit de J.-A. Guiot de Rouen, conſervé à la bibliothèque de Caen : « Le plaiſir de cette avanture détermina Corneille à faire la comédie de Melite, anagramme du nom de ſa maîtreſſe… la demoiſelle Milet, très-jolie Rouennaiſe. »

Ainſi déterminé, Corneille ne manqua pas d’introduire le Sonnet dans ſa pièce (Acte II, Scène iv).


Sonnet 53.

Ce ſonnet ſe trouve dans l’épitre adreſſée à la Reine Régente, en tête de la tragédie de Polyeucte (éd. 1643). Corneille loue Anne d’Autriche de ſa prudence, de ſes ſoins, des bons conſeils qu’elle a pris, des grands courages qu’elle a choiſis pour les exécuter, de ſa gloire acquiſe, de la priſe de Thionville. Puis il ajoute : « Permettez que ie me laiſſe emporter au rauiſſement que me donne cette penſée, & que ie m’ecrie dans ce tranſport :


Que vos ſoins, grande Reine, enfantent de miracles… »


Sonnet 54.

La Vie de Damoiſelle Elisabeth Ranquet. A Paris, Chez Charles Savreux… 1655.

Ce ſonnet a pour titre : Sur la mort de Damoiſelle Elisabeth Ranquet, femme de Nicolas du Chevrcul, Eſcuyer ſieur I d’Eſturville. On le retrouve dans quelques exemplaires de l’édition originale d’Œdipe.

Le XIe vers rappelle deux vers des Entretiens ſolitaires de Brébeuf, ceux qui terminent les Déſirs de couverſion :


Que toute mon étude & toute mon envie
Soit de vous envoyer mes ſoupirs nuit & jour,
Et que le dernier de ma vie
Soit encore vn ſoupir d’amour.

Il eſt bien étrange que Brébeuf ait mis ce même ſonnet, avec quelques variantes, dans ſes Poëſies diverſes de 1658 & 1662 & dans ſes Éloges poétiques de 1661. Voici le texte de l’édition de 1658 :


ÉPITAPHE.


Ne verſe point de pleurs ſur cette ſepulture,
Tu vois de Leonor le tombeau precieux,
Où giſt d’vn corps tout pur la cendre toute pure,
Mais la vertu du cœur vit encore en ces lieux.

Auant que de payer les droits à la nature,
Son eſprit s’éleuant d’vn vol audacieux,
Alloit au Créateur vnir la Creature,
Et marchant ſur la terre elle eſtoit dans les Cieux.

Les Pauures bien mieux qu’elle, ont ſenty fa richeſſe,
Ne chercher que Dieu ſeul fut ſa ſeule allegreſſe,
Et ſon dernier ſoupir fut vn ſoupir d’amour.

Paſſant : qu’à ſon exemple vn beau feu te tranſporte,
Et loin de la pleurer d’auoir perdu le iour,
Cray qu’on commence à viure en mourant de la ſorte.


Sonnet 55.

Ce ſonnet, qui n’a pas été imprimé du vivant de Corneille, fournit de nombreuſes variantes. Le texte que nous avons choiſi eſt le plus ancien ; il eſt écrit de la main de Gaignières, ainſi que le nom P. Corneille qui le termine, & appartient à la Bibliothèque nationale, Ms. f. Gaignières, 22557, 14.

Il a été remanié par Voltaire de la façon qui ſuit :


Sous ce marbre repoſe un monarque ſans vice,
Dont la ſeule bonté déplut aux bons François ;
Ses erreurs, ſes écarts vinrent d’un mauvais choix,
Dont il fut trop longtemps innocemment complice.

L’ambition, l’orgueil, la haine, l’avarice,
Armes de ſon pouvoir nous donnèrent des loix ;
Et bien qu’il fût en ſoi le plus juſte des Rois,
Son règne fut toujours celui de l’injustice.

Fier vainqueur au dehors, vil eſclave en ſa cour,
Son tyran & le nôtre à peine perd le jour,
Que juſques dans la tombe il le force à le ſuivre ;

Et par cet aſcendant ſes projets confondus,
Après trente-trois ans ſur le trône perdus,
Commençant à régner, il a cessé de vivre.


Sonnet 56.


Diverſitez curieuſes, pour ſervir de récréation à l’eſprit. Huitième Partie. Suivant la Copie de Paris. Amſterdam, André de Hoogenhuyſen. 1699.

Le ſonnet, anonyme dans ce recueil, eſt précédé de cette note : « Sonnet ſur la Paſſion de Jesus-Christ : Et inclinato capite, &c. » Ce fut Mme Dunoyer qui l’attribua au comte de Modène, qu’elle avait « connu ſur ſes vieux jours. » (Voir : Lettres hiſtoriques & galantes, Par Madame de C***. Ouvrage curieux. Tome quatrième. Seconde Edition Revuë & corigée par l’Autheur. À Cologne, Chez Pierre Marteau. m. dcc. xv.)

Ce célèbre ſonnet a été ſouvent réimprimé. M. Alexandre Piedagnel, qui l’avait copié ſur une inſcription de la porte de l’ancien cimetière de la Sainte-Trinité, à Cherbourg, le communiqua au colonel F.-N. Staaff, puis à Alfred Delvau, à M. Georges Monval, directeur du Moliériſte, à nombre de journaux & de publications. À leur tour, Paul Lacroix & Louis de Veyrières le découvrirent dans des manuſcrits du temps, mais avec une leçon différente, qu’ils ont reproduite, l’un dans ſes Poéſies diuerſes attribuées à Molière, l’autre dans la Monographie du ſonnet.

Chacune de ces réimpreſſions fournit des variantes au texte de 1699. Nous ne citerons que celles du 12e vers, en faiſant remarquer que ſe meut eſt au prétérit pour ſe mut.


Tout pâlit, tout ſe meut dans la terre & dans l’air…
Tout gémit, tout frémit ſur la terre & dans l’air…
Tout pâlit, tout s’émut, ſur la terre & dans l’air…


Sonnet 57.

Recueil de pièces galantes, En Proſe & en Vers, de Madame la Comteſſe de la Suze, D’une autre Dame, & de Monſieur Peliſſon. Augmenté de pluſieurs Elegies. À Amfterdam, Chez Jean Rips. 1695.

François de la Mothe le Vayer, précepteur de Louis XIV, hiſtoriographe de France, membre de l’Académie françaiſe, perdit ſon fils en 1664.

Molière accompagnait ſon ſonnet de ces réflexions : « Vous voyez bien, Monſieur, que je m’écarte fort du chemin qu’on ſuit d’ordinaire en pareille rencontre, que le Sonnet que je vous envoye n’eſt rien moins qu’une conſolation ; mais j’ay crû qu’il falloit en uſer de la ſorte avec vous, & que c’eſt conſoler un Philoſophe que de luy juſtifier ſes larmes, & de mettre ſa douleur en liberté. Si je n’ay pas trouvé d’aſſez fortes raiſons pour affranchir voſtre tendreſſe des ſeveres leçons de la Philoſophie, & pour vous obliger à pleurer ſans contrainte, il en faut accuſer le peu d’éloquence d’un homme qui ne ſçauroit perſuader ce qu’il ſçait ſi bien faire. »

Molière reproduiſit dans Pſyché (Acte II, Scène I, éd. 1671) les deux quatrains du ſonnet, en les modifiant ainfi :


LE ROY.


Ah ! ma Fille, à ces pleurs laiſſe mes yeux ouverts,
Mon deuil eſt raiſonnable, encor qu’il ſoit extrême,
Et lors que pour toujours on perd ce que je perds,
La Sageſſe, croy-moy, peut pleurer elle-meſme.
           En vain l’orgueil du Diadème
Veut qu’on ſoit inſenſible à ces cruels revers,
En vain de la Raiſon les ſecours ſont offerts,
Pour vouloir d’un œil ſec voir mourir ce qu’on aime :
L’effort en eſt barbare aux yeux de l’Univers,
Et c’eſt brutalité plus que vertu ſuprême.


Sonnet 58.

Choix de poëſies morales & chrétiennes… Dédié à Monſeigneur le Duc d’Orléans… Paris, Chez Prault père & fils. 1759 (t. I, 1. iv).

Sainte-Beuve, après Du Radier, acculait Des Barreaux d’avoir trouvé dans un ſonnet de Philippe Deſportes qui commençait ainſi :


Helas ! ſi tu prends garde aux erreurs que i’ay faites…


le motif, les images & même les expreſſions de ſon fameux ſonnet. La vérité eſt qu’ils ont l’un & l’autre imité, mais Des Barreaux beaucoup plus heureuſement, ce ſonnet de Franceſco Maria Molza :


Signor, ſe miri a le paſſate offeſe,
A dir il vero, ogni matire è poco ;
S’al merto di chi ognor piangendo invoco,
Troppo ardenti fuette hai in me diſteſe.

Ei pur per noi umana carne preſe,
Con laquai poi morendo efiinfe il foco
De’ ſuoi diſdegni, e riaperſe il loco
Che’l noſtro adorno mal già ne conteſe.

Con queſta fida ed onorata ſcorta
Dinanzi al ſeggio tuo nti rappreſento,
Carco d’orrore, e di me ſteſſo in ira.

Tu pace al cor, ch’egli è ben tempo, apporta ;
E le gravi mie colpe, ond’io pavento,
Nel ſangue tinte del Figliuol tuo mira.


Sonnet 59.

Les Œuures de Monſieur Scarron. Reueuës, corrigées & augmentées de nouveau. Imprimées à Rouen… 1663.


Sonnet 60.

Fables nouvelles, & autres Poëſies. De M. de la Fontaine. A Paris, Chez Denys Thierry… 1671.

Ce ſonnet eft adreſſé à Mademoiſelle Colletet, femme du poète, ſur le portrait de cette dame peint par Sève.


Sonnet 61.

Œuvres de M. Boileau Deſpréaux. Nouvelle Édition, Avec des Éclairciſſemens Hiſtoriques donnés par lui-même, & rédigés par M. Broſſette… Par M. de Saint-Marc. A Paris, Chez David… 1747.

Broſſette dit en note : « L’Auteur avoit oublié ce Sonnet ; mais j’en trouvai par haſard une Copie, que je lui envoïai, & il me fit cette réponſe le 24. de Novembre 1707. « Pour ce qui eſt du Sonnet, la vérité eſt, que je le fis preſque à la ſortie du Collège, pour une de mes Nieces, qui mourut âgée de dix-huit ans… Je ne le donnai alors à perſonne, & je ne ſçay par quelle fatalité il vous eſt tombé entre les mains, après plus de cinquante ans qu’il y a que je le compoſai. Les Vers en ſont aſſés bien tournez, & je ne le deſavoüerois pas meſme encore aujourd’hui, n’eſtoit une certaine tendreſſe tirant à l’amour, qui y eſt marquée, qui ne convient point à un Oncle pour ſa Niece, & qui y convient d’autant moins, que jamais amitié ne fut plus pure ni plus innocente que la noſtre. Mais quoy ? je croyois alors que la Poëſie ne pouvoit parler que d’amour. C’eſt pour réparer cette faute, & pour montrer qu’on peut parler en vers, meſme de l’amitié enfantine, que j’ay compoſé, il y a quinze ou ſeize ans, le ſeul Sonnet qui eft dans mes Ouvrages & qui commence par Nourri dès le Berceau… »



Sonnet 62.

Poéſies de Madame & de Mademoiſelle Deshoullères… À Paris, Chez Villette… 1732.

Buſſy, peu ami de Racine, écrivait au P. Brulart, le 30 janvier 1677 : « Racine & Pradon ont fait chacun une comédie intitulée Phèdre & Hippolyte, & chacun a ſa cabale. M. de Nevers, qui eſt pour Pradon, fit l’autre jour ce ſonnet contre la comédie de Racine :


« Dans un fauteuil doré, Phedre tremblante & blême


« Racine piqué du ridicule dont ce ſonnet traitoit ſa comédie fit, dit-on, avec ſon ami Deſpreaux ce ſonnet en réponſe :


« Dans un palais doré, Damon, jaloux & blême... »


Ce premier ſonnet que Buſſy attribue au duc de Nevers fut compoſé, dans un ſouper, chez Madame Deshoulières, le ſoir même où la Phèdre de Racine avait été jouée pour la première fois. « Dès le lendemain matin, dit Niceron, l’abbé Tallemant l’aîné apporta une copie à Madame Deshoulières, qui la reçut ſans rien témoigner de la part qu’elle avait au ſonnet ; & elle fut enſuite la première à le montrer, comme le tenant de l’abbé Tallemant. »


Sonnet 63.

Le Porte-feuille de Monſieur L. D. F**** (L. de Lafaille). À Carpentras, chez Dominique Labarre, Imprimeur & Marchand Libraire, m. dc. xciv.

Anonyme dans cet ouvrage, ce ſonnet porte le nom de ſon auteur dans Le Nouveau Porte-feuille hiſtorique & littéraire. Ouvrage poſthume de Mr  Bruſen de la Martinière… À Amſterdam & à Leipzig, Chez J. Schreuder & P. Mortier le Jeune, mdcclv. À la ſuite on lit : « … Ce Sonnet eſt de Racine qui aimoit à faire courir des Épigrammes Anonymes ſur les pièces de Théâtre qu’il n’aprouvoit pas. »

C’eſt la réponſe au ſonnet de Madame Deshoulières ſur Phèdre. L’Auteur de qualité dont il eſt queſtion eſt le duc de Nevers, auquel, pendant quelque temps, on avait attribué ce Genſéric.


Sonnet 64.

Œuvres diverſes de M, Rouſſeau. Nouvelle édition. À Bruxelles ; aux dépens de la Compagnie, m. dcc. xli.

Joſeph-François Duché de Vancy, né en 1668, mort en 1704, membre de l’Académie des Inſcriptions. Il compoſa des poèmes d’opéras & des tragédies ſacrées pour l’Inſtitut de Saint-Cyr.


Sonnet 65.

Œuvres de Voltaire… Edition Beuchot. À Paris, Chez Lefèvre & Firmin Didot frères, 1833 (t. XIV).

Ce ſonnet eſt de l’année 1736. Voltaire écrivait à ce ſujet à M. Thieriot :

« À Cirey, le 18 mars.

« … Vous trouverez ſur une dernière feuille une choſe que je n’avais faite de ma vie, un ſonnet. Préſentez-le au marquis, ou non marquis, Algarotti, & admirez avec moi ſon ouvrage ſur la lumière. Ce fonnet eſt une galanterie italienne. Qu’il paſſe par vos mains, la galanterie fera complète. » (T. LII.)


Sonnet 66.

Poéſies de Antoni Deſchamps. Nouvelle édition revue & conſidérablement augmentée par l’auteur. Paris. H.-L. Delloye. 1841.

Ce ſonnet eſt traduit d’un des nombreux ſonnets compoſés par Pétrarque ſur la mort de Laure. Voici les vers italiens, d’après l’édition de Venise, 1550, chez Gabriel Giolito de Ferrari e fratelli (partie ii, f. 102) :


La uita fugge, e non s’arreſta un’ hora,
E la morte uen dietro a gran giornate ;
E le coſe preſenti, e le paſſate
Mi danno guerra, e le future anchora ;

E’l rimembrar, e l’aſpiettar m’accora
Hor quinci, hor quindi ſi, che’n ueritate
Senon ch’i ho di me ſteſſo pietate,
I farei gia di queſti penſier fora,

Tornami auanti, s’alcun dolce mai
Hebbe’l cor triſto ; e poi da l’altra parte
Veggio al mio nauigar turbati i uenti ;

Veggio fortuna in porto ; e ſtanco homai
Il mio nocchier ; e rotte arbore, e ſarte ;
E i lumi bei, che mirar ſoglio, ſpenti.


Sonnet 67.

La Renaiſſance Littéraire & Artiſtique. No du 27 juillet 1872.

Ce ſonnet eſt dédié à Madame Judith Mendès. Le ſecond des ſonnets compoſés par Victor Hugo ſe trouve dans Les Quatre Vents de l’Eſprit ; Le Livre ſatirique. Le voici :


Jolies Femmes
(Sonnet pour album)


On leur fait des ſonnetss, paſſables quelquefois ;
On baiſe cette main qu’elles daignent vous tendre ;
On les ſuit à l’égliſe, on les admire au Bois ;
On redevient Damis, on redevient Clitandre ;

Le bal eſt leur triomphe, & l’on brigue leur choix ;
On danſe, on rit, on cauſe ; & vous pouvez entendre,
Tout en valſant, parmi les luths & les hautbois,
Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre :

« La force eſt tout ; la guerre eſt ſainte ; l’échafaud
Eſt bon ; il ne faut pas trop de lumière ; il faut
Bâtir plus de priſons & bâtir moins d’écoles ;

« Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts. »
Et ces colombes-là vous diſent des paroles
À faire remuer d’horreur les os des morts.


(Juillet 1876.)


Sonnets 68, 69 & 70.

Œuvres de C.-A, Sainte-Beuve. Poéſies complètes (Vie, Poéſies & Penſées de Joſeph Delorme. Les Conſolations. Penſées d’août. Notes & Sonnets. Un dernier Rêve). Paris. Alphonfe Lemerre. 1879.

Ces trois ſonnets font partie de Vie, Poéſies & Penſées de Joſeph Delorme.

Nous donnons le ſonnet imité par Sainte-Beuve, d’après The Sonnets of William Wordſworth. London : Moxon. 1838 :


Scorn vol the Sonnet ; Critic ! you have frowned,
Mindless of its just honours ; with this key
Shakspeare unlocked bis heart ; tbe melody
Of this small lute gave ease to Petrarch’s wound ;

A thousand times this pipe did Tasso sound ;
With it Camöens soothed an exile’s grief ;
The Sonnet glittered a gay myrtle leaf
Amid the cypress with which Dante crowned

His visionary brow ; a glow-worm lamp,
It cheered mild Spenser, called from Faery-land
To struggle through dark ways ; and, wben a damp

Fell round tbe path of Milton, in his hand
The Thing became a trumpet ; whence he blew
Soul-animating strains-alas, too few !


Sonnets 71, 72 & 73.

Iambes & Poëmes. Par Auguſte Barbier. Paris. Dentu, 1865.

Ces trois ſonnets ſe trouvent dans la partie du livre intitulée : Il pianto.


Sonnet 74.

Œuvres de Auguſte Brizeux. Paris. Alphonſe Lemerre. 1874-1875.

Ce ſonnet fait partie des Hiſtoires poétiques, Formes & Penſées.


Sonnet 75.

Les Filles du feu. Nouvelles. Par Gérard de Nerval. Paris. D. Giraud. 1854.

Ce ſonnet, qui a pour épigraphe : Eh quoi ! tout eſt ſenſible ! (Pythagore), ſe trouve dans Les Chimères.


Sonnets 76, 77 & 78.

Œuvres complètes de Alfred de Muſſet. Poéſies (t. II). Paris. Alphonſe Lemerre. 1876.

Muſſet ſuppoſe que le fils du Titien, Titîanello, fit le premier de ces trois ſonnets pour ſa maîtreſſe.


Sonnet 79.

Mes Heures perdues. Poéſes. Par Félix Arvers. Fournier jeune. 1833.

Ce ſonnet, tiré, pour la première fois par M. Albéric Second, d’un recueil condamné à l’oubli, eſt devenu célèbre.


Sonnets 80, 81 & 82.

Œuvres de Théophile Gautier. Poéſies (Premières poéſies. Albertus. Poéſies diverſes). Paris, Alphonſe Lemerre. 1890.

Ces trois ſonnets ſe trouvent dans Poéſies diverſes,


Sonnet 83.

Œuvres de Théophile Gautier, Poéſies (La Comédie de la Mort. Poéſies diverſes. Eſpaña. Poéſies nouvelles). Paris. Alphonſe Lemerre. 1890.

Ce ſonnet eſt dans Poéſies nouvelles.


Sonnet 84.

Œuvres poétiques de Victor de Laprade. Paris. Alphonſe Lemerre. 1878-1881.

Ce ſonnet ſe trouve dans Varia.


Sonnet 85.


Çà & là. Par Louis Veuillot… Paris. Gaume… 1860.

Ce ſonnet ſe trouve dans La Campagne, la Muſique & la Mer (livre xv, t. II).


Sonnets 86, 87, 88 & 89.

Œuvres poétiques de Joſéphin Soulary. Première partie. Sonnets (1847-1871). Paris. Alphonſe Lemerre. 1872.


Sonnet 90.

Œuvres de Louis Bouilhet (Feſtons & Aſtragales. Melænis. Dernières chanſons). Paris. Alphonſe Lemerre. 1891.

Ce ſonnet eſt dans Dernières chanſons.


Sonnets 91, 92 & 93.

Leconte de Lisle. Poèmes Barbares. Édition définitive, revue & conſidérablement augmentée. Paris. Alphonſe Lemerre. 1872.


Sonnet 94.

Leconte de Lisle. Poèmes tragiques, Paris. Alphonſe Lemerre. 1884.


Sonnets 95, 96 & 97.

Œuvres complètes de Charles Baudelaire. Les Fleurs du Mal. Paris. Alphonſe Lemerre. 1888,

Le premier de ces ſonnets ſe trouve dans Nouvelles Fleurs du Mal ; le ſecond, dans Spleen & Idéal ; le troiſième, dans La Mort.


Sonnet 98.

Œuvres de Théodore de Banville (Le Sang de la Coupe. Trente-ſix Ballades joyeuſes. Le Baiſer). Paris. Alphonſe Lemerre. 1890.

Ce ſonnet ſe trouve dans Le Sang de la Coupe.


Sonnet 99.

Œuvres de Théodore de Banville (Les Stalactites, Odelettes. Améthyſtes. Le Forgeron). Paris. Alphonſe Lemerre. 1889,

Ce ſonnet, qui fait partie des Slalactites, a pour épigraphe :


… velut inter ignes
Luna minores.

(Horace.)

M. Théodore de Banville a compoſé, comme on voit, un ſonnet en vers de quatre ſyllabes. Des poètes moins experts aſſurément que Théodore de Banville ont réuſſi à produire des ſonnets monoſyllabiques. Mais il ne s’agiſſait pas pour eux de faire une belle choſe : il s’agiſſait de combiner proſodiquement quatorze monoſyllabes de façon à conſerver un ſens à peu près intelligible. Le plus heureux de tous fut le comte Paul de Reſſéguier, l’auteur du ſonnet que voici :


ÉPITAPHE D’UNE JEUNE FILLE.


Fort
Belle,
Elle
Dort !

Sort
Frêle !
Quelle
Mort !

Roſe
Cloſe,
La

Briſe
L’a
Priſe.


Sonnets 100 & 101.

Œuvres de Théodore de Banville (Les Exilés. Les Princeſſes). Paris. Alphonſe Lemerre. 1890.

Ces deux ſonnets ſont dans Les Princeſſes. Celui de Paſiphaé eſt accompagné de cette épigraphe :


Hic crudelis timor tauri, ſuppoſtaque furto
Paſiphaë…

(Virgile. Énéide, livre vi.)


& celui de La Reine de Saba, de celle-ci : « Sa robe en brocart d’or, diviſée régulièrement par des falbalas de perles, de jais & de ſaphirs, lui ſerre la taille dans un corſage étroit, rehauſſé d’applications de couleur, qui repréſentent les douze lignes du Zodiaque. Elle a des patins très hauts, dont l’un eſt noir & ſemé d’étoiles d’argent, avec un croiſſant de lune ; — & l’autre, qui eſt blanc, eſt couvert de gouttelettes d’or avec un ſoleil au milieu. » (G. Flaubert, La Tentation de ſaint Antoine.)


Sonnet 102.

Louis Ménard. Rêveries d’un païen myſtique. Paris. Alphonſe Lemerre. 1886.


Sonnet 103.

Poéfies de André Lemoyne. 1871-1883 (I. Légendes des Bois & Chanfons marines. II. Payſages de Mer & Fleurs des Prés. III. Soirs d’Hiver & de Printemps). Paris. Alphonſe Lemerre, 1883.

Ce ſonnet, qui ſe trouve dans Soirs d’Hiver & de Printemps, eſt dédié À Duplais Deſtouches.


Sonnet 104.

Pages intimes. Poéſies, Par Eugène Manuel. Paris. Michel Lévy frères. 1866.


Sonnet 105.

Claudius Popelin. Poéſies complètes (Strophes & Couplets. Hommes & Fourmis. Hiſtoire d’avant-hier. Un livre de Sonnets). Paris. G. Charpentier & Cie. 1889.

Ce ſonnet fait partie de Un livre de ſonnets. Il offre cette particularité qu’il eſt, ainſi que le dit l’auteur, bicéſuré.


Sonnet 106.

Œuvres poétiques de Jules Breton. 1867-1886 (Les Champs & la. Mer. Jeanne). Paris. Alphonſe Lemerre, 1887.

Ce ſonnet eſt dans Les Champs & la Mer.


Sonnet 107.

Poéſies de André Theuriet. 1860-1874 (Le Chemin des bois. Le Bleu & le Noir). Paris. Alphonſe Lemerre. 1879.

Ce ſonnet ſe trouve dans Le Chemin des bois.


Sonnet 108.

Armand Renaud. Recueil intime. Vers anciens & nouveaux. Paris. Alphonſe Lemerre. 1881.


Sonnet 109.

Anthologie des Poètes français du xixe ſiècle. 1818 à 1841 (t. II), Paris. Alphonſe Lemerre. 1887.


Sonnet 110.

Œuvres de Georges Lafeneſtre. Poéſies, 1864-1874 (Les Eſpérances Paſquetta. Idylles & Chanſons). Paris. Alphonſe Lemerre. 1889.


Sonnet 111.

Sonnets & Eaux-fortes. Paris. Alphonſe Lemerre. 1869.


Sonnet 112.

Les Souvenirs. Par Albert Mérat. Paris. Alphonſe Lemerre. 1872.


Sonnet 113.

Le Parnaſſe contemporain. Recueil de vers nouveaux. Paris. Alphonſe Lemerre. 1866.

Ce ſonnet préſente cette particularité proſodique que toutes les rimes ſont féminines.


Sonnets 114 & 115.

Poéſies de Armand Silveſtre. 1866-1872 (Rimes neuves & vieilles. Les Renaiſſances. La Gloire du Souvenir). Paris. Alphonſe Lemerre. 1880.

Ces ſonnets font tirés des Rimes neuves & vieilles ; Sonnets païens.


Sonnets 116, 117, 118 & 119.

Poéfies de Sully Prudhomme. 1866-1872 (Les Épreuves. Les Écuries d’Augias. Croquis italiens. Les Solitudes. Impreſſions de la Guerre). Paris. Alphonſe Lemerre. 1872.

Ces quatre ſonnets font partie des Épreuves.


Sonnet 120.

Poéſies de Sully Prudhomme. 1872-1878 (Les Vaines tendreſſes. La France. La Révolte des fleurs. Poéſies diverſes. Les Deſtins. Le Zénith). Paris. Alphonſe Lemerre. 1879.

Ce ſonnet ſe trouve dans Les Vaines tendreſſes.


Sonnet 121.

Léon Dierx. Poéſies (1864-1872). Paris. Alphonſe Lemerre. 1872.


Sonnet 122.

La Muſe à Bibi. Par André Gill (Ouverture. Intermèdes. Finale panaché). Paris. C. Marpon & E. Flammarion.

Ce ſonnet fait partie de Finale panaché.


Sonnet 123.

H. Cazalis. L’Illuſion. Paris. Alphonſe Lemerre. 1875.


Sonnets 124 & 125.

Poéſies de François Coppée. 1869-1874 (Les Humbles. Écrit pendant le ſiège. Plus de ſang. Promenades & Intérieurs. Le Cahier rouge). Paris. Alphonſe Lemerre. 1875.

Le premier ſonnet eſt tiré des Humbles ; le ſecond, du Cahier rouge, & eſt dédié À Henry Cazalis.


Sonnet 126.

Œuvres de François Coppée. Poéſies. 1878-1886 (Contes en vers & Poéſies diverſes). Paris. Alphonſe Lemerre. 1887.


Sonnet 127.

François Coppée. Arrière-Saifon. Poéſies. Paris, Alphonſe Lemerre, 18S7.


Sonnet 128.

François Coppée. Les Paroles ſincères. Paris, Alphonſe Lemerre. 1891.


Sonnets 129, 132, 133, 134 & 135.

Anthologie des Poètes français du xixe ſiècle. 1842 à 1851 (t. III). Paris. Alphonſe Lemerre. 1888.

Le Samouraï a cette épigraphe : C’était un homme à deux ſabres.


Sonnet 130.

Le Temps, dans un des Billets du matin de M. Jules Lemaître.


Sonnet 131.

Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1890.

Avec cette épigraphe : Ecquis vivit fortunatior ? (Térence).


Sonnet 136.

Erneſt d’Hervilly. Les Baiſers. Paris. Alphonſe Lemerre. 1872.


Sonnet137.

Louiſa Siefert. Rayons perdus. Nouvelle édition. Paris. Alphonſe Lemerre. 1878.


Sonnets 138 & 139.

Anthologie des Poètes français du xixe ſiècle. 1842 à 1851 (t. III). Paris. Alphonſe Lemerre. 1888.


Sonnet 140.

Poèmes Saturniens. Par Paul Verlaine. Paris. Alphonſe Lemerre. 1866.

Ce ſonnet ſe trouve dans Melancholia.


Sonnets 141 & 142.

Les Poèmes dorés. Par Anatole France. Paris. Alphonſe Lemerre. 1873.

Le ſonnet 141 eſt dédié À Étienne Charavay.


Sonnet 143.

Jean Richepin. Les Blaſphèmes. Paris, Maurice Dreyfous. 1884.


Sonnet 144.

Jean Richepin. La Mer. Paris. Maurice Dreyfous. 1886.


Sonnet 145.

Œuvres de Paul Bourget. Poéſies. 1872-1876 (Au bord de la Mer. La Vie inquiète. Petits Poèmes). Paris. Alphonſe Lemerre. 1885.

Ce ſonnet, qui fait partie de La Vie inquiète, eſt dédié À Anatole France.


Sonnets 146, 147, 148 & 149.

Œuvres de Paul Bourget. Poéſies. 1876-1882 (Edel. Les Aveux). Paris. Alphonſe Lemerre. 1886.

Les trois ſonnets font tirés des Aveux.


Sonnets 150 & 151.

Maurice Bouchor. L’Aurore. Paris. G. Charpentier & Cie. 1884.

Ces deux ſonnets font partie de L’Idéal.


Sonnet 152.

Le journal Le Figaro, 15 mars 1891.

Th. de Banville venait de mourir le 13 mars.


Sonnet 153.

Jules Lemaître. Les Médaillons (Puellæ. Puella. Riſus rerum. Lares). 1876-1879. Paris. Alphonſe Lemerre, 1880.


Sonnet 154.

Auguste Dorchain, La Jeuneſſe penſive. Poéſies couronnées par l’Académie françaiſe. Deuxième édition… Paris. Alphonſe Lemerre. 1883.

Ce ſonnet, qui fait partie de L’Âme vierge, eſt dédié À G.-A. Hubbard'.


Sonnets 155 & 156.

Anthologie des Poètes français du xixe ſiècle. 1852 à 1866 (t. IV). Paris. Alphonſe Lemerre. 1888.


Sonnets 157 & 158.

Edmond Harauconrt. L’Âme nue. Paris. G. Charpentier & Cie. 1885.

Le premier de ces ſonnets eſt dédié À Mademoiſelle Any M. ; le ſecond, À Luigi Loir.


Sonnet 159.

Daniel Leſueur. Un Mystérieux Amour. Paris. Alphonſe Lemerre. 1886.

C’eſt ſous ce nom de Daniel Leſueur que Mlle  Jeanne Loiſeau a publié ſes romans.


Sonnet 160.

Jacques Madeleine. L’Idylle éternelle, avec une préface par Catulle Mendès. Paris. Paul Ollendorf. 1884.

Ce ſonnet eſt dédié À François Coppée.


APPENDICE

APPENDICE




LES RÈGLES DU SONNET



I


« Le ſonnet ſuit l’epigramme de bien pres, & de matière, & de meſure : Et quant tout eſt dict, Sonnet n’eſt autre choſe que le parfait epigramme de l’Italien, comme le dizain du François. Mais pour ce qu’il eſt emprunté par nous de l’Italien, & qu’il ha la forme autre que noz epigrammes, m’a ſemblé meilleur le traiter à part. Or pour en entendre l’energie, ſache que la matière de l’epigramme & la matière du Sonnet ſont toutes vnes, fors que la matière facecieuſe eſt repugnante à la grauité du ſonnet, qui reçoit plus proprement affections & paſſlions greues, meſmes chez le prince des Poëtes Italiens, duquel l’archetype des Sonnetz a eſté tiré. La ſtructure en eſt vn peu facheuſe : mais telle que de quatorze vers perpetuelz au Sonnet, les huit premiers ſont diuiſez en deux quatrains vniformes, c’eſt à dire, en tout ſe reſemblans de ryme, & les vers de chaque quatrain ſont tellement aſſis que le premier ſymboliſant auec le dernier, les deux du milieu demeurent ioins de ryme platte. Les ſix derniers ſont ſubietz à diuerſe aſſiette : mais plus ſfouuent les deux premiers d’iceux fraternizent en ryme platte. Les 4. & 5. fraternizent auſſi en ryme platte, mais differente de celle des deux premiers, & le tiers & le ſizieſme ſymbolizent auſſi en toute diuerſe ryme des quatre autres : comme tu peulx veoir en ce Sonnet de Marot.


Au ciel n’y a ne Planette ne Signe,
Qui ſi à point ſceut gouuerner l’année,
Comme eſt Lion la cité gouuernée
Par toy, Triuulſe, homme cler & inſigne.

Cela diſons pour ta vertu condigne :
Et pour la ioye entre nous demenée,
Dont tu nous as la liberté donnée :
La liberté, des threſors le plus digne.

Heureux vieillard, ces gros tabours fonans.
Le may planté, & les fiffres ſonans
En vont loüant toy, & la noble race :

Or penſe donc que ſont noz voluntez,
Veu qu’il n’eſtl rien iuſqu’aux arbres plantez
Qui ne t’en loüe, & ne t’en rende grace.


Autrement ces ſix derniers vers ſe varient en toutes les ſortes que permettent analogie & raiſon, comme tu verras en liſant les Sonnetz faictz par les ſçauans poëtes plus clairement que regle ne moy ne te pourrions montrer.

« Tant y a que le Sonnet auiourd’huy eſt fort vſité, & bien receu pour ſa nouueautc & ſa grâce : & n’admet ſuyuant ſon poix autres vers que de dix ſyllabes. »

(Art poétique françoys, pour l’inſtruction des ieunes ſtudieux, & encor peu avancez en la Poëſie Françoyfe… A Paris» Par la veuſue Françoys Regnault, à l’Enſeigne de l’Élephant. 1555. — Second liure, chap. ii, Du Sonnet.)

Cet Art poétique eſt de Thomas Sibilet.



II


       Loin ces Rimeurs craintifs, dont l’eſprit phlegmatique
Garde dans ſes fureurs un ordre didactique :
Qui chantant d’un Heros les progrès éclatans,
Maigres Hiſtoriens, ſuivront l’ordre des temps.
Ils n’oſent un moment perdre un ſujet de veuë.
Pour prendre Dôle, il faut que l’Iſle ſoit renduë ;
Et que leur vers exact, ainſi que Mezeray,
Ait fait déjà tomber les remparts de Courtray.
Apollon de ſon feu leur fut toujours avare.
       On dit à ce propos, qu’un jour ce Dieu bizarre
Foulant pouſſer à bout tous les Rimeurs François,
Inventa du Sonnet les rigoureuſes loix ;
Voulut, qu’en deux Quatrains de meſure pareille
La Rime avec deux ſons frappaſt huit fois l’oreille,

Et qu’enſuite, ſix vers artiſtement rangez
Fuſſent en deux Tercets par le ſens partagez.
Sur tout de ce Poëme il bannit la licence :
Luy-meſme en meſura le nombre & la cadence :
Deffendit qu’un vers foible y puſt jamais entrer,
Ni qu’un mot déjà mis oſaſt s’y remontrer.
Du reſte il l’enrichit d’une beauté ſuprême.
Un Sonnet ſans defauts vaut ſeul un long Poëme.
Mais envain mille Auteurs y penſent arriver,
Et cet heureux Phénix eſt encore à trouver.
A peine dans Gombaut, Maynard, & Malleville
En peut-on admirer deux ou trois entre mille.
Le reſte auſſi peu lû que ceux de Pelletier,
N’a fait de chez Sercy qu’un ſaut chez l’Epicier.
Pour enfermer ſon ſens dans la borne preſcrite,
La meſure eſt toûjours trop longue ou trop petite.

(L’Art poétique en vers. — Voy. les Œuvres diverſes du Sr Boileau Deſpréaux… A Paris, Chez Denys Thierry… m. dcci. — T. I. Chant ſecond.)



III


« Tout ſujet ne comporte pas de longs développements. Il en eſt qui, au contraire, ſont reſtreints par leur nature, & ne demandent qu’un petit nombre de vers.

« À ces ſujets-là, le ſonnet — ſorte de petit tableau au cadre rétréci — convient parfaitement. Une poéſie en deux ou trois ſtances ſemble quelque choſe d’inachevé, d’ébauché ; le poëte s’eſt arrêté tout à coup ; mais ne ſerait-ce pas que l’inſpiration lui a manqué & que le ſouffle lui a fait défaut ? Avec le ſonnet, un doute pareil ne peut pas exiſter. La penſée, formulée en vers, ſe trouve arrêtée dans un rhythme précis, qui a ſa fin voulue, & qu’on ne peut dépaſſer.

« Le ſonnet eſt donc ſurtout deſtiné à contenir une penſée, penſée profonde ou gracieuſe, qui ſe prépare dans les deux premiers quatrains, ſoit à l’aide d’une expoſition où l’action prend quelque part, ſoit à l’aide d’une métaphore, & qui ſe révèle dans le tercet final. »

(Proſodie de l’école moderne. Par Wilhem Ténint… 1844.)



IV


« Le Sonnet peut commencer par un vers féminin ou par un vers maſculin.

« Le Sonnet peut être écrit en vers de toutes les meſures.

« Le Sonnet peut être régulier ou irrégulier. Les formes du Sonnet irrégulier ſont innombrables & comportent toutes les combinaifons poſſibles. Mais en réalité, il n’y a qu’une ſeule forme de Sonnet régulier…

« Le Sonnet eſt toujours compoſé de deux quatrains & de deux tercets.

« Dans le Sonnet régulier, — riment enſemble :

« 1o Le premier, le quatrième vers du premier quatrain ; le premier & le quatrième vers du ſecond quatrain ;

« 2o Le ſecond, le troiſième vers du premier quatrain ; le ſecond & le troiſième vers du deuxième quatrain ;

« 3o Le premier & le ſecond vers du premier tercet ;

« 4o Le troiſième vers du premier tercet & le ſecond vers du deuxième tercet ;

« 5o Le premier & le troiſième vers du deuxième tercet.

« Si l’on introduit dans cet arrangement une modification quelconque,

« Si l’on écrit les deux quatrains ſur des rimes différentes,

« Si l’on commence par les deux tercets, pour finir par les deux quatrains,

« Si l’on croiſe les rimes des quatrains,

« Si l’on fait rimer le troiſième vers du premier tercet avec le troiſième vers du deuxième tercet…,

« Si enfin on s’écarte, pour ſi peu que ce ſoit, du type claſſique…,

« Le Sonnet eſt irrégulier.

« Il faut toujours préférer le Sonnet régulier au Sonnet irrégulier, à moins qu’on ne veuille produire un effet ſpécial ; mais encore dans ce cas, la Règle eſt une chaîne ſalutaire qu’il faut bénir !…

« Toutefois le Sonnet irrégulier a produit des chefs-d’œuvre, & on peut le voir en liſant le plus romantique & le plus moderne de tous les livres de ce temps, — le merveilleux livre intitulé Les Fleurs du Mal. »

(Œuvres de Théodore de Banville : Petit traité de Poéſie françaiſe. Alphonſe Lemerre, éditeur. 1891).




INDEX


INDEX DES AUTEURS




Arène (Paul), 138, 139.
Arvers (Félix), 79.
Aubigné (Théodore-Agrippa d’), 35.
Baïf (Jean-Antoine de), 18.
Banville (Théodore de), 98, 99, 100, 101.
Barbier (Auguſte), 71, 72, 73.
Baudelaire (Charles), 95, 96, 97.
Belleau (Remy), 19.
Benserade, 50.
Bertaut, 43.
Boileau-Despréaux (Nicolas), 61.
Bouchor (Maurice), 150, 151, 152.
Bouilhet (Louis), 90.
Bourget (Paul), 145, 146, 147, 148, 149.
Breton (Jules), 106.

Brizeux (Auguſte), 74.
Cazalis (Henri), 123.
Cladel (Léon), 109.
Colletet (Guillaume), 44, 45.
Coppée (François), 124, 125, 126, 127, 128.
Corneille (Pierre), 51, 52, 53, 54, 55.
Des Barreaux, 58.
Deschamps (Antoni), 66.
Des Essarts (Emmanuel), 111.
Deshoulières (Antoinette de la Garde, dame), 62.
Desportes (Philippe), 27, 28, 29, 30.
Des Roches (Catherine), 24.
Dierx (Léon), 121.
Dorchain (Auguſte), 154, 155, 156.
Du Bartas, 32.
Du Bellay (Joachim), 13, 14, 15, 16, 17.
France (Anatole), 141, 142.
Gautier (Théophile), 80, 81, 82, 83.
Gill (André), 122.
Gombauld (Ogier de), 37.
Haraucourt (Edmond), 157, 158.
Heredia (Joſé-Maria de), 129, 130, 131, 132, 133, 134, 135.
Hervilly (Erneſt d’), 136.
Hugo (Victor), 67.
Labé (Louiſe), 20, 21, 22, 23.
La Boétie (Étienne de), 25.
Lafenestre (Georges), 110.
La Fontaine (Jean de), 60.
Laprade (Victor de), 84.
Leconte de Lisle, 91, 92, 93, 94.
Lemaître (Jules), 153.
Lemoyne (André), 103.

Loiseau (Jeanne), 159.
Madeleine (Jacques), 160.
Magny (Olivier de), 26.
Malherbe (François de), 34, 35,
Malleville (Claude de), 47.
Manuel (Eugène), 104.
Marot (Clément), 2, 3,
Mellin de Saint-Gelais, 1.
Ménard (Louis), 102.
Mendès (Catulle), 113.
Mérat (Albert), 112.
Modène (Raimond de Mormoiron, comte de), 56.
Molière, 57.
Musset (Alfred de), 76, 77, 78.
Nerval (Gérard de), 75.
Passerat (Jean), 31.
Popelin (Claudius), 105.
Racine (Jean), 63.
Regnier (Mathurin), 36.
Renaud (Armand), 108.
Richepin (Jean), 143, 144.
Ronsard (Pierre de), 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12.
Rousseau (Jean-Baptiſte), 64.
Saint-Amant (de), 39, 40, 41, 42.
Sainte-Beuve (Auguſtin), 68, 69, 70.
Sarrasin, 46.
Scarron (Paul), 59.
Siefert (Louiſa), 137.
Silvestre (Armand), 114, 115.
Soulary (Joſéphin), 86, 87, 88, 89.
Sully Prudhomme, 116, 117, 118, 119, 120.
Theuriet (André), 107.

Verlaine (Paul), 140.
Veuillot (Louis), 85.
Viau (Théophile de), 38.
Voiture, 48, 49.
Voltaire, 65.




INDEX DES SONNETS






TABLE

TABLE







Paris. — Imp. A. Lemerre, 25, rue des Grands-Augustins.




  1. Colletet fut non ſeulement un poète d’une certaine valeur, mais un des plus intelligents érudits que la France ait eus. La bibliothèque du Louvre poſſédait le manuſcrit des vies de cent trente poètes français, écrites par lui ; & cet ouvrage, compoſé vers 1620, donne à Colletet le rang de père de notre hiſtoire littéraire.
  2. G. Colletet, Traité du Sonnet, p. 16. M. DC. LVIII.
  3. « Pour ce qui eſt des Sonnets de Ronſard, tout rudes qu’ils ſemblent à preſent, on peut dire que le nom, & la mémoire, n’en periront jamais au monde. »
    (G. Colletet, Traitié du Sonnet.)
  4. Colletet, Traité du Sonnet.
  5. Vies des poëtes françois, ms.
  6. Beaucoup de poètes de ce temps n’ont pas laiſſé de témoigner de l’impatience contre la tyrannie de cette mode italienne. Ainſi, La Meſnardière, dans la préface de ſes œuvres, parle des écrivains de qui les ſentiments pleins d’eſprit, & le tour ingénieux… ſont infiniment eſloignez de la baſſe & vile bouffonnerie de cét infâme & vilain Burleſque, dont tant de mauvais copiſtes des Originaux Italiens ont infecté depuis dix ans noſtre Poëſie.
  7. Il commence par ce vers :

    Eran l’aer tranquillo e l’onde chiare.

  8. Voyez le Sonnet p. 48 de ce recueil.
  9. Voyez le Sonnet p. 47 de ce recueil.
  10. On peut voir dans la première édition des Études ſur les femmes illuſtres de la ſociété du xviie siècle, par M. V. Couſin, les lettres de Mmes  de Longueville & de Biégy, à propos de la querelle des deux Sonnets.

    L’anecdote ſuivante, racontée par Tallemant au ſujet de Voiture & à propos de Sonnets, trouve naturellement ſa place ici :

    « Mme  de Rambouillet l’attrappa bien luy-meſme. Il avoit fait un ſonnet dont il eſtoit aſſez content ; il le donna à Mme  de Rambouillet, qui le fit imprimer avec toutes les précautions de chiffre & d’autre choſe, & puis le fit coudre adroitement dans un Recueil de vers imprimé il y avoit aſſez long-temps. Voiture trouve ce livre, que l’on avoit laiſſé exprès ouvert à cet endroit-là ; il lut pluſieurs fois ce ſonnet ; il dit le lien tout bas, pour voir s’il n’y avoit point quelque différence ; enfin cela le brouilla tellement qu’il crut avoir lu ce ſonnet autrefois, & qu’au lieu de le produire, il n’avoit fait que s’en reſſouvenir ; on le deſabuſa enfin, quand on en eut aſſez ry. »

  11. Charles Perrault, Les Hommes illuſtres.
  12. Viollet-le-Duc, Bibliothèque poétique.
  13. Voyez le Sonnet p. 51 de ce recueil.
  14. Dictionnaire hiſtorique & critique, par M. Pierre Bayle.
  15. Voyez le Sonnet p. 58 de ce recueil.
  16. Voyez le Sonnet p. 36 de ce recueil.
  17. Relire le Sonnet dédicatoire à la Reine Régente, en tête de Polyeucte, qui eſt d’une correction magnifique (page 53 de ce recueil). On a retrouvé dernièrement dans le Recueil de Godefroy, à la Bibliothèque nationale, un Sonnet inédit de Corneille. (Voyez Athenæum français, 2e  année.)
  18. Cette obſervation, exacte en 1856, date de la première publication de ce travail, ne l’eſt plus en ce qui touche Victor Hugo. On connaît à préſent deux Sonnets de lui : le premier eſt reproduit dans ce recueil (page 67) ; nous donnons dans les Notes & Variantes, p. 194, le ſecond intitulé Jolies Femmes.
  19. Voyez le Sonnet p. 68 de ce recueil.
  20. Voyez ce Sonnet aux Notes & Variantes, p. 165.