Le Lorgnon (Girardin)/Préface de la première édition

La bibliothèque libre.
Chapitre I  ►


PRÉFACE.


Cette préface n’est point à la mode, l’auteur ne se fait pas illusion ; d’abord elle est écrite par lui-même, tort grave dans lequel on ne tombe plus ; ensuite elle n’est pas plus longue que l’ouvrage, elle n’est pas meilleure non plus et ne prouve pas qu’il est excellent ; elle n’est point menaçante, et n’annonce pas une demi-douzaine de livres dans le même genre que l’on se propose de publier incessamment ; elle n’insulte aucun gouvernement, ni passé, ni présent, ni futur ; elle ne classe pas le mérite des auteurs contemporains, en immolant tout ce qui a obtenu du succès jusqu’à nos jours. L’auteur n’y prouve pas que ses amis seuls savent écrire, qu’eux seuls ont de l’originalité et du génie ; ce n’est pas qu’il manque d’amis spirituels, et qu’il ne soit fier de leurs talens, mais malheureusement ils se sont illustrés eux-mêmes par leurs vers sublimes, leur prose éloquente et poétique ; et leur célébrité est si grande, qu’on ne saurait pas plus prétendre à établir leur réputation qu’à y ajouter.

Le grand charlatanisme des noms propres ne sera donc pas l’intérêt de cette préface ; il n’y aura pas même l’éloge de ceux qui en doivent rendre compte dans les journaux ; nulle vanité n’y est implorée ; on n’y flatte la haine d’aucun parti, la malveillance d’aucune coterie ; c’est assez dire qu’elle sera insignifiante comme l’ouvrage.

Le but de cette préface n’est pas non plus de révéler une grande et sublime arrière-pensée philosophique qu’on a oublié de faire sentir dans l’ouvrage ; l’auteur n’a pas la prétention de faire école, d’inventer un style, de démontrer de grandes vérités morales, politiques ou littéraires ; il n’a rien voulu prouver ; il n’a rien voulu peindre ; sa manière n’est pas un système ; ses personnages ne sont pas des portraits.

Il n’a pas prétendu corriger la société, il serait au contraire désolé qu’elle changeât, car elle lui plaît telle qu’elle est, elle l’amuse, elle l’inspire, il chérit tous les ridicules qu’il découvre en elle, parce qu’ils le rassurent et l’autorisent à garder ceux qu’il a ; ridicules dont il rit lui-même avec bonhomie quand il les aperçoit.

Comme il écrit sans prétention, il veut qu’on le traite sans conséquence. Le but de sa préface est donc de déclarer qu’il a écrit ces pages pour lui-même, en s’amusant, sans projet de les publier, sans penser qu’on dût les lire ; qu’il n’y attache aucune importance : voilà tout son charlatanisme ; voilà sa seule originalité.

Ainsi donc, que ces esprits sérieux qui ne voient dans l’apparition d’un livre qu’un auteur à juger, et qui tiennent gravement le couteau d’ivoire suspendu sur son œuvre comme un glaive sur la victime, que ceux-là, dis-je, n’entreprennent point la lecture de ce livre ! il n’a pas été écrit pour eux, ils ne le comprendraient pas. Il ne s’adresse qu’à ces imaginations paresseuses qui suivent avec complaisance les rêveries du poëte, les merveilles d’un conte de fées ; qui n’analysent pas ce qui les fait rire, qui ne se font pas un remords d’avoir compris un mot que le dictionnaire de l’académie n’a pas sanctionné ; qui nous savent bon gré de publier une Nouvelle sans prétention, sans nous croire auteur pour cela, sans la corriger, comme on envoie à son ami une lettre écrite à la hâte, et qu’on ne s’est pas donné la peine de relire ni même de signer ; enfin à ces lecteurs spirituels et indulgens qui ont toujours un peu de reconnaissance pour le livre qui les a aidés à passer une heure d’attente entre une affaire et un plaisir, entre un adieu et un retour. Cette catégorie comprend les hommes qui s’ennuient et les femmes qui aiment, n’est-ce pas à peu près la moitié du monde !


Novembre 1831.