Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 3/vana-parva

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Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 3p. 33-76).


LE VANA-PARVA.



Honorez d’abord Nârâyana, et Nara, le plus grand des hommes, la déesse Sarasvatî et Vyâsa ; ensuite, récitez ce poème, qui donne la victoire !

Djanamédjaya dit :

« Quelle profonde inimitié embrassèrent, ô le plus saint des Brahmes, ces fils de Kountî, rejetons de Kourou, mes ancêtres, quand ces méchants Dhritarâshtildes, dont la tricherie les avait gagnés au jeu, eurent excité leur colère en jetant à leurs oreilles des paroles outrageantes ? 1-2.

» Comment, tombés de la puissance et si miraculeusement jetés dans la peine, les fils de Prithâ vécurent-ils dans la forêt, eux, de qui la force égalait celle de Çakra ? 3.

» Quels gens suivirent ces hommes réduits à la plus grande des infortunes ? Quelle fut leur manière de vivre ? Quelle était leur nourriture ? Où fut l’habitation de ces magnanimes ? 4.

» Comment ont passé dans le bois, éminent brahme à la haute sagesse, les douze années de ces héros, immolateurs des ennemis ? 5.

» Comment cette fille de roi, fidèle à son mari, la plus noble de toutes les épouses, cette dame si vertueuse, qui ne méritait pas de souffrir, elle, de qui la bouche ne prononça jamais que des paroles de vérité, endura-t-elle cette effroyable habitation dans un bois ? Raconte-moi tout cela en détail, hermite, qui as thésaurisé la pénitence ?

» J’ai envie d’entendre, contée par toi, brahme, la conduite de ces hommes si grands par la splendeur et la force. Assurément I ma curiosité est extrême. » 6-7-8.

Vaîçampâyana lui répondit :

Ainsi vaincus au jeu et la colère excitée par ces vicieux Dhritarâshtrides et leurs conseillers, les fils de Prithâ sortirent de la ville, qui prit son nom des éléphants. 9.

Quand ils eurent franchi la porte de l’opulente cité, les Pândouides, accompagnés de Krishna, se dirigèrent, portant leurs armes, la face tournée au septentrion. 10.

Indraséna et les autres serviteurs les suivaient, ayant rassemblé entièrement leurs épouses sur quatorze rapides chars environ. 11.

À la nouvelle qu’ils s’en allaient, les habitants de la cité, accablés de chagrins, se répandent maintes fois en blâmes sur Bhîshma, Vidoura et Drona le Gotamide ; ils se rassemblent et secouant toute crainte, ils se disent l’un à l’autre : « C’en est fait de cette race, et de nous, et de nos maisons, puisque le méchant Douryodhana veut gouverner cet empire, assisté du Soubalide, de Karna et de Douççâsana ! 12-13-14.

» C’en est fait de cette race, et des bonnes mœurs, et du juste, et de l’utile ! D’où le bonheur pourrait-il venir là où un méchant, secondé par des méchants, veut exercer l’empire ? 15.

» Douryodhana est vil, insolent, avide de richesses, sans pitié pour les sujets ; il abandonne ses amis ; il déserte la vertu ; il hait ceux qu’il devrait honorer. 16.

» Là, où Douryodhana est roi, cette terre entière n’existe plus. Eh bien ! allons aussi, tous ! aux lieux où s’en vont les fils de Pândou ! 17.

» Ces princes magnanimes, pleins de miséricorde, remplis de pudeur, couverts de gloire, adonnés à la culture de la vertu et qui ont vaincu les organes des sens, cornai des ennemis ! » 18.

Ce disant, ils se rassemblent, ils suivent tes Pândouides et tous, joignant les paumes de leurs mains aux tempes, ils disaient aux fils de Kountî et aux deux enfants de Mort : 19.

« Où irez-vous, s’il vous plaît, quand vous nous aurez abandonnés, nous laissant l’afliction en partage ? Nous vous suivrons aux lieux où vous irez ! 20.

» Un trouble violent a frappé tous nos esprits à la nouvelle que vos ennemis, bannissant toute pitié, vous avaient déloyalement vaincus. Ne veuillez pas nous abandonner, nous, vos amis dévoués, pleins d’amour, qui mettons notre plaisir en ce qui vous est utile ou agréable ! Sauvez-nous d’une entière destruction dans ce royaume, qui va gouverner le prince des Kourouides. 21-23.

» Que vos nobles personnes écoutent ! Nous définirons les vertus et les vices, en disant qu’elles sont le résultat du contact avec les influences des choses bonnes et mauvaises.

» De même que l’odeur acquise, au temps où elles prêtaient une habitation aux fleurs, communique son parfum à la terre, aux huiles, aux robes et à l’eau ; ainsi les sociétés, que l’on fréquente, donnent naissance à diverses qualités. 25-24.

» Une liaison avec les méchants est la source d’où jaillit une foule de vices ; mais une liaison journalière avec les bons est la matrice, où naissent les vertus. 25.

» Il faut donc s’unir de société avec des savants, des vieillards, des hommes bien nés, des ascètes, des gens vertueux, adonnés au calme des passions. 26.

» On doit cultiver les hommes, dont ces trois choses n’ont aucune tache : la science, l’origine et les œuvres. Il vaut mieux s’entretenir avec eux qu’avec des livres. 27.

» Tel que l’on gagne des vices par sa liaison avec des gens vicieux, tels, sans aucun effort de nous-mêmes, puissions-nous obtenir ici la vertu par notre seul commerce avec des hommes bons et doués eux-mêmes de vertus ! 28.

» Les habitudes de bonnes mœurs s’affaiblissent dans la vue, le contact, les entretiens et la cohabitation avec les gens dépravés ; et les enfants de Manou n’avancent point alors dans la perfection. 29.

» L’intelligence des hommes se rapetisse par le commerce avec des hommes vils ; elle descend à la médiocrité par la fréquentation des gens médiocres ; elle s’élève à toute sa hauteur dans une liaison avec des hommes supérieurs. 30.

» Elle s’ennoblit même dans une intimité avec les objets des sens, pourvu qu’ils ne soient pas surtout associés aux vices. Les vertus, qui dérivent de Futile, de l’amour et du juste, sont vantées dans le monde ; celles qui, recommandées par le Véda, se marient aux lois du monde, sont réputées les principales. 31.

» Nous voyons toutes les bonnes qualités réunies en vous ici-même ; et, comme le salut est le but où nous aspirons, notre vœu est d*habiter avec des hommes vertueux. » 32.

Youddhishthira de répondre à ce langage :

« Nous sommes heureux que votre amour et votre pitié pour nous tiennent enchaînés les méchants eux-mêmes ; sujets, qui avez les brahmes à votre tête, vous avez bien défini les vertus. 33.

» Accompagné de mes frères, je vous donne ce conseil à tous ; la tendresse et la compassion pour nous ne doivent pas vous engager à tenir une autre conduite. 34.

» Bhîshma, mon grand-oncle, le roi, Vidoura, ma mère et mes amis habitent pour la plus grande partie dans la ville, qui prit son nom des éléphants. 35.

» Ils sont tous de compagnie troublés par la douleur et le chagrin ; c’est à vous, de tous vos efforts, à les défendre pour l’amour du bien. 36.

» Vous êtes venus loin, retournez-vous-en ; mais cette pensée, que m’inspire la tendresse, à l’égard de mes parents, dont je vous confie le dépôt, vous devez l’accomplir, jurez-le-moi sur cette entrevue. 37.

» Cette chose est placée dans mon cœur comme la plus importante de mes affaires. Si vous l’exécutez, vous m’aurez doimé par elle honneur et satisfaction, » 38.

À cet adieu, que leur adressait le fils d’Yama, les sujets de pousser un épouvantable cri de désespoir : « Hâ ! disaient-ils de concert ; hà, sire ! hâ, roi ! » 39.

Accablés de chagrin, tombés dans une extrême défaillance au souvenir de ses vertus, ils s’en revinrent malgré eux de cette entrevue avec les fils de Pândou. 40.

Les citadins partis, les fils de Pândou montés sur leurs chars arrivent sur les bords du Gange vers un grand figuier sacrée qui portait le nom de Pramâna. 41.

Faisant halte là sur la fin du jour, les cinq héros touchent l’eau sainte et passent la nuit au pied de cet arbre. 42.

Ils habitèrent là près de l’eau toute l’absence du jour, torturés de chagrins. Quelques bratuMs y vinrent les trouver, conduits par un sentiment d’affection. 43.

Ceux-ci avaient des feux, ceux-là n’en avaient pas ; mais tous étaient suivis de leurs familles et des troupes de leurs disciples. L’auguste Youddhishthira, environné de ces récitateurs des Védas, éclatait de splendeur. 44.

À l’heure délicieuse et terrible où ces brahmes tiraient leurs feux du sommeil, il s’éleva un murmure de prières, sur lesquelles dominait le bruit des Védas. 45.

Ces brahmes éminents passèrent là toute la nuit, consolant d’une voix douce, comme le chant des cygnes, ce royal banni le plus grand des Kourouides. 46.

Quand l’aube fut venue blanchir la nuit, les hommes, qui mangent l’aumône, partirent en avant de ces princes aux travaux infatigables, qui défraient arriver bientôt sur l’orée du bois. 47.

Alors, le royal fils de Kountî, Youddhishithira leur tînt ce langage ; « Nous sommes privés de nos biens, privés de nos états, privés de toute félicité. 48.

» Nous allons dans la forêt sous le poids de la douleur, n’ayant pour viande et nourriture que des racines et des fruits. La forêt est pleine de périls ; elle est infestée par des foules de serpents et de carnassiers. 49.

» Vous y seriez sans doute, c’est mon sentiment, assiégés de misères ; et les fatigues des brahmes nuieraient ou service des Dieux. 50.

» Combien plus en souffrirais-je ! Retournes donc, brahmes, où vous conduiront vos désirs. » — « Nous nous efforcerons, sire, de marcher sur la route, que tiennent vos altesses, lui répondirent les brahmes. 51.

» Ne veuille pas nous abandonner, nous, qui te sommes dévoués et qui avons la vue des bonnes vertus ; car les Dieux environnent de leur compassion les hommes dévoués, surtout quand ce sont des brahmes, de qui le pied toujours s’appuie sur la base du bien ! » — « Brahmes, mon premier dévouement, reprit Youddhishthira, aura toujours les brahmes pour objet. 52-53.

» Mais cette ruine de mes compagnons fait mon tourment ; car d’un côté, il vous faut des fruits, des racines, des animaux pour les offrir en sacrifice ; d’une autre part, mes frères ont comme l’esprit aliéné par les peines, qui naissent du chagrin, les outrages infligés à Krishna et la perte du royaume enlevée. 54-55.

» Je n’ai pas la force d’imposer le joùg des fatigues à ces hommes rongés de tristesse. » — « Fils de Prithâ, dirent à leur tour ces brahmes, ferme ton cœur au souci des aliments pour nous. 56.

» Nous mangerons des nourritures, que nous offrirons de nous-mêmes aux Dieux ; et nous ferons descendre la félicité sur toi par nos méditations et nos prières. 57.

» Enfin nous t’amuserons avec de charmantes histoires » — « C’est ainsi ! Il n’y a là aucun doute » répondit Youddbishthira ; j’ai toujours du plaisir avec les brahmes. 58.

» Mais je me vois rejeté moi-même de cet état possible des choses : comment pourrais-je donc alors voir de mes yeux que vous vous nourrissiez tous des oblations fournies de vous-mêmes, souffrant par dévouement pour moi des maux, que vous ne méritez pas. Honnis soient les méchants Dhritarâshtrides ! » À ces mots, le roi s’assît, en gémissant, sur le sol de la terre. 59-60.

Alors un brahme nommé Çaâunaka, versé dans l’yoga et la philosophie Sânkhya, savant, qui trouvait son bonheur dans la contemplation de l’Âme suprême, adressa au monarque infortuné ces paroles : 61.

« Des milliers de sujets de chagrin et des centaines de sujets de crainte entrent tous les jours chez l’ignorant, mais non chez l’homme instruit 62.

» Les personnes douées d’intelligence et semblables à ta majesté ne s’attachent point à des choses, qui font naître beaucoup de péchés, mettent obstacle à la science et causent la ruine du salut. 63.

» En toi, sire, habite l’intelligence, que l’on dit composée de huit membres, l’ennemie de toutes les imperfections, l’alliée des Védas et des lois. 64.

» Les hommes de ta condition ne se laissent point abattre par les peines du corps et de l’âme dans les détresses, les angoisses et les infortunes de leurs parents.

» Écoute, tels qu’ils furent chantés jadis par le magnanime Djanaka, des çlokas, qui assurent la stabilité de l’âme. 65-66.

« Le monde est tourmenté par des peines, qui naissent de l’âme et du corps ; elles sont la somme de l’extension de ces deux substances. Écoute ! voici un moyen de les adoucir. 67.

» La maladie, le contact des choses désagréables, la fatigue, la privation des objets de son désir : voilà quelles sont les quatre sources, d’où naissent les peines du corps.

» Alors, pour éloigner ce qui blesse et pour empêcher d’y penser continuellement, on procède avec deux moyens de traitement à calmer la maladie et le souci. 68-69.

» Mais d’abord les médecins intelligents s’occupent de rendre la tranquillité à l’âme par des contes agréables, qui procurent du plaisir à l’homme. 70.

» En effet, tel que l’eau contenue dans un bassin est échauffée par une boule de fer, rougie au feu, ainsi le corps est consumé lui-même par les soucis de l’esprit. 71.

» Calmez donc votre âme avec la science comme on éteint le feu avec l’eau ; car, l’âme une fois calmée, le corps cesse d’être agité lui-même. » 72.

» La peine de l’âme a pour sa racine le désir, — c’est une idée reçue. — En partant du désir, l’homme arrive à s’unir avec la peine. 73.

» Le principe des peines, c’est le désir ; les craintes sont les filles du désir : la tristesse ou la joie, tout mouvement de l’âme ou du corps a pour sa cause le désir. 74.

» La passion et l’amour sont engendrés par le désir au sein de toute chose des sens : l’une et l’autre sont deux sentiments bas, s’il faut rappeler ici un antique gourou.

» Si minime que soit une faute d’amour, elle peut détruire le juste et l’utile, comme le feu dans le creux d’un arbre finit par dévorer le végétal entier avec sa racine. 75-76,

» L’homme, qui, dans la séparation, abandonne sans regret les choses et qui, dans son commerce avec elles, en distingue les inconvénients, sans haine, sans amour, s’élève à l’indifférence. 77.

» Ainsi, qu’il ne veuille pas devoir à l’accumulation de ses richesses l’attachement de ses amis et qu’il éteigne avec la science le désir, qui s’est allumé dans son corps.

» Tel que l’eau ne s’attache pas aux feuilles des lotus, ainsi le désir n’entre pas dans les hommes attentifs, qui ont vaincu leur âme, qui sont versés dans les Castras et qui sont riches de science. 78-79.

» L’homme, surmonté par le désir, est trahie en tous sens par l’amour : son désir à peine né redouble sa soif.

» Celle-ci est, dit-on, la plus criminelle de toutes les choses, elle cause un trouble continuel, elle est horrible, remplie d’injustices, enchaînée au péché. 80-81.

» Les insensés ont de la peine à s’en débarrasser ; elle ne vieillit pas dans la vieillesse de l’homme. La passion est destructive de la vie : heureux qui peut rejeter sa soif. 82.

» Elle est éternelle, elle est inhérente aux corps des hommes, elle tue les êtres comme le feu détruit le fer auquel il s’attache. 83.

» De même que le feu, allumé dans sa substance, conduit le bois à sa perte, de même sa convoitise innée mène à sa ruine l’insensé. 84.

» Le roi, l’eau, le feu, les voleurs, ses gens eux-mêmes agitent l’homme riche d’une crainte incessante, comme la peur de la mort ne cesse d’agiter les êtres, qui ont la vie.

» Tel que la chair est mangée par les oiseaux dans les airs, par les carnivores sar la terre et, dans les eaux, par les poissons : ainsi l’homme riche est dévoré de tous les côtés. 85-86.

» La fortune de certains hommes devient elle-même une misère : en effet, trop attachés à la jouissance des biens passagers, ils n’obtiennent pas les biens éternels.

» Par conséquent toutes les acquisitions de richesses, qui augmentent le délire de la convoitise, ne sont que trouble, crainte, orgueil, arrogance et misère. 87-88.

» Les doctes savent que ces peines des mortels sont les filles des richesses, lis sont en proie à de grands soucis dans l’acquisition, la conservation et la perte des biens. Mais, au lieu d’abandonner les soucis des richesses, ils se plaisent à les nourrir comme des ennemis, qui les tuent à cause des richesses mêmes. 89-90.

» On les amasse avec peine : « Il ne faut pas songer à la mort ! » se dit-on ; et, tandis que les fous s’enivrent d’une fausse joie ; les sages goûtent la joie véritable. 91.

» La soif des richesses n’a pas de fin ! Le contentement est le plus grand des plaisirs : aussi les sages regardent-ils la satisfaction comme ce qu’il y a de plus grand ici-bas. 92.

» La jeunesse, la beauté, la vie, un trésor de pierreries, la puissance, le séjour au milieu des choses agréables n’ont pas une continuelle durée : et le sage ne met point là son envie. 93.

» Il faut donc renoncer aux trésors, ou se dévouer aux soucis, qui en sont les résultats ; car on ne voit personne en possessions de grandes richesses, qui soit fr l’abri des violences : aussi la condition, que recommandent les hommes vertueux, est-elle une situation, où n’entrent pas les désirs.

» Être sans désir vaut mieux que désirer les richesses, fût-ce pour les employer même au devoir : ce n’est point en lavant de la boue, que les hommes peuvent arriver au salut. 94-95.

» Ne veuille pas, Youddhishthira, mettre aussi ton désir en toutes ces choses. Si tu veux mener une conduite assortie au devoir, garde ton âme affranchie à l’égard des richesses, » 96.

« Ce désir de richesses, lui répondit Youddhishthira, ne m’est pas inspiré, deux fois né, par le désr des jouissances, que procurent les richesses. Ce n’est point l’avarice, mais le désir de les appliquer à la nourriture des brahmes, qui me fait désirer les richesses. 97.

Comment un homme tel que je suis et qui a changé son palais pour un hermitage, ne s’occuperait-il pas de nourrir et de protéger ceux, qui ont suivi ses pas ? 98.

» Tel est en effet le partage de tous les êtres : il faut que le maître de maison donne à l'indigent, qui n’a pas d’aliments à mettre sur le feu. 99.

» Les herbes, la terre, l’eau, une parole obligeante, quatrième don : ces choses ne sont jamais refusées dans la maison des hommes de bien. 100.

» Il faut donner un lit au malade, un si^ à l’homme fatigué, de l’eau à qui a soif, des alimenta à qui a faim* Il &ut donner ses yeux » il faut donner son âme, il faut donner sa parole gracieusement dite, il faut se lever et donner son siège : c’est la loi établie pour l’éternité. 101-102.

» Qu’on se lève devant la personne qui arrive. Aller à sa rencontre, suivant l’étiquette et rendez-lui vos hommages. Le feu sacré, les taureaux saints, les parents, les hôtes, les alliés, les fils, les épouses, les serviteurs mêmes pourraient vous consumer, si vous manquiez à l’honneur, qui leur est justement dû. Que l’homme s’abstienne de manger la chair crue ; qu’il ne fasse pas tuer les animaux inutilement, et qu’il ne consacre point à sa bouche les aliments, qu’il n’a pas répandus, suivant les rites, en l’honneur de tous les êtres. 103-104.

» Qu’il sème l’offrande sur la terre, et pour les chiens, et pour les hommes dégradés, et pour les oiseaux ; car le moment du soir et du matin est attribué aux Viçvadévas. 105.

» Qu’il vive de vighasas et qu’il mange continuellement des amritas. « On appelle vighasas le reste des offrandes ; les relief du sacrifice sont appelés amritas [1]. » 106.

» Qu’il donne ses yeux, qu’il donne sa pensée, qu’il donne une parole obligeante ; qu’il suive, qu’il serve le prêtre à l’autel, et qu’il récompense par les honoraires de cinq vaches laitières le sacrifice, qu’il fait célébrer. 107.

» Quiconque donne sans regret des aliments au voyageur fatigué de sa route et qu’il n’a jamais tu, recueillera un jour une belle récompense de sa bonne action. 108.

» On dit supérieure la vertu de l’homme, qui, vivant sous le toit d’un hermitage, observe une telle conduite. Quelle est, brahme, ta pensée ? » 100.

Çaftunaka répondit :

« Hélas ! quel grand malheur ! Ce monde est divisé par la contradiction : ce qui est la bonté eu h(m fait la joie du méchant ! 110.

» Soumis au pouvoir des objets sensuels » esclaves de la passion et de la folie, l’ignorant estime beaucoup, par luxure et par gourmandise » les reliefs des offrandes ti des sacrifices, 111.

» L’homme, frappé par les séductions des objets de nos sens, est entraîné, l’âme égarée, comme le cocher par des chevaux fougueux, excités à coup d’aiguillon. 112.

» Quand les objets sensuels attirent vers eux les cinq organes des sens, l’âme se manifeste aussitôt avec l’amour, dont le germe déjà existait en elle-même. 113.

» D’abord le sens, dont l’âme se porte à savourer les objets agréables, fait sentir son appétit ; ensuite naît la conduite analogue au désir. 114.

» L’amour, né d’une semence de l’âme, le blesse avec les flèches des objets sensuels ; et il tombe dans le feu de la concupiscence, comme le moucheron, qu’attire l’éclat d’une lumière. 115.

» Puis, égarée par la fumée des mets et l’ivresse des amusements au gré de tous ses désirs, plongée dans le plaisir, qui est la source d’une grande folie, l’âme ne se reconnaît plus elle-même. 116.

» Elle subit donc au milieu du monde ioi-bas mainte et mainte renaissance, tournoyant comme un disque de guerre sous l’impulsion des appétits, des couvres et de l’ignorance. 117.

« Elle circule, renaissant mille fois dans les eaux, sur la terre, dans les airs, tantôt dans les brahmes ou les autres castes, tantôt dans les plantes, enfin dans tous les êtres. 118.

« Telle est donc la voie, où entrent les doctes et les ignorants. Écoute-moi ! Ceux, qui se plaisent à cultiver le suprême devoir, goûtent le bonheur de la délivrance. 119.

» Renonce aux œuvres ! » a dit le Véda. Obéis donc à sa parole ; mais l’orgueil ne doit pas conduire l’homme à l’accomplissement de tous ces devoirs. 120.

» Le sacrifiée, la lecture, l’aumône, la pénitence, la vérité, la patience, la répression des sens, le mépris des richesses, sont les huit branches, dit-on, entre lesquelles se partage le chemin du devoir. 121.

» Dans les anciens temps, les hommes des quatre castes, fermes dans la route du char, qui avait porté leurs ayeux au Swarga, se disaient à l’égard de ces lignes : » Il faut les suivre ! » et l’orgueil n’était pas le stimulant des choses, qu’on avait à faire. 122.

» La route sublime, où roulent les chars des Dieux, fut toujours celle, qu’ont préférée les gens de bien. Quiconque a purifié son âme doit s’engager dans le chemin aux huit branches. 123.

» Bien il advient de son absorption dans la pensée ! Bien il advient de la compression des sens ! Bien il advient de l’excellence dans un vœu ! Bien il advient de la soumission à son guide spirituel ! 124.

» Bien il advient de l’union du corps avec la nourriture ! Bien il advient de prendre en main ses livres ! Bien il advient du renoncement aux œuvres ! Bien il advient d’enchaîner la dissipation de la pensée ! 126.

» Voilà de quelle manière se conduisent les hommes, qui veulent remporter la victoire dans le monde. Passés dans la condition divine, affranchis de la haine et de l’amour, ils obtiennent la souveraine puissance. 126.

» C’est, ainsi que les Roudras, les SAdhyas, les Adityas, les Vasous et les deux Açwins, aidés par la puissance de l’yoga, ont mérité d’être en ce monde les soutiens des créatures. 127.

» Embrasse donc une éminente quiétude, fils de Kountî ; recherche la perfection au moyen de la pénitence, efforce-toi d’obtenir, puissant Bharathide, la perfection de l’yoga.

» Tu possèdes la perfection de la naissance dans les deux lignes paternelle et maternelle, tu possèdes la perfection des bonnes œuvres ; aspire à t’élever, pour la nourriture des brahmes, à la perfection par la pénitence. 128-129.

» Car les hommes parfaits savent réaliser, grâce à elle «  tous les vœux de leurs désirs. Embrasse donc la pénitence et accomplis toutes les choses, où aspire ton cœur ! » 130.

À ces paroles de Çaâunaka, Youddhishthira, le fils de Kountî, s’approche de son archibrahme et lui dit ces mots au milieu de ses frères : 131.

« Ces brahmes, qui sont parvenus à la rive ultérieure des Védas, désirent m’accompagner dans ma route ; mais je n’ai pas les moyens suffisants pour les nourrir, et cette pensée m’afflige d’une cruelle douleur. 132.

» Je ne puis me séparer d’eux et je n’ai rien à leur donner. Que dois-je faire ? Dis-le-moi, vénérable. » 133.

Dhaâumya, le plus vertueux des hommes vertueux, réfléchit un instant et, quand il a cherché une ressource dans une pensée honnête, il adresse à Youddishthira ce langage : 134.

« Jadis, à peine sorti de la création, une cruelle famine affligea tous les êtres, alors, touché de compassion pour eux comme leur père, le soleil monta au solstice d’été. absorba par ses rayons les sucs de fécondité et, descendu au solstice d’hiver, il entra dans la terre. 135-136.

» Là, devenu un champ, après qu’il eut extrait du ciel toute sa vigueur, la lune, y versant les pluies, en fit naître les plantes annuelles. 137.

» Son frère étant sorti des nuages, le soleil, arrosé par les rayons de Lunus, produisit les herbes des six saveurs, celles dont se composent les offrandes, et ce qui sert d’aliments sur la terre aux êtres animés. 138.

» Ainsi, la nourriture, qui soutient la vie des animaux, est faite du soleil ; c’est le père de tous les êtres : de donc recours à sa protection. 139.

» En effet, c’est en s’infligeant une éminente pénitence que les rois magnanimes, purifiés par la cérémonie au sortir du sein maternel, peuvent sauver leurs sujets. 140.

» C’est en s’attachant à la méditation, à la pénitence, à la contemplation que Bhîma, Kârttavîrya, Vaînya et Nahousha ont arraché leurs peuples aux serres de l’infortune. 141.

» Agis de cette manière, fils de Bharata ; embrasse saintement la pénitence, âme juste, que les œuvres ont purifiée ; et qu’elle te procure les moyens de nourrir ces brahmes. » 142.

Djanamédjaya dit :

« Comment le roi Youddhisbthira, le chef des Kourouides, s’est-il concilié en faveur des brahmes le soleil à l’aspect admirable ? » 143.

Vaîçampâyana lui répondit :

Écoute, sire, avec attention ; rends-toi pur, appliqué ton esprit ; accorde-moi un instant, je vus tout raconter, Indra des rois, sans rien omettre. 144.


VjOOQIC

Écoute, prince à la vaste intelligence, cette litanie des cent huit noms du soleil, dans l’ordre, où Dhaâumya les récita lui-même au trës-magnanime fils de Prithê : 145.

« Aum ! dit le Pieux Dhaâumaya.

» Sourya, Aryaman, Bhaga, Twashtri, le fabricateur, Poûsha, le nourricier, Arka, Savitri, Ravi, Gabhastiman, le radieux, Adja, Kâla, Mrityou, la mort, Dhâtri, Prabbâkara, l’auteur de la lumière, 146.

» La terre, l’eau, la splendeur, l’air, le vent, la voie suprême, la lune, Vrihaspati, Çoukra[2], Boudha[2], et Angâraka[2] lui-même, 147.

» Indra, Vivasvat, Dîptânçou aux rayons enflammés, Çoutcbi Çaàuri, Çanaîçtchara[2], Brahma, Vishnou, Roudra, Skanda, Varouna, Yama, 148.

» Le Feu-au-sein-des-éclairs, le Calorique-enfermé-dans-le-bois, le roi des splendeurs, le Drapeau du devoir, l’auteur des Védas, le corps des Védas, le char des Védas, 149.

» L’âge Krita, le cycle d’or, le Trétâ, l’âge d’argent, le Dwâpara, le siècle d’airain, et Kali, l’âge de fer, le creuset de toutes les souillures, la seconde, la minute, le moment, l’heure, la nuit, la veille, 150.

» L’auteur de l’année, Açvattha, la roue du temps, Vibh &vasou, la substance de la lumière, Pourousha, l’Éternel, l’Yogî, l’invisible-apparent, le sempiternel, 151.

L’inspecteur du temps, l’inspecteur des créatures, Vîçvakarma, l’astre, qui dissipe les nuages, Varouna, l’océan, le diviseur des temps, la nuée, le donateur de la vie, l’exterminateur des ennemis, 152,  » L’azyle des êtres, le souverain des êtres, le Dieu adoré de tous les mondes, celui qui crée et celui qui nourrit, le feu, le commencement de tout, l’affranchi de tout désir, 153.

» Celui, qui n’a pas de fin, Kapila, Bhânou, celui qui satisfait les désirs, l’astre, qui fait plaisir de tous les côtés, la victoire, le grand, celui, qui départ les grâces ; celui, qui arrose de ses rayons tous les éléments, 154.

» L’âme, Soupama, le commencement des êtres, l’astre à la marche rapide, celui qui soutient le souffle de vie, Dhanvantari, le médecin des Dieux, la comète, le Dieu primitif, le fils de Diti, 155.

» Le Dieu en douze personnes, le Dieu aux yeux de lotus, le père, la mère, l’aïeul, la porte du Swarga, la porte des créatures, la porte de la délivrance, le Trivishtapa, le ciel d’Indra, 156.

» Le fabricateur des corps, l’être à l’âme paisible, l’âme de tout, la bouche de la sphère, l’âme de ce qui est mobile et immobile, l’âme subtile, Maîtréya sensible à la pitié. 157.

» C’est Swayambou lui-même, qui a dit le premier cette litanie des cent huit noms du soleil, à la splendeur sans mesure et vraiment digne qu’on célèbre son nom.

» Je me prosterne devant toi, père du jour, toi, qu’adorent les Yakshas, les Pitris, les Ganas et les Dieux ; toi, que vénèrent les Siddhas, les Génies nocturnes et les Démons ; toi, de qui la splendeur égale celle du feu ou de l’or sans mélange. » 158-159.

L’homme, qui, au lever du soleil, récitera cette litanie avec recueillement, ne peut manquer d’obtenir des fils, des épouses, des amas d’or et de pierreries, la vie dans le souvenir de ses parents, la fermeté et l’intelligence ! 160.

L’enfant de Manou, qui, d’une voix pure et dévote, prononce cet éloge du plus grand des Dieux, échappera à l’océan de feux, qui dévore la forêt des chagrins, et verra s’accomplir tous ses vœux suivant les désirs de son âme. 161.

À peine Dhaâumya eut-il parlé en ces termes assortis au temps, Dharmarâdja aux vœux inébranlables, à l’esprit dompté, embrassa d’une volonté pure la plus haute pénitence, et se mit à glorifier l’auteur du jour avec des fleurs, des offrandes et des sacrifices, pour obtenir les faveurs, dont il voulait combler ces brahmes. 162-163.

Les sens réfrénés, plongé dans l’eau, son visage tourné vers le soleil, et n’ayant pour sa nourriture que le souffle du vent, le pieux roi s’absorba dans l’unification en Dieu. Ensuite, la bouche purifiée avec l’eau du Gange, l’une de ses narines close avec l’extrémité du pouce, exempt de souillure, il articula cet éloge d’une voix dévote : 164-165.

« Soleil, tu es l’œil du monde, tu es l’âme de tous les mortels, tu es la matrice de tous les êtres, tu es la règle de quiconque a des affaires. 166.

» Tu es la route de tous les raisonnements de la philosophie Sânkhya, tu es la voie suprême des yogis, tu es la porte, dont la barrière n’est jamais abaissée, tu es le chemin de ceux, qui aspirent à la délivrance. 167.

» C’est toi, qui soutiens le monde ; c’est par toi que le monde est éclairé ; c’est de toi qu’il reçoit la purification ; c’est toi, qui ôte son voile à la fraude. 168.

» Des brahmes, qui ont lu complètement les Védas, se tournent au temps fixé vers toi et ils t’adorent avec des hymnes distribués en leurs sections particulières, toi, qu’honorent les chœurs des rishis. 469.

» Les Siddhas, les Tchâranas et les Gandharvas, les Yakshas, les Gouhyakas et les Pannagas suivent ton char céleste, en sollicitant tes grâces. 170.

» Les trente-trois Dieux et les chœurs, qui montent dans les chars du ciel, et Mahéndra lui-même avec Oupéndra ont dû aux sacrifices célébrés en ton honneur de s’élever jusqu’à la perfection. 171.

» Les plus grands des Vidyâdharas, aux guirlandes de fleurs cueillies sur les divins Mandâras, composent ta cour, et voient tous leurs vœux accomplis aussitôt qu’ils ont acquitté l’adoration envers toi. 172.

» À peine ont-elles payé l’honneur, qui t’est dû, les sept troupes mystérieuses des Mânes, divines et humaines, atteignent bien vite à la prééminence. 173.

» Devenus parfaits, grâce à toi, les Vasous, les Maroutes, les Rendras, les Sâdhyas, les Marîtchitas, les Balikhilyas et les autres ont acquis l’excellence sur tous les êtres animés. 174.

» Dans les sept mondes entiers joints à celui de Brahma, il n’existe rien, je pense, qui excelle par-dessus le soleil ! 175.

» Il est d’autres natures grandes, énergiques, mais aucune ne possède une splendeur et une puissance égales* à celles, dont ta personne est douée. 176.

» Toutes les lumières sont renfermées en toi ; tu es le souverain de toutes les lumières : en toi sont la vérité, l’énergie et tous les sentiments, qui naissent de la qualité sattwa. 177.

» Viçvakarma fit de ta splendeur un tchakra au magnifique ombilic, armé duquel le Dieu à l’arc Çârnga terrassa l’orgueil des ennemis des Immortels. 178.

» Dans la saison chaude, tu enlèves par tes rayons la vigueur de tous les animaux et les sucs de toutes les herbes ; ensuite, dans la saison des pluies, tu les verses de nouveau sur la terre. 179.

» De tes rayons, ceux-ci échauffent, il en est qui brûlent ceux-là tonnent sous forme de nuages, les uns éclairent, les autres, dans la saison des pluies, se répandent en averses. 180.

» Ni feu, ni vêtement, ni couverture ne donnent autant de plaisir au monde que tes rayons, si l’on est affligé d’un vent froid. 181.

» Tu illumines de tes rayons la terre et ses treize continents : tu parcours sans compagnie pour le bien des trois mondes ta splendide carrière. 182.

» Si ton lever ne venait apporter ta lumière au monde, ses yeux seraient condamnés à la cécité, et les êtres doués de la raison ne pourraient marcher dans les routes du juste, de l’utile et de l’amour. 183.

» C’est avec l’aide de ta grâce que les castes des brahmes, des kshatryas et des vaiçyas accomplissent les cérémonies, la pénitence, les sacrifices, la prière, les offrandes, l’immolation des animaux et l’entretien du feu sacré. 184.

» Les doctes, qui ont la science des temps, te nomment le commencement et la fin de cette durée, qu’on appelle un jour de Brahma et dont la mesure est égale à un millier d’yougas. 185.

» Tu es le souversain de tous les souverains, celui des Hanous, des enfants de Manon, du monde et des Manwattaras, qui ont régné sur le genre humain. 186.

» Alors qu’est arrivée la fin du monde, ta colère vomit le feu sous-marin, et bientôt les trois mondes ne sont plus qu’une masse de cendres. 187.

» Nés de tes rayons, des nuages au cent couleurs, avec des serpents de feu et des tonnerres, couvrent sous un déluge les êtres, qui ne sont plus. 188.

» Tu divises ta personne en douze parts et tu deviens les douze Adityas. Tu sèches par tes rayons l’univers, dont tu n’avais phis fait qu’une grande mer. 189.

» On dit que tu es Indra ; tu es Vishnou ; les Boudras eux-mêmes, c’est encore toi ! Tu es le Pradjâpati, tu es Agni, tu es l’àme subtile, tu es le Seigneur, tu es l’éternel Brahman. 190.

» Tu es Hansa, le cygne du ciel, Savitri, Bbâno, l’être aux guirlandes de rayons, Vrishakapi, Vivasvat, Mihira, Poûshan, le nourricier, Mithra et Dharma lui-même. 191.

» Tu es l’astre aux mille rayons, tu es Aditya, Tapana, le roi des rayons lumineux, Mârttanda, Arka, Ravi, Soûrya, le secourable, et le père du jour. 192.

» On t’appelle Dinankara, l’auteur du Jour, le Dieu aux sept coursiers, à la chevelure de rayons, Virotchana, à la course rapide, le destructeur des ténèbres, le Dieu aux coursiers verts. 193.

» La Déesse de la fortune vient elle-même sans orgueil visiter le mortel indigent, qui t’adore pieusement à la sixième ou à la septième heure. 194.

» Les maladies, les infortunes et les soucis n’approcbent jamais des hommes, qui t’apportent un hommge avec une âme recueillie. 196.

» Quiconque a mis en toi une dévotion du cœur, exempt de toute maladie, pur de tout péché, goûte le bonheur et jouit d’une longue vie. 196.

» Maître des aliments, daigne par la foi m’en accorder, à moi, que l’envie d’exercer l’hospitalité envers tous, porte à désirer une abondante nourriture. 197.

» La tête prosternée, je salue Mâthara, Arouna, Danda et les antres, qui, tes suivants et tous armés de la foudre, sont rassemblés auprès de tes pieds ! 198.

» Je présente mon adoration à Maîtrî, sans la séparer de Kshoubhâ, et à toutes les autres mères des éléments, afin qu’elles me protègent réfugié sous leur protection ! »

Soudain le père du jour satisfait, sa personne toute flamboyante, comme le feu allumé, s’offrit aux yeux du fils de Pândou. 199-200.

« Toute chose, que tu désires, lui dit le soleil, tu l’obtiendras, quelle qu’elle soit ; et pendant sept ans, ajoutés à cinq années, je subviendrai à ta nourriture. 201.

» Prends, souverain des hommes, cette marmite de cuivre, qui t’est donnée par moi. Tant que Draâupadi se servira de ce vase, prince fidèle à tes vœux, tu en retireras la nourriture inépuisable et supérieure, que l’on prépare dans une cuisine et qui est de ces quatre sortes : légumes, viandes, fruits et racines. 202-203.

» Dans quatorze années, à compter de celle-ci, tu recouvreras ton royaume ! » À ces mots, le vénérable Dieu s’évanouit à ses regards. 204.

Quelque soit l’homme, qui, dans le silence et d’une âme recueillie, lira cette louange, s’il désire une grâce elle sera accordée par le soleil ; et la chose presque impossible, où aspirent les vœux de son cœur, il en obtiendra la possession ! 205.

À quiconque, homme ou femme, la porte continuellement sur lui ou passe chaque instant à l’écouter, il sera donné des fils, s’il désire des fils ; il aura des richesses, s’il veut des richesses ! Est-ce de la science qu’il souhaite ? il obtiendra la science ! Quiconque, homme ou femme, lit cet éloge, sans y manquer aux deux crépuscules du soir et du matin, est délivré de l’infortune, s’il gémit dans l’infortune ; est délivré des chaînes, s’il porte le poids des chaînes I Le premier, à qui Brahma lui-même donna cette louange, fut le bien magnanime Indra. 206-207-208.

Celui-ci la transmit à Nârada, de qui elle passa immédiatement à Dhaâumya. Me vint de ce dernier à Youddhishthira, qui obtint par elle l’objet de tous ses désirs.

Quiconque la récitera continuellement, remportera la victoire dans les batailles ; il acquerra d’immenses richesses. Il est purifié de tous ses péchés, il entre dans le monde du soleil ! 209-210.

Quand le soleil eut comblé de cette grâce le fils de Kountî, ce prince, versé dans la science de la vertu, sortit de l’eau, prit les deux pieds de Dhaâumya et embrassa ses frères. 211.

Il passa chez Draâupadî et, salué par elle, l’auguste fils de Pândou se mit aussitôt à faire l’expérience du vase dans la cuisine. 212.

D’abord le mets préparé, que produit sa marmite, apparaît en bien petite quantité. Ensuite la nourriture augmenté dans les quatre sortes, elle devient inépuisable, et il en tire des aliments pour tous les brahmes. 213.

Ceux-ci rassasiés, il distribua de nouvelles victuailles à ses frères et compagnons ; ensuite Youddhisthira de manger le reste, qu’on appelle le vighasa. 214.

Quand elle eut servi son repas à Youddbishthira, la petite-fille de Prishata elle-même de manger ce qui restait ; et, quand Draâupadî eut entièrement satisfait à sa faim, la nourriture cessa au fond du vase. 216.

Ainsi, grâce au don, qu’il avait reçu du soleil, cet auguste prince, aussi brillant que l’astre même, put donner au cœur des brahmes la réalisation de tous leurs désirs ;

Et, l’archibrahme les présidant, on vit célébrer, sous l’autorité des prières du Véda, les cérémonies du sacrifices suivant les phases de la lune et son passage dans les astérismes. 216-217.

Enfin et dès qu’on eut prononcé les bénédictions pour le voyage, les fils de Pândou, accompagnés de Dhaâumya, s’acheminèrent, environnés par ces troupes de brahmes, vers la forêt Kâmyaka. 218.

Après le départ des Pândouides pour les bois, le fils d’Ambikâ, aveugle éclairé par la science, commodément assis, mais tourmenté d’inquiétudes, parla en ces termes au vertueux Vidoura à l’intelligence profonde : 219.

« Ta science immaculée ressemble à celle de Râma, le petit-fils de Brighou ; tu connais ce que le devoir a de plus haut et de plus délicat ; tu es regardé comme l’égal de nous-même. Dis-moi donc, Vidoura, ce que, dans l’état actuel des choses, on peut faire de convenable à ces princes de Kourou, mes fils, afin de ramener à nous les habitants de la cité et pour empêcher qu’ils ne nous arrachent de terre avec nos racines. Parle I tu sais les choses, qui sont à faire, » 220-221.

Vidoura lui fit cette réponse :

« Le devoir, indra des hommes, est la racine du triple objet, que poursuit le cœur humain ; le sceptre même, que tu portes, a le devoir pour sa racine. Maintiens-toi dans le devoir, sire, et couvre-les tous d’une protection égale, qu’ils soient tes fils ou les fils de Pândou ! 222.

» Le devoir fut violé en pleine assemblée par des âmes iniques, dont le fils de Soubala était le premier ; et, défié à jouer, Youddhishthira, qui ne dévie jamais de la vérité, fut naguère vaincu par ton fils. 223.

» Quel moyen reste-t-il après ton imprévoyante conduite ? Ce que je trouve dans mes idées, sire, pour que ton fils, absous de sa perfidie, se tienne dans le monde sur le pied de l’honneur, le voici ! 224.

» Que les fils de Pândou rentrent en possession des biens, que leur a donnés ta majesté. Le plus grand des devoirs, sire, est celui-ci : « Que le roi se contente de ce qu’il a, et n’envie pas ce qui est à autrui ! » 225.

» Que la renommée de Kourou soit sauve ! Loin de nous la désunion des parents I Vive le devoir ! Il mourra, si tu n’agis pas de cette façon. De toutes les choses, celle, qu’il te faut regarder comme la première, c’est la satisfaction des Pândouides et le mépris de Çakouni ! 226.

» Si tu veux conserver tes fils, hâte-toi, sire, d’embrasser une telle conduite ! Agis-tu d’une autre manière, la perte de tous les Kourouides est assurée. 227.

» En effet, Arjouna et Bhîmaséna en courroux ne laisseront pas échapper un seul homme dans l’armée de leurs ennemis ! L’arc Gândiva, l’essence même du monde, appartient à ceux, qui ont pour soldat l’Ambidextre, consommé dans la science des armes. 228.

» Quelle chose est inexpugnable dans le monde à ceux.

qui ont pour soldat Bhîmaséna, doué de bras si vigoureux ? Ton fils venait à peine de naître, quand je te fis entendre une parole salutaire : 229.

« Abandonne cet enfant, disais-je, la ruine de sa famille ! Tu ne voulus pas écouter ce haut langage, qui devait la sauver, « C’est un utile conseil, ajoutai-je. Si tu ne le suis pas, tu seras dans l’avenir consumé de regrets. » 230.

» Le malheur ne tombera pas sur toi, si ton fils consent avec plaisir à rendre la monarchie aux Pândouides. Retiens ton fils, sinon par un sentiment d’affection pour eux, du moins dans l’intérêt de ta tranquillité. 281.

» Une fois comprimé ton méchant fils, rétablis celui de Pândou sur le trône de l’empire, et qu’Adjâtaçatrou, sire, affranchi des passions, gouverne justement cette terre.

» Qu’aussitôt cette révolution accomplie, tous les princes s’approchent de nous comme des vaîçyas ; et que Douryodhana, Çakouni et le fils du cocher cultivent avec amour les fils de Pândou. 232-283.

» Que Douççâsana demande son pardon au milieu de l’assemblée à Bhîmaséna et à la fille du roi Droupada. Apaise, toi ! honore Youddhishthira et restaure-le sur le trône. Interrogé par toi, quelle autre chose pouvais-je te répondre ? Si tu fais cela, sire, tu reviendras au bonheur. » 234.

Le monarque aveugle repartit :

« Tu as déjà tenu, Vidoura, ce langage ici dans l’assemblée en présence des Pândouides et de moi : est-il bon pour eux ? Est-il funeste aux miens ? Mon esprit ne sait rien comprendre à toutes ces choses. 285.

» Mais par cela même que tu Tiens me répéter maintenant Dant cette idée fixe de ton âme dans l’intérêt des Pândouides je pense que tu ne veux pas mon bien. En effet comment pourrais-je sacrifier mon fils à celui de Pândou ? 236.

» Tes fils sans doute sont aussi les miens ; mais Douryodhana est né de mon corps. Quel homme, s’il a considéré que le père et le fils ne sont qu’une seule et même chose, oserait dire : « Abandonne ton corps en faveur d’un autre ? » 237.

» Tu ne me dis rien, qui ne soit à contre-sens, Vidoura ; mais je supporte ton arrogance extrême. Reste, ou va-t-en où bon te semblera. On a beau flatter la courtisane sans mœurs, elle vous abandonne ! » 238.

À ces mots, s’étant levé précipitamment, Dhritarâshtra aussitôt entra dans ses appartements intérieurs. Vidoura eut à peine le temps de lui dire : « Il n’en est pas ainsi ! » et il courut, sire, là où il devait rencontrer les fils de ^ Prithâ. 239.

Ces rejetons de Bharata et de Pândou, ayant pour but d’habiter au milieu des bois, s’avançaient de la rive du Gange, accompagnés de leur suite, vers le Kouroukshétra.

Après qu’ils eurent fait halte près de l’Yamounâ, sur la Driçadvatî, et sur les bords de la Sarasvatî, ils cheminèrent de forêt en forêt sans quitter leur direction à l’occident. 240-241.

Ensuite, sur le rivage de la Sarasvatî, en des plaines et sur une terre sablonneuse, ils virent le bois appelé Kamyaka, cher au peuple des anachorètes. 242.

Là, ces héros, avoisinés des solitaires et consolés par eux, mirent leur habitation dans un bois rempli de volatiles et de quadrupèdes. 243.

Alors, monté sur un noble char et désireux d’obtenir la vue des Pândouides, Vidoura s’avançait vers la riche forêt Kâmyaka. 244.

Arrivé en ce lieu sur son léger véhicule, attelé de rapides chevaux, il vit le pieux Youddbishthira, assis dans un endroit solitaire avec Draâupadî, ses frères et les brahmes. 245.

Le monarque observateur de la vérité aperçut de loin Vidoura, qui s’avançait au galop et dit à son frère Bhîmaséna : « Vidoura vient nous trouver : que va-t-il nous dire ?

» Ne viendrait-il pas envoyé par le fils de Soubala, nous porter un défi au jeu ? Est-ce que le vil Çakouni voudrait encore nous gagner nos armes elles-mêmes au jeu des dés ?

» Devant quiconque me jette ce défi : « Accours ! » je n’ai point la force de reculer, Bhîmaséna. Mais, quand on doute de l’arc Gândîva, comment pourrions-nous espérer d’obtenir le royaume ? » 246-247-248.

Alors, s’étant levés, tous les Pândouides embrassent Vidoura, et, honoré par eux, l’Adjamithide entre d’une manière digne en conférence avec les fils de Pândou. 249.

Les princes interrogent sur la cause de son arrivée en ces lieux Vidoura soupirant, et celui-ci raconte avec étendue quelle fut à son égard la conduite du fils d’Ambikâ :

« Adjâtaçatrou, le roi Dhritarâshtra m’a embrassé, m’a honoré et, me couvrant de sa faveur, m’a dit : « Tiens la balance égale et fais-moi connaître ce qui, dans l’état des choses, est convenable et à mes neveux et à moi. »

» Je dis alors ce qui était digne, utile aux Kourouides, séant à Dhritarâshtra ; mais ces conseils ne réussirent pas à lui plaire. Je n’imagine pas, repris-je, autre chose de convenable. 250-251-252.

» Je l’ai dis ce qui était son bonheur le plus grand, mais le fils d’Ambikâ me ferma ses oreilles ; et, tel qu’un malade repousse les aliments, ainsi tout ce que je sus lui dire ne plut pas à mon frère. 253.

» On ne peut l’amener à son salut, comme il est impossible de conduire une femme de mauvaise vie dans la maison d’un homme bien élevé. La vérité n’est pas moins désagréable au chef des Bharatides qu’un époux sexagénaire à une vierge adolescente. 254.

» La ruine des Kourouides est certaine, sire, puisque Dhritarâshtra s’obstine à repousser le salut. Les bonnes paroles ne trouvent pas à se fixer en lui, telle que l’eau du bassin ne s’attache pas aux feuilles du lotus. 255.

» Ensuite Dhritarâshtra m’a dit avec colère : « Va-t-en, Bharatide, vers l’homme, en qui tu as foi ! Je ne veux plus de ton aide pour gouverner cette terre ou la ville ! »

» Rejeté ainsi par le roi, je suis venu, Indra des hommes, porter ces choses à ta connaissance. Rappelle à ton souvenir tout ce qui fut dit par moi dans l’assemblée. Je vais encore y ajouter ces paroles : 256-257.

» L’homme, que ses ennemis ont lié sous le joug de maux cruels, oppose à ses peines la patience, observe les temps et, s’accroissant comme un incendie faible à sa naissance, il finit par dévorer seul toute la terre. 258.

» Un roi ne donne à ses alliés aucune part de ses richesses ; mais les alliés prennent une part dans ses peines. L’appui, trouvé dans une réunion d’alliés, sire, est tel qu’il a fait dire : « L’acquisition de la terre est dans l’acquisition des alliés. » 259.

» Il faut manger par égales portions avec ses alliés comme une nourriture, fils de Pândou, la querelle, la fortune et la vérité. Un roi, qui d’abord ne méritait pas d’honneur en face d’eux, s’accroît de plus en plus sous l’influence d’une telle conduite. » 260.

Youddhishthira lui répondit :

« M’élevant à une pensée supérieure, je vais agir sans négligence, comme tu le dis ; et j’exécuterai complètement toute autre parole, qui sera opportune au temps et au lieu. » 261.

Cependant, auguste Bharatide, après que Vidoura s’en fut allé vers les fils de Pândou à l’hermitage, Dhritarâshtra à la vaste science fut tout consumé de regrets ; 262.

Et, songeant à la puissance de Vidoura, l’arbitre de la paix et de la guerre, il pensa qu’elle serait un immense accroissement pour les fils de Pândou. 263.

Agité par le souvenir de Vidoura, il vint à la porte du conseil, et, l’âme pénétrée de cette douloureuse image, il tomba en présence des Indras des rois. 264.

Dès qu’il eut repris sa connaissance et qu’on l’eut relevé du sol de la terre, le monarque adressables paroles suivantes à Sandjaya, qui s’était approché de lui : 265.

« Mon frère ! mon ami ! lui, qui est un second Dharma, visible aux yeux ! Au souvenir de lui, mon cœur est bien cruellement déchiré ! 266.

» Amène vite auprès de moi ce vertueux frère ! » Et, parlant ainsi, le souverain des hommes se lamentait pitoyablement. 267.

Ensuite, consumé de chagrin et rendu comme /ou au souvenir de Vidoura, le monarque dit encore à Sandjaya ces mots, que lui inspirait l’amour de son frère : 268.

« Va, Sandjaya ! Sache si Vidoura, mon frère, vit encore, agité par la colère, que ma cruauté alluma dans son cœur. 269.

» Jusqu’à ce jour, assurément ! ce frère savant à l’intelligence sans mesure ne m’a jamais causé une peine quelconque, si légère fût-elle. 270.

» Et c’est moi, qui l’ai précipité au fond de l’infortune, cet homme d’un esprit supérieur ! Va, docte Sandjaya ! Ramène-le moi, ou je vais abandonner la vie ! » 271.

À ces paroles du roi, qu’il reçut avec révérence, Sandjaya répondit : « Soit ! » et courut au Kâmyaka. 272.

Il arriva bientôt à la forêt, où habitaient les fils de Pândou, et vit Youddhishthira, vêtu d’une peau d’antilope, assis en compagnie de Vidoura et des brahmes par milliers ; et défendu par ses frères comme Pourandara est défendu par les Dieux. 273-274.

Sandjaya de s’avancer vers Youddhishthira et de lui présenter ses respects. Bhîmaséna, Arjouna et les deux jumeaux s’approchèrent de l’homme envoyé dans cette affaire. 276.

Le monarque anachorète demanda à l’ambassadeur commodément assis comment il se portait ; celui-ci exposa la cause de sa venue et tint ce langage : 276.

« Le roi, fils d’Ambikâ, Dhritarâhtra se souvient de toi, Kshattri : voici l’affaire ! Reviens au plus vite et rends ce monarque à la vie ! 277.

» Offre tes salutations d’adieu aux princes fils de Pândou ; et veuille bien revenir à cet ordre du lion des rois, ô le plus vertueux des enfants de Kourou ! » 278.

À ces mots, Vidoura, le sage plein de tendresse pour ses parents, se mit en route avec la permission d’Youddhishthira pour la ville, qui prit son nom des éléphants.

L’auguste Dhritarâshtra à la grande splendeur de s’écrier à sa vue : « Oh ! bonheur ! te voici revenu, prince vertueux. Oh ! bonheur ! tu ne m’avais donc pas oublié, mortel sans péché ! 279-280.

» Maintenant, toujours éveillé, le jour et la nuit, à cause de toi, je vois sans cesse ta charmante personne devant moi ! » 281.

Et d’attirer Vidoura dans son anka et de le baiser sur sa tête : « Pardonne ce qui te fut dit par moi, soupira-t-il, homme pur de toute faute ! » 282.

« J’ai déjà pardonné, sire ! Ta majesté, lui répondit Vidoura, n’est-elle pas la première des personnes, à qui mon respect est dû ? Me voici accouru plein de hâte, ne pensant qu’à jouir de ta vue. 283.

» Il y a des hommes, puissant roi, de qui la pensée est tournée vers le devoir et qui vivent dans la tristesse, plongés dans l’infortune : il ne faut pas mettre ici d’indifférence. 284.

« Les fils de Pândou sont pour toi, puissant Bharatide, au même degré qu’ils sont pour moi ; et c’est cruellement affligée que ma pensée maintenant se reporte vers eux. »

Après cette mutuelle réconciliation, les deux frères à la grande splendeur, Dhritarâshtra et Vidoura, en ressentirent une joie suprême. 286 — 286.

À peine eut-il appris le retour de Vidoura et les caresses, qu’il avait reçues du roi, l’insensé fils de celui-ci fut consumé de chagrins. 287.

Il fit appeler Douççâsana, Karna et le fils de Soubâla ; ensuite l’esprit offusqué par les ténèbres de l’ignorance, ce roi pervers leur tint ce langage : 288.

« Voici revenu le conseiller du sage Dhritarâshtra, le docte Vidoura, l’ami des fils de Pândou, l’homme, qui fût son plaisir de leur bien. 289.

» Tandis qu’il n’a point encore incliné mon père à la pensée du rappel des Pândouides, délibérez sur ce qu’il m’est utile de faire. 290.

» Si je vois jamais les fils de Kountî revenus ici, je me donnerai une phthisie en me refusant tout breuvage à moi-même, je me précipiterai dans le feu, je tournerai une arme contre moi, j’avalerai du poison ou je me pendrai ; car je n’ai pas la force de revoir ici ces riches insolents ! » 291-292.

« Pourquoi t’arrêter, sire, à ces résolutions d’enfant ? répondit Çakouni. Les Pândouides sont partis, souverain des hommes, suivant les termes de nos conventions : il n’en peut donc être ainsi que tu dis. 293.

» Tous les fils de Pândou respectent la vérité de leur parole, éminent Bharatide, et jamais ils n’accepteront, mon enfant, les paroles de ton père. 294.

» Cependant, s’ils l’acceptent et reviennent à la ville, ils auront violé tous la convention, et leur gage alors nous appartient. 295.

Tenons-nous au milieu de la scène, obéissants au désir du roi, notre chef, et tous, bien couverts, épiant une grande faute des Pândouides. » 296.

» Frère de ma mère à la grande science, reprit Douççâsana, il en sera comme tu dis ; car les pensées, que ta voix exprime, ont toujours mon approbation. » 297.

« ce Nous voyons tous notre désir en ce qui est l’objet du tien, Douryodhana, lui répondit Karna : je vois en effet, sire, que nous avons tous une même opinion. 298.

» Ces hommes délicats ne reviendront pas sans avoir accompli tout le temps exigé par nos conventions. Si leur imprudence nous les ramène, gagne-les encore au jeu ! »

À ces mots de Rama, le roi Douryodhana, de qui l’âme n’était pas extrêmement satisfaite, détourna soudain la tête. 299-300.

Karna, ayant compris ce mouvement, ouvrit ses yeux brillants de fureur et, monté au plus haut point de la colère, il dit, se glorifiant soi-même, à Douççàsana et au fils de Soubala : « Écoutez, rois de la terre, quel est mon sentiment. 301-302.

» Nous ferons tous avec nos mains de serviteurs ce qui est agréable au roi ! Ne pouvons-nous rester avec une persévérance infatigable tous en ce qui lui est agréable ? 303.

» Montés sur nos chars, les armes à la main, revêtus de nos cuirasses, allons de compagnie dans ces forêts, qu’ils habitent, tuer ces fils de Pândou ! 304.

» Tous une fois morts, une fois entrés dans la route inconnue, nous voilà débarrassés des querelles, nous et les fils de Dhritarâshtra. 305.

» Il est possible de les abattre maintenant, qu’ils sont tristes, qu’ils sont plongés dans le chagrin et qu’ils manquent d’amis : tel est mon sentiment. » 306.

Ces paroles dites, tous honorent mainte et mainte fois le fils du cocher et lui répondent : « Qu’il en soit ainsi ! »

Tous, à ces mots, prononcés avec colère, ils montent chacun dans son char et sortent de compagnie, déterminés à tuer les Pândouides. 307-308.

L’auguste Krishna-Dwaîpâyana à l’âme sainte les vit avec l’œil de sa science et, discernant la cause de lourde* part, il accourut. 309.

Le vénérable, honoré par le monde, arrêta les pas de tous les guerrieir et se rendit à la hâte au palais, où trônait l’aveugle éclairé par la science. 310.

Vyâsa lui dit :

« Dhritaràshtra aux vastes connaissances, écoute mon langage ; je vais te dire ce qui est le plus grand bien de tous les Kourouides. 311.

» Il ne m’est pas agréable, monarque aux longs bras, que les fils de Pândou soient allés dans les forêts, dépouillés par la tricherie de joueurs, qu’inspirait Douryodhana. 312.

» Les victimes, gardant le souvenir de ces vexations, fils de Bbarata, une fois la treizième année accomplie, vomiront sur les Kourouides le poison de leur colère. 313,

» Il y a plus encore : ton fils, ce méchant à la bien faible intelligence, veut, excité par l’envie de posséder seul tout l’empire, ôter la vie aux fils de Pândou, contre lesquels jamais il ne désarme sa colère. 314.

» Retiens cet insensé ! Allons ! que ton fils revienne à la paix ! Il perdra la vie, s’il veut satisfaire son désir de tuer ces nobles habitants de la forêt. 316.

» Ta majesté est bonne comme le docte Vidoura, comme Bhîshma, comme nous, et Kripa, et Drona. 316.

» La guerre avec ses parents est une chose, qui mérite le blâme, assurément ! Ainsi, monarque à la grande science, ne fais pas ce qui est injuste et déshonorant. 317.

» Ton fils, qui porte de tels sentiments à l’égard des fils de Pândou, tombera, si l’on n’y met garde, noble Bharatide, au milieu d’une grande infortune. 318.

» Mais que ton insensé fils s’en aille dans la forêt, sire, tout à fait seul et sans compagnon, vivre dans la société des Pândouides. 310.

» Là, de sa fréquentation journalière avec les fils de Pândou, naîtra l’amitié du tien ; et, s’il en arrive ainsi, puissant monarque, tu n’auras plus rien à désirer. 320.

» On dit cependant, auguste roi : « L’homme naît d’abord ; ensuite naît le caractère ; et celui-ci ne meurt pas tant que l’homme vit. » 321.

» Que pense là-dessus Bhîshma, et Drona, ou Vidoura lui-même, ou ta majesté ? On doit faire ce qui est convenable avant que le temps opportun ne vous soit échappé. » 322.

« Révérend, lui répondit le monarque aveugle, je n’ai pas approuvé le jeu à sa naissance ; mais voici, anachorète, quelle fut ma pensée : « C’est le Destin, qui m’entraîne ; il me force à consentir ! » me suis-je dit. 328.

» Ni Bhîshma, ni Drona, ni Vidoura n’ont approuvé, ni Gândhârî elle-même n’a désiré ce jeu, dont le délire fut ici la cause. 321.

» Mais l’amour naturel au cœur d’un père m’empêche d’abandonner, vénérable, qui te complais en tes vœux, mon insensé Douryodhana, sachant bien cependant qu’il nous entraine à la ruine. » 325.

» Fils de Vitchitravîrya, lui répondit Vyâsa, nous savons parfitement que ta majesté a dit la vérité : un fils est le plus grand des biens ; il n’est rien de plus grand qu’un fils. 326.

» Instruit par les pleurs, que répandait Sourabhî, Indra eut la pensée qu’un fils l’emportait sur tous les autres avantages, quelque grands fussent-ils. 327.

» Je te raconterai ici, monarque des hommes, cette haute et sublime légende, la conversation d’Indra et de Sourabhî. 328.

» Jadis, assure-t-on, Sourabhî, la mère de la race bovine se présenta, versant des larmes, dans le Tripishtapa, et toucha de compassion pour elle le monarque des Dieux.

» Pourquoi répands-tu ces pleurs, noble quadrupède ? lui dit Indra. Est-il arrivé un malheur aux habitants du ciel ? Tu ne pleures pas sans doute pour un léger accident au milieu des hommes et des Nâgas ? » 329-330.

« On ne voit nulle part un malheur, qui soit tombé sur toi, monarque des Dieux, répondit Soubarhî. C’est mon fils qui m’afflige, Kaâuçika, et c’est pour lui que je verse des larmes. 331.

» Vois cet abject laboureur, qui frappe à coups d’aiguillon mon fils, à qui manque la force, accablé sous le poids de la charrue, triste, battu, s’affaissant sur la terre. J’en suis pénétrée de compassion, roi des Dieux, et mon âme en est troublée. 332-333.

» Un autre ici, doué de vigueur, porte une charge plus grande que sa force ; là, haletant, épuisé, maigre, le cou tendu, celui-là traîne avec peine son fardeau. Je plains ce malheureux, fils de Vasou ! Maltraité, déchiré mainte et mainte fois par l’aiguillon, vois ! il n’a plus la force de voiturer ce faix pesant ! Voilà pourquoi je gémis, profondément affligée, saisie de pitié, consumée de chagrin, et noyant mes yeux de larmes. » 334-335-336.

« Tu as des milliers de fils, qui sont dans l’oppression, ma belle, reprit Indra. Pourquoi cette plainte ici, dans un seul endroit, où pâtit un seul de tes fils ? » 337.

« Si j’ai partout des milliers de fils, j’ai pour tous un égal amour, lui répondit Sourabhî ; mais la pitié, Çakra, est plus grande pour un fils, quand on en voit l’infortune. » 338.

À peine eut-il entendu ce langage, Indra, plein d’une vive admiration, comprit, enfant de Kourou, qu’un fils est plus cher que la vie même. 339.

Soudain l’adorable Pâkaçâsana de verser là une pluie torrentielle, qui mit un obstacle aux travaux du laboureur. 340.

» Aies donc, comme Sourabhî, une tendresse égale pour tous tes fils, mais une pitié plus grande, sire, pour les malheureux. 341.

» De même que Pândou était mon fils, ainsi êtes-vous mes fils, toi et Vidoura à la vaste science : c’est l’amour, qui m’inspire ce langage, mon fils. 342.

» Enfin, on te vit, rejeton de Bharata, une centaine de fils ; il naquit cinq fils à Pândou, mais dans l’infortune et plongés dans une profonde affliction. 343.

» Comment pourraient-ils vivre ? Comment pourraient-ils croître dans ces maux outre mesure ? » me disais-je. Et maintenant que les fils de Prithâ sont encore malheureux, mon âme est consumée par la douleur. 344.

» Prince, désires-tu ici la vie des rejetons de Kourou : que ton fils Douryodhana fasse la paix avec les fils de Pândou ! » 345.

Dhritarâshtra lui répondit :

« Il en est ainsi que tu nous dis, anachorète à la grande science ; je le sais bien, moi et tous ces princes. 346.

» Ta sainteté pense qu’il y a de l’orgueil dans les Kourouides ; c’est aussi, pieux anachorète, ce que m’ont dit Drona, Bhîshma et Vidoura lui-même. 347.

» Mais si j’ai mérité ta faveur, si tu as compassion des fils de Kourou, veuille bien instruire Douryodhana, mon fils à l’âme perverse. » 348.

« Voici Maîtréya, le vénérable anachorète, qui vient, sire, lui dit Vyâsa ; il a vu les cinq frères, fils de Pândou ; et c’est le désir de vous voir, qui l’amène ici. 349.

» Ce grand rishi donnera à ton fils Douryodhana, sire, des lumières conformes à la droite raison pour la paix de cette famille. 350.

» Il dira sans doute, rejeton de Kourou, ce qu’on doit faire ici ; mais, si ton fils néglige de l’accoraplir, il sera maudit par cet homme dans sa colère. » 351.

À ces mots, Vyâsa partit et Maîtréya se montra. Le monarque, accompagné de son fils, reçut respectueusement le vertueux anachorète fatigué, avec l’arghya et les autres cérémonies. Ensuite le fils d’Ambikâ, le roi Dhritarâtsthra lui dit avec modestie : 352-353.

« As-tu fait joyeusement ta route du Kouroudjângaia ? Les cinq frères, héroïques fils de Pândou, sont-ils en bonne santé ? 354.

» Est-ce que les princes de Bharata veulent rester fermes dans le traité ? La fraternité avec les fils de Kourou n’en sera-t-elle point brisée ? » 355.

« Je suis venu du Kouroudjângaia, répondit Maîtréya, en suivant le chemin des tîrthas. J’ai vu dans la forêt Kâmyaka au gré de ma volonté Dharmarâdja, habitant le bois d’anachorète, vêtue de la peau d’antilope, et coiffé de la djatâ. Une foule d’hermites, seigneur, était venu visiter ce magnanime. 356-357.

» Là, j’ai ouï raconter, grand roi, l’égarement de tes fils, le vice sous les formes du jeu, et l’immense danger, qui en était né pour vous. 358.

Alors, je suis venu, conduit par l’envie de voir les princes de Kourou ; car aucune chose n’égale raflRsctioii et l’amour, que j’ai toujours en toi, seigneur. 359.

» Il ne sied pas, sire, que tes fils, de ton vivant et du vivant même de Bhîshma, se fassent d’aucune manière l’un à l’autre un obstacle. 360.

» Insensé es-tu, sire, toi, qui as accepté cette guerre de toi-même ! Pourquoi n’as-tu pas veillé sur cette horrible calamité au moment qu’elle s’élevait. 361.

» Tu ne brilles pas, rejeton de Kourou, dans la réunion des ascètes par cette conduite, qui ressemble, sire, à celle observée dans une assemblée de voleurs. » 362.

Ensuite, ayant arrêté le roi Douryodhana, Maîtréya, le vénérable rishi, lui dit avec une voix caressante : 863.

» Douryodhana aux longs bras, le plus éloquent des êtres doués de la voix, écoute, homme éminent, je vais dire ce qui est vraiment utile pour toi. 361.

» Ne vexe pas les Pândouides, sire ! Fais ce qui est utile pour toi-même, pour les fils de Pândou, pour les Kourouides et pour le monde. 365.

» Car tous ces princes sont des héros, des guerriers vaillants ; tous ont la vie d’une myriade de grands serpents, tous sont forts avec des corps de diamant. 366.

» Tous observent le vœu de la vérité, tous ont la fierté d’hommes, tous détruisent les ennemis des Dieux, les Rakshasas, qui changent de forme à leur volonté, 367.

» De qui les principaux étaient Hidimba, Vaka et le Démon Kirmîras. Tandis que ces magnanimes couraient d’ici pendant la nuit, Bhima à l’âme terrible, orgueilleux de combats, lui, que sa force rendait le plus distingué entre les vigoureux, se tint, immobile comme une montagne, leur fermant le chemin. 368-369.

» Le tigre les tua de la mort des troupeaux, comme une vile gazelle. Vois, sire, comme tomba dans la conquête du monde sous le bras de Bhîma dans la guerre le héros Djarâsandha, qui avait la force d’une myriade de serpents. Le Vasoudévide est le parent et tous les rejetons de Prishat sont les beaux*frères de ces guerriers. 370-371.

» Quel homme, soumis à la vieillesse et à la mort, eut approche d’eux pendant une bataille ? Que la paix règne donc maintenant, éminent Bharatide, entre toi et les fils de Pândou. 372.

» Suis ma parole, sire, et ne te livre pas au pouvoir de la colère. » Tandis que Maîtréya, puissant monarque, tenait ce langage, Douryodhana, frappant de la main sa cuisse, qui ressemblait à la trompe des éléphants et, le rire sur la bouche, gravant des lignes avec la pointe du pied sur la terre, restait là sans répondre un seul mot, la tête baissée à terre, et semblait ne rien comprendre.

À la vue de Douryodhana, qui ne voulait rien entendre et qui écrivait sur le sol de la terre, la colère saisit Maîtréya ; et, sous le pouvoir du ressentiment, le plus vertueux des anachorètes, poussé par le Destin, appliqua son esprit à la pensée de le maudire. Il toucha l’eau de sa bouche et, les yeux rouges de colère, Maîtréya de lancer une imprécation sur le Dhritarâshtride à l’âme méchante :

« Puisque, sans faire aucune attention à moi, tu ne veux pas suivre ma parole, reçois à l’instant même le fruit de cet orgueil. (De la 373e stance à la 378e.)

» Il s’élèvera un grand combat, dont tu subiras l’oppression : là, ce vigoureux Bhîma, sous les coups de sa massue, brisera ta cuisse. 379.

À peine eut-il articulé cette parole, le monarque de la terre, Dhritarâshtra de supplier l’anachorète : « Qu’il n’en soit pas ainsi ! » 380.

Maîtréya dit :

« Si ton fils revient à des sentiments de paix, c’est alors, sire, que la malédiction n’aura pas lieu ; mais, dans le cas contraire, il en sortira son effet. » 381.

Le père de Douryodhana, l’Indra des rois, tenant ses yeux fixés sur Maîtréya, lui dit : « Comment Kirmîra est-il tombé sous les coups de Bhîma ? » 382.

« Je ne te le dirai pas, lui répondit Maîtréya, car ton fils ne veut pas en écouter davantage. Mais voici Vidoura ; il te racontera tout, quand je serai parti. » 383.

À ces mots, il s’en alla comme il était venu, et Douryodhana sortit, tout troublé par la mort de Kirmîra. 384.


  1. Cet entre-guillemet n’est-il pas évidemment une simple note de caligraphe, qui de la marge est passée mal à propos dans le texte même.
  2. a, b, c et d Les planètes de Vénus, Mercure, Mars et Saturne.