Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap23

La bibliothèque libre.
Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 147-153).


CHAPITRE XXIII


COMBAT GÉNÉRAL


Argument : Douryodhana rallie ses soldats. Grande bataille. Exploits de Dharmarâja. Douryodhana envoie sept cents chars contre lui. Çikhandin secourt Youdhishthira. Présages funestes. Combat. Fuite des Kourouides. Çakouni les rallie et attaque l'arrière-garde Pândouide. Youdhishthira envoie Sahadeva contre lui. Combat de Sahadeva et de ses troupes contre Çakouni et les siens qui sont battus.


1179. Sañjaya dit : Un combat terrible, formidable, ayant lieu ainsi, l’armée de ton fils y fut taillée en pièces par les Pândouides :

1180. Cependant, ton fils, au moyen d’efforts énergiques, ayant arrêté (la fuite des) grands guerriers, combattit l’armée des fils de Pândou.

1181. Les soldats retournèrent précipitamment au combat, désireux (de voir) ton fils (remporter) la victoire. Dès qu’ils se furent retournés, le combat fut très violent,

1182. Entre les tiens et les ennemis, et semblable à celui des dieux contre les asouras. Ni dans ton armée, ni parmi les ennemis, personne ne tourna le dos.

1183. (Les guerriers des deux partis) combattaient les uns contre les autres, (en se reconnaissant) d’après les conclusions (qu’ils tiraient des diverses circonstances), et d’après (renonciation) des noms (qu’ils entendaient prononcer). Il se fit une grande destruction de ces (soldats), qui se combattaient mutuellement.

1184. Alors le roi Youdhishthira, animé d’une grande colère, désirant vaincre dans le combat les Dhritarâshtrides avec leur roi,

1185. Après avoir atteint le Çaratvatide de trois (flèches) aiguisées sur la pierre et à l’extrémité postérieure dorée, tua de quatre nârâcas les chevaux de Kritavarman.

1186. Mais Açvatthâmam emmena le glorieux fils de Hridikâ, et le Çaratvatide blessa Youdhishthira de huit traits .

1187. Alors le roi Douryodhana envoya sept cents chars à (l’endroit du) combat, où (se trouvait) le roi Youdhishthira Dharmapoutra.

1188. Rapides comme le vent ou la pensée, les chars munis de leurs guerriers accoururent au combat contre le char du fils de Kountî.

1189. Ayant environné de toutes parts Youdhishthira, ils rendirent par (la multitude de) leurs flèches, le soleil invisible, comme (si) des nuages (l’eussent caché).

1190. Les chars (des ennemis) ayant Çikhandin à leur tête, exaspérés à la vue de Dharmaràja réduit à cette (extrémité) par les Kourouides, ne supportèrent pas (patiemment ce spectacle).

1191. (Les guerriers) pourvus de chars (attelés) d’excellents chevaux, couverts de multitudes de clochettes, vinrent protéger Youdhishthira, fils de Kountî.

1192. Alors, entre les Kourouides et les Pândouides, eut lieu un combat formidable, où le sang coula comme de l’eau, et qui enrichit l’empire d’Yama.

1193. Ayant détruit les sept cents chars Kourouides qui attaquaient (leur roi), les Pândouides avec les Pâñcâlas assaillirent de nouveau (ton armée).

1194. Il se livra en ce lieu un grand combat entre ton fils et les Pândouides ; nous n’en avions jamais vu ni entendu raconter un pareil.

1195. Une grande et impitoyable bataille ayant lieu de toutes parts, les guerriers, (tant) les tiens que les autres étant tués,

1196. Les combattants poussant des cris, les excellentes conques étant remplies (de vent), des rugissements étant poussés, accompagnant le grondement des archers,

1197. Le combat étant devenu très acharné, et les parties vitales (des guerriers) étant tranchées, les combattants courant, avides de la victoire, ô vénérable,

1198. La destruction, origine des chagrins, s’étendant de toutes parts sur la terre, (destruction) qui s’accompagne (de la possibilité) d’enlever par les cheveux beaucoup de femmes (veuves), des plus distinguées, (parce qu’elles n’ont plus de maris pour les protéger),

1199. Alors, le combat étant devenu terrible et impitoyable, des présages épouvantables apparurent dans le ciel et sur la terre.

1200. 1201. La terre avec ses montagnes et ses forêts fut remplie de bruit et trembla. Des météores, avec des manches, et des tisons éparpillés de toutes parts tombèrent du ciel sur la terre, après avoir choqué le disque du soleil. On vit des tourbillons de vent, au dessous (desquels tombait) une pluie de pierres.

1202. Les éléphants versaient des larmes et étaient agités d’un fort tremblement. N’ayant aucun égard à ces terribles et horribles présages,

1203. Les Kshatriyas, désireux d’aller au Svarga, s’étant de nouveau concertés en vue du combat, libres de tout souci, se tinrent fermes à Kouroukshhetra (le champ de Kourou), (poste) bon et charmant.

1204. Alors, Çakouni, fils du roi de Gândhâra, dit aux guerriers : combattez en avant, moi, je vais tuer les Pândouides par derrière.

1205. Puis (pendant que) nous allions ensemble en avant, les énergiques guerriers de Madra, pleins de joie, poussèrent le cri de Kilâkila ; (nos) adversaires (le poussaient) aussi.

1206. Mais les adroits (Pândouides), à l’attaque desquels il est difficile de résister, (nous) assaillirent de nouveau en (nous) couvrant d’une pluie de flèches.

1207. Et l’armée de Douryodhana, ayant vu celle du roi de Madra tuée par les ennemis, tourna encore le dos.

1208. Mais alors, le fort roi de Gândhâra dit de nouveau : « Retournez. Vous ne connaissez pas vos devoirs. Combattez. À quoi vous sert de fuir ? »

1209. Ô excellent Bharatide l’armée du roi de Gândhâra était de dix mille cavaliers combattant avec de grands javelots.

1210. L’armée Pândouide était attaquée par cette armée qui, l’ayant assaillie par derrière, tuait ses guerriers avec ses flèches aiguës.

1211. Cette immense armée des Pândouides était divisée (en tronçons), comme (l’est) un nuage poussé par le vent dans toutes les directions.

1212. Alors l’énergique Youdhishthira, voyant (près de lui) son armée rompue, excita le très fort Sahadeva (en lui disant) :

1213. Ce très puissant fils de Soubala, revêtu de ses armes, après avoir broyé notre arrière-garde, tue nos armées. Ô fils de Pândou, vois sa méchanceté18

1214. Va, et avec les fils de Draupadî, vaincs Çakouni, fils de Soubala, (pendant que) moi, accompagné des Pâñcâlas, je détruirai l'armée des chars, ô homme sans péché.

1215. Que tous les éléphants et les chevaux, ainsi que trois mille fantassins t’accompagnent. Entouré de ces (forces), triomphe de Çakouni.

1216. Alors sept cents éléphants couverts (d’hommes) l'arc à la main, cinq milliers de chevaux, et l'héroique Sahadeva,

1217. Trois mille fantassins et les fils de Draupadî, attaquèrent de tous côtés Çakouni, enragé au combat.

1218. Alors le majestueux fils de Pândou, avide de la victoire, ayant vaincu le fils de Soubala, tua son armée par derrière.

1219. Les énergiques cavaliers Pândouides irrités, après avoir vaincu la division des chars, pénétrèrent dans l’armée du Soubalide.

1220. Ces héros se tinrent là, au milieu du combat, montés sur leurs chevaux, et couvrirent d’un nuage de flèches la grande armée du fils de Soubala.

1221. Ô roi, ce grand combat livré par les héros armés de javelots et de massues levées, était causé par ton imprudence.

1222. Le bruit des cordes des arcs cessait (de se faire entendre). Les maîtres de chars devenaient spectateurs (de la lutte) ; on ne pouvait en vérité distinguer la différence (qui pouvait exister entre la valeur) des tiens et (celle) des ennemis.

1223. Ô excellent Bharatide, les Kourouides et les Pândouides voyaient, semblable à une pluie d’étoiles, la chute des piques lancées par les bras des guerriers.

1224. Ô maître des hommes, çà et là le ciel resplendissait, rempli des lances brillantes, volant ensemble.

1225. Ô roi le plus grand des Bharatides, les javelots volants dans l’atmosphère, avaient l’aspect de (nuées de) sauterelles.

1226. Les chevaux, frappés par les flèches, tombaient par centaines et par milliers, tous les membres baignés de sang.

1227. Se frappant mutuellement en s’approchant les uns des autres, on les voyait, blessés, vomissant le sang par la bouche,

1228, 1229. Le ciel, rempli de la poussière (élevée par) l’armée, présentait une obscurité terrible ; ô dompteur des ennemis, je vis ces chevaux et ces hommes s’éloignant de ce lieu, et d’autres, vomissant beaucoup de sang, abattus sur la terre couverte de poussière.

1230. Les hommes, serrés tête contre tête, ne pouvaient se mouvoir. Les très forts (guerriers) s’arrachaient les uns les autres du dos de leurs chevaux ;

1231. Se tuant réciproquement, comme des lutteurs qui se sont empoignés. Là, de nombreux (combattants) que la vie avait abandonnés, étaient emportés par leurs chevaux.

1232. Et on voyait, tombés à terre, beaucoup d’autres hommes à l’âme héroïque, jadis désireux de la victoire,

1233. On apercevait la terre couverte de centaines et de milliers (de corps) souillés de sang, ayant les mains coupées et les cheveux arrachés.

1234. Il n’était possible à aucun cheval d’aller loin sur le sol de la terre, couvert de coursiers tués, avec leurs cavaliers,

1235. De (guerriers) revêtus de leurs armures arrosées de sang, de (soldats) terribles, porteurs d’armes de diverses sortes, ayant saisi leurs épées, tenant leurs armes levées, et désireux de la victoire.

1236, 1237. Ô maître des hommes, Çakouni, fils de Soubala, après avoir combattu un instant avec ces guerriers qui étaient très proches (de lui) et dont la plus grande partie était tuée, s’approcha (du gros de notre armée, en s’éloignant) de là, avec six mille chevaux qui (lui) restaient.