Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap39

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 261-267).


CHAPITRE XXXIX


LÉGENDES SARASVATIENNES


Argument : Les sept Sarasvatîs. Origine de leurs noms. Sacrifice de Pitâmaha. Le tîrtha Saptasârasvata. Légende de Mankanaka. Causes de sa danse. Indignation des dieux. Colloque de Mahâdeva et de Mankanaka, fils de Soukanyâ et du vent.


2186. Janamejaya dit : Pourquoi (dit-on) Saptasârasvata ? Qu’est-ce que le mouni Mankanaka ? Pourquoi ce vénérable est-il saint, et quel était son ascétisme ?

2187. De quelle famille était-il et qu’a-t-il étudié, ô le meilleur des brahmanes ? Je désire l’entendre raconter dans les règles, ô le plus grand des (hommes) à la double naissance.

2188. Vaiçampâyana dit : Il y a sept Sarasvatîs (rivières) par lesquelles le monde est parcouru. Car la Sarasvatî fut appelée en différents lieux par les puissants, (et vint à leur appel). Ces sept Sarasvatîs sont :

2189. La Souprabhâ (au bel éclat), la Kâncanâkshî (aux yeux d’or), la Viçâlâ (grande), la Manoramâ (charmante) ; la Sarasvatî est (encore) l’Oghavatî (qui a des flots), le Sourenou (qui a un beau sable), la Vimalodakâ (aux eaux sans tache).

2190. Le grand Pitâmaha (ancêtre du monde, Brahma) offrait un grand sacrifice, dont l’emplacement était étendu. Il y avait là d’excellent brahmanes.

2191 . Les souhaits de bonheur et les chants purs des Védas (rendaient) les dieux eux-mêmes attentifs aux règles du sacrifice

2192, 2193. Et même, ô Indra des rois, Brahma, l’arrière grand-père du monde, s’étant préparé, pendant qu’il offrait le sacrifice (capable de) combler tous les désirs (de l’univers), les objets auxquels songeait l’esprit des brahmanes, s’approchaient (à l’instant) de ces hommes experts en ce qui concerne les règles (sacrifîcatoires).

2194. Les Gandharvas chantèrent et les Apsaras dansèrent, faisant tout d’un coup résonner de divins instruments de musique.

2195. Les divinités mêmes furent satisfaites de l'abondance du sacrifice, et les êtres nés d’une matrice humaine éprouvèrent un étonnement suprême.

2196. Pendant que le sacrifice avait lieu, Pitâmaha (l’ancêtre Brahma) se tenant à Poushkara, les rishis disaient : ce sacrifice n’a pas une grande valeur,

2197. Puisqu’on n’y voit pas la Sarasvatî, la meilleure des rivières. En entendant cela, Bhagavant, avec satisfaction, se souvint de la Sarasvatî.

2198. La Sarasvatî fut convoquée, sous le nom de la Souprabhâ, par Pitâmaha qui sacrifiait à Poushkara,

2199. Les mounis, qui avaient hâté (sa venue), furent heureux de voir la Sarasvatî rendre hommage à Pitâmaha, et pensèrent que le sacrifice était de haute importance.

2200. C’est ainsi que la Sarasvatî, la meilleure des rivières, vint à Poushkara, en vue (d’obéir aux ordres de) Pitâmaha et pour la satisfaction de ces rishis.

2201. Ô roi, des mounis se réunirent à Naimisha. De merveilleux récits védiques étaient faits (par eux), ô Janamejaya.

2202. Dans ce lieu, où ces mounis qui s’étaient réunis, faisaient divers récits sacrés, ils pensèrent à la Sarasvatî.

2203, 2204. Or, cette heureuse et salutaire Sarasvatî, à laquelle pensaient ces rishis, qui offraient un sacrifice, désireuse de (jouir de) la présence de ces magnanimes, ô Indra des rois, apparut là à ces Mounis, pendant qu’ils sacrifiaient. C’est la Kânkshanâksî.

2205. Arrivée là, la meilleure des rivières fut honorée (par ces rishis), ô Bharatide. Gaya offrant un grand sacrifice chez les Gayas même 15

2206. La Sarasvatî, la meilleure des rivières, fut convoquée au sacrifice de Gaya. Les rishis, aux vœux parfaits, la nommèrent la Viçâlâ (grande) de Gaya.

2207, 2208. Cette rivière, au cours rapide, découle des flancs de l’Himalaya. De même, quand le magnanime Auddâlaki (Çvetaketou) offrit son sacrifice, ô Bharatide, un grand cercle de mounis étant rassemblé de toutes parts dans la partie nord du pays de Kouçala,

2209. La Sarasvatî, la meilleure des rivières, jadis convoquée par Auddâlaki offrant un sacrifice, vint dans leur pays, à cause du rishi.

2210. Honorée par la troupe des Mounis revêtus de peaux et de vêtements d’écorce, elle fut nommée la Manoramâ (charmante). Car elle avait, dans leur esprit, reçu cette qualification,

2211. C’est le Sourenou, dans l’île Rishabha habitée par les râjarshis (rois sages comme les rishis) 16 Quand le magnanime Kourou offrit un sacrifice à Kouroukshetra,

2212-2215. L’heureuse Sarasvatî, la meilleure des rivières, aux eaux divines, convoquée à Kouroukshetra par le magnanime Vasishtha, ô Indra des rois, vint (à son appel sous le nom de) l’Oghavatî. La Sarasvatî, qui s’avance avec un courant rapide, fut appelée Sourenou par Daksha, qui offrait un sacrifice sur les bords de la Gangâ. La vénérable, convoquée encore (sous le nom de) Vimalodâ (qui a des eaux sans taches) par Brahma qui offrait un sacrifice sur le mont sacré de l’Himalaya, vint en ce lieu. Puis (ces sept rivières) se sont réunies ensemble dans ce tîrtha.

2216. C’est pourquoi ce tîrtha, dont le nom s’étend par toute la terre fut appelé Saptasârasvata (provenant des sept Sarasvatî). Je t’ai ainsi indiqué par leurs noms les sept Sarasvatî,

2217-2219. Je t’ai aussi fait connaître le salutaire tîrtha Saptasârasvata. Ecoute maintenant, ô roi, la grande joie de Mankanaka qui pratiquait une chasteté perpétuelle. Se baignant dans la rivière, il vit dans l’eau une femme nue comme la main, au corps sans défaut, à l’âpanga (commissure externe des yeux) brillant, qui s’y baignait (aussi) à sa fantaisie, ô Bharatide. (À cette vue), ô grand roi, la semence virile lui jaillit dans l’eau de la Sarasvatî.

2220. Mais cet homme au grand ascétisme, reçut cette semence dans une aiguière, et ce qui se trouva dans ce vase se divisa en sept parties,

2221, 2222. D’où naquirent les sept rishis Vâyouvega (qui a la rapidité du vent), Vâyoubala (qui a la force du vent), Vâyouhan (qui tue le vent), Vâyoumandala (tourbillon de vent), Vâyoujvala (qui a le vent pour flamme), Vâyouretas (semence du vent) et l’héroïque Vâyoucakra (qui a l’empire du vent). Ces (sept) procréateurs des vents furent engendrés ainsi.

2223. Ô roi, écoute attentivement le prodige le plus merveilleux, (qui ait été produit) sur la terre, (prodige) célébré dans les trois mondes, tel qu’il fut accompli par le grand rishi.

2224. On raconte que jadis Mankanaka, qui avait acquis la perfection, se blessa à la main avec la pointe d’un brin de kouça, ô roi. Une sève végétale en coula (au lieu de sang).

2225-2227. À la vue de cette sève, il fut rempli de joie et se mit à danser. Alors, comme il dansait, tout ce qui était mobile et tout ce qui était immobile (autour de lui), n’hésita pas à se mettre à danser (aussi, entraîné et comme) rendu fou par son énergie, ô héros. Mahâdeva fut prié par les dieux, Brahma en tête, ô roi, et par les rishis voués à l’ascétisme, (de mettre ordre) à ce que faisait ce rishi. (Ils lui dirent) : « Tu dois, ô dieu, l’empêcher de danser. »

2228. Le dieu Mahâdeva, voyant le mouni extrêmement joyeux, lui dit, pour être agréable aux (autres) divinités :

2229, 2230. Oh ! oh ! brahmane qui connaît les devoirs, pourquoi danses-tu ? De quelle espèce est la cause de la joie excessive qui t’anime, toi qui suis la voie de l’ascétisme, ô le plus grand des brahmanes ?

2231. Le rishi répondit : Vois donc, ô Brahma, la sève coulant de ma main. À sa vue, saisi d’une grande joie, je me suis mis à danser.

2232. Le dieu se mit à rire et dit au mouni égaré par la passion, je ne m’étonne pas (de ta joie), regarde-moi.

2233. Ô Indra des rois, le pouce (de Mankanaka) fut frappé du bout du doigt par le sage Mahâdeva, qui venait de parler ainsi au plus excellent des hommes.

2234. Alors, ô roi, il sortit de la blessure, de la cendre semblable à de la neige. Ô roi, ce mouni, envoyant cela, fut rempli de honte et (tomba) aux pieds (du dieu).

2235. Il pensa que c’était le dieu Mahâdeva et dit, dans son étonnement : « Je ne crois pas qu’il y ait un autre grand qui soit supérieur au dieu Roudra.

2236. Ô porteur de la lance, tu es la voie du monde, y compris les dieux et les Asouras. Les sages disent qu’il a, tout entier, été créé par toi.

2237. Tout rentre dans toi, à la fin du monde. Tu ne peux pas être connu par les dieux, comment (donc le serais-tu) par les hommes ?

2238. On voit en toi tous les êtres qui sont dans l’univers. Tous les dieux, Brahma en tête, s’approchent (avec respect) de toi, ô Varada (qui comble les désirs) sans péché.

2239. Tu es tout. C’est toi qui as créé et qui fais agir les dieux. Grâce à toi, toutes les divinités (n’ayant à craindre) de dangers d’aucune part, se livrent à la joie. »

2240. Ce rishi, après avoir loué Mahâdeva, s’était incliné : « Ô dieu, dit-il, cette agitation à laquelle je me suis livré a été causée par l’étonnement (que j’ai éprouvé) 17

2241. Je te demande donc que mes mérites ascétiques n’en soient pas diminués. » Le dieu, dont l’esprit était satisfait, répondit au rishi :

2242. Que tes mérites ascétiques, ô brahmane, s’accroissent mille fois de mes faveurs. Je m’entretiendrai toujours avec toi, ici, dans cet ermitage.

2243. Rien ne sera difficile à obtenir ici-bas, ni dans l’autre monde, pour l’homme qui m’honorera dans ce (tîrtha) Saptasârasvata.

2244, 2245. Il ira (après sa mort) au monde Sarasvatien. Cela ne fait aucun doute. Voilà ce que fit le très énergique Mankanaka, fils de Soukanyâ et du Vent.