Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap53

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 355-358).


CHAPITRE LIII


LÉGENDES SARASVATIENNES


Argument : Ascétisme de la fille de Garga le manchot. Elle reste fille. Elle veut mourir et aller au Svarga, mais Nârada lui dit qu’elle ne le peut pas, n’ayant pas été mariée. Elle offre la moitié de ses mérites à celui qui voudra l’épouser. Prâkçringavant accepte à condition de ne passer qu’une nuit avec elle. Elle l’épouse et meurt. Son mari la regrette et trépasse à son tour. Halâyoudha apprend le désastre des Kourouides.


2979. Janamejaya dit : Ô adorable, comment, jadis exista-t-il une fille ascète ? Pourquoi pratiqua-t-elle l’ascétisme, et en quoi consistèrent ses austérités ?

2980. J’ai (commencé) d’entendre de toi (le récit de) ses austérités que rien ne saurait dépasser. Raconte-moi tout ce qu’il en est, et comment elle a pratiqué l’ascétisme.

2981, 2982, Vaiçampâyana dit : Il y avait, ô roi, un rishi très glorieux, au grand ascétime, appelé Garga le manchot. Après avoir pratiqué de grandes austérités, ce maître engendra, par la pensée (seule), une fille aux beaux sourcils. Le très glorieux mouni Garga le manchot, l’ayant vue, (en fut) très satisfait,

2983. (Et) alla au Tridiva en laissant son corps ici-bas, ô roi. Cette charmante femme aux beaux sourcils, aux yeux semblables à des fleurs de lotus,

2984. Irréprochable, étant entrée dans la vie ascétique par de grandes et terribles austérités, honorait jadis les pitris et les dieux par le jeûne.

2985. Or, ô roi, elle passa un long temps dans un ascétisme rigoureux. Cette femme irréprochable, quoique accordée par son père, ne voulait pas se marier.

2986. Elle ne voyait pas, (dans le monde entier), un mari digne d’elle. Ayant fatigué son corps par de terribles austérités,

2987. Elle se plut à adorer les pitris et les dieux, dans le bois solitaire. Se considérant comme ayant atteint son but, fatiguée,

2988. Affaiblie par la vieillesse et par l’ascétisme au point de ne pouvoir mettre un pied devant l’autre,

2989. Elle songea à passer dans l’autre monde. Mais Nârada, la voyant désirer la délivrance (finale), lui dit :

2990. « Ô femme sans péché, comment les mondes supérieurs t’échoiraient-ils, à toi, qui (es restée) fille et ne t’es pas mariée ? Voilà ce que nous avons entendu dire dans le monde des dieux, ô femme aux grands vœux.

2991. Tu as pratiqué un grand ascétisme, mais tu n’as pas conquis les mondes (supérieurs). » Après avoir entendu cette parole de Nârada, elle dit dans l’assemblée des rishis :

2992. 2993. « J’offre la moitié de mon ascétisme à un époux (qui voudra me donner la main), ô excellents. » Quand elle eut ainsi parlé, le rishi Prâkçringavant, fils de Gâlava, lui prit la main et lui fit cette proposition : « Ô pure, je consentirai à toucher aujourd’hui ta main,

2994. Si je dois passer avec toi une seule nuit. » - « Soit », répondit-elle, après avoir entendu (ce qu’il lui avait dit), puis elle lui donna la main.

2995. Et après avoir sacrifié au feu selon les régies prescrites, le fils de Gâlava fit le pâuigraha (cérémonie de lui prendre la main en signe de mariage), et l’épousa.

2996. Ô roi, celle-ci, pendant la nuit, lui prodigua sa tendresse et prit la forme d’une belle femme parée d’ornements et de vêtements divins, d’onguents et de parfums célestes.

2997. Le fils de Gâlava fut heureux en la voyant brillante de beauté. Il passa une seule nuit (avec elle). Au point du jour elle lui dit :

2998. « Ô brahmane, le meilleur de ceux qui pratiquent l’ascétisme, selon la convention que tu avais faite (avec moi), j’ai passé une heureuse nuit avec toi. Que le bonheur t’accompagne, moi, je m’en vais. »

2999, 8000. En partant elle dit encore : « Celui qui, ayant rassasié les dieux (par ses sacrifices) et fixé son esprit sur cet objet, demeurera dans ce tîrtha une seule nuit, obtiendra les mérites de celui qui, pendant cinquante-huit ans, aura pratiqué la chasteté. »

3001. Après avoir ainsi parlé, l’heureuse (femme) abandonna son corps ici-bas et monta au ciel. De son côté, le rishi était triste, en se rappelant sa beauté.

3002. Il eut du regret à accepter, selon la convention (qu’il avait faite avec elle), la moitié (des mérites de ses) austérités. Puis, s’étant préparé lui-même pour le ciel, il suivit la voie qu’elle (lui avait tracée, et mourut),

3003. Fort triste (en se rappelant) la beauté de cette (femme). Ô excellent Bharatide, je t’ai raconté les grandes actions de la vieille fille,

3004. Ainsi que sa chasteté et son heureux départ pour le Svarga.

Pendant qu’Halâyoudha était là, il entendit dire que Çalya était tué.

3005. Le tourmenteur des ennemis ayant, là aussi, fait des dons aux brahmanes, apprit que Çalya avait été tué dans la bataille, par les fils de Pândou.

3006. Le Madhavide, étant alors sorti de Samantapancaka, demanda à la troupe des rishis quel avait été le fruit de Kouroukshetra (quel était le résultat de la bataille qui s’y était livrée).

3007. Ô puissant, ces magnanimes, interrogés à ce sujet par le lion de Yadou, lui racontèrent tout ce qu’il en était.