Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 1/L’Adivançâvatârana

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Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 1p. 236-268).


L’ADIVANÇAVATARANA.




Çâaunaka dit : « Tu m’as raconté entièrement la grande histoire de la famille Bhargavaine, à partir de son commencement ; je suis content du récit, que tu m’as fait, rejeton de Soûta. 2198.

» J’ai encore à te demander une narration exacte : dis-moi encore, ô toi, qui est la joie de Soùta, ces légendes recueillies de Vyâsa, 2199.

» Ces histoires avec leurs détails, que les magnanimes assistants au sacrifice des serpents ont racontées dans les intervalles d’une cérémonie aux rives ultérieures si difficiles à aborder, j’ai envie de les entendre, petit-fils de Soûta, veuille me les dire suivant la vérité. » 2200-2201.

« Les légendes qu’ils récitèrent dans les intervalles du sacrifice, répondit le Soûtide, avaient pour base les Védas ; mais Vyâsa leur conta la grande narration du Bhârata aux sujets divers. » 2202.

Dans les intervalles du sacrifice, Krishna-Dwaîpâyana, suivant les règles, fit entendre à la demande du roi Djanamédjaya, le poème du Mahâ-Bhârata aux sujets divers. Je désire entendre, suivant la règle dit Çàaunaka, cette narration sainte 2203-2204.

» Du maharshi inspiré, narration aussi grande que l’océan de l’âme. Raconte-la moi, ô le meilleur des hommes de bien, car je ne suis pas rassasié, petit-fils de Soûta. » 2205.

« Eh bien, reprit le Soûtide, je vais t’exposer depuis son commencement le Mahâ-Bhârata, cette grande et sublime narration, qui s’est formée dans la pensée de Krishna-Dwaîpâyana. 2206.

Écoute-moi te la dire toute jusqu’à la fin : en m’invitant à raconter, tu fais naître une vive joie dans mon cœur.

À la nouvelle qu’on avait initié Djanamédjaya pour le sacrifice des serpents, le savant anachorète Krishna-Dwaîpâyana se rendit auprès de lui. 2207-2208.

Aïeul des Pandouides, la jeune Kâlî l’avait conçu de Parâçara, fils de Çaktri, et lui avait donné le jour dans une île de l’Yamounâ. 2209.

À peine il était né que cet enfant à la vaste renommée accrut aussitôt son corps par la seule puissance de son désir et il se mit à lire le Véda, les Védântas et les Itihâsas.

Personne n’approche de lui pour la pénitence, la lecture des Védas, les observances, le jeûne, la gloire des enfants et l’inspiration. 2210-2211.

Ce brahmarshi Vyâsa, pur, enchaîné à la vérité, grand poète, illustre, ayant la vue du passé et de l’avenir, divisa en quatre le Véda, qui d’abord n’en formait qu’un ; il eut pour fils Pândou, Dhritarâshtra, Vidoura, et propagea ainsi la postérité de Çantanou à la gloire immaculée. 2212-2213.

Accompagné de ses disciples, qui avaient abordé à la rive ultérieure des Védas et du Védânga, le magnanime entra dans la salle du saint roi Djanamédjaya. 2214.

Là, tel qu’Indra siège entouré des Dieux, il vit le roi Djanamédjaya sur le trône, environné de nombreux officiers, 2215.

De rois des peuples divers aux fronts consacrés, et de prêtres semblables à Brahma, tous habiles dans la célébration des sacrifices. 2216.

Quand Djanamédjaya vit arriver le saint anachorète avec son cortège, le roi saint, le plus vertueux des Bharatides, s’empressa joyeux de marcher à sa rencontre. 2217.

Il fit avec l’approbation de sa cour donner un siège d’or au poète, comme Indra fait présenter un fauteuil à Vrihaspati. 2218.

Après que l’anachorète s’y fut assis, le roi des rois honora, suivant les règles enseignées par l’étiquette, ce mortel généreux, que les Dévarshis honoraient eux-mêmes.

Il offrit à son digne ancêtre Vyâsa, dans les formes établies, de l’eau pour laver ses pieds, de l’eau pour laver sa bouche, un arghya et une vache. 2219-2220.

Quand il eut reçu cet hommage du rejeton de Pândou, Vyâsa fit emmener la vache et fut content ; puis, Djanamédjaya, ayant honoré son aïeul avec une telle révérence, 2221.

S’assit l’âme charmée auprès de lui et s’informa des nouvelles de sa santé. Le révérend, à sa vue, lui demanda aussi comment il se portait. 2222.

Et, honoré par toute la cour, il honora la cour de son côté. Ensuite, Djanamédjaya, tous les assistants réunis à lui, Djanamédjaya, joignant ses mains en coupe à la hauteur des tempes, interrogea le plus vertueux des brahmes dans les termes suivants : 2223.

« Ta révérence a vu de ses yeux, brahme, les Kourouides et les fils de Pândou ; je désire que tu nous dises leur histoire ; 2224.

Comment naquit la division entre ces hommes aux travaux infatigables, et comment se déroula cette vaste guerre, par laquelle fut causée la perte des créatures.

Raconte-moi circonstantiellement, sans rien omettre, ô le plus grand des brahmes, cette querelle de tous mes aïeux, dont le Destin avait égaré les âmes. » 2225-2226.

À ces mots, reprit le Soûtide, Krishna-Dwalpayana dit alors à son disciple Vaîçampâyana assis auprès de lui : « Dis au roi tout ce que tu as recueilli de ma bouche sur la manière, dont jadis est née la division entre les Kourouides et les fils de Pândou. » 2227-2228.

À cet ordre, que lui donnait son gourou, l’éminent brahme se mit à raconter entièrement au monarque, aux prêtres, aux rois, qui l’écoutaient de tous les côtés, cette antique histoire, cette division de Kourou et de Pândou, qui fut la perte de tous. 2229-2230.

« Je commence, dit Vaîçampâyana, en concentrant dans cette pensée mon esprit et mon cœur, par l’hommage, que je dois à mon gourou, à tous les brahmes, aux savantes personnes, qui sont dans cette assemblée.

Je raconterai ensuite complètement ce poème conçu par le sage et magnanime Vyâsa, le maharshi, célèbre sur la terre et dans tous les mondes. 2231-2232.

Tu es digne de l’entendre, sire, ce Bhârata, dont le récit te fut accordé ; et le tremblement des lèvres de mon gourou excite en outre mon esprit. 2283.

Écoute, roi, comment une partie aux dés, dont l’enjeu était le royaume et l’habitation dans les bois, enfanta la division de Rourou et de Pândou ; 2234.

Et comment il en sortit des batailles, qui firent la dévastation de la terre : c’est là ce que je vais dire en réponse à tes questions, ô le plus grand des Bharatides.

Leur père étant mort, les fils de Pândou, héros futurs, revinrent des bois en leur palais et ne tardèrent pas à devenir habiles dans les Védas et dans l’art de lancer une flèche au but. 2235-2236.

Les Kouravas s’indignent bientôt de voir les citadins exalter les Pândouides, doués tous de force, de courage, d’intelligence, environnés de la gloire et de la prospérité.

Ensuite le cruel Douryodhana, Karna et Sâaubala commencèrent à mettre en jeu différents moyens pour les jeter hors du calme et de la patience. 2237-2238.

Embrassant les opinions de Koulinga, le vaillant Douryodhana, excité par l’ambition du trône, emploie divers moyens pour se défaire des Pândouides. 2239.

Le fils scélérat de Dhritarâshtra fit avaler du poison à Bhîma ; mais le héros au ventre de loup digéra le poison avec ses aliments. 2240.

Autre forfait : il attache Bhîma, endormi sur la cime d’un promontoire, le précipite dans les eaux du Gange et revient à la ville. 2241.

Bhîmaséna aux longs bras se réveille, coupe ses liens, et le fils de Kountî sort des flots sain et sauf. 2242.

Douryodhana le fit mordre pendant le sommeil à toutes les places du corps par des serpents noirs à la dent vénimeuse ; mais l'héroïque meurtrier des ennemis n’en mourut pas encore. 2243.

À chacun des périls semés sous leurs pas, Vidoura à la haute sagesse avait toujours soin de leur apporter le remède ou la délivrance. 2244.

Tel qu’Indra du haut du ciel répand le bonheur sur le monde des vivants, tel Vidoura faisait pleuvoir continuellement le bonheur sur les Pândouides. 2246.

Voyant que, par différents artifices cachés et restés même indécouverts, il n’avait pu tuer les Pândouides, que le Destin gardait pour les choses à venir, 2246.

Douryodhana délibéra secrètement avec ses conseillers Vrisha, Douççâsana et les autres, arracha à Dhritarâshtra le congé des Pândouides et leur fit désigner la maison de laque.

Le roi fils d’Ambikâ, désireux de faire une chose agréable à son fils, exila donc les Pândouides afin de savourer en paix les jouissances de la royauté. 2247-2248.

Ils partirent tous ensemble de la ville, qui tire son nom des éléphants, et Vidoura fut encore dans ce voyage le conseiller de ces magnanimes. 2249.

Sauvés par lui de la maison de laque durant la nuit, ils s’enfuient dans une forêt : ensuite, les fils de Kountî parviennent à la ville de Vâranâvata. 2250.

Elle fut la demeure de ces héros magnanimes, accompagnés de leur mère. C’était sur l’ordre même du roi Dhritarâshtra, qu’ils avaient habité la maison de laque, 2251.

Où ils s’étaient gardés une année entière d’un œil infatigable contre la malveillance de Pourotchana. Ils avaient, suivant les conseils de Vidoura, fait creuser une voie souterraine ; puis, mettant le feu à la maison de laque, ils y avaient brûlé Pourotchana même. 2252.

Les héros s’enfuient, émus de crainte, avec leur mère : ils rencontrent un Rakshasa épouvantable, Hidimba, dans une cataracte des bois. 2253.

Ils tuent le puissant Rakshasa, et, talonnés par la crainte de Souyodhana, les princes continuent leur fuite, dans la nuit, tremblants qu’ils ne soient reconnus. 2254.

Bhîma obtient la rakshasi Hidimbâ ; elle devient mère de Ghatokatcha. Ensuite les Pàndouides aux observances fidèlement accomplies arrivent dans un Ékatchakrâ.

Ils étaient des brahmatchâris, disaient-ils, adonnés à la lecture des Védas. Ces hommes éminents habitèrent Ékatchakrâ quelque temps avec leur mère dans la maison d’un brahme et voués à de rigoureuses observances ; c’est là que Bhîma s’en fut trouver un mangeur d’hommes affamé. 2256-2256-2257.

Le Pândouide Bhîmaséna aux longs bras, ce tigre dans l’espèce humaine, étouffa avec la seule vigueur de ses bras ce monstre appelé Vaka à la force puissante. 2258.

Par cette prompte mort, que le héros put infliger à l’anthropophage, il rassura les habitants de la ville. Ensuite, il vint aux oreilles des Pàndouides que Krishnâ chez les Pântchàlains allait se choisir un époux dans un swayambara.

À cette nouvelle, ils se rendent à la fête : arrivés, ils obtiennent la princesse : Drâaupadî obtenue, ils habitent là un an. 2259-2260.

Reconnus, ils se rendent à Hastinapoura, où Dhritarâshtra et le fils de Çântanou disent à ces dompteurs d’ennemis : 2261.

« Comment n’y aurait-il pas, mon fils, une guerre, si vous restiez ici, entre vous et vos cousins ? Aussi ai-je pensé à vous désigner la place de Rhandava pour lieu d’habitation. 2262.

» Allez donc, mettant à part toute rivalité, demeurer à Khandavaprastha, contrée populeuse aux grandes routes bien tracées. » 2263.

À ces mots de ces deux princes, ayant rassemblé entièrement leurs joyaux, ils se rendent avec tous leurs amis à cette ville de Khandavaprastha. 2264.

Ces héros habitèrent là plusieurs séries d’années, réduisant par la supériorité de leurs armes les rois voisins sous leur puissance. 2265.

De cette manière soumis au devoir, adonnés à l’observance de la vérité, attentifs, vigilants, infatigables, ils écrasèrent beaucoup d’ennemis. 2266.

Bhîmaséna à la vaste renommée conquit l’orient, le héros Arjouna soumit le nord, Nakoula vainquit l’occident et Sahadéva, le meurtrier des héros ennemis, subjugua les pays du midi. C’est ainsi que tous ils mirent cette terre entièrement sous leur domination. 2267-2268.

Grâce à son soleil et aux cinq Pândouides d’un héroïsme infaillible et tous semblables au soleil, ce globe resplendissait comme s’il avait eut six soleils. 2260.

Ensuite, le radieux Youddhishthira, Yama sur la terre, aussi fort que la vérité, envoya pour une certaine cause dans les bois 2270.

Celui de ses frères, qui lui était plus cher que la vie, l’ambidextre Arjouna, prince vertueux à l’âme ferme et le premier des hommes. 2271.

Il y demeura une année pleine et un mois. Ce temps écoulé, il s’en fut un jour à Dwâravatî visiter Hrishîkéça.

Bîbhatsou obtint là pour son épouse Soubhadrâ au noble parler, aux yeux de lotus bleu, la sœur puinée de Vâsoudéva. 2273.

Telle que Çatchî fut mariée au grand Indra et Lakshmî à Vishnou, telle Soubadhrâ fut heureuse d’épouser le Pândouide Arjouna. 2274.

Bîbhatsou, le fils de Kountî, aidé par Vâsoudéva, ô le plus vertueux des monarques, rassasia le feu sacré dans le Khandava ; 2275.

Car le fils de Prithâ ne trouvait aucune charge excessive, quand il la partageait avec le Dieu aux longs cheveux ; comme il n’existe rien d’excessif dans l’immolation des ennemis pour Vishnou, secondé de son énergie. 2276.

Aussi Agni lui donna-t-il Gândiva, le premier des arcs, deux carquois munis de flèches impérissables et un char, qui portait un singe pour enseigne. 2277.

Là, Bîbhatsou sauva le grand Asoura Mâya, qui bâtit pour lui palais céleste, orné de toutes les pierreries.

Douryodhana à l’âme insensée y attacha follement son envie. De là, aidé par Sâaubala, il trompa au dés Youddhishthira et l’envoya mettre son habitation dans les bois durant cinq et sept ans. 2278-2279.

Ensuite le perdant avait une année, la treizième, à passer inconnu dans le royaume. Arrivée la quatorzième année, les Pàndouides redemandent leurs biens. 2280.

Ils ne purent les obtenir, et de là, grand roi, naquit cette guerre. Laquelle terminée, ayant détruit la classe des kshatryas, ayant tué le roi Douryodhana, 2281.

Les fils de Pândou reprirent possession de leur royaume dépeuplé. Voilà quelle fut, ô le plus grand des conquérants, l’histoire de ces princes aux travaux infatigables, leur division et leur victoire pour la ruine d’un royaume.»

Djanamédjaya dit : « Tu m’as raconté en abrégé, ô le plus grand des brahmes, tout le poème du Mahâ-Bhârata et la grande histoire des Kourouides. 2283.

» Parle encore, homme riche de pénitences, car tu fis naître en moi une vive curiosité d’entendre avec détail cette narration aux sujets divers. 2284.

» Que ta révérence veuille bien me la dire une seconde fois avec détail ; car je ne puis me rassasier d’entendre la grande histoire de mes aïeux. 2285.

» Là, où parurent les Pândouides, ces hommes versés dans le devoir, la cause ne dut pas être minime : ils ont immolé des guerriers complètement invulnérables et mérité les éloges des enfants de Manou. 2286.

» Pourquoi ces héros si puissants, vigoureux, sans péché, ont-ils supporté ces vexations, que les méchants répandaient sur eux ? 2287.

» Comment Bhîmaséna au ventre de loup, lui, toujours prêt à mettre en jeu ses bras et de qui la valeur égalait la force de dix mille serpents, a-t-il pu, au milieu des injures, contenir sa colère, ô le plus grand des brahmes.

» Comment Drâaupadî la noire, outragée par ces méchants, elle femme vertueuse et forte, n’a-t-elle pas d’un regard enflammé de colère consumé les fils du roi Dhritarâshtra ? 2288-2289.

» Comment les deux fils de Prithâ et les deux fils de Mâdrî, molestés par les méchants, ont-ils pu, ces héros éminents, obéir à l’homme, qui les avait trompés au jeu ?

» Comment le fils d’Yama, le plus vertueux des hommes vertueux, Youddhishthira, connaissant le devoir, a-t-il supporté cette immense infortune, qu’il n’avait pas méritée ? 2290-2291.

» Comment le Pândouide, qui avait Krishna pour cocher. Arjouna, a-t-il pu, de ses traits décochés, précipiter seul entièrement plusieurs armées dans le monde des mânes ?

» Dis-moi tout cela, non sans détail, homme riche en pénitences, et chacune des choses, que firent en chaque lieu ces héros. » 2292-2293.

» Attends un instant, grand roi, lui répondit Vaîçampâyana. Il faut te dire qu’il y a un ordre vaste, établi par Krishna-Dwaîpâyana dans cette sainte narration. 2294.

Je vais dire sans rien omettre cette large conception du maharshi magnanime, honoré dans tous les mondes, Vyâsa, à la vigueur sans mesure ; 2295.

Les cent mille çlokas de choses pures, qu’a récitées ici-bas le fils de Satyavati à l’incalculable splendeur.

Quel que soit le savant, qui fasse entendre ce récit et quiconque l’écoutera, ces hommes iront dans le monde de Brahma jouir d’une condition égale à celle des Dieux. 2296-2297.

Ce poème va de pair avec les Védas ; il est purificateur, il est sublime ; c’est la première des choses, auxquelles on doit prêter l’oreille ; c’est un Pourâna, loué des rishis.

Dans cette très-sainte histoire sont enseignées complètement les règles de l’intérêt et de l’amour : c’est l’intelligence portée à sa plus haute élévation. 2298-2299,

Le savant, qui lit ce poème à des hommes, qui ne sont ni vils, ni athées, mais adonnés à l’aumône et voués à la vérité, obtiendra les biens en récompense. 2300.

Sans nul doute, il suffit au plus grand scélérat d’écouter ce récit pour qu’il soit lavé de son crime aussitôt, eût-il fait périr le fruit contenu au sein d’une mère ! 2301.

Il est délivré de tous ses péchés comme la lune des étreintes de Râhou ! Le guerrier, qui désire la victoire, doit écouter ce poème, nommé le Victorieux. 2302.

Par lui, un roi subjuguera la terre ; par lui, il domptera ses ennemis : c’est l’initiation la plus sainte ; c’est la grande voie du salut. 2303.

Il faut lire ce poème à un prince héréditaire et à sa royale épouse : il donne la vertu de concevoir un fils héroïque ou une fille, qui porte un jour elle-même le sceptre avec son époux. 2304.

Cette œuvre de Vyâsa à l’intelligence sans mesure est un saint traité du devoir, c’est un sublime traité de l’intérêt, c’est un pieux traité de la délivrance. 2305.

Vyâsa dit ce poème aujourd’hui, d’autres le diront après lui : par ce poème on a des fils respectueux et des serviteurs complaisants. 2306.

Entend-il ce poème, un homme est aussitôt délivré de toutes ses fautes, commises en paroles, en pensées, dans le corps et dans l’esprit. 2307.

Ceux, qui écoutent la haute naissance des Bharatides, n’ont pas à craindre ici-bas les maladies : à plus forte raison les peines de l’autre monde ! 2308.

Il donne la richesse, la renommée, une longue vie, la vertu et le ciel même, ce poème, ouvrage de Krishna-Dwaipâyana, qui désira faire une œuvre sainte, 2309.

En propageant dans le monde la gloire des magnanimes Pàndouides et des autres kshatryas, sur lesquels une grande opulence avait répandit sa splendeur, 2310.

La science toute sa lumière, et les exploits une renommée connue dans l’univers entier. L’homme, qui, par dévotion, aura versé dans l’oreille des brahmes purs cette œuvre bien sainte, acquerra un mérite éternel. Quiconque dans un état continuel de pureté expose la race illustre des Kourouides, obtient une vaste lignée. Le brahme, qui lit, enchaîné à ses vœux, le saint Bhârata, sera le plus honoré dans le monde. En fait-il sa lecture dans les quatre mois pluvieux, il est délivré de tous ses péchés. 2311-2312-2313.

Celui, qui lit le Bhârata, sachez-le, touche à la rive ultérieure des Védas. Là, sont loués les Dieux, les râdjarshis et les saints brahmarshis, qui ont secoué loin d’eux le péché. Là est loué Vishnou, là est loué l’auguste roi des Dieux et la Déesse, son épouse. 2314-2315.

Là, on dit la naissance de Kârtikéya, qui eut plus d’une mère ; là, on dit l’excellence des brahmanes et des vaches. C’est là la collection de toutes les traditions : il faut le réciter aux hommes, qui ont l’intelligence du devoir. 2316.

Le savant d’entre les brahmes, qui fait ouïr ce poème dans les fêtes des Parvans, conquiert le ciel et, lavé de ses péchés, va se confondre au sein de l’éternel Brahman.

Un brahmane en fait-il écouter un morceau jusqu’à la fin dans un çrâddha, son offrande impérissable monte d’ici à la bouche des mânes. 2317-2318.

Un homme a-t-il péché dans le jour, à son insu ou sciemment, soit par la pensée, soit par les organes des sens, la faute commise est effacée aussitôt qu’il a entendu une narration du Mâhâ-Bhârata. 2319.

La grande naissance des Bharatides, c’est là ce qu’on appelle le Mâhâ-Bhârata : il suffit de connaître l’explication du mot pour être lavé de tous ses péchés. 2320.

Le seul fait de raconter cette histoire si merveilleuse des Bharatides absout les mortels d’un grand péché.

L’anachorète Krishna-Dwaîpâyana, toujours éveillé, pur, ambitieux de parvenir à son but, eut la force de composer en trois années le Mâhâ-Bhârata depuis le commencement. 2321-2822.

Le grand saint fit cette œuvre au milieu de ses macérations et de sa pénitence, on peut donc la réciter aux brahmes dans le cours même dans leurs mortifications. 2323.

Les brahmes, qui feront écouter, et les hommes, qui entendront cette sublime et sainte narration du Bhârata, que récita jadis Krishna-Vyâsa, purifiés de plus en plus, ne resteront jamais dans l’imperfection des œuvres. Que tout homme, qui désire exceller dans le devoir, 2324-2325.

Entende toute cette histoire ! Il atteindra par elle à la perfection. L’enfant de Manou, qui obtient l’entrée du ciel, n’en reçoit pas une satisfaction égale 2326.

À celle, que l’on goûte, une fois entendue cette histoire si pure. L’homme plein de foi, adonné à la vertu, qui entend et fait entendre cette merveille à d’autres, 2327.

Acquiert autant de mérite que s’il avait célébré un açvamédha ou un râdjasoûya. Tels que ces deux trésors des pierreries sont appelés, celui-ci l’auguste mer, celui-là le mont Mérou, tel ce poème est nommé le Bhârata. Il marche en effet de pair avec les Védas ; il est purificateur au plus haut degré. 2328-2329.

Il est digne d’être ouï, c’est le plaisir des oreilles ; il purifie, il augmente la vertu. Celui qui donne, sire, à un saint brahme, religieux mendiant, le Bhârata, cette sainte histoire, que je vais raconter au fils de Parîkshit, c’est comme s’il lui donnait toute la terre avec la ceinture de ses montagnes. 2330-2331.

Écoute-le, exposé entièrement par moi, ce récit, qui remplit de joie. L’anachorète Krishna-Dwaipâyana, toujours sous l’inspiration, a composé en trois années le Mâhâ-Bhârata, cette narration merveilleuse. Ce qui est ailleurs touchant le devoir, l’intérêt, l’amour et la délivrance est ici ; mais ce qui n’est point ici, ô le plus éminent des Bharatides, n’existe nulle part. » 2332-2333.

Vaîçampâyana dit : « Sire, jadis vécut un monarque, adonné sans cesse à cultiver la vertu, il fut surnommé Ouparitchara ; il s’était lié par le vœu d’aller toujours à la chasse, quand on lui dirait d’y aller. 2334.

Ce roi Vasou, fils de Pâaurava, obéissant aux conseils d’Indra, conquit le ravissant et délicieux royaume de Tchédi. 2335.

Ensuite le monarque, abandonnant ses armes, se retire dans un hermitage, amasse un trésor de pénitences ; et les Dieux, Indra à leur tête, viennent le trouver. 2336.

« Car ce roi va détrôner Indra, pensaient-ils, grâce au mérite de ses pénitences ! » Tous devant lui, ils cherchèrent donc avec des cajoleries à le détourner de ses macérations. 2337.

« Monarque de la terre, lui dirent les Dieux, que les devoirs ne soient pas confondus sur la terre ! En effet, ton devoir à toi, que tu as fait dévier ici, n’est pas de se macérer, mais de soutenir le monde entier. » 2338.

Indra lui tint ce langage : « Sois le défenseur des devoirs, toujours appliqué, toujours attentif, sans cesse attelé au char du devoir, et tu verras de tes yeux les mondes purs, éternels. 2339.

» Sois l’ami bien-aimé de moi, habite dans les cieux, toi, qui habites sur la terre, monarque des hommes ; rétablis ta demeure dans cette contrée délicieuse de la terre.

» C’est un pays opulent, sain, charmant, facile à défendre, comblé de fruits, regorgeant de grains et de bestiaux, riche d’or et de pierreries, bon pour l’élève des troupeaux et doué de toutes les qualités de la terre. C’est un royaume, où sont entassées les richesses : retourne, roi de Tchédi, habiter parmi les Tchédiens. 2340-2341-2342.

» Les habitants sont adonnés au devoir, bons, toujours contents : là, jamais de parole inutile dans les choses même indifférentes : à plus forte raison dans les autres ! 2343.

» Le père ne fait aucune distinction entre ses enfants, qui sont heureux du bonheur de leur père : on n’attelle jamais de bœufs maigres au joug : ils sont environnés de soins. 2344.

» Dans le Tchédi, prince, qui inspire de l’orgueil aux tiens, toutes les castes se tiennent chacune dans ses attributions. Rien de ce qui t’est inconnu n’existe dans les trois mondes. 2345.

» Un char de crystal, vaste, céleste, fait pour l’usage des Immortels et qui voyage de lui-même dans les airs, t’attend au milieu du ciel : je t’en fais présent. 2346.

» Toi seul entre tous les mortels, tu navigueras au-dessus de la terre, comme un Dieu fait homme, porté dans ce char merveilleux. 2347.

» Je te donne en outre une bannière aux guirlandes de lotus inflétrissables : elle protégera, dans les combats, ta personne invulnérable aux armes. 2348.

» On l’appelle Indramâla, sire : qu’elle soit ici-bas ton emblème grand, fortuné, incomparable ! » 2349.

Le céleste meurtrier de Vritra lui donna un bâton de bambou, reprit Vaîçampâyana, présent désiré, pour insigne que la fonction des rois est de punir et défendre.

Alors qu’une année se fut écoulée, le monarque fit célébrer l’anniversaire de l’entrée du sceptre céleste dans cette terre afin d’honorer Çakra. 2350-2351.

Depuis ce temps jusqu’à nos jours, sire, les plus grands rois ont célébré cette entrée de la manière qu’elle fut célébrée par lui-même. 2352.

Le jour suivant, les rois font l’exaltation du bâton, décoré avec divers ornements, des cassolettes, des parfums, des bouquets. 2353.

Une guirlande de fleurs est jetée autour, suivant les rites, et l’auguste Içwara est honoré dans cette fête sous la forme d’un cygne, dont il se revêtit dans son affection pour le magnanime Vasou. 2354.

L’adorable Dieu, le grand Indra, satisfait à la vue de cet hommage, que lui avait rendu Vasou, dit à ce puissant monarque : 2355.

« Les hommes et les rois, qui honoreront ma fête avec la même allégresse que l’a célébrée ce noble souverain de Tchédi, verront couler, sur eux et leur empire, la victoire et la prospérité. L’abondance et la joie déborderont sur lem-s campagnes. » 2356-2357.

C’est ainsi que le mahârâdja Vasou, le monarque des hommes, fut traité avec bienveillance par le grand et magnanime Indra-Magbavat. 2358.

Aux hommes, qui célébreront toujours la fête de Çakra, sont assurés des hommages de présents, de pierreries et d’autres biens de la terre. 2369.

Après qu’il eut célébré la fête de Çakra, offert de grands sacrifices et distribué les plus riches dons, le roi Vasou, honoré par Maghavat, gouverna dans Tchédi, sa capitale, cette terre suivant la justice. L’amitié d’Indra environnait les sacrifices, que le roi de Tchédi célébrait en son honneur. 2360-2361.

Vasou eut cinq fils d’un grand héroïsme et d’une splendeur sans mesure : il les sacra tous ensemble rois de divers peuples. 2362.

C’étaient Vrihatratha, héros fameux des Mâghadains, Pratyagraha, Kouçâmba, qu’on appelle aussi Manivâhana. 2363.

Mâvella et Vadou, guerrier, qui ne fut jamais vaincu. Voilà, sire, quels furent les cinq fils du saint roi à l’éclatante splendeur. 2364.

Les cinq rois, fils de Vasou, ont donné leurs noms à des contrées et à des villes ; ils ont eu chacun une postérité distincte, impérissable. 2365.

Les Apsaras et les Gandharvas servaient le monarque magnanime, quand il habitait dans le palais d’Indra, dans les airs, dans son char de cristal. 2366.

C’est de là que lui vint ce nom célèbre d’Ouparitchara. Au pied de sa ville, coulait Çouktimatî, belle rivière, que le mont Kolâlâhala, doué d’une âme, retenait par amour.

Mais Vasou frappa du pied le mont téméraire et son amante sortit par le trou, que le coup avait ouvert 2367-2368.

Le mont avait engendré au sein de la rivière deux jumeaux, et, reconnaissante de sa délivrance, Çouktimatî les envoya au roi. 2369.

De ces enfants l’un était mâle ; et le plus vertueux des saints rois, le dompteur d’ennemis, le magnifique Vasou en fit le général de ses armées. 2370.

L’autre était une fille, elle se nommait Girikâ, il en fit son épouse. Les jours de son mois arrivés, la jeune reine se baigna, elle se purifia en vue de la conception et fit informer son époux de ce moment propice à l’amour. 2371.

Mais ce jour même, ô le plus distingué parmi les êtres doués de l’intelligence, les mânes souriants de ses pères avaient dit à ce plus vertueux des rois : « Va tuer des gazelles ! » 2372.

Et le prince, obéissant à cet ordre de ses pères, s’en alla chasser, brûlant d’amour et l’âme toute occupée de Girikâ, qui était douée d’une extrême beauté et semblait une autre Lakshmî, visible aux yeux des mortels. 2373.

C’était la saison du printemps. Il arriva dans un bois semblable au jardin d’Indra, tout plein d’açokas, de tchampakas, de nombreux tchoûtas, d’atimouktakas, de karnikâras, de vakoulas aux fleurs roses célestes, de bignonnes à la suave odeur, de cocotiers, de sandals, d’arjounas et d’autres grands arbres délicieux, purs et chargés de fruits savoureux. Les chants des kokilas remplissaient la forêt et les abeilles bourdonnaient, ivres de nectar. 2374-2375-2376.

L’amour assiégeait son âme de tous les côtés et nulle part il ne voyait Girikâ. Il promenait çà et là, consumé d’amour, sans la voir, ses pas capricieux. 2377.

Il vit un açoka aux longues branches toutes revêtues de fleurs, embelli de jeunes et tendres pousses et caché, pour ainsi dire, sous ses faisceaux de fleurs. 2378.

Le monarque s’assit mollement à son pied sous l’ombrage ; et le vent, dont le souffle lui portait le ravissement du parfum des fleurs, mêlé aux senteurs du nectar des calices, lui insinuant de pécher, il cédait à la fascination du plaisir. 2379,

Il reprit donc sa marche dans la forêt touffue, et la semence, malgré lui, s’échappa ; mais à peine eut-elle sorti qu’il la recueillit sur la feuille d’un arbre : « Tâchons, se dit-il, qu’elle n’ait pas coulé en vain ! » 2380.

« Ta semence ne sortira pas inutilement ! » dit la règle. C’est le jour de mon épouse, celle-ci n’aurait donc pas été vaine !» Ainsi parlait l’auguste promeneur. 2381.

Tournant et retournant mainte et mainte fois ces pensées en lui-même, cet excellent roi imagine un moyen, qui puisse remédier au mal. 2382.

Le prince, qui n’ignorait pas la vraie nature des choses et connaissait le devoir dans ses parties les plus déliées, voit que le moment presse d’envoyer cette liqueur à son épouse ; il enchante ce fluide ; puis, il s’approche d’un faucon aux rapides ailes, perché près de lui, et dit : 2383.

« Ami, rends-moi ce service ; prends ma semence, porte-la à mon palais et donne-la à Girikâ, car ce jour est pour elle celui propre au but du mariage. » 2884.

Le faucon prend la feuille, s’envole à tire d’ailes et le rapide oiseau fuit, déployant sa plus grande vitesse.

Un autre faucon vit celui-ci fendre l’air, et, s’imaginant qu’il portait de la nourriture, à peine l’eut-il aperçu qu’il fondit sur lui tout à coup. 2385-2386.

Les deux oiseaux se livrent un combat à coups de bec et, pendant ce duel au milieu des airs, la semence tomba dans les eaux de l’Yamounâ. 2387.

Là était une Apsara, nommée Adrikâ : elle en parcourait la rivière, depuis que la malédiction d’un brahme avait changé cette nymphe en poisson. 2388.

Quand la semence de Vasou échappa à la serre du faucon, Adrikâ, dans sa forme de poisson, se glissa vite dessous et recueillit la substance prolifique. 2389.

Un jour, des hommes, qui vivent du poisson, prirent celui-ci dans leurs filets : alors, ô le plus vertueux des Bharatides, on arrivait au dixième mois. 2390.

Le poisson ouvert, ils retirent du ventre un couple d’enfants, mâle et femelle. À la vue de cette merveille, ils courent en porter la nouvelle au roi. 2391.

« Sire, lui disent-ils, ces deux êtres humains étaient dans le corps d’un poisson. » De ces enfants, le roi Ouparitchara se chargea du mâle, 2392.

Qui devint un roi vertueux, attaché à la vérité, qu’on appelait Matsya. La nymphe, délivrée de la malédiction, reprit aussitôt sa forme céleste. 2393.

Bralima jadis avait dit à la belle, tombée dans la condition des bêtes : « Quand tu auras mis au jour deux êtres humains, tu seras libérée des chaînes de la malédiction ! » 2394.

Après que, par sa mort sous le couteau du tueur de poissons, elle eut enfanté ces jumeaux, elle quitta ses formes de poisson, recouvra sa beauté divine, 2395.

Et l’Apsara de nouveau parcourut les routes des Siddhas, des Rishis et des Tchâranas. La jeune Matsyâ, sa fille, à l’odeur de poisson, 2396.

Fut donnée par le roi Vasou à certain pêcheur :

« Qu’elle soit ta fille ! » lui dit Ouparitchara. Elle était douée d’intelligence et de beauté ; elle réunissait en elle toutes les qualités. 2397.

Satyavatî, c’est ainsi qu’elle se nommait, Satyavatî ne cessait pas d’exhaler en tout temps une senteur de poisson, qu’elle devait à son habitation chez un pêcheur ; mais elle avait un charmant sourire. 2398.

Paraçara, dans un pèlerinage aux tîrthas, la vit dirigeant sa barque au milieu des eaux pour obéir à son père. 2399.

Douée d’une beauté souveraine, qui l’eût fait désirer même des Siddhas, la vue de cette vierge au séduisant sourire enflamma d’amour le sage monarque. 2400.

Un éminent solitaire avait dit à cette fille de Vasou, la vierge céleste aux cuisses rondes comme le bananier : « Charmante, veuille bien t’unir avec moi ! » 2401.

« Révérend, lui avait-elle répondu, vois ces rishis, qui habitent au fond de la mer : n’est-il pas impossible de cacher à leurs yeux le spectacle de notre union ? » 2402.

L’auguste brahme, à ces paroles d’elle, créa un brouillard, grâce auquel tout ce lieu ne fut plus qu’obscurité.

Stupéfaite à la vue de ce prodige, qu’avait opéré le plus grand des saints, la vertueuse jeune fille rougit de pudeur. 2403-2404.

Satyavatî lui dit ; « Révérend, considère que je suis une jeune fille, toujours soumise à l’autorité de mon père, et que cette union avec toi, anachorète sans péché, souillerait mon état virginal. 2405.

» Ma virginité perdue, comment aurais-je la force, ô le plus grand des brahmanes, de retourner à mon logis ? Je ne pourrais plus y rester, docte rishi ! 2406.

« Réfléchis bien à cela d’abord ; ensuite, révérend, fais ce qui vient après. » À la jeune fille, qui parlait ainsi, reprit Vaîçampâyana, le plus grand des rishis dit affectueusement : « Après que tu m’auras fait ce plaisir, fille craintive, tu seras encore vierge. Demande-moi, charmante, avec assurance, la grâce, que tu désires. 2407-2408.

» Car toute faveur, que j’ai accordée avant ce jour, ne l’a jamais été en vain, fille au virginal sourire. » À ces mots, la grâce, qu’elle choisit, fut d’exhaler de tous ses membres le plus exquis des parfums. 2409.

Le brahme ne lui refusa pas le don, que son cœur avait désiré sur la terre et, grâce à cette faveur, il ne lui manqua plus rien des qualités, qui peuvent orner la personne des femmes. 2410.

Elle s’unit d’amour avec le rishi, qui faisait des œuvres si merveilleuses et, par ce dernier don, elle fut connue en toute la terre sous le nom de Gandhavatî, l’odoriférante. 2411.

Les hommes en respiraient le parfum sur la terre à un yodjana de distance, d’où lui vint son autre nom d’Yodjanagandhî. 2412.

Satyavatî, joyeuse d’avoir obtenu cette grâce, devint l’épouse de Parâçara et mit au monde un fils d’un accouchement subit au milieu d’un sacrifice et dans une île de l’Yamounâ : ce fut l’énergique Vyâsa. Celui-ci tourna son esprit vers la pénitence avec l’agrément de sa mère. 2413-2414.

« Moi, quand on m’appellera, dit-il, je donnerai mes conseils dans les affaires. » Ainsi Dwaîpâyana naquit de Parâçara au sein de Satyavatî. 2415.

Parce qu’il avait reçu le jour, enfant nouveau-né, dans un dwîpa, c’est-à-dire, une île, on l’appela Dwaîpâyana. Comme il vit que dans chaque youga l’expression des lois, ce sont les vers, et que les mortels donnent à leur siècle et à leur âme l’empreinte de l’youga, il rédigea, vyâsa, les Védas par le désir de faire une chose utile à Brahma et aux brahmes, d’où lui vint son illustre nom de Vyâsa. 2416-2417.

Il fit lire les Védas et le Mahâ-Bhârata, qui en est un cinquième, à Soumantou, à Djalmini, à Palla et à Çouka, son fils à lui-même. 2418.

L’auguste et magnifique maître les fit lire également à Vaîçampâyana, et c’est par eux individuellement que furent multipliées les collections du Bhârata. 2419.

Ensuite Bhîsma, fils de Çântanou, héros à la grande valeur, à la vaste renommée, à la splendeur sans mesure, naquit de la semence de ce Vasou au sein de la Gangâ.

Après, vint un véritable saint, un brahme illustre, docte quant aux sens des Védas, ce fut le célèbre Anîmândavya, qui fut cloué sur un pal, ce rishi digne des anciens âges, lui, qui n’était pas un voleur, mais qu’on avait cru l’être ! Jadis, ayant évoqué Dharma, ce grand saint lui dit : 2420-2421-2422.

« Il est vrai, Yama, que, dans mon enfance, j’ai percé d’une épingle, sans réflexion, une sauterelle : je me souviens de cette faute, mais je ne me rappelle pas un autre péché. 2423.

« Pourquoi n’as-tu pris en rachat de cette faute le millier de macérations infinies, que j’ai supportées ? Infliger la mort à un brahme est un crime plus grand que celui de la donner à toutes les créatures ! 2424.

» À cause de cela, criminel Yama, tu naîtras au sein d’une artisane ! » Frappé de cette malédiction, Dharma lui-même naquit au sein d’une Çoûdrà. 2425.

Il fut un savant, un homme vertueux, au corps sans souillure, sous les formes de Vidoura. Semblable à un anachorète, Sandjaya naquit fils de Gavalgana. 2426.

Karna à la grande force naquit du Soleil au sein de la jeune Kountî. Il portait une cuirasse naturelle et son visage brillait du feu de ses boucles d’oreilles. 2427.

Pour favoriser les mondes, le Dieu illustre, qui reçoit les adorations du monde, Vishnou s’incarna dans le sein de Dévakî et devint le fils de Vasoudéva. 2428.

Lui, sans commencement ni fin, le Dieu créateur du monde, le Seigneur, l’indistinct, l’Impérissable, le chef des êtres, la substance des trois qualités, 2429.

L’âme universelle, l’inaltérable, la Nature, la Toute-puissance, l’Auguste, le principe de vie, le créateur de tout, celui, de qui l’essence est la bonté, le Permanent, l’Immortel, 2430.

L’Infini, l’immuable, le Dieu, le Cygne, l’adorable Nârâyana, celui, qui nourrit tout, qui n’est pas né, qui échappe aux sens, qu’on appelle Suprême, Éternel,

Unique, affranchi des qualités de la matière, le Tout, celui, qui n’a pas eu de commencement, qui n’a pas eu de naissance, l’Indissoluble, l’ineffable Pourousha, l’auteur et l’aïeul de toutes les créatures, il voulut, pour l’accroissement de la vertu, naître dans la race des Andhakas et des Vrishnides. 2431-2432.

Deux guerriers, à la grande force, versés dans la guerre, habiles soldats, adroits au maniement de toutes les armes, Sâtyaki et Kritavarman, dévoués l’un et l’autre à Nârâyana, naquirent de Satyaka et de Hridika. La semence de Bharadwâdja, le grand saint aux terribles pénitences, tombée au sein de Dronî d’une aiguière, s’y développa et d’elle est né Drona. Deux jumeaux, la mère d’Açvatthâman et le vigoureux Kripa, naquirent de Gâautama, fils de Çaradvat, dans un massif de roseaux. Ensuite Açvatthâman à la grande vigueur fut engendré par Drona lui-même. 2433-2434-2435-2436.

Dhrishtadyoumna, aussi resplendissant que s’il était Agni même incarné, naquit du feu sur l’autel dans la célébration du sacrifice. 2437.

Le héros vaillant reçut un arc pour ôter la vie à Drona. Là, sur le même autel, naquit aussi la belle et radieuse Krishnâ. 2438.

Une beauté suprême éclatait dans toute sa personne. Après eux vinrent Nagnadjit, le disciple de Prahrâda et Soubala, 2439.

Dont la colère du ciel fit naître la race, violatrice du devoir : Çakouni le Soubalide fut le fils de ce roi du Gândhâra, 2440.

Et la mère de Douryodhana, Gândhârî, sa fille. Krishna-Dwaîpâyana engendra au sein de la veuve de Vitchitravîrya deux rois, habiles dans les affaires, Dhritarâshtra, le roi des peuples, et Pândou à la grande vigueur. 2441.

Versé dans les choses de l’intérêt et du devoir, sage, docte, affranchi du péché, Vidoura naquit également de Vyâsa au sein d’une Çoûdrâ. 2442.

Deux épouses donnèrent à Pândou cinq fils : chacun d’eux ressemblait à un Immortel ; mais Youddhishthira l’emportait sur eux tous par ses qualités. 2443.

Youddhishthira naquit d’Yama et Bhîmaséna de Maroute ; Indra fut le père du fortuné Arjouna, le plus éminent de tous les hommes, qui manièrent jamais les armes. 2444.

Les deux charmants jumeaux, pour qui l’obéissance au gourou n’était qu’un plaisir, Sahadéva et Nakoula, naquirent des célestes Açwins. 2445.

Le sage Dhritarâshtra fut père de cent fils ; l’ambitieux Douryodhana et les autres, Karana, Douççâsana, Doussaha, Dourmarshana, Vikarna, Tchitrasénai Vivinçati, Djaya, Satyavrata, Pouroumitra, et Youyoutsou, fils d’une vaîçyâ, qui est ici le onzième de ces héros. 2446-2447-2448.

Abhimanyou naquit d’Arjouna au sein de Soubhadrâ : il était neveu par sa mère de Vâsoudéva et petit-fils du magnanime Pândou, 2449.

Les fils de Pândou eurent eux-mêmes cinq fils de la Pântchâlaine Drâaupadî, jeunes princes, doués tous de beauté, adroits au maniement de toutes les armes : 2450.

Prativindya fils d’Youddhisthira, Soma du guerrier au ventre de loup, Çroutakîrtti d’Arjouna, Çatântka de Nakoula, 2451.

Et l’auguste Çroutaséna de Sahadéva. La Rakhasî Hidimbâ donna le jour dans les bois à Ghatotkatçha, qu’elle avait conçu de Bhîmaséna. 2452.

Droupada fut le père de Çîkandi, qui de fille devint garçon, alors que l’envie de faire une chose, qui lui serait agréable, eut conduit l’Yaksha Sthoûna à la changer en homme. 2453.

Dans cette guerre des fils de Kourou se rassemblèrent plusieurs centaines de mille rois, tous brûlants d’éprouver leurs armes dans une bataille. 2454.

C’est une chose impossible à dire entièrement, fût-ce même en dix mille années, que les noms de ces rois incalculables : ceux, que j’ai nommés, sont les principaux, sur lesquels roule cette vaste narration. » 2455.

« Et ceux, que tu as dit, brahme, interrompit Djanamédjaya, et ceux que tu n’as pas dit, je veux les entendre nommer, tous ces rois, les uns et les autres par milliers. 2456.

» Veuille bien me dire complètement pourquoi ces héros, semblables à des Dieux, s’étaient rassemblés ici même sur la terre. » 2457.

« Sire, c’est le mystère des Dieux, suivant la tradition, répondit Vaîçampâyana. Je vais te le raconter, après que j’aurai fait hommage à l’Être-existant-par-lui-même.

Jadis, quand il eut dépeuplé toute la terre de kshatryas, Trisaptikritwa le Djamadagnide se mortifia dans la pénitence sur le Mahéndra, la plus haute des montagnes.

Le bras du Bhargavain ayant ainsi exterminé dans le monde tous les kshatryas, leurs veuves, désirant obtenir des fils, se rendirent chez les brahmes. 2458-2459-2460.

Ceux-ci, fidèles aux observances, de s’unir avec elles au jour convenable, et non pour le plaisir, ô le plus éminent des hommes, hors du temps prescrit. 2461.

Ces femmes par milliers conçurent des fruits dans leurs bras, sire, et donnèrent le jour à des kshatryas plus vigoureux que les précédents, 2462.

Garçons et filles, pour une nouvelle propagation des kshatryas : c’est ainsi que la caste des kshatryas fut renouvelée par les brahmes pénitents au sein des kshatryaines. 2463.

Née et grandie dans le devoir, cette race jouit d’une vie très-longue ; et de cette façon furent complétées les quatre castes, dont les brahmes sont la première. 2464.

L’homme voyait la femme par devoir au temps convenable, et non par amour hors de la saison : il en était ainsi des autres créatures, quoique nées du sein des animaux. Ils voyaient comme eux, chef des Bharatides, leurs femelles au temps fixé par la nature. De cette manière conforme à la loi se multipliaient les êtres animés par centaines de mille. 2465-2466.

Les créatures étaient vouées à l’observance du devoir, et les hommes vivaient, monarque de la terre, exempts partout des soucis et des maladies. 2467.

La caste des kshatryas gouverna donc une seconde fois cette terre, environnée de l’océan, avec ses villes, ses bois, ses montagnes ; et, sous le nouvel empire de ses lois, la caste des brahmes et les trois autres goûtèrent une joie suprême. 2468.

Exempts des fautes, qui naissent de l’orgueil et de la colère, les potentats régnaient avec justice, n’infligeant de châtiment qu’aux seuls coupables. 2469.

Tandis que la caste des kshatryas s’adonnait à la vertu, le Dieu aux mille regards, Çatakratou favorisait la terre de ses pluies versées aux temps et en lieux opportuns. 2470.

Personne ne mourait enfant, souverain des peuples, et personne ne voyait une femme avant qu’il fût arrivé à l’âge d’homme. 2471.

De cette manière, ô le plus grand des Bharatides, la terre, dans les bornes de ses mers, était remplie d’êtres arrivés à une longue vieillesse. 2472.

Les kshatryas célébraient alors de grands sacrifices, riches de mille dons, et les brahmes lisaient les Védas, les Oupanishads et les Védântas. 2473.

Les brahmes alors, sire, ne vendaient pas la sainte écriture et ne lisaient pas les Védas en présence des Çoùdras. 2474.

Les vaîçyas, qui faisaient labourer des bœufs, n’attelaient pas à la charrue des vaches maigres et les environnaient de soins. 2475.

Les hommes ne tuaient pas les veaux encore à la mamelle ; et les marchands ne vendaient pas les denrées avec de fausses mesures. 2476.

La justice présidait elle-même aux transactions, et, dévoués tous au devoir, les enfants de Manou, ô le plus éminent des hommes, se réglaient dans leurs actes sur le devoir. 2477.

Toutes les castes, puissant roi, se complaisaient chacune dans ses attributions : aussi nulle part le devoir ne se trouvait-il amoindri. 2478.

Les génisses vêlaient et les femmes accouchaient dans leur temps, 6 le plus éminent des Bharatides ; les arbres, suivant les saisons, portaient des fleurs ou des fruits. Tandis que l’âge Rrita se déroulait, sire, de cette manière convenable, la terre entière se remplissait d’êtres infiniment nombreux. 2479-2480.

Mais, pendant que le monde humain goûtait ce bonheur, illustre Bharatide, souverain des enfants de Manou, les Asouras naquirent dans les épouses des rois. 2481.

De nombreux Daîtyas, vaincus par les Adityas dans les batailles et renversés de leur puissance, tombèrent du ciel ici-bas sur la terre. 2482.

Les Asouras, désirant se refaire chez les hommes cette divinité, qu’ils n’avaient plus, naquirent alors, seigneur, dans chaque espèce de créatures, 2483.

En des vaches, des juments, des ânesses, des chamelles, des buffles, des éléphants, des gazelles et même des animaux carnivores. 2484.

Pleine de ces êtres déjà nés ou sur le point de naître, la terre, qui les portait, souverain de la terre, fut incapable de se porter elle-même. 2486.

Quelques-uns furent des rois enivrés d’un orgueil extrême. Ces fils de Diti et de Danou, tombés dans notre monde, superbes, vigoureux, vêtus de mille formes, subjuguant leurs ennemis, parcoururent toute cette terre enfermée dans ses mers. 2486-2487.

Ils vexaient les brahmes, les kshatryas, les vatçyas et les çoûdras eux-mêmes : écrasant sous leur force d’Asoura les autres êtres animés. 2488.

Effrayant, massacrant des troupes de tous les animaux, ils rôdaient, sire, de tous les côtés dans ce monde par centaines de mille. 2489.

Invulnérables, enivrés d’orgueil par leur force, et poussés par la force de l’orgueil, ils s’en allaient çà et là persécuter les grands anachorètes jusqu’au fond des hermitages. 2490.

Enfin, sire, la Terre, accablée par ces grands Asouras aux puissants efforts, inondés de force et de vaillance, se rendit chez Brahma. 2491.

En effet, les serpents, qui la soutiennent avec une multitude de forces capables, ne suffisaient plus à porter cette terre avec ses montagnes, envahie par l’armée des Asouras.

La Terre, accablée de son fardeau et tourmentée de crainte, alla donc implorer, défenseur de la terre, le secours de ce Dieu, qui est l’aïeul de toutes les créatures.

Elle vit le Dieu Brahma, immortel créateur du monde, environné par de fortunés maharshis, brahmanes et Dieux. 2492-2493-2494.

Sa cour était formée d’Apsaras et de Gandharvas, inondés de félicité, habiles dans les choses divines. La Terre, qui avait besoin de son aide, s’approcha de lui et s’annonça à lui, fils de Bharata, en présence de tous les gardiens du monde. 2495-2496.

La pensée, qui amenait la Terre, sire, était déjà connue de Paraméshthi, l’être existant par lui-même, grâce à la science nompareille, que lui donnait sa prééminence.

Pourquoi le créateur de l’univers ne saurait-il pas lire, fils de Bharata, ce qui est dans la pensée des hommes, des Asouras et des Dieux ? 2497-2498.

L’auguste maître de la terre, puissant roi, l’origine de tous les êtres, celui, qu’on appelle encore Iça, Çambhou, Pradjâpati, tint à la Terre ce langage : 2499.

« Terre, lui dit Brahma, je vais rassembler ici tous les habitants du ciel pour l’affaire, qui t’a conduite en ma présence. » 2500.

À ces mots, reprit Vaîçampâyana, le Dieu Brahma, le créateur des êtres, congédia la Terre, sire, et donna cet ordre lui-même à tous les Dieux : 2501.

« Engendrez là-bas des fils pour combattre les Démons et soulager la terre, en prenant chacun votre part de son fardeau. » Il dit ; 2502.

Et, rassemblant aussi les troupes des Apsaras et des Gandharvas, Bhagavat leur adresse à tous ces paroles pleines de sens : 2503.

« Enfantez, leur dit Brahma, et engendrez tous, selon vos sexes, comme il vous plaira chez les hommes ! » A ce langage du maître des Souras, Indra et tous les autres Dieux obéissent à sa parole vraie, judicieuse et convenable. 2504.

Ensuite, ayant différé un instant le départ pour la terre des portions d’eux-mêmes, qui devaient s’y incarner de tous les côtés, ils se rendent au Vatkounta chez Nârâyana, l’ineffable meurtrier des ennemis, 2606.

Vishnou à la robe jaune, à la blanche lumière, au nombril de lotus, à la vaste poitrine, aux yeux charmants ; lui, qui porte dans ses mains le tchakra et la massue ; lui, qui donne la mort aux ennemis des Dieux ; 2506.

L’immortel aux grandes forces, le souverain des Pradjâpatis, le protecteur des Souras, honoré par tous les êtres ; Hrishikéça, duquel un çrivatsa décore le sein.

Indra lui-même dit pour la purification de la terre à ce Pourousha suprême : « Incarne-toi aussi dans une portion de toi-même ! » — « Oui ! » répondit Vishnou. 2507-2508.