L’Antoniade/Troisième Âge/Le Mariage céleste

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Le Mariage Céleste.

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marie-antonie.


« Heureuse, Oh ! bienheureuse entre toutes ses sœurs
   Est l’âme solitaire,
L’âme qui, méprisant le monde et ses splendeurs,
Ne voit qu’avec dédain la coupe des erreurs
   Où s’enivre la terre ;
L’âme qui, toute à Dieu, rêve un autre séjour
Que ce globe imprégné d’amertume et de vase,
   Et s’endort dans l’extase
   D’un indicible amour !
Heureuse l’âme pure, heureuse l’âme douce,
   Étrangère ici-bas,
Qu’un siècle dégradé méconnaît et repousse,
   Et qui ne s’en plaint pas ;
Qui demande à souffrir, pourvu que Dieu la voie,
   Qui refuse la joie
   Dont la source est ailleurs ;
Et les yeux vers le ciel, suivant son humble route,
   Y sème goutte à goutte
   L’offrande de ses pleurs ! » —
C’est ainsi qu’a chanté, dans sa ferveur mystique.
Du sol Armoricain la Muse catholique ;
C’est ainsi qu’a chanté, sur sa cithare d’or,
En parlant de l’Épouse, une autre Muse encor :
« Elle cherchait les bois, dans ses inquiétudes ;
Elle y mettait son nid, loin du bruit, loin du jour ;
Aussi son bien-aimé la mène aux solitudes,
Car c’est dans les déserts qu’il fut blessé d’amour. »


l’ange de la solitude.


Et ce don de chanter avec l’accent suprême,
Ce céleste pouvoir, tu l’as reçu toi-même ! —
Poète séraphique, enfant du Golgotha,
Oh ! sois fière du don que le ciel t’accorda ;
Plains tous ces froids railleurs, que le blasphème amuse,
Ces vils marchands de prose, insulteurs de la Muse ;
Plains ces cœurs envieux, ces cœurs remplis de fiel,
Et rends ton culte austère à la fille du ciel !

De la famille d’Eve elle fut protectrice ;
Des premières cités, sage législatrice,
Dans la langue des dieux elle écrivit les lois ;
Oui, la Muse était reine et prêtresse autrefois !


marie-antonie.


La sainte poésie est le concert de l’âme,
Qu’en Éden ont chanté l’Ange, l’homme et la femme.
Ce siècle, pour la Muse, est trop matériel ;
Ce siècle est trop grossier pour la fille du ciel ;
Et craignant de souiller sa blanche robe d’ange,
Elle évite en fuyant le grand fleuve de fange ! —
Je porte en moi l’esprit de plusieurs de mes sœurs ;
Toutes n’ont pas le goût d’énervantes douceurs ;
Toutes n’ont pas l’amour des choses de la terre :
Il en est en qui Dieu mit son amour austère ;
Il en est qui fuiraient loin des molles cités,
Et qui rêvent des bois les âpres voluptés ;
Dans leur sein généreux bat un cœur d’amazone ;
D’un séraphique éclat leur large front rayonne ;
Elles semblent subir d’angéliques attraits,
Et passeraient sans peur à travers les forêts,
À travers tous les lieux infestés de reptiles,
Et les sables brûlants des steppes infertiles ! —
Je porte en moi l’esprit de plusieurs de mes sœurs ;
Toutes n’ont pas le goût d’énervantes douceurs ;
Le goût du luxe esclave, en sa pompe éphémère,
Et qui cherche à voiler sa superbe misère !
Ah ! que me font à moi, les biens qui n’ont qu’un temps,
Vases pétris d’argile, imparfaits et changeants,
Hochets de la matière et parcelles de l’être,
Réalités d’un jour qui ne font qu’apparaître ?
Quoi ! l’on pourrait aimer une idole de chair,
Dont la beauté fragile est destinée au ver ;
L’on pourrait s’attacher à l’inconstance même,
Sentant fuir chaque jour l’être aimé qui vous aime ;
Et l’on ne pourrait pas s’unir au Créateur,
Source de tout amour et de toute splendeur ?
Quoi ! l’ombre, le reflet, la lumière affaiblie,
L’image serait plus que l’Auteur de la vie ?
Quoi ! les choses du temps, en leur fragilité,
Pour une âme immortelle auraient plus de beauté ? —
Entre mon âme et Dieu je ne veux point de voiles ;
La splendeur du Soleil me cache les étoiles I
Devant l’Astre d’amour, tout n’est que froid néant :
Pour contenir mon cœur, Dieu seul est assez grand !
Sans le nuage obscur, sans l’image charnelle,
Oui, je veux m’élever à l’idée éternelle ;
En Dieu seul contemplant la multiplicité,
Je veux me reposer au sein de l’Unité,

Et me sentir par elle à moi-même ravie,
Comme une goutte d’eau dans l’Océan de vie !
Loin du bruit, loin du monde, à qui je dis adieu,
Loin des plus chers amis, qui séparent de Dieu ;
Loin de tous, solitaire, oubliée, oublieuse,
Je veux suivre le Christ, dans la voie épineuse !
 Ô sainte solitude, ô maîtresse des cœurs,
Que ton amour embrase en leurs élans vainqueurs,
Dans ton regard limpide et doucement austère,
Je vois se réfléchir tous les deuils du Calvaire !
Mon âme est entraînée aux accents de ta voix ;
Et ton autel m’effraie et m’attire à la fois !
Déserts inhabités, bois sombres et gothiques,
D’un vague effroi saisie en vos temples mystiques,
J’entends la voix de Dieu qui me parle en vos bruits ;
Je sens autour de moi d’invisibles appuis ;
J’erre, en chantant tout haut sur la déserte grève ;
Je ne sais quel esprit tout-à-coup me soulève,
M’illumine et m’enflamme ; et je sens s’émouvoir
Mon esprit exalté par un secret pouvoir,
Comme du grand mélèze, au doux souffle éolique,
S’éveille pour gémir l’orgue mélancolique. —
 Solitude, je vois ton règne rétabli,
Et ton nom glorieux arraché de l’oubli !
Je vois dans l’avenir, qui s’éclaire et dévoile,
Je vois sur nos déserts se lever ton étoile !
Je vois, fertile en saints, et peuplé de héros,
Germer ton Paradis, sous nos climats nouveaux !
Je vois venir à toi, vierge essaim prosélyte, —
Du peuple Américain la jeunesse d’élite !
Oui, le riche Occident te prépare un tribut :
Reine de l’Orient, Solitude, salut !
Ta gloire doit briller aux déserts d’Amérique
D’un éclat plus ardent qu’aux sables de l’Afrique ;
On y verra surgir maints pieux fondateurs,
Qui feront refleurir l’âge de tes splendeurs !
Pour consacrer bientôt des régions si vastes,
Je vois naître et grandir de saints enthousiastes,
Qui, sans s’inquiéter des jugements humains,
Vivent, dans le désert, du travail de leurs mains…
 Oh ! qui me bâtira mon étroite cabane ?
Je voudrais vivre ainsi que Rose et Marianne ;
Je voudrais imiter l’ange du Canada ;
Aimer, souffrir, ainsi que Tégahgouïta !
Avec le même attrait, avec les mêmes grâces,
Ne pourrais-je marcher sur leurs divines traces ?
Ce que mes sœurs ont pu, ne le pourrais-je point ?
Oh ! qui me bâtira ma cellule en un coin ?
 Aimer, souffrir, prier, c’est mon sort sur la terre :
Heureuse l’ermitesse, en son coin solitaire !

L’atmosphère du monde est mortelle à l’amour :
Heureuse l’ermitesse, en son obscur séjour ! —
Salut, ô solitude, ô divine nourrice,
Ô maîtresse de l’âme, ô vierge institutrice !
Ton école céleste est celle des douleurs !
Tes fils sont abreuvés, non de lait, mais de pleurs !
Tu marques tes élus du signe de la gloire ;
Pour se plaire à ton culte, il faut aimer et croire ;
Il faut fouler aux pieds et la chair et le monde,
Et le luxe énervant de la luxure immonde !
Il faut, il faut, s’armant de la virginité,
Par l’amour de Dieu seul vaincre la volupté,
Et dans son vol ardent vers les choses de l’âme,
S’élever sans repos sur des ailes de flamme !
Oh ! qui m’emportera, loin des froides cités,
Dans les vallons ombreux, sur les monts abrités,
Dans les lieux où jamais ne va la multitude ?
Je languis dans le monde : — Oh ! prends-moi, Solitude !
Ce que mes sœurs ont pu, ne le pourrais-je point ?
Oh ! prends-moi, Solitude, et conduis-moi bien loin !
Sur l’enfant des forêts, Dieu veille avec tendresse :
Abandonnera-t-il l’humble et pauvre ermitesse ?
Lui qui prend soin des fleurs et des oiseaux du ciel,
Et qui donne, en tous lieux, à l’abeille son miel ;
Lui, dont la Providence, en sa loi régulière,
S’étend avec amour sur la nature entière ;
Lui, le Consolateur ; lui, le Père et l’Époux ;
Lui, le céleste Amant, solitaire et jaloux ;
Abandonnera-t-il l’épouse fugitive,
Dans son amour pour lui, solitaire et craintive ?
Oh ! non ; son bras puissant ne s’est pas raccourci ;
Ce qu’il a fait ailleurs, il le ferait ici !…
 Ô toi, ma Mère, étoile étincelante et douce,
Qui nous montres le piège où le Démon nous pousse,
Et qui, servant de guide et de phare au pécheur,
Éclaires son chemin et rassures son cœur ;
Ô boussole, ô flambeau de notre nuit profonde,
Daigne luire sur moi, dans l’exil de ce monde ;
Et conduisant mes pas à travers le désert,
Fais que par Jésus-Christ le ciel me soit ouvert !
 Et vous, fleurs des forêts, dont l’esprit sur moi plane :
Ô Tégahgouïta, Solano, Marianne,
Rose et Lys, dont l’odeur autrefois parfuma
La ville de Quito, la ville de Lima :
Intercédez pour moi, qui souffre et lutte encore,
Afin que votre esprit en mon cœur fasse éclore
L’amour de la prière et de l’humilité ;
Et la haine des biens, aimés dans la cité !
Intercédez pour moi dans le ciel où vous êtes,
Afin que sur la terre, imitant les ascètes,

En fuyant la cité, j’adopte pour séjour
L’antre où pénètre à peine un seul rayon du jour !
Le salut de mon âme est mon unique affaire ;
Le salut de mon âme, à tout prix sur la terre ! —
À quoi me servirait de gagner l’univers,
S’il me fallait, après, tomber dans les enfers ? —


emmanuel.


Chaste exaltation, extase virginale
D’un cœur qui chante à Dieu son hymne triomphale !
Je t’admire, ô Marie, en ta sage ferveur,
Ne voulant pour Époux que le Divin Sauveur ! —
Solitude du corps, solitude de l’âme,
Sainte virginité, tu relèves la femme !
C’est par toi qu’elle est reine, et que son cœur aimant
Pour n’y chercher que Dieu, s’élance au firmament ;
Par toi qu’en son amour, son repos extatique,
Elle puise sans cesse une ardeur séraphique ! —
Toute âme, assujettie aux voluptés du corps,
Se dissout dans l’ivresse et s’épanche au-dehors !
L’enthousiaste instinct, la force et la constance,
La charité martyre est dans la continence !
Je t’admire, ô Marie, en ta sage ferveur,
Ne voulant pour Époux que le Divin Sauveur ! —


marie-antonie.


Fais plus que m’admirer ; — imite-moi, mon frère !
Laisse-toi soulever au-dessus de la terre !
De l’amour en ton cœur suis le mystique attrait :
Quel trésor de ce monde est digne d’un regret ?
Ou l’enfer ou le ciel, telle est ta destinée ;
Ta fin, malgré les biens, la gloire et l’hyménée…
Marche ! marche toujours ! — Ah ! quel que soit l’accueil
D’un monde mensonger, le terme est le cercueil !
L’orage, en soulevant des vagues ennemies,
Sépare chaque jour bien des barques amies !
Du bonheur espéré nul ne cueille la fleur,
Et plus l’espoir fat grand, plus vive est la douleur !