Le Mirage perpétuel/LES PAYSAGES/Tolède

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Librairie Paul Ollendorff (p. 15-17).
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TOLÈDE



Tolède sur son roc et tenant à ses pieds
Le Tage aux flots boueux qui mugit autour d’elle
Profile sur l’azur parmi tours et tourelles
Les tragiques débris de ses murs foudroyés.

Elle domine ainsi qu’une étroite couronne
Le sommet décharné d’une montagne à pic
Où s’étiolent parmi de rares basilics
Quelques touffes d’ajoncs, de myrte et d’anémones.


Elle est comme un grand cri poussé dans le désert,
Et, de son fleuve roux au lointain horizon,
Le sol fauve est pareil à la peau d’un lion
Dont les blés desséchés auraient été couverts.

Ô Tolède hautaine, ô ruine exaltante,
Relique d’un passé de massacre et de guerre,
Comme tu portes haut l’orgueil héréditaire,
La volonté de vivre et la tristesse ardente !

J’ai gravi tes sentiers rocailleux en serrant
Dans ma droite un long cep de vigne centenaire,
J’ai dormi sur le seuil des petits sanctuaires,
Les mules aux longs yeux me frôlaient en passant.

J’ai vu ton alcazar brûlé, ta cathédrale,
Tes portes dans les murs délabrés s’encastrant,
Et comme un conquérant parmi des conquérants
De l’escalier des tours j’ai suivi la spirale


Pour, tenant d’un seul coup la plaine et la cité
Dans un vaste regard de rêveur prophétique,
Savourer à loisir le plaisir énergique
De comprendre à la fois la Mort et la Beauté.