Le Miroir des jours/Le dimanche

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Le Miroir des joursMontréal (p. 26-27).


LE DIMANCHE[1]


 

C’est dimanche, et voyez !
Dans la prairie en fleurs
Butine activement l’abeille diligente !
L’incrédule ruisseau dont le flot bleu s’argente
Abreuve encore l’herbe et les merles siffleurs !

Insatiable, au ciel tiède et pur, l’hirondelle,
Dédaigneuse de Dieu, poursuit les moucherons !
Et les arbres, berçant au vent leurs larges fronts,
Continuent d’enrichir leur frondaison nouvelle !


Les oiseaux — ces païens gentils — tressent leurs nids
Et pondent sans repos de petits œufs fragiles !
Et les brises de mai qui passent sur les villes
Ont des frémissements de fraîcheur impunis !

C’est dimanche. Au pignon la girouette tourne
Comme un jour de semaine ordinaire, et l’on voit
À la fontaine un chien libre-penseur qui boit !
Et des hommes méchants font du pain, qu’on enfourne

L’eau coule, l’herbe pousse, et la sève au tronc vieux
Monte, et l’amour, dans l’ombre, ainsi qu’hier, tressaille
L’horloge va son train et la terre travaille !
C’est dimanche, et la fleur fleurit !
— C’est scandaleux.


  1. Pièce de circonstance qui date des jours où l’on voulut nous imposer une loi d’une rigueur anormale et qui, dans la pensée de l’auteur, profondément religieux, était d’abord une protestation contre le pharisaïsme qui s’affichait alors. — Les Édit.