Le Monastère/Chapitre XXIX

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 13p. 344-359).
CHAPITRE XXIX.


le page.


Certes il ne sera pas assez cruel pour m’abandonner ici : s’il le fait, les jeunes filles ne se confieront plus si facilement à des hommes.
Les deux nobles Parents.


Le chevalier continua de pousser vivement son cheval, en tant que la route le permettait, jusqu’à ce qu’ils eussent quitté la vallée de Glendearg pour entrer dans celle de la Tweed ; bientôt ils aperçurent les eaux cristallines de cette belle rivière. On voyait sur la rive opposée les murs grisâtres du monastère de Sainte-Marie, dont les tours et le pinacle n’étaient pas encore bien éclairés par les rayons du soleil levant, à cause des hautes montagnes qui entourent l’édifice vers le sud.

Le chevalier tourna à gauche et suivit la route le long de la rivière, jusqu’au moment où ils arrivèrent à l’espèce d’écluse où le frère Philippe avait terminé son excursion aquatique.

Sir Piercy Shafton, dont le cerveau pouvait rarement suivre plus d’une idée à la fois, avait jusqu’à présent poursuivi sa route sans penser où il allait ; mais la vue du monastère lui rappela qu’il était encore sur un terrain dangereux, et qu’il fallait pourvoir à sa sûreté, en déterminant le lieu de son refuge. La situation de sa libératrice s’offrit aussi à sa pensée, car il n’était ni égoïste ni ingrat. Il écouta, et s’aperçut que la fille du meunier sanglotait et pleurait sur son épaule.

« Qu’as-tu, dit-il, ma généreuse Molinara ? y a-t-il quelque chose que Piercy Shafton puisse faire pour te remercier de sa délivrance ? »

Mysie indiqua avec son doigt l’autre côté de la rivière, mais n’osa pas tourner sa tête de ce côté. « Parlez clairement, généreuse damoiselle, » dit le chevalier qui, pour cette fois, était aussi embarrassé que sa propre élégance embarrassait journellement les autres ; « parlez clairement, car je vous jure que je ne comprends rien à l’extension de ce joli doigt.

— Là-bas est la maison de mon père, » dit Mysie d’une voix interrompue par les sanglots.

— Et je t’emportais loin de ton habitation comme un chevalier discourtois ! » s’écria Shafton se méprenant sur le sujet de sa douleur ; « maudite soit l’heure où Piercy Shafton, ne pensant qu’à sa propre sûreté, oublia celle d’une femme, et, ce qui est encore plus odieux, de sa généreuse libératrice. Descends donc, ô charmante Molinara, à moins que tu ne préfères que je te conduise à cheval à la maison de ton père molinarien ; car si tu dis un seul mot, je suis prêt à t’obéir malgré tous les dangers auxquels pourrait m’exposer la vengeance des moines ou du meunier. »

Mysie étouffa ses sanglots et annonça avec émotion qu’elle allait descendre, et que seule elle voulait en courir le risque. Sir Piercy Shafton était un écuyer trop dévoué aux belles pour négliger aucune attention, et d’ailleurs la meunière y avait quelques droits. Il descendit aussitôt de cheval, et reçut dans ses bras la pauvre fille qui pleurait toujours amèrement. Quand il l’eut posée à terre, elle pouvait à peine se soutenir, ou du moins elle le tenait toujours serré, comme si elle n’eût pas songé de qui elle invoquait le secours. Il la conduisit sous un bouleau qui croissait sur la pelouse, bordant une route sinueuse, et l’y plaçant, il l’exhorta à se calmer. Un sentiment vif et naturel surmonta son affectation habituelle, et il lui dit : « Croyez-moi, généreuse fille, Piercy Shafton aurait cru acheter trop cher le service que vous lui avez rendu, s’il eût pu prévoir les larmes qu’il vous coûterait. Apprenez-moi la cause de votre chagrin, et si je puis y remédier, croyez que les droits que vous avez acquis sur moi me font considérer vos ordres comme plus sacrés que ceux d’une impératrice. Parlez donc, belle Molinara, et commandez à celui que la fortune a rendu votre débiteur et votre champion.

— Fuyez, sauvez-vous, » dit Mysie recueillant toutes ses forces pour prononcer ces mots.

« Au moins, dit le chevalier, permettez-moi de vous laisser quelque gage de mon souvenir. » Mysie lui aurait répondu que c’était inutile, et elle aurait dit vrai ; mais les pleurs l’empêchaient de parler.

« Piercy Shafton n’est pas riche, reprit-il, mais cette chaîne vous prouve qu’il n’est pas un ingrat. »

Il détacha de son cou la superbe chaîne et le médaillon dont nous avons déjà parlé, et les plaça dans la main de la pauvre fille, qui ne parut ni les recevoir ni les rejeter ; car, tout occupée d’autres sentiments, elle ne voyait point ce qu’il faisait.

« Nous nous reverrons, dit sir Piercy Shafton, au moins je l’espère. Ne pleurez plus, belle Molinara, et aimez-moi toujours. »

Cette prière n’était qu’une phrase d’usage : mais elle avait un sens plus profond pour la pauvre Mysie. Elle sécha ses larmes, et quand le chevalier se pencha avec une courtoisie chevaleresque pour lui donner le baiser d’adieu, elle se leva humblement pour recevoir cet honneur dans une attitude de déférence, et reçut le baiser avec modestie et reconnaissance. Sir Piercy Shafton sauta sur son cheval et s’éloigna. Mais la curiosité ou peut-être un sentiment plus vif lui fit retourner la tête, et il aperçut la fille du meunier debout immobile au lieu où il l’avait quittée, les yeux fixés sur lui et la chaîne restée suspendue à sa main.

Ce fut à cet instant qu’un trait de lumière vint l’éclairer sur l’état réel des affections de Mysie et du motif qui l’avait fait agir. Les galants de ce siècle étaient désintéressés, pleins de noblesse et d’élévation d’âme, même dans leur galanterie ; ils étaient étrangers à ces dégradantes poursuites qu’on peut appeler de lâches amours. Ils ne faisaient pas la chasse aux humbles vierges du vallon, et n’avilissaient pas leur rang en privant l’innocence rustique de paix et de vertu. Il s’ensuivait donc que, comme ils n’ambitionnaient pas de triomphes dans cette classe, ils n’y faisaient aucune attention, et souvent même ils ne s’en doutaient pas quand par hasard il en était ainsi. Le compagnon d’Astrophel, la fleur des tournois de la cour de Félicia, ne s’inquiétait pas plus si ses grâces et ses manières aimables pouvaient lui valoir l’amour de Mysie Happer, qu’une beauté à la mode ne s’inquiète dans sa loge de la blessure que ses charmes peuvent faire au cœur d’un clerc d’avoué qui se trouve au parterre. Il est probable que dans tout autre cas l’orgueil du rang et de la distinction aurait prononcé comme l’humble admiratrice la sentence que le petit maître Fiedling avait lancée contre tout le beau sexe : « Qu’elles admirent et qu’elles meurent. » Mais les obligations qu’il avait contractées envers la tendre meunière s’opposaient à la possibilité de traiter l’affaire si cavalièrement, et Piercy, fort embarrassé, quoique passablement flatté, retourna sur ses pas pour voir ce qu’il pourrait faire dans l’intérêt de la jeune fille.

La modestie naturelle de la pauvre Mysie ne put l’empêcher de donner des signes de joie quand elle vit revenir sir Piercy Shafton. Elle fut trahie par son œil brillant et les caresses qu’elle fit timidement au cheval qui ramenait le cavalier bien-aimé. « Que puis-je faire de plus pour vous, aimable Molinara, » dit sir Piercy Shafton, hésitant lui-même et rougissant ; car il faut le dire à l’honneur du siècle de la reine Élisabeth, ses courtisans portaient plus de fer sur leur poitrine que d’airain sur leur front, et même au milieu de leur vanité, ils conservaient toujours l’esprit de chevalerie par lequel se distinguait l’aimable chevalier de Chaucher,

« Qui, dans sa démarche modeste,

Affectait d’une vierge et le port et le geste. »

Mysie rougit et tint ses yeux fixés vers la terre, et sir Piercy continua avec le même embarras : « Craignez-vous de retourner chez vous, belle Molinara ? voulez-vous que je vous accompagne ?

— Hélas ! » dit Mysie en levant les yeux tandis que ses joues, de rouges qu’elles étaient, devinrent pâles comme la mort, « je n’ai plus d’asile.

— Comment, plus d’asile ! s’écria Shafton ; ma généreuse Molinara dit-elle qu’elle n’a plus d’asile, quand voilà la maison de son père, et qu’elle n’en est séparée que par un ruisseau argenté ?

— Hélas ! reprit la jeune meunière, je n’ai plus de père ni d’asile. Mon père est un serviteur dévoué de l’abbaye ; j’ai offensé l’abbé ; et si je retourne chez mon père, il me tuera.

— Qu’il se garde bien de porter la main sur vous, de par le ciel ! dit sir Piercy ; je vous jure sur mon honneur et ma chevalerie que les troupes de mon cousin de Northumberland raseraient le monastère si bien qu’un cheval ne trébucherait pas sur les ruines, s’il osait toucher un seul cheveu de votre tête. Calmez-vous donc, chère Mysinda, et sachez que vous avez obligé celui qui veut et qui peut venger la moindre injure qu’on voudrait vous faire. »

À ces mots il descendit de cheval, et, dans la vivacité de sa harangue, il saisit la main que lui abandonna volontiers Mysie ou Mysinda, ainsi qu’il venait de la nommer. Il attacha ses regards d’abord sur deux grands yeux noirs qui le contemplaient, et dont on ne pouvait méconnaître l’expression, quoiqu’elle fût adoucie par une modestie virginale ; puis sur des joues auxquelles un sentiment d’espérance avait rendu leur couleur naturelle ; enfin, sur des lèvres qui, semblables au bouton de rose, étaient entr’ouvertes par le bonheur, et laissaient apercevoir une rangée de dents aussi blanches que des perles. Ce tableau était dangereux à contempler, et sir Piercy Shafton, après avoir répété l’offre, de moins en moins pressante, de conduire la belle Mysinda chez son père, finit par la prier de le suivre, « au moins, ajouta-t-il, jusqu’à ce que je puisse vous conduire en lieu convenable. »

Mysie Happer ne fit pas de réponse ; mais, rougissant de joie et de pudeur, donna en silence son consentement, en attachant son paquet et se préparant à monter en croupe. « Et que désirez-vous que je fasse de ceci ? » dit-elle en lui présentant la chaîne, comme si elle se fût aperçue pour la première fois qu’elle la tenait dans sa main.

« Gardez-la, belle Mysinda, pour l’amour de moi, dit le chevalier.

— Non pas monsieur, » répondit-elle gravement ; les jeunes filles de mon pays n’acceptent pas de semblables dons de leur supérieurs, et je n’ai pas besoin d’un souvenir pour me rappeler la matinée de ce jour. »

Le chevalier la supplia avec politesse de garder ce présent ; mais Mysie était décidée sur ce point : elle sentait peut-être qu’en acceptant une récompense, c’était en faire un service mercenaire ; elle promit seulement de cacher la chaîne, de crainte que ce bijou ne fît découvrir celui à qui il appartenait, jusqu’à ce que sir Piercy fût en lieu de sûreté.

Tous deux remontèrent à cheval, et se remirent en route pour continuer un voyage dont Mysie, aussi hardie et expérimentée sur ce point qu’elle était simple et susceptible dans d’autres, dirigea en quelque sorte l’itinéraire, ayant seulement demandé la direction générale, et reçu pour réponse que sir Piercy Shafton désirait aller à Édimbourg, où il espérait trouver des amis et des protecteurs. Après cette information, Mysie profita de la connaissance qu’elle avait du pays pour sortir aussi vite que possible du territoire de l’abbaye ; bientôt ils se trouvèrent dans les domaines d’un baron laïque, qu’on supposait attaché aux doctrines des réformés, et sur les terres duquel, au moins, Mysie présumait que ceux qui les poursuivraient n’oseraient hasarder aucun acte de violence. À la vérité, elle ne craignait pas beaucoup qu’on les poursuivît ; elle pensait, avec quelque raison, que les habitants de Glendearg auraient de la peine à surmonter les obstacles des verrous et des barrières sous lesquels elle les avait soigneusement enfermés avant de prendre la fuite.

Ils continuèrent donc leur route avec une sécurité raisonnable. Sir Piercy Shafton trouva le moyen de faire passer le temps par ses hyperboles et en racontant de longues anecdotes de la cour de Féliciana ; Mysie prêtait une oreille attentive aux récits de son compagnon de voyage, quoiqu’elle ne comprît pas un mot sur trois. Elle l’écoutait néanmoins et l’admirait sur parole, comme plus d’un homme sage supporte avec complaisance la conversation d’une maîtresse charmante, mais sans esprit. Pour sir Piercy Shafton, il était dans son élément, et bien assuré de l’intérêt et de l’entière approbation de son auditeur ; il continua à se lancer dans des phrases d’un euphuisme plus obscur et plus long qu’à l’ordinaire. La matinée se passa ainsi, et vers midi ils arrivèrent près d’un ruisseau sur les bords tortueux duquel s’élevait un ancien château baronial entouré de grands arbres. À une petite distance de la porte du manoir s’étendaient quelques cabanes çà et là ; une église était au centre de ce hameau.

« Voilà Kirktown, dit Mysie ; je connais ce village, il y a deux hôtelleries ; la plus mauvaise est la meilleure pour notre projet ; elle est éloignée des autres maisons et j’en connais bien le maître, car il a acheté souvent de la drèche chez mon maître.

Cette causa scientiœ, pour nous servir d’une phrase de légiste, était mal choisie pour le projet de Mysie ; en effet sir Piercy Shafton avait conçu une grande estime pour sa compagne de voyage qui le laissait se livrer à son bavardage habituel, et, charmé de la docilité gracieuse avec laquelle elle se soumettait au pouvoir de sa conversation, il avait presque oublié qu’elle n’était pas une de ces beautés de haut lignage dont il racontait de si charmantes choses ; mais cette phrase malencontreuse vint rappeler immédiatement à son souvenir les circonstances les plus désavantageuses à Mysie. Il ne dit cependant mot ; qu’aurait-il pu dire ? rien n’était plus naturel que la fille d’un meunier connût les aubergistes qui achetaient de la drèche chez son père ; et, ce qui devait seulement étonner, c’était le concours d’événements qui avaient rendu une telle femme la libératrice et le guide de sir Piercy Shafton de Wilverton, parent du puissant comte de Northumberland, que les princes et les souverains eux-mêmes traitaient de cousin parce qu’il était du sang de Piercy[1]. Il sentit qu’il y avait quelque ridicule pour lui à courir la contrée avec la fille d’un meunier en croupe, et il fut même assez ingrat pour éprouver quelques émotions de honte lorsqu’il arrêta son cheval à la porte de la petite auberge.

Mais la vive intelligence de Mysie Happer lui épargna d’avoir à rougir de déroger ainsi. Elle sauta vite à bas du cheval, et comme l’hôte arrivait la bouche béante pour recevoir un convive d’un extérieur tel que celui du chevalier, elle régala ses oreilles d’un conte de son invention, et dans lequel les incidents s’accumulaient les uns sur les autres. L’étonnement s’empara de sir Piercy Shafton qui, parmi ses nombreux talents, n’avait pas celui de l’invention. Elle raconta à l’aubergiste que son hôte était un illustre chevalier anglais qui se rendait du monastère à la cour d’Écosse, après avoir été s’acquitter de ses vœux à Sainte-Marie, et qu’elle avait été chargée de lui indiquer le chemin ; que Ball, son palefroi, lui avait manqué en route, parce qu’il était harassé de fatigue pour avoir apporté au moulin de son père le dernier melder[2] du blé pour le ministre de Langhope ; qu’elle avait laissé Ball paître dans le parc de Tasker près Cripplecross ; car fatigué comme il était, il ne bougeait pas plus que la femme de Loth changée en sel ; et alors le chevalier, par courtoisie, avait insisté pour qu’elle montât derrière lui ; elle l’avait amené à l’hôtellerie d’un ami connu de la maison plutôt qu’à celle de l’orgueilleux Peter Peddie qui achetait sa drèche aux moulins de Milerstane ; il fallait donner ce que sa maison avait de meilleur, et être prêt dans un moment ; enfin elle était disposée à l’aider dans la cuisine.

Mysie débita ce conte avec une grande volubilité de langue, sans s’arrêter une seule fois, et sans que l’hôte conçût le moindre doute.

Le cheval du voyageur fut conduit à l’écurie, et lui-même fut installé dans le coin le plus propre de la salle et dans le meilleur siège qu’on pût trouver à la maison. Mysie, toujours active et officieuse, s’occupait à la fois d’apprêter le repas, de mettre la nappe et de faire tous les arrangements que son expérience pouvait lui suggérer en l’honneur et pour la commodité de son compagnon. Il s’y serait volontiers refusé ; car, tandis qu’il lui était impossible de n’être pas touché de la bonté vive et empressée que Mysie mettait dans son service, il ressentait une peine qu’il ne pouvait définir en la voyant occupée de ces soins domestiques et s’en acquitter comme une personne à qui ils n’étaient que trop familiers. Ce sentiment désagréable était mêlé de quelque plaisir, et peut-être même était-il balancé par la grâce avec laquelle la jeune fille à la main vive remplissait ces fonctions vulgaires. Alors le coin obscur d’une misérable auberge devenait un bosquet sous lequel une fée amoureuse, ou pour le moins une bergère d’Arcadie, déployait, avec une infructueuse sollicitude, ses attaques sur le cœur d’un chevalier destiné par la fortune à des pensées plus relevées et à une alliance plus magnifique.

La légèreté et l’aisance avec lesquelles Mysie couvrait la petite table ronde d’une nappe blanche comme la neige, et plaçait le chapon rôti à côté d’un flacon de Bordeaux, n’étaient en elles-mêmes que des grâces plébéiennes ; mais chaque regard que le chevalier jetait sur elle faisait naître en lui une nouvelle émotion. Elle était si bien faite, elle avait à la fois tant d’activité et de grâce ! son bras et sa main d’une blancheur remarquable, sa figure, sur laquelle le sourire se mêlait à une rougeur pudique, ses beaux yeux toujours fixés sur Shafton lorsqu’il regardait autre part, et qui se baissaient toutes les fois qu’ils rencontraient les siens : tous ces attraits la rendaient d’une séduction irrésistible. Enfin, la délicatesse affectueuse de toute sa conduite, jointe à la promptitude et à la hardiesse qu’elle avait dernièrement déployées, tendaient à ennoblir les services qu’elle lui rendait.

Il semblait qu’une Grâce eût quitté l’Empyrée

Et revêtu l’humble livrée
Pour le suivre et pour le servir.

Mais d’un autre côté se présentait à son esprit cette fâcheuse réflexion, que ces manières ne lui étaient pas données par l’amour pour servir son amant lui seul, mais qu’elles étaient l’effet naturel de l’habitude dans la fille d’un meunier, accoutumée, sans aucun doute, à rendre les mêmes services à chaque rustre un peu riche qui fréquentait le moulin de son père. Cela fermait la bouche à sa vanité, et à l’amour qui couvrait cette même vanité, aussi efficacement qu’un picotin de fleur de farine aurait pu le faire.

Au milieu de ces diverses émotions, sir Piercy Shafton n’oublia pas de prier celle qui les faisait naître de s’asseoir et de partager l’agréable repas qu’elle avait pris tant de peine à préparer et à mettre en ordre. Il s’attendait que cette invitation serait acceptée timidement peut-être, mais certainement avec beaucoup de reconnaissance, et il fut en partie flatté, et en partie piqué du mélange de déférence et de résolution avec lequel Mysie refusa son invitation. Immédiatement après, elle disparut de l’appartement, laissant l’euphuiste considérer s’il devait plus s’affliger que se féliciter de sa disparition.

C’était un point sur lequel il aurait trouvé qu’il était difficile de se décider, s’il y en avait eu quelque nécessité. Comme il n’y en avait aucune, il but quelques verres de Bordeaux, et chanta pour lui-même un ou deux couplets du divin Astrophel. Mais, en dépit du vin et de sir Philippe Sidney, les rapports qu’il avait alors, et ceux qu’il devait encore avoir avec la charmante Molinara, ou Mysinda, comme il se plaisait à nommer Mysie Happer, se présentaient toujours à ses réflexions. L’esprit du temps, comme nous l’avons déjà dit, coïncidait heureusement avec sa générosité naturelle, qui approchait presque de l’extravagance, en lui défendant, comme un péché mortel contre la galanterie, la chevalerie et la morale, de récompenser les bons offices qu’il avait reçus de cette pauvre fille, en abusant de quelque avantage que lui donnait la confiance qu’elle avait en son honneur. Pour rendre justice à sir Piercy Shafton, c’était une idée qui n’était jamais entrée dans sa tête ; et il aurait probablement déployé toute la science des imbrocata, des stoccata ou des punto reverso, qu’il avait puisée dans les leçons de Vincent Saviola, contre tout homme qui aurait osé lui attribuer une bassesse aussi ingrate qu’égoïste. D’un autre côté, il était homme et il prévoyait des circonstances qui, pendant leur voyage commencé d’une manière si intime, pouvaient l’exposer à la tentation et prêter à la médisance. En outre, il était fat et courtisan, et il trouvait quelque ridicule à courir le pays avec la fille d’un meunier en croupe : cela pouvait donner lieu à des soupçons peu honorables pour tous les deux, et à des bruits ridicules sur son compte, ce qu’il redoutait le plus.

« Je voudrais, » disait-il à demi-voix, « si cela pouvait se faire sans mal et sans honte pour la trop ambitieuse, mais aussi très-judicieuse Molinara, qu’elle et moi nous nous séparassions tout à fait, pour suivre chacun notre carrière différente : comme nous voyons un bon vaisseau partir pour les mers lointaines, voiles déployées, et sillonner la profondeur de l’abîme, tandis que l’humble nacelle ramène aux rivages ces amis qui, le cœur blessé et les yeux humides de larmes, ont abandonné à leurs hautes destinées les aventuriers audacieux montés sur la belle frégate. »

Il avait à peine formé ce souhait, qu’il fut accompli ; car l’hôte entra pour lui dire que le cheval de Sa Seigneurie était prêt, et qu’on le lui amènerait quand il le désirerait. Sir Piercy s’informa où était la… la demoiselle… c’est-à-dire la jeune fille ?

« Mysie Happer ? dit l’hôte, elle est retournée chez son père ; mais elle m’a recommandé de vous dire que vous ne pouvez vous tromper pour aller à Édimbourg, parce que la distance n’est point grande, et que la route ne fait aucune fourche. »

Il est rare que nous obtenions l’entier accomplissement de nos souhaits au moment même où nous les formons ; peut-être parce que le ciel nous refuse sagement ce qui serait souvent reçu avec ingratitude. C’est du moins ce qui arriva dans cette circonstance ; car lorsque l’hôte eut annoncé que Mysie était retournée chez son père, le chevalier fut sur le point de lui répondre par une exclamation de surprise et de désappointement, et par une demande faite à la hâte : pour quel lieu et quand elle était partie ? Grâce à sa prudence, il maîtrisa son premier mouvement, mais il ne put retenir le second.

« Où elle est allée ? » dit l’hôte en le regardant et en répétant sa question. « Elle est allée à la maison de son père, il est probable ; et elle est partie tout de suite, après m’avoir donné des ordres pour le cheval de Votre Seigneurie ; et lorsqu’elle a vu qu’il avait bien mangé (elle aurait pu s’en rapporter à moi, mais les meuniers et les parents des meuniers pensent que tous les autres sont des voleurs), elle m’a quitté, et elle est bien à trois milles d’ici maintenant.

— Elle est donc partie ! » murmura sir Piercy en faisant rapidement deux ou trois tours dans la petite salle. « Elle est partie ! eh bien ? laissons-la aller. Elle ne pourrait retirer que du désagrément de ma société, et moi un peu de honte de la sienne. Je n’aurais jamais pensé que sa séparation m’eût tant coûté. Je gagerais qu’elle est maintenant à rire avec quelque paysan, et ma belle chaîne lui fera une bonne dot. Et cela ne doit-il pas être ainsi ? ne l’a-t-elle pas bien méritée, même quand la chaîne vaudrait dix fois plus ? Piercy Shafton ! Piercy Shafton ! envierais-tu à ta libératrice une récompense qu’elle a payée si cher ? L’air d’égoïsme de la terre du Nord t’a-t-il donc infecté, Piercy Shafton, et flétri les fleurs de ta générosité, comme on dit qu’il tue les fleurs du mûrier ? Mais, je croyais, » ajouta-t-il après une pause d’un moment, » qu’elle ne se serait pas si facilement et si volontairement séparée de moi ! Ne pensons plus à cela. Allons, vite, mon compte, digne hôte, » dit-il alors à voix haute, « et que votre groom m’amène mon cheval. »

Le bon aubergiste semblait aussi avoir quelque sujet de réflexion, car il ne répondit pas tout de suite ; examinant si sa conscience voulait se charger du poids d’un double paiement pour l’écot. Apparemment la réponse de sa conscience fut négative ; car, à la fin, mais avec un peu d’hésitation, il répondit : « C’est une sottise de mentir, je ne puis nier que le compte n’ait été entièrement payé. Néanmoins, s’il plaît à Votre digne Seigneurie d’ajouter quelque chose pour l’augmentation de soin ?…

— Comment, s’écria le chevalier, le compte est payé ! et par qui, je vous prie ?

— Et par Mysie Happer, s’il faut parler vrai, » répondit l’honnête aubergiste, qui éprouvait alors autant de remords en disant la vérité, qu’un autre en eût ressenti en faisant un mensonge ; « et avec l’argent que le moine abbé lui avait donné pour payer les frais du voyage de Votre Honneur, comme elle me l’a dit. Et certes, je ne voudrais pas écorcher les gentlemen qui entrent chez moi. » Et dans la confiance que la franchise de son aveu serait une preuve de son honnêteté, il ajouta : « Néanmoins, comme je l’ai déjà dit, s’il plaît à la bonne volonté de Votre Seigneurie de considérer le dérangement extraordinaire… »

Le chevalier coupa court à son argument en lui jetant un noble à la rose, qui probablement avait deux fois la valeur d’un écot écossais, mais qui aurait à peine payé la moitié d’un repas aux Trois-Grues ou au Marché-au-Vin[3].

Cette générosité rendit l’hôte si joyeux qu’il courut tirer le vin de l’étrier (ce qui n’était jamais payé) à une barrique encore meilleure que celle qu’il avait mise en perce pour le flacon du dîner. Sir Piercy s’approcha lentement de son cheval, reçut la coupe de vin, et remercia l’hôte avec la bonne grâce empesée d’un courtisan de la cour d’Élisabeth ; puis il monta à cheval et suivit la route du nord, qui lui avait été indiquée comme celle qui était la plus courte pour se rendre à Édimbourg, et qui, bien inférieure toutefois à nos grandes routes modernes, avait une ressemblance assez exacte avec un chemin public et fréquenté pour qu’on ne pût s’y tromper.

« Je n’aurai pas besoin de ses conseils pour me guider, il me semble, » se dit-il à lui-même, en mettant son cheval au petit pas ; « et je suppose que c’est une des raisons de son brusque départ, si différent de ce à quoi on pouvait s’attendre. Mais c’est bien ! je suis débarrassé d’elle. Ne prions-nous pas pour être délivré de la tentation ? Mais qu’elle se soit si grossièrement trompée sur sa situation et sur la mienne, qu’elle ait pensé devoir payer mon compte ! Je voudrais la voir encore une fois, seulement pour lui expliquer l’inconvenance dont son inexpérience l’a rendue coupable.

« Mais je crains bien, » ajouta-t-il, comme il sortait d’entre quelques arbres épars çà et là, et jetant les yeux sur une contrée sauvage, hérissée de collines rocailleuses, formant une succession de chaînes entre elles, « que je n’aie bientôt besoin de l’aide de cette Ariane, qui pourrait me donner un fil pour me conduire à travers les détours de ce labyrinthe de montagnes que j’aperçois là-bas.

Comme le chevalier se parlait ainsi à lui-même, son attention fut arrêtée par le bruit des pas d’un cheval, et un jeune homme monté sur un poney gris, et suivant un sentier qui passait derrière les arbres, le joignit sur la grande route.

L’habillement du jeune homme était tout à fait villageois, mais propre et élégant. Il avait une jaquette d’un drap gris tailladé et brodé, avec une culotte blanche garnie pareillement, et des sandales ou bottines de peau de daim avec de jolis éperons d’argent. Un manteau d’un brun sombre enveloppait entièrement la partie supérieure de son corps, et le collet couvrait presque en entier son visage, qui était aussi caché par un bonnet de velours noir et le panache de plumes qui le surmontait. Sir Piercy Shafton, qui aimait la société, qui désirait en même temps avoir un guide, et qui de plus se sentait disposé en faveur d’un si beau jeune homme, ne manqua pas de lui demander d’où il venait et où il allait. Le jeune homme regarda d’un autre côté, et lui répondit qu’il allait à Édimbourg, pour chercher du service dans quelque famille noble.

« Je crains bien que vous ne vous soyez enfui de chez votre dernier maître, dit sir Piercy, puisque tout en répondant à ma question vous n’osez pas me regarder en face.

— En vérité non, » répondit le jeune homme avec timidité, et non sans quelque répugnance il tourna son visage vers le chevalier et se détourna aussitôt. Ce ne fut qu’un coup d’œil, mais la reconnaissance fut complète. On ne pouvait s’y tromper ; c’étaient bien là les beaux yeux noirs, la joue fraîche et riante encore malgré quelque embarras de la jeune et jolie meunière. La rencontre fut joyeuse, et sir Piercy Shafton éprouvait trop de plaisir à retrouver sa compagne pour se rappeler toutes les bonnes raisons qui l’avaient consolé de sa perte.

Comme il l’interrogeait sur son changement de costume, elle répondit qu’elle l’avait obtenu d’une amie dans le village. C’était l’habit de fête de son fils qui venait de se rendre à l’armée avec son seigneur suzerain, le baron maître du pays. Elle l’avait emprunté sous prétexte de remplir un rôle dans une farce ou une mascarade de campagne. Elle avait laissé, dit-elle, ses vêtements en échange qui valaient plutôt dix couronnes que celui-là n’en valait quatre.

« Et le cheval, mon ingénieuse Molinara, dit sir Piercy, d’où vient le cheval ?

— Je l’ai emprunté à notre hôte du Nid-du-Milan ; « répliqua-t-elle et elle ajouta, en étouffant à moitié un éclat de rire, « il me l’a donné en échange de notre Ball, que j’ai laissé dans le parc de Tasker, à Cripplecross ; il sera bienheureux s’il l’y trouve !

— Mais alors le pauvre homme perdra son cheval, très-rusée Mysinda, » dit sir Piercy Shafton, dont les notions anglaises sur la propriété étaient un peu choquées de ce mode d’acquisition, plus conforme aux idées de la fille d’un meunier, et d’un meunier de la frontière, qui plus est, qu’aux idées d’un noble Anglais.

« S’il perd son cheval, » dit en riant Mysie, « ce ne sera pas certainement le premier homme des Marches[4] à qui pareil malheur soit arrivé. Mais ce ne sera pas lui qui perdra, car je gage qu’il en retiendra le prix sur l’argent qu’il doit à mon père depuis longtemps.

— Mais alors ce sera sur votre père que tombera la perte, » lui objecta de nouveau sir Piercy, qui ne pouvait s’écarter de ses principes de droiture.

« Que signifie cela maintenant de parler de mon père ? » dit la jeune fille avec humeur ; et prenant tout de suite un ton de tristesse, elle ajouta : « Mon père a perdu dans ce jour ce qui lui aurait fait supporter avec résignation toutes les autres pertes qu’il aurait faites. »

Frappé de ce peu de paroles où se peignaient le chagrin et le remords, le chevalier anglais pensa qu’il était de son honneur et de sa conscience de lui montrer aussi fortement qu’il le pouvait les risques de la route où elle s’était engagée, et la nécessité de retourner à la maison paternelle. Son discours, quoique orné de fleurs, bien inutiles, n’en était pas moins honorable pour son esprit et pour son cœur.

La fille du meunier, tout en continuant d’avancer, écouta les phrases du chevalier en penchant la tête sur sa poitrine, comme une personne plongée dans de profondes pensées ou dans un grand chagrin. Lorsqu’il eut fini, elle leva la tête, regarda le chevalier en face, et lui répondit avec beaucoup de fermeté : « Si vous êtes las de ma compagnie, sir Piercy Shafton, vous n’avez qu’à le dire, et la fille du meunier ne vous embarrassera pas plus long-temps. Et ne pensez pas que je veuille être un fardeau pour vous ; si nous faisons route ensemble pour Édimbourg, j’ai assez de sagesse et d’orgueil pour ne pas être volontairement à charge à un homme. Mais si maintenant vous ne rejetez pas ma compagnie, et si vous ne craignez pas qu’elle vous devienne importune par la suite, ne me parlez jamais de retourner sur mes pas. Tout ce que vous pouvez me dire, je me le suis dit à moi-même, et si je suis ici maintenant, c’est un signe que toutes mes réflexions ne m’ont servi à rien. Cependant qu’il ne soit plus question de cela entre nous. Je vous ai déjà été utile en quelque chose, et le temps viendra peut-être ou je pourrai vous être plus utile encore ; car ce n’est pas ici votre Angleterre, où on dit que la justice est rendue sans crainte et sans partialité aux grands et aux petits. Mais c’est un pays où l’on se fait justice par la force, où l’on se défend par la présence d’esprit et la ruse, et je connais mieux que vous les périls auxquels vous êtes exposé. »

Sir Piercy Shafton fut un peu mortifié d’entendre que la jeune Mysie pensait lui avoir été utile comme protectrice et comme guide, et il dit qu’il n’avait besoin pour se protéger que de son bras et de sa bonne épée. Mysie répondit tranquillement qu’elle ne doutait nullement de sa bravoure, mais que c’était précisément cette même bravoure qui pouvait le mettre en danger. Sir Piercy, dont la tête ne pouvait suivre long-temps le même raisonnement, ne fit aucune réponse, étant sûr, au fond du cœur, que la jeune fille ne se servait de ce moyen que pour déguiser des motifs plus réels d’attachement à sa personne. Le romanesque de cette situation flatta sa vanité et enflamma son imagination ; il se mit à la place d’un de ces héros de romans dont il avait lu les aventures, et où de semblables travestissements jouaient un grand rôle.

Il jetait souvent des regards furtifs sur son page. L’habitude qu’avait Mysie des plaisirs et des exercices champêtres la rendait tout à fait propre à soutenir le rôle qu’elle avait pris. Elle dirigeait son petit cheval avec habileté et même avec grâce ; rien dans son extérieur ne pouvait trahir son déguisement, excepté lorsque son compagnon fixait sur elle des yeux où se peignait sa timidité, alors ce regard faisait naître pour un moment sur le visage de Mysinda une rougeur pudibonde qui ajoutait grandement à sa beauté.

Le couple fit route comme dans la matinée, charmés l’un de l’autre ; ils arrivèrent enfin au village dans lequel ils devaient passer la nuit, et où tous les habitants de la petite auberge, hommes et femmes, s’extasièrent sur la bonne grâce et l’air majestueux du chevalier anglais, et sur la beauté rare de son jeune domestique. Ce fut là que Mysie Happer fit pour la première fois sentir à sir Piercy Shafton la manière réservée avec laquelle elle se proposait de vivre avec lui. Elle l’annonça comme son maître, le servit avec toute l’attention obséquieuse d’un domestique, et ne lui permit pas la plus petite familiarité, pas même celle que le chevalier pouvait hasarder avec la plus grande innocence. Par exemple, sir Piercy, qui, comme nous savons, était un grand connaisseur en fait de toilette, lui détaillait les changements avantageux qu’il se proposait de faire dans la parure de sa compagne aussitôt qu’ils seraient arrivés à Édimbourg, en lui faisant prendre ses couleurs œillet et incarnat, Mysie Happer l’écoutait faire complaisamment l’éloge des bordures, des dentelles, des taillades, des garnitures, jusqu’à ce qu’enfin, emporté par l’enthousiasme qu’il mettait à lui dépeindre la supériorité du collet tombant sur la fraise espagnole, il approcha sa main, pour le lui montrer, vers le collet du pourpoint de son page. Mysie aussitôt recula, et le fit souvenir d’un air grave, qu’elle était sous sa protection.

« Vous ne pouvez donc pas vous rappeler le motif qui m’a conduite ici ? continua-t-elle ; ayez seulement avec moi la moindre familiarité que vous n’auriez pas avec une princesse entourée de sa cour, et vous aurez vu pour la dernière fois la fille du meunier : elle s’évanouira comme la paille s’envole de l’aire lorsque le vent d’ouest souffle.

— Je proteste, belle Molinara ! » dit sir Piercy Shafton. Mais la belle Molinara était disparue avant qu’il eût prononcé sa protestation. « C’est une bien singulière fille ! » se dit-il à lui-même, « et j’en jure par cette main, aussi sage que belle. Certes ce serait une honte de lui nuire ou d’attenter à son honneur. Elle fait des comparaisons aussi, quoique sentant un peu sa condition. Si elle avait lu seulement Euphues et oublié ce maudit moulin et ce maudit van, je crois bien que sa conversation serait brodée d’autant de perles fines et compliments que celle de la plus instruite dame de la cour de Féliciana. J’espère qu’elle pense à revenir jouir de ma compagnie. »

Cela n’entrait pas dans les idées de la sage Mysie. La nuit s’approchait au moment où elle l’avait quitté ; il ne la vit plus que le lendemain, lorsque les chevaux furent amenés devant la porte pour que les voyageurs continuassent leur route.

Mais il nous faut ici nécessairement quitter le chevalier anglais et son page, pour retourner à la tour de Glendearg.



  1. Froissart nous dit quelque part, et la source véritable importe peu aux liseurs de romans, que le roi de France appelait cousin un des Piercy, à cause du sang de Northumberland dont il sortait. a. m.
  2. Mesure. a. m.
  3. Nom de tavernes à Londres. a. m.
  4. Nom de comtés en Écosse.