Le Monastère/Chapitre XXVIII

La bibliothèque libre.
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 13p. 334-343).
CHAPITRE XXVIII.


la fuite.


Il est libre, je me suis hasardée pour lui… Si la loi me saisit et me condamne, les jeunes filles, les vierges sensibles pleureront sur ma tombe, et diront que je suis noblement morte de la mort des martyrs.
Les deux nobles Parents.


Quand le sous-prieur de Sainte-Marie sortit du spence qui renfermait sir Piercy Shafton, après avoir fait préparer ce qui était nécessaire pour la nuit dans cette chambre où le chevalier devait être plus aisément gardé, il laissa derrière lui plus d’une personne dans l’embarras. Auprès de cet appartement, et y communiquant, se trouvait une petite aile de bâtiment. Elle contenait une chambre à coucher qui était, dans les temps ordinaires, celle de Marie Avenel ; mais la grande quantité de monde arrivé la veille au soir avait fait changer cette disposition, et Mysie Happer occupait cette chambre ; car alors, comme aujourd’hui encore, une habitation écossaise était toujours trop bornée pour l’hospitalité du propriétaire, et il fallait souvent opérer bien des mutations pour accommoder tous les convives.

La triste nouvelle de la mort de Halbert Glendinning avait dérangé tous les préparatifs et jeté tout en confusion. Marie Avenel, qui réclamait de prompts secours, avait été transportée dans l’appartement habituel d’Halbert et de son frère, parce que celui-ci se proposait de passer la nuit à veiller le prisonnier. On avait tout-à-fait oublié la pauvre Mysie, et naturellement elle s’était retirée dans son petit appartement, ignorant que le lieu qu’il fallait traverser pour en sortir allait être, pour cette nuit, la chambre à coucher de sir Piercy Shafton. Les mesures qu’on avait prises avaient été si précipitées qu’elle ne savait point qu’il y fût détenu, et elle ne commença à soupçonner la vérité qu’en s’apercevant que les autres femmes avaient été conduites dehors par l’ordre du sous-prieur ; voyant qu’elle avait manqué l’occasion de se retirer avec elles, la timidité, et le respect qu’elle avait pour les moines, l’empêchèrent de sortir et de se présenter devant le père Eustache pendant qu’il était en conférence avec l’Anglais ; il ne restait donc d’autre moyen que d’attendre qu’ils eussent fini ; et comme la porte était mince et ne fermait pas très-bien, elle entendait ce qui se passait entre eux.

Il en résulta qu’elle se trouva initiée à tous les détails de cette conférence ; elle vit aussi par la fenêtre de sa petite retraite que plusieurs des jeunes gens qu’Édouard avait demandés arrivaient à la tour. Elle conçut alors l’idée que la vie de sir Piercy Shafton était en grand danger.

Une femme est naturellement compatissante, et elle le devient peut-être davantage quand la jeunesse et la beauté sont le partage de celui qu’elle plaint. La tournure agréable, la mise élégante et les manières polies de sir Piercy Shafton, qui n’avaient fait aucune impression sur l’esprit grave et le caractère élevé de Marie Avenel, avaient tout-à-fait ébloui la pauvre fille du meunier. Le chevalier s’en était aperçu, et flatté de voir que quoiqu’un savait apprécier son mérite, il avait accordé à Mysie une plus grande part de courtoisie que celle qui revenait de droit au rang de la jeune personne. Ces soins ne furent pas perdus ; on les reçut avec la vénération que méritait une si grande condescendance, et ce souvenir, joint à beaucoup de sensibilité naturelle et aux craintes que pouvait inspirer le sort du chevalier, émut profondément le cœur de la jolie meunière.

« Certainement c’est très-mal d’avoir tué Halbert Glendinning, » se disait-elle à elle-même ; « mais enfin sir Piercy était né gentilhomme et militaire, et son extérieur était si doux et si poli, qu’elle était sûre qu’il fallait que ce fût par la faute du jeune Glendinning ; car tout le monde savait bien que les deux Glendinning étaient si épris de Marie Avenel qu’ils ne faisaient pas attention à une seule fille de Sainte-Marie, comme s’ils eussent été d’un autre rang ! Ensuite les vêtements d’Halbert étaient aussi grossiers que ses manières étaient brusques ; et ce pauvre jeune homme (qui était vêtu comme un prince) se voyait banni de son pays, entraîné dans une querelle par un chicaneur incivil, puis persécuté et peut-être mis à mort par les alliés et les amis de la victime !

Mysie pleura amèrement à cette idée, puis son cœur se révolta contre tant de cruauté envers un étranger sans défense, qui était vêtu avec tant de goût et s’exprimait avec tant de grâce ; et elle commença à chercher si elle ne pourrait pas lui rendre service.

Le cours de ses idées était tout-à-fait changé ; elle ne songeait auparavant qu’au moyen de s’échapper de son appartement ; maintenant elle en venait à croire que le ciel l’avait envoyée là pour pourvoir au salut de l’étranger persécuté. Elle était simple et affectueuse, mais d’un caractère vif et entreprenant. Elle possédait une force corporelle et un courage plus qu’ordinaires, quoique ses sentiments pussent se laisser égarer par les riches vêtements et les belles paroles avec autant d’ardeur qu’aurait pu le désirer un élégant accompli. « Je le sauverai, se dit-elle, c’est la première chose à décider, et alors je voudrais bien savoir ce qu’il dira à la pauvre fille du meunier, qui aura fait pour lui ce que toutes les belles dames de Londres et de Holy-Rood n’auraient pas le courage d’entreprendre. »

La prudence commençait à faire entendre sa voix, pendant qu’elle se livrait à des projets, et lui disait que plus la reconnaissance de sir Piercy Shafton serait vive, plus elle serait dangereuse pour sa bienfaitrice. Hélas ! pauvre prudence, tu pourrais dire avec notre moraliste moderne :


« Je prêche toujours, mais en vain. »

Tandis que tu versais tes conseils dans le sein de la jeune meunière, elle jeta les yeux sur un petit miroir auprès duquel elle avait posé la petite lampe, et elle y vit une figure et des yeux toujours pleins de gentillesse et de vivacité, mais ennoblis en ce moment par l’expression énergique d’une âme qui ose concevoir et exécuter un projet plein d’une généreuse audace.

« Se pourrait-il que ces traits et ces yeux, avec le service que je vais rendre à sir Piercy Shafton, ne pussent rien pour rapprocher la distance de rang qui existe entre nous ? »

Telle était la question que la vanité féminine posait à l’imagination ; mais celle-ci n’osa y répondre affirmativement. Il fallut adopter une conclusion moyenne. « Secourons d’abord ce brave jeune homme et fions-nous à la fortune pour le reste. » Aussi, bannissant de son esprit tout ce qui pouvait la concerner, la jeune fille généreuse, bien que téméraire, tourna ses pensées vers les moyens d’exécuter son entreprise.

Les obstacles qui s’y opposaient n’étaient pas faciles à surmonter. La vengeance des hommes de ce pays dans les cas de défi à mort, c’est-à-dire lors d’une querelle causée par la mort d’un parent, était un des traits les plus remarquables de leur caractère. Édouard, qui était très-doux en toute autre circonstance, avait aimé si tendrement son frère, qu’on pouvait s’attendre qu’il signalerait son ressentiment tout autant que le permettaient les usages de la contrée. Il fallait traverser la porte intérieure de l’appartement, la grille extérieure de la tour et la porte pour que le prisonnier fut en liberté ; puis il fallait trouver un guide et se procurer les moyens d’aller plus loin, sans quoi l’évasion était inutile. Mais quand la volonté d’une femme est fixée, il est rare que son esprit soit arrêté par des obstacles, quels qu’ils soient.

Il n’y avait pas long-temps que le sous-prieur avait quitté l’appartement, que déjà Mysie avait imaginé un plan hardi certainement, mais qui pouvait réussir s’il était bien conduit. Mais il fallait qu’elle attendît assez tard pour que les habitants de la tour fussent livrés au repos, excepté ceux qui gardaient le chevalier. Elle employa cet intervalle à épier les mouvements de celui en faveur duquel elle se hasardait si généreusement.

Elle l’écouta se promener dans la chambre ; il songeait sans doute à l’embarras de sa position. Bientôt elle entendit qu’il fouillait dans ses malles que le sous-prieur avait fait transporter dans son appartement. Il cherchait probablement à se distraire de ses réflexions mélancoliques en mettant ses effets en ordre. Enfin il marcha de nouveau, et il paraissait que son esprit s’était un peu calmé à la vue de sa garde-robe, car au premier tour de chambre qu’il fit, il récita à moitié un sonnet, à un second il siffla une gaillarde, et au troisième il fredonna une sarabande ; à la fin elle crut être certaine qu’il se jetait sur le lit qu’on lui avait préparé, toutefois après avoir murmuré rapidement ses prières. Puis elle cessa de l’entendre, et elle en conclut qu’il dormait d’un profond sommeil.

Elle employa les moments qui lui restaient à considérer son entreprise sous divers aspects, et toute dangereuse qu’elle était, la revue sérieuse qu’elle fit de ses différents obstacles la mit à même de trouver à les lever. L’amour et une généreuse compassion, qui donnent séparément une impulsion si forte et si persévérante au cœur d’une femme, se trouvaient réunis en elle et la rendaient prête à défier tous les hasards.

Il était une heure après minuit. Tout dormait profondément dans la tour, hors ceux qui étaient chargés de la garde du prisonnier anglais, ou, si le chagrin et la souffrance éloignaient le sommeil des yeux de la dame Glendinning et de sa fille adoptive, elles étaient trop accablées par leur douleur pour faire attention au bruit extérieur. Il y avait dans la chambre de quoi se procurer de la lumière, et la fille du meunier eut bientôt arrangé une petite lampe. D’un pas tremblant et le cœur agité elle alla ouvrir la porte qui la séparait du chevalier anglais, et recula, presque effrayée de son projet, quand elle se trouva dans la même chambre que le prisonnier endormi. Elle n’osait prendre sur elle de le regarder, entouré de son manteau et étendu sur le lit de camp ; elle détourna les yeux et tira le manteau tout juste assez fort pour l’éveiller. Il ne fit un mouvement que lorsqu’elle eut répété cet appel une seconde et une troisième fois. Alors, ouvrant les yeux, il parut prêt à faire une exclamation de surprise.

La timidité de Mysie céda à la crainte, elle plaça son doigt sur ses lèvres, afin de l’inviter au silence, puis lui montra la porte pour lui rappeler qu’on le gardait.

Sir Piercy Shafton, rassuré, se mit sur son séant ; il contemplait avec surprise la figure gracieuse de la jeune femme qui était devant lui, sa taille bien formée, ses cheveux flottants, et la finesse de ses traits qu’on ne distinguait que faiblement, mais à leur avantage, à la faible lueur de la lampe qu’elle tenait à la main : l’imagination romanesque du jeune chevalier eut trouvé facilement quelque compliment convenable à la circonstance, mais Mysie ne lui en laissa pas le temps.

« Je viens, dit-elle, sauver votre vie qui est en grand danger : si vous me répondez, parlez le plus bas qu’il vous sera possible, car il y a des sentinelles armées à votre porte.

— Ô la plus belle des meunières ! » dit sir Piercy debout sur son lit, « ne craignez rien pour ma sûreté ; croyez-moi, car cela est très-vrai, je n’ai pas versé le liquide rouge que ces villageois appellent leur sang, et qui coule de génération en génération dans les veines de leurs parents grossiers ; ainsi je n’ai rien à redouter de l’issue de cette affaire. Mille grâces te soient rendues, ô beauté adorable, je t’offre tous les remercîments que ta courtoisie a droit d’attendre.

— Non, sir chevalier, » reprit la jeune fille d’une voix basse et tremblante, « je ne mérite aucun remercîment. Si vous ne suivez pas mes conseils, Édouard Glendinning a fait venir Dan du Howlet-Hirst et le jeune Adie d’Aikenshaw, et ils ont amené avec eux trois autres hommes armés d’arcs, de cottes de mailles et de javelines ; je les ai entendus se dire entre eux dans la cour qu’ils vengeraient la mort de leur parent, quand même le capuchon du moine en devrait souffrir, et les vassaux sont si indisciplinés maintenant que l’abbé lui-même n’ose pas les gouverner, dans la crainte qu’ils ne se fassent hérétiques pour ne pas payer les droits féodaux.

— Par ma foi, dit sir Piercy Shafton, il pourrait bien se faire que la tentation fût grande et que les moines se délivrassent de cet embarras en m’envoyant sur les frontières auprès de sir John Foster ou de lord Hunsdon, les gardiens anglais ; ils feraient par ce moyen la paix avec les vassaux et l’Angleterre. Belle Molinara, pour cette fois je marcherai sous tes ordres, et si tu trouves moyen de me faire sortir de ce vil bourbier, je célébrerai si bien ta beauté et ton esprit, que la Fornarina de Raphaël d’Urbino ou d’Urbin ne sera qu’une bohémienne auprès de ma Molinara.

— Je vous prie de garder le silence, dit la fille du meunier, car si votre voix trahit votre réveil, mon stratagème échoue totalement ; c’est déjà par un effet de la miséricorde du ciel et de Notre-Dame si nous ne sommes pas entendus et découverts.

— Je serai silencieux comme la nuit obscure, reprit le chevalier ; mais encore un mot : si ce plan te fait courir quelque danger, belle et non moins obligeante demoiselle, il serait indigne de moi d’accepter ton secours généreux.

— Ne pensez pas à moi, » dit précipitamment Mysie, « je n’ai rien à craindre, je songerai à moi quand je vous verrai une fois hors de celle demeure dangereuse. Si vous désirez prendre une partie de vos vêtements, ne perdez pas de temps. »

Le chevalier en perdit cependant, car il ne pouvait décider ce qu’il abandonnerait de sa garde-robe, dont chaque article lui était si cher par le souvenir des fêtes où il l’avait porté pour la première fois. Mysie le laissa seul pendant quelque temps, car elle avait aussi des préparatifs à faire pour sa fuite. Mais quand elle revint dans la chambre, portant un petit paquet dans sa main, elle le trouva encore indécis ; elle lui dit sans détour que s’il ne voulait pas marcher incontinent, il fallait tout abandonner. Ceci détermina le chevalier : il mit promptement quelques hardes dans une valise, jeta sur ses malles un regard de douleur muette, et suivit son aimable guide.

Elle alla vers la porte de l’appartement, et faisant signe au chevalier de se serrer derrière elle, puis ayant éteint sa lampe, elle frappa un ou deux coups à la porte. Édouard répondit en demandant : « Qui est-ce qui frappait et ce qu’on désirait. »

— Parlez bas, dit Mysie, ou vous éveillerez le chevalier anglais ; c’est moi, Mysie Happer, qui frappe ; je désire sortir, vous m’avez enfermée, et j’ai été obligée d’attendre que le chevalier fût endormi.

— Enfermée ! reprit Édouard avec surprise.

« Oui, reprit la fille du meunier, vous m’avez enfermée dans cet appartement ; j’étais dans la chambre à coucher de Marie Avenel.

— Et ne pouvez-vous y rester jusqu’au matin ? puisque vous y êtes.

— Quoi ! reprit Mysie, » d’un ton de délicatesse offensée, croyez-vous que je veuille rester ici, dès que je puis sortir sans être vue ? Je ne voudrais pas pour tout le territoire de Sainte-Marie rester une minute de plus dans le voisinage de la chambre d’un homme. Pour qui me prenez-vous ? je vous assure que la fille de mon père a de trop bons principes pour mettre son honneur en péril.

— Sortez donc, et rendez-vous en silence à votre chambre, dit Édouard. »

À ces mots, il tira le verrou. L’escalier était tout à fait obscur ainsi que Mysie s’en était assurée. Dès qu’elle fut dehors, elle saisit le bras d’Édouard comme pour se soutenir, se mettant de la sorte entre lui et sir Piercy, qui était serré contre elle ; ainsi caché, l’Anglais se glissa en silence, et sur la pointe de ses pieds nus. Pendant ce temps, la jeune fille disait à Édouard qu’il lui faudrait une lumière.

« Je ne puis vous en procurer, lui dit-il, car je ne saurais quitter mon poste ; mais il y a du feu en bas.

— J’y resterai jusqu’au jour, » dit la jeune meunière, et descendant rapidement, elle entendit Édouard qui barrait et verrouillait la porte de la chambre vide avec une précaution fort inutile.

Elle retrouva son protégé, qui l’attendait au bas de l’escalier pour prendre ses avis. Elle lui recommanda de garder le silence le plus absolu, ce que, pour la première fois de sa vie, il fit volontiers ; et il la suivit, avec autant de précaution que s’il eût marché sur de la glace brisée, vers un lieu sombre où l’on renfermait le bois. Là, elle le fit cacher derrière les fagots. Elle ralluma sa lampe au feu de la cuisine, et prit sa quenouille et son fuseau pour paraître occupée, dans le cas où quelqu’un viendrait à rentrer. De temps à autre, elle se levait et courait sur la pointe du pied, regardait par la croisée si elle voyait paraître le jour. Enfin, à sa grande joie, elle le vit poindre au-dessus des nuages gris de l’est. Joignant ses mains, elle remercia Notre-Dame, la pria de la secourir dans la suite de son entreprise. Elle n’avait pas encore achevé sa prière, qu’elle frémit en sentant le bras d’un homme tomber sur ses épaules, tandis qu’une voix brusque s’écriait à ses oreilles : « Quoi, laborieuse Mysie du moulin, si tôt en prière ! Bénédiction sur ces beaux yeux qui s’ouvrent de si bonne heure ! il me faut un baiser pour l’amour d’une si belle matinée. »

Dan du Howlet-Hirst, car c’était le galant qui faisait ces compliments à Mysie, accompagna les mots de l’action même ; et l’action fut accueillie, comme toutes ces galanteries rustiques, par un soufflet que Dan reçut comme un beau gentilhomme reçoit un coup d’éventail, mais que la main énergique de Mysie appliqua si bien qu’il aurait étonné un galant moins robuste.

« Comment ! sir Coxcomb[1], dit-elle, et vous quittez la garde du chevalier anglais pour venir interrompre les gens tranquilles par vos lourdes galanteries.

— En vérité, gentille Mysie, dit le rustre, vous vous trompez, car je n’ai pas encore relevé Édouard de son poste, et si je n’avais pas honte de l’y laisser si long-temps, je voudrais rester auprès de vous deux heures encore.

— Oh ! vous ne manquuez pas d’heures pour voir tout le monde ; mais pour l’instant vous feriez bien de songer à la douleur de la famille, et d’envoyer Édouard se reposer, car il a veillé toute la nuit.

— Il me faut un autre baiser auparavant, dit Dan Howlet-Hirst. » Mais Mysie était sur ses gardes, et peut-être songeait au voisinage du bûcher ; elle sut si bien résister que le galant, maudissant la mauvaise humeur de la nymphe avec une phrase peu pastorale, monta promptement l’escalier pour aller relever son camarade. Elle courut à la porte, et entendit la nouvelle sentinelle tenir une courte conversation avec Édouard ; puis ce dernier se retira.

Mysie laissa la nouvelle sentinelle se promener pendant quelque temps, jusqu’à ce que le jour fût venu tout à fait. Alors, présumant qu’il avait oublié son refus, elle se présenta devant lui, et demanda les clefs de la tour extérieure et de la cour.

— Et pourquoi faire ? demanda le gardien.

— Pour traire les vaches et les conduire au pâturage, dit Mysie ; vous ne voudriez pas que les pauvres bêtes demeurassent toute la journée dans la vacherie ; et la famille est si affligée, qu’il n’y a que moi et la vachère capables d’y songer ce matin.

— Et où est la vachère ?

— Elle est restée avec moi dans la cuisine, afin d’être prête si ces bonnes gens avaient besoin de quelque secours.

— Voilà les clefs, Mysie la révêche, dit la sentinelle.

— Grand merci, Dan-bon-à-rien, » reprit la meunière ; et elle descendit avec rapidité pour se rendre au bûcher. Là, vêtir le chevalier anglais d’un jupon et d’une robe courte fut l’affaire d’un instant. Elle ouvrit les portes de la tour, et se rendit vers la vacherie, qui était située dans un coin de la cour.

Piercy Shafton voulait lui représenter que c’était se retarder. « Belle et généreuse Molinara, dit-il, ne ferions-nous pas mieux, d’ouvrir la porte extérieure, et de fuir promptement comme une troupe de mouettes qui se réfugie dans les rochers quand les vagues sont hautes.

— Il nous faut faire sortir les vaches auparavant, dit Mysie, car ce serait péché que de laisser dépérir le bétail de la pauvre veuve, aussi bien pour son intérêt que pour celui des animaux, et je suis d’avis que personne ne va quitter la tour, afin de nous poursuivre. D’ailleurs il vous faut votre cheval, car vous aurez besoin de bonnes jambes avant la fin de tout ceci. »

En même temps elle ferma à double tour les portes de la tour. Elle entra dans la vacherie ; et après avoir donné au chevalier son cheval à conduire, elle chassa le bétail devant elle dans la cour, comptant venir reprendre son propre palefroi ; mais le bruit qu’elle avait fait en fermant les portes avait attiré l’attention d’Édouard, qui courut aussitôt à une meurtrière pour demander ce qui se passait.

Mysie répondit avec empressement qu’elle faisait sortir les vaches, qui dépériraient si on ne les soignait pas.

« Je te remercie, aimable fille, dit Édouard ; et qui est cette demoiselle qui t’accompagne ? »

Mysie se disposait à répondre, quand sir Piercy Shafton, qui désirait sûrement contribuer à sa délivrance par son adresse, s’écria : « Je suis, ô jeune homme bucolique, je suis celle à qui est confié le soin des mères laitières du troupeau.

— Enfer et ténèbres ! » s’écria Édouard transporté de fureur et de surprise, « c’est Piercy Shafton ! Trahison, trahison ! holà ! Dan ; Jasper, Martin, le scélérat s’échappe !

— À cheval ! à cheval ! » s’écria Mysie ; et en un clin d’œil elle fut en croupe derrière le chevalier qui était déjà en selle.

Édouard saisit une arbalète, et lança un trait qui siffla si près des oreilles de Mysie, qu’elle cria à son compagnon : « En avant, en avant ! une autre ne nous manquerait pas. Si Halbert eût lancé cette flèche, nous serions morts maintenant. »

Le chevalier pressa les flancs de son cheval, qui partit au galop en passant à côté des vaches, et descendit la colline sur laquelle était située la tour. Ensuite, prenant la route qui conduisait dans la vallée, le noble animal, sans s’inquiéter de son double fardeau, conduisit bientôt Shafton et Mysie loin du tumulte et de l’alarme que leur fuite causait à la tour de Glendearg.

C’est ainsi que, par une bizarrerie étrange, deux hommes fuyaient de différents côtés, chacun d’eux accusé du meurtre de l’autre.


  1. Petit-maître grossier, littéralement, crête de coq. a. m.