Le Monastère/Chapitre XXXIII

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 13p. 389-399).
CHAPITRE XXXIII.


le prisonnier.


Maintenant, sur ma parole, tout cela est embrouillé comme le peloton d’une tricoteuse indolente qu’un jeune chat espiègle tire à travers la chambre, tandis que la bonne dame, assise au coin de son feu, laisse aller sa tête en dormant. Messieurs, prêtez l’oreille. il faudra quelque habileté pour éclaircir cela.
Ancienne comédie.


Édouard, avec la promptitude d’un homme qui doute de la fermeté de la résolution qu’il a prise, se hâta de préparer les chevaux pour leur départ, et en même temps il remercia et congédia les voisins qui étaient venus à son secours, et qui ne furent pas peu surpris de la décision soudaine de son départ, et du tour qu’avaient pris les affaires.

« Voilà une froide hospitalité ! » dit Dan d’Howelet-Hirst à ses camarades ; « je jure bien que tous les Glendinning peuvent vivre ou mourir maintenant avant que je remette le pied dans l’étrier pour eux. »

Martin les apaisa en plaçant devant eux une collation. Ils mangèrent néanmoins d’un air mécontent et partirent de mauvaise humeur.

L’heureuse nouvelle se répandit en peu de temps dans la famille désolée. La mère pleurait et remerciait le ciel alternativement ; enfin ses habitudes d’économie domestique se réveillant en elle à mesure que son esprit devenait plus calme, elle observa qu’il y aurait beaucoup d’ouvrage à raccommoder les portes. Et que ferait-on tandis qu’elles seraient brisées de cette manière ? Les portes ouvertes, les chiens entrent dans la maison.

Tibbie avait toujours pensé, dit-elle, qu’Halbert était trop adroit à l’épée pour être tué si facilement par un Piercy, quel qu’il fût. On pouvait dire de ces Anglais tout ce qu’on voulait ; mais ils n’avaient pas la force et la vigueur d’un bon Écossais lorsqu’il fallait en venir aux mains.

L’impression que reçut Marie Avenel fut beaucoup plus profonde : elle avait tout nouvellement appris à prier, et il lui semblait que sa prière avait été exaucée à l’instant : que la compassion du ciel, qu’elle avait appris à implorer dans les paroles de l’Écriture, était descendue sur elle d’une manière presque miraculeuse, et que la Divinité, touchée de ses lamentations, avait rappelé le mort du tombeau. L’enthousiasme de ses sentiments était dangereux, mais il prenait sa source dans la dévotion la plus pure.

Une espèce de voile de soie brodé, un des plus magnifiques objets de parure qu’elle possédât, fut consacré à envelopper et à cacher le saint volume que désormais elle regardait comme son trésor le plus précieux, déplorant seulement que, faute d’un habile interprète, il dût être, en bien des endroits pour elle, un livre clos et une fontaine fermée. Elle n’avait aucune idée du danger plus grand qu’elle courait en attachant un sens imparfait, ou même faux, à quelques-unes des doctrines qui paraissaient très-compréhensibles. Mais le ciel avait pourvu à tous ces hasards.

Tandis qu’Édouard était occupé à préparer les chevaux, Christ ie de Clint-Hill demanda de nouveau au père Eustache ses ordres relativement au prédicateur réformé ; et, pour la seconde fois, le digne moine essaya de concilier dans son esprit la compassion et l’estime que, presque en dépit de lui-même, il ne pouvait s’empêcher de ressentir pour son ancien camarade, avec ce qu’il devait à l’Église. La résolution inattendue d’Édouard avait levé, pensa-t-il, la principale objection contre son désir de laisser Henri à la lourde Glendearg.

« Si j’emmène ce Wellwood ou Warden au monastère, pensait-il, il mourra, il mourra dans son hérésie ; il périra corps et âme. Et quoique une telle mesure fût regardée autrefois comme nécessaire pour frapper de terreur les hérétiques, leur force, qui s’accroît tous les jours, est telle maintenant que sa mort peut plutôt les rendre furieux et les porter à la vengeance. Il est vrai qu’il refuse de promettre de ne pas semer l’ivraie dans le blé ; mais ici la terre est trop stérile pour le recevoir. Je ne crains pas qu’il fasse aucune impression sur ces pauvres vassales de l’Église, élevées dans l’obéissance de ses commandements. Le caractère d’Édouard, hardi, inquiet, ardent et avide de connaissances, pouvait donner de l’aliment au feu, mais il s’éloigne, et je ne laisse rien ici que la flamme puisse atteindre. Ainsi il n’aura pas le pouvoir de répandre ses mauvaises doctrines, et sa vie sera conservée ; et il peut se faire que son âme soit sauvée, comme l’oiseau s’échappe des filets de l’oiseleur. Moi-même j’argumenterai avec lui, je le combattrai ; quand nous étudiions ensemble, je ne lui cédais pas, et sûrement la cause pour laquelle je combats me donnerait de la force si j’étais encore plus faible que je ne pense l’être. Si cet homme abjurait ses erreurs, l’Église retirerait cent fois plus d’avantage de sa régénération spirituelle que de sa mort temporelle. »

Après ces réflexions, qui attestaient à la fois son caractère humain, ses principes sévères, et une bonne dose d’amour-propre, le sous-prieur ordonna que le prisonnier fût amené en sa présence.

« Henri, lui dit-il, quoi que puisse me demander la rigidité de mes devoirs, mon ancienne amitié et la charité chrétienne me défendent de te conduire à une mort assurée.

« Tu étais généreux, je le sais, quoique tu fusses ferme et opiniâtre dans tes résolutions ; que le sentiment de ce que tu appelles tes devoirs ne te conduise pas plus loin que je ne me suis laissé conduire par le mien. Rappelle-toi que si tu détournais de la bergerie une seule brebis. il en serait demandé compte dans les temps et dans l’éternité à celui qui te laissa la liberté de faire un tel mal. Je ne te demande aucune promesse, excepté celle de rester prisonnier sur parole dans cette tour, et de paraître lorsqu’on t’en sommera.

— Tu as trouvé le moyen, répondit te prédicateur, d’enchaîner mes mains plus solidement que n’auraient pu le faire les plus lourdes chaînes de la prison de ton couvent. Je ne ferai rien témérairement, rien qui puisse t’attirer la disgrâce de tes supérieurs. Je serai d’autant plus circonspect que, si nous avons plus tard l’occasion d’une conférence, j’espère que ton âme peut encore être sauvée, comme on retire un tison du bûcher. Oui, je te ferai dépouiller un jour cette livrée de l’antéchrist, qui trafique des péchés et des âmes des hommes ! Oui, je pourrai encore t’aider à te fixer sur le rocher des siècles. »

Le sous-prieur entendit exprimer cette pensée, si semblable à celles qui l’occupaient lui-même, avec la même ardeur que le coq dressé au combat entend le défi de son rival.

« Je bénis Dieu et la sainte Vierge, » dit-il en se redressant, « de ce que ma foi a jeté l’ancre sur le roc où saint Pierre a fondé son Église.

— C’est une mauvaise interprétation du texte, » s’écria le violent Henri Warden, « une interprétation qui repose sur un vain jeu de mots, c’est une absurde paraphrase. »

La controverse allait se rallumer, et, selon toute probabilité (car peut-on être sûr de la modération d’une controverse religieuse}, elle se serait terminée par la translation du prédicateur au monastère. Heureusement Christie de Clint-Hill fit observer qu’il se faisait tard, et qu’ayant à descendre la vallée, qui n’avait pas une bonne réputation, il ne se souciait pas beaucoup de la traverser après le coucher du soleil. Le sous-prieur étouffa donc le désir d’argumenter ; et ayant dit une seconde fois au prédicateur qu’il se confiait en sa reconnaissance et en sa générosité, il lui fit ses adieux.

« Sois sûr, mon vieil ami, répliqua Warden, que je ne ferai rien volontairement qui puisse te porter préjudice. Mais si mon maître place l’ouvrage devant moi, je dois obéir à Dieu plutôt qu’à l’homme. » Ces deux hommes, éminents par leurs qualités naturelles et par leurs connaissances acquises, avaient entre eux plus de points de ressemblance qu’ils n’auraient voulu se l’avouer eux-mêmes. La principale différence entre eux était que le catholique, défendant une religion qui intéressait peu le sentiment, travaillait avec zèle pour la cause qu’il avait épousée plus de tête que de cœur : il était politique, circonspect et artificieux ; tandis que le protestant, agissant sous la forte impulsion d’idées plus nouvellement adoptées, et se sentant, comme cela devait être, une plus grande confiance dans sa cause, était enthousiaste et ardent à les propager. Le prêtre se serait contenté de la défense, mais le prédicant aspirait à la conquête ; et naturellement l’impulsion par laquelle le dernier était gouverné était plus active et plus décisive. Ils ne purent cependant se séparer sans se serrer une seconde fois la main, et chacun d’eux, en disant adieu à son vieux camarade, lui jeta un regard où se peignaient vivement le chagrin, l’affection et la pitié. Le père Eustache alors informa en peu de mots dame Glendinning que cette personne serait son hôte pendant quelques jours, et il la menaça, elle et toute sa maison, de toute la sévérité des censures ecclésiastiques si elle avait avec lui quelque entretien sur des sujets de religion. Il lui commanda cependant de fournir à tous les besoins de son hôte.

« Que Notre-Dame me pardonne, révérend père ! » dit dame Glendinning un peu épouvantée de ce qu’elle venait d’entendre ; « mais je dois nécessairement vous dire que la grande quantité d’hôtes a causé la ruine de plus d’une maison ; et j’ai peur qu’il n’en soit de même pour Glendearg. D’abord est venue lady Avenel (que son âme soit en repos ! elle n’avait pas de mauvaise intention) ; mais elle a apporté avec elle tous ces esprits et toutes ces fées qui ont causé tant d’inquiétude dans notre maison, que notre vie avait l’air d’être un songe ; et ensuite ce chevalier anglais, s’il plaît à Votre Révérence, et s’il n’a pas tué mon fils, il l’a fait sortir de la maison, et il se passera peut-être long-temps avant que je le revoie. Je ne parle pas du dommage fait à la porte intérieure et à la porte extérieure. Et maintenant voici que Votre Révérence me donne la charge d’un hérétique qui, comme il est probable, nous amènera ici le grand diable cornu lui-même (car on dit qu’il n’y a ni porte ni fenêtre qui puisse l’arrêter), et qu’il emportera les murs de la vieille tour avec lui. Néanmoins, révérend père, nous vous obéirons certainement de tout notre pouvoir.

— Femme, dit le sous-prieur, envoyez chercher des ouvriers au village, et dites-leur que la dépense des réparations est pour le compte de la communauté ; je donnerai au trésorier un ordre pour les payer. De plus, en réglant vos redevances pour votre fermage et votre fief, on vous fera une remise pour le dérangement qu’on vous a causé et les charges qu’on vous impose maintenant. Enfin, je prendrai soin que de strictes recherches soient faites pour retrouver votre fils. »

La dame fit une très-humble révérence à chacune des paroles favorables du sous-prieur, et, lorsqu’il eut fini de parler, elle ajouta qu’elle espérait beaucoup que le sous-prieur voudrait bien dire quelques mots à son compère le meunier touchant la conduite de sa fille, et lui faire entendre que, dans tout ce qui était arrivé, il n’y avait aucune négligence de sa part.

« Je doute fort, mon père, dit-elle, que Mysie se hâte de revenir sur ses pas pour retourner au moulin. Mais tout cela est la faute de son père, qui la laissait, comme une vagabonde, courir le pays, montant à poil les chevaux ; et elle ne s’occupait jamais de rien à la maison, si ce n’est à préparer par gloutonnerie des friandises pour son repas !

— Vous me rappelez, dame Elspeth, une autre affaire pressante, dit le père Eustache, et Dieu sait de combien je suis chargé maintenant. Il faut qu’on cherche ce chevalier anglais, et qu’on lui donne une explication sur ces étranges événements. Il faut aussi qu’on retrouve cette jeune étourdie. Si sa réputation souffre de cette malheureuse méprise, je ne me croirai point à l’abri de la honte. Mais comment les trouver ? je n’en sais rien.

— Si cela vous convient, dit Christie de Clint-Hill, je veux bien leur donner la chasse, et je vous les amènerai ici de gré ou de force. Car, quoique vous m’ayez toujours trouvé noir comme la nuit, toutes les fois que nous nous sommes rencontrés, je n’ai pourtant pas oublié que sans vous mon cou aurait supporté tout le poids de mes quatre quartiers. Si quelqu’un peut suivre leur trace, je suis cet homme ; je le dirais à la face des hommes du Merse et du Téviotdale, et à la face de la Forest par-dessus le marché. Mais d’abord j’ai des affaires à traiter pour le compte de mon maître, si vous me permettez de descendre avec vous la vallée.

— Non, mon ami, dit le sous-prieur, tu dois te rappeler que je n’ai pas de grands motifs pour me confier à un compagnon tel que toi dans un lieu si solitaire.

— Fi ! fi donc ! s’écria le maraudeur ; ne craignez rien de moi, j’ai eu trop bien le dessous pour vouloir recommencer ; en outre, ne vous ai-je pas déclaré une douzaine de fois que je vous devais la vie, et lorsque je dois quelque chose à un homme, soit en bien soit en mal, je ne manque jamais de le lui payer tôt ou tard. D’ailleurs, la malédiction soit sur moi si je me soucie de descendre seul la vallée, ou même avec mes soldats, qui sont des coquins et des enfants du diable tout comme moi ! au lieu que si Votre Révérence prend son chapelet et son psautier, et que je l’escorte avec mon jack et ma lance, vous ferez fuir les diables dans l’air, et moi je coucherai à terre tous les ennemis humains. »

Édouard entra dans ce moment pour annoncer à sa Révérence que son cheval était préparé. À cet instant son œil rencontra celui de sa mère, et la résolution qu’il avait prise avec tant de fermeté fut ébranlée lorsqu’il pensa qu’il fallait lui faire ses adieux. Le sous-prieur vit son embarras, et vint à son secours.

« Dame Elspeth, dit-il, j’ai oublié de vous annoncer que votre fils Édouard vient avec moi à Sainte-Marie, et qu’il ne reviendra pas d’ici à deux ou trois jours.

— Vous voudrez donc bien l’aider à découvrir son frère ? Puissent les saints récompenser votre bonté ! »

Le sous-prieur lui rendit sa bénédiction, que dans ce moment il n’avait guère méritée, et se mit en route avec Édouard. Ils furent sur-le-champ suivis par Christie, qui les rejoignit promptement avec ses soldats, d’un pas qui prouvait suffisamment que son désir de jouir de l’escorte sacrée pour traverser la vallée était véritablement sincère. Il avait cependant d’autres motifs pour accélérer la marche de son cheval. Il voulait faire part au sous-prieur du message dont l’avait chargé son maître Julien, message relatif à la remise du prisonnier Warden aux moines de l’abbaye. Ayant invité le sous-prieur à marcher avec lui quelques pas en avant d’Édouard et des soldats de sa suite, il lui adressa la parole, interrompant de temps en temps son discours par des exclamations qui annonçaient que sa crainte des êtres surnaturels n’était pas entièrement calmée par la confiance que lui inspirait le saint caractère de son compagnon de route.

« Mon maître, dit le cavalier, pensait qu’il vous avait fait un présent de grand prix en la personne de ce vieux prédicateur hérétique ; mais il me semble, d’après le peu de soin que vous en avez pris, que vous ne tenez guère compte du cadeau.

— Oh ! dit le sous-prieur, il ne faut pas juger si précipitamment. La communauté fera beaucoup de cas de ce service, et elle en récompensera dignement ton maître ; mais cet homme et moi nous sommes d’anciens amis, et j’espère le retirer du sentier de la perdition.

— Oui, lorsque je vous ai vus vous serrer la main en commençant, je me suis douté que tout se terminerait par l’amitié et par la politesse, et que les choses n’iraient pas jusqu’à l’extrémité entre vous. Quoi qu’il en soit, c’est tout un pour mon maître. Sainte Marie ! comment appelez-vous ce qui est là-bas, sir moine ?

— C’est une branche de saule qui traverse le chemin, et qui est entre nous et le ciel.

— Que la malédiction soit sur moi, si cela n’a pas l’air d’un bras d’homme qui balance un sabre ! Mais, pour revenir à mon maître, en homme prudent dans ces temps de désordre, il s’est tenu à l’écart jusqu’à ce qu’il pût voir précisément sur quel pied il doit marcher. Des offres bien séduisantes lui ont été faites par les lords de la congrégation que vous appelez hérétique, et pendant un temps il fut dans l’intention, pour être franc avec vous, de prendre leur parti ; car on lui avait assuré que lord James s’avançait de ce côté à la tête d’un corps nombreux de cavalerie. En conséquence, lord James comptait tellement sur lui, qu’il lui envoya cet homme, ce Warden, ou quel que soit son nom, et le mit sous la protection de mon maître comme d’un ami dont il était sûr. En même temps, il lui fit savoir qu’il était en marche vers ces lieux à la tête d’un fort parti de chevaux.

— Maintenant, que Notre-Dame nous protège ! dit le sous-prieur.

Amen ! répondit Christie. Autre Révérence a-t-elle vu quelque chose ?

— Rien du tout, répliqua le moine ; c’est ce que tu me dis qui m’a arraché cette exclamation.

— Et c’est avec quelque raison, car si lord James venait jamais ici, votre abbaye pourrait bien fumer ; mais réjouissez-vous, cette expédition a été finie avant d’avoir été commencée. Le baron d’Avenel a des nouvelles certaines que lord James a été forcé de marcher vers l’Ouest avec ses hommes d’armes pour protéger lord Semple contre Cassilis et les Kennedy. Sur ma foi ! cela lui coûtera cher, car vous savez ce qu’on dit de ce nom :

Depuis Wigton jusqu’au pied d’Ayr,
Et sous les rochers nus de Crie,
Nul ne pourrait se donner l’air
De tenir sans saint Kennedie. »

— Alors, dit le sous-prieur, le projet qu’avait lord James de venir vers le Sud n’ayant pas de suite, voilà ce qui a attiré à Henri Warden une froide réception au château d’Avenel.

— Elle n’aurait pas été si mauvaise, dit le maraudeur, car mon maître était dans une grande incertitude sur ce qu’il devait faire dans ces temps de trouble, et il aurait à peine osé maltraiter un homme qui lui était envoyé par un chef aussi terrible que lord James.

« Mais, pour vous dire la vérité, je ne sais quel diable a tenté le vieil homme de se mêler de blâmer mon maître d’avoir pris la liberté chrétienne de vivre en concubinage avec Catherine de Newport. Ainsi le rameau de paix est brisé entre eux, et maintenant vous pouvez avoir mon maître et toutes les forces qu’il peut lever, à votre disposition, car lord James n’a jamais pardonné une insulte, et s’il vient à avoir la supériorité, il prendra la tête de Julien d’Avenel, quand même il serait le dernier qui portât ce nom, et en vérité il n’y en a pas d’autre, excepté ce brin de fille qui est à la tour de Glendearg. Et maintenant je vous ai dit sur les affaires de mon maître plus qu’il ne m’en saurait gré, mais vous m’avez déjà rendu un grand service, et je peux avoir encore besoin de votre secours.

— Ta franchise, dit le sous-prieur, te sera sûrement avantageuse ; car dans ces temps de trouble il importe beaucoup à l’Église de connaître les projets et les intentions de ceux qui l’entourent : mais qu’attend ton maître de nous en récompense de ce service ? car je pense qu’il est un de ceux qui ne travaillent pas sans salaire.

— Non certes ! je puis vous le dire facilement : lord James lui avait promis, dans le cas où il entrerait dans son parti, de réunir aux terres de la baronnie d’Avenel celles de Cranberry-Moor, qui y sont enclavées, et il n’attend pas moins de votre reconnaissance.

— Mais il y a le vieux Gilbert de Cranberry-Moor, dit le sous-prieur, qu’en ferons-nous ? L’hérétique lord James peut prendre sur lui de disposer des biens et des terres de l’abbaye à son bon plaisir, parce qu’il n’est pas douteux (si ce n’était la protection de Dieu et les barons qui sont restés fidèles à leur croyance) qu’il ne puisse nous en dépouiller par la force ; mais tant que ces biens seront la propriété de la communauté, nous ne pouvons les enlever à d’anciens et de fidèles vassaux, pour en contenter l’avidité de ceux qui ne servent Dieu que dans l’espoir du salaire.

— Par la messe ! dit Christie, voilà qui est bien parlé, sire prêtre ; mais si vous considérez que Gilbert n’a à sa suite que deux poltrons de paysans à moitié morts de faim, et pour toute monture une vieille rosse, plus propre à tirer la charrue qu’à porter un homme d’armes, et que le baron d’Avenel ne monte jamais à cheval sans être suivi de moins de dix maraudeurs, et plus souvent de cinquante, qui, dans toute rencontre, se battent comme s’il s’agissait de la conquête d’un royaume, et montés sur des chevaux qui sont habitués au choc des épées comme au bruit du couvercle d’un coffre à avoine ; je vous dis que, lorsque vous aurez considéré tout cela, vous verrez lequel des deux peut servir le monastère.

— Mon ami, dit le moine, j’achèterais volontiers l’assistance de ton maître aussi cher qu’il le veut, puisque les temps ne nous laissent pas de meilleurs moyens de défense contre les sacrilèges spoliations de l’hérésie ; mais enlever à un pauvre homme son patrimoine !…

— Oh ! dit le cavalier, Gilbert ne serait pas bien en sûreté dans sa demeure si mon maître pensait que son intérêt est un obstacle entre lui et ce qu’il désire ; mais l’abbaye a assez de terres, et Gilbert peut être placé autre part.

— Nous réfléchirons à la possibilité d’arranger ainsi l’affaire, et en conséquence nous compterons sur les actifs secours de la part de ton maître, avec toutes les troupes qu’il peut lever, pour défendre le monastère contre toutes les forces qui nous menaceraient.

— Une main d’homme et un gant de mailles sur cela. On nous appelle maraudeurs, voleurs ; et quels noms ne nous donne-t-on pas ? Mais nous sommes fidèles au parti que nous embrassons. Et je serai bien content lorsque mon maître le baron aura décidé de quel côté il se rangera, car le château est une espèce d’enfer (Notre-Dame me pardonne d’avoir prononcé ce nom dans un tel lieu !), lorsque Julien Avenel est incertain sur le parti le plus avantageux. Et maintenant, le ciel soit loué ! nous voici dans la vallée ouverte, et je puis jurer maintenant si quelque chose m’y porte.

— Mon ami, ton mérite est bien mince si tu t’abstiens de jurer ou de blasphémer seulement par crainte des mauvais esprits.

— Oh ! je ne suis pas encore tout à fait vassal de l’Église ; si vous serrez trop la gourmette d’un jeune cheval, je vous réponds qu’il se cabrera. Et puis, c’est beaucoup pour moi de me débarrasser de vieilles habitudes à quelque prix que ce soit. »

La nuit était belle ; ils passèrent à gué la petite rivière à l’endroit où le sacristain avait fait la mauvaise rencontre de l’esprit. À peine furent-ils arrivés à la porte du monastère, que le portier en leur ouvrant, s’écria : « Révérend père, le seigneur abbé désire beaucoup votre présence.

— Que ces étrangers soient conduits à la grande salle, et que le cellerier les traite le mieux possible ; qu’ils se rappellent cependant la conduite décente et modeste qui convient aux hôtes des maisons telles que celle-ci.

— Mais le seigneur abbé vous demande instamment, mon cher frère, » dit le père Philippe arrivant en toute hâte. « Je ne l’ai jamais vu plus découragé et plus incertain depuis la bataille de Pinkie.

— J’y vais, mon bon frère, j’y vais, répondit le père Eustache. Je vous prie, mon cher frère, de faire conduire ce jeune homme, Edouard Glendinning, à la chambre des novices, et de le placer sous la direction de leur maître. Dieu a touché son cœur, et il se propose de laisser de côté les vanités de ce monde pour devenir un frère de notre saint ordre. Et si à de si bonnes dispositions viennent se joindre la docilité et l’humilité, il peut un jour en devenir un des ornements.

— Mon très-vénérable frère, » s’écria le vieux père Nicolas, qui vint en boitant faire une troisième sommation au sous-prieur,

« je vous prie de vous hâter d’aller trouver notre digne seigneur abbé. Que notre sainte patronne soit avec nous ! Je n’ai jamais vu l’abbé du monastère de Sainte-Marie dans une telle consternation, et cependant je me rappelle bien lorsque le père Ingelram reçut les nouvelles de la bataille de Flodden-Field…

— J’y vais, j’y vais, vénérable frère, » dit le père Eustache. Et après avoir répété ces mots plusieurs fois, il se rendit à la fin chez l’abbé en grande diligence.