Le Père De Smet/Chapitre 14

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H. Dessain (p. 319-332).


CHAPITRE XIV

LA CONFÉRENCE DU FORT LARAMIE


1851


Le P. De Smet exerçait depuis deux ans ses fonctions administratives, lorsque s’offrit à lui l’occasion d’une visite aux Indiens.

On venait de découvrir les mines d’or de Californie. Sans cesse, des milliers d’émigrants traversaient le désert, séduits par les promesses du nouvel Eldorado. Ils avaient, en quelques mois, tracé une large route, allant du Missouri jusqu’au Pacifique. San-Francisco qui, en 1848, ne comptait que cinq cents habitants, atteignait, deux ans plus tard, le chiffre de vingt-cinq mille.

Les Indiens, notamment les Cheyennes, ne pouvaient, sans irritation, voir les Visages-Pâles envahir un domaine dont les traités leur garantissaient la tranquille possession. Déjà on pouvait craindre de sanglants conflits.

Le surintendant des Affaires Indiennes, Mitchell, résidant à Saint-Louis, eut l’idée d’une conférence où seraient représentées toutes les tribus vivant à l’est des Montagnes. On leur offrirait une indemnité, moyennant laquelle les Blancs auraient le droit de tracer des routes sur leur territoire, et de construire des forts pour les défendre. Le projet fut approuvé par le gouvernement des États-Unis, et la réunion fixée au fort Laramie, pour l’été de 1851.

Chargé des négociations, le surintendant comprit de quel secours pouvait lui être le P. De Smet. Maintes fois déjà, celui-ci avait traversé le désert ; il connaissait le caractère des diverses tribus ; il avait sur les Indiens un ascendant plus puissant que les menaces ou les promesses des États-Unis. « Si vos occupations vous le permettent, lui écrivit le haut fonctionnaire, je serai enchanté de vous voir au fort Laramie. Toutes vos cartes ou esquisses de la Prairie et des Montagnes nous rendront de grands services, et seront fort appréciées du gouvernement. Il en sera de même des renseignements que vous pourrez fournir sur les mœurs, l’histoire de ces contrées, et tout ce qui concerne les Indiens »[1].

C’était l’occasion de revoir les Sioux et les autres tribus du Haut-Missouri : le P. De Smet s’empressa d’accepter. Le P.  Christian Hoecken, l’apôtre des Potowatomies, obtint de se joindre à lui ; il allait couronner par une mort héroïque une vie toute de dévouement[2].

Le 7 juin, tous deux s’embarquèrent à bord du Saint-Ange, qui remontait le Missouri jusqu’au fort Union, à 700 lieues au nord-ouest de Saint-Louis. Ils se proposaient de visiter les Indiens campés le long du fleuve, puis de traverser la vallée du Yellowstone jusqu’au fort Laramie, sur le cours supérieur de la Nebraska.

Le bateau était commandé par le capitaine La Barge, intime ami du P. De Smet. Plusieurs passagers, membres de la Compagnie des Fourrures, se rendaient à divers postes de commerce du territoire indien. « Ils étaient, dit notre missionnaire, en quête des biens de la terre ; le P.  Hoecken et moi, nous allions à la recherche des biens du ciel, à la conversion des âmes ».[3]

Le printemps avait été mauvais. La fonte des neiges, succédant à des pluies continuelles, avait gonflé les rivières. Le Missouri couvrait de ses eaux bourbeuses une largeur de plusieurs milles. On avançait au milieu des épaves : maisons, granges, écuries, clôtures de champs et de jardins, emportées pêle-mêle avec des milliers d’arbres déracinés. Le bateau devait à la fois éviter le choc de ces masses flottantes, et lutter contre la violence du courant. Plusieurs fois, il fut entraîné à la dérive ; mais ces difficultés étaient légères en comparaison de celles qui allaient surgir.

Trois jours après le départ, le choléra se déclare à bord du Saint-Ange. Aux joyeuses chansons des passagers succède un morne silence. Treize personnes, coup sur coup, sont emportées par le fléau.

En proie à une fièvre bilieuse, le P. De Smet doit rester plusieurs jours cloué sur son lit. Ravi de pouvoir se dévouer, le P.  Hoecken se tient jour et nuit auprès des malades, leur offrant, avec les consolations de son ministère, les secours de sa charité.

« Je souffrais, écrit le P. De Smet, de le voir seul remplir son héroïque devoir ; mais je me trouvais moi-même dans un tel état de faiblesse, que j’étais incapable de lui porter le moindre secours.

» Le 18, on craignait que mon mal ne prît les caractères du choléra. Je priai le P. Hoecken d’entendre ma confession et de me donner l’extrême-onction ; mais, au même moment, il fut appelé auprès d’un malade qui était à l’extrémité.

— Pour vous, dit-il, je ne vois point de danger immédiat ; nous attendrons jusqu’à demain.

» Il avait, ce jour-là, assisté trois mourants.

» Hélas ! je n’oublierai jamais la scène qui eut lieu quelques heures après. La cabine du P. Hoecken était voisine de la mienne. Entre une et deux heures de la nuit, lorsque, à bord, tout était tranquille et silencieux, sa voix frappe mon oreille : il m’appelle à son secours.

» Je me traîne à son chevet. Le Père est mourant ; il me demande d’entendre sa confession. Aussitôt, je me rends à son désir. Pendant que je lui administre l’extrême-onction, il répond à toutes les prières. Son recueillement, sa piété, ajoutent encore à la vénération que lui ont vouée les passagers.

» Me trouvant moi-même dans un état tel que je pouvais être enlevé presque en même temps que lui, et partager la même tombe, je le prie de recevoir à son tour ma confession, s’il est encore capable de l’entendre. Fondant en larmes, je m’agenouille au pied du lit de mon fidèle ami, de mon seul compagnon. À lui, dans son agonie, je me confesse, malade moi-même, et presque mourant.

» Bientôt, il ne peut plus parler. Soumis à la divine volonté, je récite les prières des agonisants. Mûr pour le ciel, le P. Hoecken remet à Dieu son âme, le 19 juin 1851, douze jours après notre départ de Saint-Louis »[4]

Le défunt n’avait que quarante-trois ans. Il réunissait les plus riches qualités de l’homme apostolique : zèle ardent, robuste santé, invincible courage, prudence extrême, manières simples, calme et joyeuse humeur. Depuis quinze ans qu’il vivait chez les Indiens, il avait bâti nombre d’églises, et formé de ferventes chrétientés. Martyr de sa charité, il venait d’exercer, jusque dans les bras de la mort, son ministère de salut.

Le P. De Smet ne pouvait abandonner, sans sépulture, le corps de son ami. Enfermé dans un épais cercueil, il fut, avec les prières de l’Église, provisoirement déposé dans une fosse, au bord de la forêt. Un mois plus tard, le capitaine La Barge, retournant à Saint-Louis, devait exhumer ces restes vénérés, et les transporter au cimetière de Florissant.

« En d’autres circonstances, écrit le P. De Smet, cette mort eût été pour moi un motif de ne pas continuer mon périlleux voyage ; mais Dieu donne des forces que refuserait la nature ». Peu à peu, la fièvre disparut, la vigueur revint, et il put, à son tour, se rendre au chevet des malades.

Cinq passagers devaient encore succomber. Ils reçurent, avant d’expirer, le pardon divin. Ce n’est pas tout. Beaucoup, parmi les autres, ne s’étaient pas confessés depuis des années. Frappés par la mort du P. Hoecken, tous se rendirent, les uns après les autres. dans la cabine du missionnaire, et furent réconciliés avec Dieu.

Enfin le bateau, remontant le Missouri, gagnâmes hauteurs du territoire indien. L’air devenant plus pur, l’épidémie disparut. Mais bientôt l’on apprit qu’un autre fléau, la petite vérole, sévissait chez les sauvages. Les victimes tombaient par centaines. Les cadavres restaient sans sépulture, exposés aux ardeurs de l’été. À plusieurs milles de distance, l’air en était infecté.

Sans hésiter, le P. De Smet se fait descendre à terre, et, bien que convalescent, parcourt la région. Plusieurs jours de suite, il baptise les enfants, soigne les malades, assiste les moribonds. Étonnés de son courage et touchés de sa bonté, les Yanktons, les Mandans, les Aricaras, les Gros-Ventres, écoutent la parole du Grand-Esprit, et invitent le missionnaire à rester chez eux. Celui-ci doit rejoindre le Saint-Ange et poursuivre son voyage ; mais il n’oubliera pas ces lointaines tribus : un jour, nous le verrons travailler à établir chez elles une mission.

Tout en remontant le fleuve, il pense à l’avenir de ces vastes solitudes.

« La nature a été prodigue de ses dons envers cette contrée, et, sans être prophète, on peut prédire pour elle un avenir prospère. Bientôt lui sera appliqué le texte du Psalmiste : « La terre a été créée pour servir d’habitation à l’homme, et pour être le théâtre où la gloire du Seigneur et ses perfections seront manifestées ». Ces plaines, si belles et si fécondes, invitent le laboureur à y tracer des sillons ; ces antiques chênes attendent le bûcheron, et ces rochers, le tailleur de pierre. Un jour retentira dans ce désert le bruit de la hache et du marteau. De vastes fermes, entourées de vergers et de vignobles, de nombreux troupeaux d’animaux domestiques, couvriront ces plages inhabitées, pour pourvoir aux besoins des villes qui s’y élèveront comme par enchantement ».

Mais alors, que deviendront les Indiens, eux qui, de temps immémorial, ont possédé ce territoire ? Grave question, que n’envisage pas sans inquiétude celui qui, depuis des années, a suivi la politique envahissante des États-Unis.

« Je garde encore, dit-il, une lueur d’espoir pour l’avenir de ces malheureuses tribus. Les sauvages envoient volontiers leurs enfants aux écoles ; ils font de grands progrès dans l’agriculture et les arts mécaniques. Peut-être seront-ils un jour incorporés dans l’Union avec tous les droits de citoyens. C’est l’unique chance de salut qui leur reste ; l’humanité et la justice exigent qu’ils n’en soient point frustrés ».

Le 14 juillet, on arriva au fort Union, un peu au-dessus de l’embouchure du Yellowstone. C’est là que devait commencer le voyage par terre. Avec regret, le P. De Smet se sépara de ceux dont il avait, pendant plus d’un mois, partagé les épreuves. Il consacra quinze jours à instruire les gens du fort, et à prendre ses dispositions pour les 800 milles qui restaient à parcourir. Puis il se remit en route avec quelques agents du gouvernement, et un certain nombre de chefs sauvages, se rendant au fort Laramie. On mit dix jours à se rendre du fort Union au fort Alexandre, sur le Yellowstone.

« Un silence de mort règne dans ce vaste désert, écrivait le missionnaire. On y peut passer des semaines entières sans rencontrer âme qui vive. Et cependant, on s’habitue à la solitude ; on finit même par l’aimer. Elle donne de l’essor aux facultés : l’intelligence devient plus vigoureuse, les idées naissent plus rapides et plus claires. On se sent porté à la prière, à la méditation, à la confiance en Dieu ; on songe davantage à Celui qui seul est notre refuge et pourvoit à tous nos besoins ».

Après avoir traversé le Yellowstone, la caravane entra au cœur du Grand-Désert. Le sol rocailleux offrait à peine aux montures quelques touffes d’herbes. Le manque d’eau faisait cruellement souffrir hommes et bêtes. D’insupportables moustiques obligeaient les voyageurs à se couvrir les mains et le visage. Il fallait, avec de lourds chariots, tantôt escalader des rochers, tantôt franchir de profonds ravins.

Enfin, le 2 septembre, on arriva sur la grande route du Pacifique. « Cette immense avenue, écrivait le P. De Smet, est semblable à une aire constamment balayée par le vent, où le moindre brin d’herbe ne pourrait pousser, tant elle est, sans relâche, foulée sous les pieds des Européens et des Américains qui se rendent en Californie. Les sauvages, qui n’avaient vu d’autres chemins que des sentiers de chasse, pensaient, en voyant cette route, que toute la nation des Blancs avait passé par là, et que le vide avait dû se faire dans les contrées où se lève le soleil ».[5]

Huit jours plus tard, on atteignit le terme du voyage. Le P. De Smet fut reçu par le surintendant des Affaires Indiennes, qui lui offrit l’hospitalité pour toute la durée

des négociations.

Le grand conseil devait se tenir à quelque distance du fort Laramie, dans une vaste plaine traversée par la Nebraska. Dix mille Indiens, appartenant pour la plupart aux diverses tribus siouses, attendaient les propositions des États-Unis. Entre ces peuplades, hier encore divisées par la haine, régnait l’entente la plus cordiale. Se rappelant leur commune origine, les enfants du désert se serraient les uns contre les autres : n’avaient-ils pas tous à défendre les mêmes droits ?

La conférence s’ouvrit le 12 septembre. Voici les points soumis aux délibérations :

1o Les Indiens reconnaissent aux États-Unis le droit d’établir, sur leur territoire, des routes et des postes militaires.

2o Les Indiens s’engagent, pour le maintien de la paix, à réparer les pertes et dommages éprouvés, de leur fait, par les Blancs.

3o Une indemnité de 50 000 dollars en or sera immédiatement payée aux Indiens pour les dégâts causés dans leurs chasses, leurs bois, leurs prairies, par les voyageurs des États qui traversent le pays.

4o Il leur sera, de plus, payé annuellement, pendant cinquante ans, 50 000 dollars en nature, d’après ce qui leur sera jugé le plus utile.

Le traité fut lu et expliqué, point par point, aux interprètes. Ceux-ci, parcourant alors les groupes des diverses tribus, firent connaître aux sauvages les propositions du gouvernement.

Confiant dans la bonne foi des États-Unis, le P. De Smet désirait sincèrement le succès de la conférence. Reçu chez les chefs, invité aux festins, il usa constamment de son influence pour assurer la paix. Son attitude loyale et désintéressée fit impression sur les Indiens ; aucun ne résista à ses conseils.

Le missionnaire, d’ailleurs, savait que la religion est la plus sûre garantie d’union entre les peuples : « Les promesses et les menaces, les fusils et les sabres, disait-il, ne vaudront jamais la parole de paix d’une robe-noire, l’étendard civilisateur de la croix »,[6] Trouvant l’occasion unique d’annoncer en même temps l’Évangile à toutes les tribus, il faisait chaque jour plusieurs instructions sur les commandements de Dieu, les récompenses ou les peines de l’autre vie. Il expliqua la nécessité du baptême, et régénéra près de douze cents enfants.

On pourrait croire à l’éphémère efficacité de ces prédications isolées, faites à un auditoire d’un jour, qui demain retournera à ses pratiques superstitieuses. Ce serait une erreur. Dans le champ du paganisme, le missionnaire peut être comparé à un arbre généreux qui, l’automne venu, secoue ses semences et les livre au vent du ciel. Qu’importe que des milliers de graines avortent, si une seule vient à germer et à fructifier ? Souvent, dans ses courses, le P. De Smet rencontra des sauvages, tout pénétrés de l’esprit du christianisme, à qui il ne manquait plus que la régénération par le baptême. Les interrogeait-il, il apprenait, non sans surprise, qu’une fois dans leur vie, ils avaient assisté à une de ses instructions, et que sa parole, accueillie dans leurs âmes sincères, avait porté les fruits qu’il admirait.

Cette fois encore, il put croire au succès de son apostolat. Les sauvages l’avaient écouté avec une religieuse attention, et exprimaient le désir de devenir chrétiens.

— Père, disaient-ils, nous avouons nos fautes, mais nous ignorions la parole du Grand-Esprit ; si vous restiez pour nous instruire, nous tâcherions désormais de mieux vivre.

Impuissant à leur donner satisfaction, le P. De Smet ne cessait de répéter : « Si les prêtres d’Europe savaient quel bien peut faire ici un missionnaire, ils accourraient en Amérique, afin de réjouir l’Église notre mère, en lui donnant, par milliers, de nouveaux enfants ».

Cependant la conférence touchait à sa fin. Les articles, longuement discutés, avaient été, l’un après l’autre, adoptés par les tribus. Le traité fut signé par les représentants des États-Unis et les principaux chefs indiens.

Le lendemain, les sauvages voient le drapeau de l’Union flotter devant la tente du surintendant. En même temps, le canon leur annonce l’arrivée des présents envoyés par la République. Tous aussitôt d’accourir et de se ranger autour d’une enceinte circulaire, au centre de laquelle sont exposés les objets à distribuer. Les grands chefs sont servis les premiers. On commence par les habiller. Fiers de leur nouveau costume, ils font naïvement admirer au missionnaire leur uniforme de général, avec leur beau sabre doré — singulier contraste avec leurs cheveux en broussaille, et leur visage frotté de vermillon.

Ainsi accoutrés, les chefs partagent eux-mêmes, entre les membres de leurs tribus, les largesses du gouvernement. L’ordre le plus parfait, la plus stricte justice, président à la distribution. Puis chacun se retire, charmé des bonnes grâces du surintendant, et comptant sur ses pacifiques promesses.

Le P. De Smet partage la confiance générale. « Ce conseil, dit-il, sera le commencement d’une nouvelle ère pour les Peaux-Rouges, d’une ère de paix. Désormais, les voyageurs pourront traverser le désert sans être molestés, et les Indiens n’auront plus rien à craindre de la part des mauvais Blancs ».

Généreuse prévision, qui sera, hélas ! trop tôt démentie.

La conférence avait duré douze jours. Le 24 septembre, les Indiens se disposèrent à regagner leur pays. Le P. De Smet leur recommanda de prier chaque jour « le Maître de la vie », et promit de s’employer à leur obtenir des missionnaires ; il serra une dernière fois la main des chefs, puis reprit la route de Saint-Louis, en compagnie des négociateurs américains, et d’une députation d’Indiens se rendant à Washington.

Après avoir quelque temps longé la Nebraska, la caravane se dirigea vers le sud, pour visiter la mission des Potowatomies. C’était l’occasion de faire constater aux sauvages le bien-être que procure un travail industrieux et persévérant.

Les missionnaires de Sainte-Marie offrirent aux voyageurs un banquet. Quantité de légumes et de fruits : patates, carottes, navets, citrouilles, melons, pommes et pêches, furent servis aux députés indiens. Tous y firent grand honneur. À la fin du repas, la Tête-d’Aigle se leva et, s’adressant au P. De Smet :

— Aujourd’hui, dit-il, nous comprenons tes paroles. Tu nous as dit, dans le camp, qu’après quelques années, les buffles disparaîtraient de notre territoire, mais qu’alors nous pourrions tirer du sein de la terre notre nourriture et celle de nos enfants. Lorsque tu nous parlais, nos oreilles étaient encore fermées ; aujourd’hui, elles sont ouvertes, car nous avons mangé les fruits de la terre. Nous voyons ici un peuple heureux, bien nourri et bien habillé. Nous serons heureux d’avoir, nous aussi, des robes-noires, et volontiers nous écouterons leur parole.

Le lendemain, dimanche, tous assistèrent à la grand’ messe. La prière, les chants, la piété des fidèles, firent sur les sauvages une profonde impression. Ils ne cessaient d’interroger le missionnaire sur la doctrine qui devait les rendre heureux et les conduire au ciel.

En quittant Sainte-Marie, ils se dirigèrent sur Wesport et descendirent en bateau le Missouri. Qu’on s’imagine l’ébahissement de ces hommes, subitement passés du désert dans un pays riche et civilisé. À chaque ville, à chaque bourgade, redoublaient les cris de joie et d’admiration.

Enfin, le 22 octobre, on arrive à Saint-Louis. Avant de poursuivre leur voyage, les députés sont reçus à l’université. Le P.  Provincial leur fait un chaleureux accueil, et promet de leur obtenir des robes-noires.

Repassant devant Dieu les événements survenus depuis cinq mois, le P. De Smet sent son âme déborder de reconnaissance : « Pendant mon voyage à travers les plaines et les montagnes, la bonne Providence a veillé sur moi. J’ai échappé à une dangereuse maladie, aux attaques des ennemis et des fauves, à la petite vérole et au choléra. J’ai traversé, sain et sauf, un camp où les hommes mouraient et pourrissaient sur place. Je suis resté plus d’un mois au milieu des morts et des mourants, touchant et soignant les cholériques, sans être atteint par la contagion. J’ai eu le bonheur de verser l’eau du baptême sur le front de 1 586 enfants et adultes, dont beaucoup ont depuis succombé au fléau, et maintenant sont heureux pour toujours ».[7]

La modestie du missionnaire ne lui permet pas de rappeler la part qu’il a eue au succès de la conférence ; mais les États-Unis doivent la reconnaître. On dira bientôt, à Washington, que sa médiation vaut mieux qu’une armée.[8] Lorsque surgiront, avec les Indiens, de nouveaux conflits, c’est lui qu’on appellera pour rétablir la paix.

  1. Saint-Louis, 19 avril 1851.

    Sur l’intérêt qu’offrent les cartes dressées par le P. De Smet, voir Chittenden et Richardson, p. 137.

  2. Le P.  Christian Hoecken, originaire de Tilbourg, en Hollande, était, nous l’avons vu, frère du P.  Adrien Hoecken, missionnaire dans l’Orégon.
  3. Relation datée de Saint-Louis, 16 janvier 1852.
  4. Relation citée.
  5. Lettre du P. De Smet au Directeur du Journal de Bruxelles, 30 juin 1853.
  6. Relation citée.
  7. Lettre au P.  Hélias d’Huddeghem. — Saint-Louis, 13 novembre 1851.
  8. Cf. Chittenden et Richardson, p. 1566.