Le Pape/Le pape aux foules

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Le PapeOllendorfŒuvres complètes, tome 29 (p. 27-29).


LE PAPE AUX FOULES


À travers la douleur, l’angoisse, les alarmes,
Du fond des nuits, du fond des maux, du fond des larmes,
Venez à moi vous tous qui tremblez, qui souffrez,
Qui râlez, qui rampez, qui saignez, qui pleurez,
Les damnés, les vaincus, les gueux, les incurables,
Venez, venez, venez, venez, ô misérables !
Je suis à vous, je suis l’un de vous, et je sens
Dans mes os votre fièvre immense, agonisants !
Venez, déguenillés, réprouvés, multitude !
Je suis le serviteur de votre servitude,
Et de votre cachot je suis le prisonnier ;
Le premier chez les rois, parmi vous le dernier.
Votre part est la bonne, elle est la plus auguste ;
Le riche a beau bien faire, être sage, être juste ;
Quiconque a les pieds nus marche plus près de Dieu.
Le ciel noir montre plus d’astres que le ciel bleu.

Je vous aime, et n’ai pas d’autre raison pour être,
Fils, le prêtre du juge et le juge du prêtre.
Je ne suis qu’un pauvre homme appartenant à tous.
Ô souffrants, aidez-moi. Je tâche d’être doux.
Venez, partageons tout,’le froid, la faim, les jeûnes.
Je suis vieux chez les vieux et jeune avec les jeunes ;
Je suis l’aïeul du père et l’enfant des petits ;
J’ai tous les âges ; fils, j’ai tous les appétits,
Toutes les volontés, toutes les convoitises ;
Je suis, comme l’agneau qu’attirent les cytises,
Attiré par les deuils, les dénûments, les pleurs ;
Je veux avoir ma part de toutes les douleurs ;

J’ai droit à tous les maux qu’on souffre sur la terre ;
Je suis l’universel étant le solitaire ;
Ô pauvres, donnez-moi tout ce que vous avez,
Vos jours sans pain, vos toits sans feu, vos durs pavés,
Vos fumiers, vos grabats tremblants, vos meurtrissures,
Et le ciel étoile, plafond de vos masures.

Ô vous qui n’avez rien, donnez-moi tout. Venez,
Tous les malheureux ! nus, sanglants, blessés, traînés
Par tous les désespoirs et sur toutes les claies ;
Apportez-moi vos fiels, apportez-moi vos plaies,
Afin qu’à votre nuit je mêle un peu de jour,
Et que je fasse avec vos haines de l’amour.
Venez, haillons, sanglots, plaintes, colères, âmes !

Fils, le malheur et moi, partout où nous passâmes
Nous avons tous les deux, chacun à sa façon,
Prouvé, lui qu’il a tort, et moi qu’il a raison.
Il a tort, car on pleure, et raison, car on aime.
Le malheur a cela de tendre et de suprême
Qu’on aime d’autant plus que l’on a plus souffert ;
Le malheur c’est le ciel obscurément offert.
Vous avez les douleurs et moi j’ai les dictâmes.
Je suis l’ambitieux qui veut prendre les âmes ;
N’avoir rien secouru, c’est là la pauvreté ;
On aura des besoins devant l’éternité ;
Il serait imprudent, à l’heure où le soir tombe,
De s’offrir à celui qu’on trouve dans la tombe
Sans avoir fait d’épargne et rien mis de côté.
Souffrants, apportez-moi votre calamité.
Je suis l’aide, l’ami, l’appui. Venez, misères,
Lèpres, infirmités, indigences, ulcères,
Quiconque est hors l’espoir, quiconque est hors la loi.
La douleur m’appartient. J’appelle autour de moi
L’esprit troublé, le cœur saignant, l’âme qui sombre ;
Et je veux, entouré des détresses sans nombre,
Qui naissent sur la terre à toute heure, en tout lieu,

Arriver avec tous les pauvres devant Dieu !
Venez, vous qu’on maudit ! Venez, vous qu’on méprise !

Tous les misérables viennent autour de lui de tous côtés.


UN PASSANT

Qu’est-ce que tu fais là, vieillard ?

LE PAPE

Qu’est-ce que tu fais là, vieillard ? Je thésaurise.