Le Parnasse contemporain/1866/Fleurs du chemin
J’obéis aux vouloirs d’une fille aux yeux pers.
En regardant ses yeux, je pense aux mers profondes
Dont l’abîme inconnu désespère les sondes :
Si je veux lire au fond de ses yeux, je m’y perds.
Qui jamais résoudra le bizarre problème
De son cœur ?… Est-ce moi, qui ne m’explique rien
Quand je veux essayer de voir clair dans le mien,
Et qui reste une étrange énigme pour moi-même !
Sa mère était la fleur des belles d’Ouessant,
Où naufragea son père, un pêcheur de Guérande…
Leur fille vint en mer. — Sa bouche est un peu grande,
Mais j’en admire mieux son rire éblouissant.
J’ai trouvé ce bonheur dans ma vie à mi-côte. —
Si d’autres voyageurs avant moi sont venus,
Je n’en veux rien savoir : ils me sont inconnus…
Je bénis la maîtresse où je suis l’heureux hôte.
Curieux de la Cause, inquiet du Pourquoi,
J’ai battu le chemin des sèches théories ;
Je m’en vais aujourd’hui par les routes fleuries
(Un sentier de printemps reverdit devant moi) ;
Et j’aime à contempler les riches paysages
Merveilleux en peinture au fond des lacs dormants,
Sans rider le miroir de leurs bouquets charmants,
Sans remuer les eaux pour briser les images.
D’une fille aux yeux pers je fais la volonté ;
Je fais sa volonté, folâtre ou sérieuse. —
On m’a dit que j’aimais une grande oublieuse…
Qu’importe, si ma vie est un rêve enchanté ?
Je sais que plus d’un cœur est comme un palimpseste
Où le texte latin, croisant les mots hébreux,
N’offre aux plus érudits qu’un sens fort ténébreux…
Bienheureux qui retrouve un nom d’amour qui reste !