Le Parnasse libertin/015

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Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 10-16).

CONTE.


Du Fou de même que du Sage
Le vœu le plus commun & le moins exaucé,
Eſt en ſe mariant d’avoir un pucelage ;
Mais l’Amant d’ordinaire en fait ſon apanage
Avant que le Notaire en ait au Fiancé
Paſſé le bail ſelon l’uſage.
L’Abbé furtivement,
Le Guerrier bruſquement,
Le Moine, quand il peut aux maris eſcamotte
Ce peu de choſe ou rien, qui, je ne ſçais comment,
Du genre humain fait la marote.
Il fut cependant un Robin
Qui le méme deſir dans l’ame,
Forma le ſingulier deſſein
De prendre ce Phenix dans le lit de ſa femme :
Il fit ſi bien qu’il réuſſit ;
Et la belle Novice à la premiere nuit

Sentît qu’au fonds de ſa retraite
Cet Oiſeau vivement par un autre aſſailli,
Cédoit la place à l’ennemi
Qui chanta, huit fois ſa défaite.

Le matin, à regret, pour juger un procès,
Le Magiſtrat monte au Palais.
Sans doute, il crut laiſſer la Dame ſatisfaite ;
Mais il ignoroit le complot
D’une troupe femelle, aguerrie & jalouſe,
Qu’un pucelage échût au mari pour ſon lot.
On vouloit dans l’eſprit d’une innocente épouſe,
Mettre le Robin en défaut.

Pluſieurs de ſes amies,
Pour cet effet vinrent la voir,
Et de plus brûlant de ſçavoir
Le ſecret de la nuit & des ſaîntes orgies ;
Et toutes à l’inſtant de demander combien ?
Ce Combien eſt fort énergique :
Le beau ſexe l’entend ſans que mieux on l’explique.
Huit fois, répond la Dame, & je compte fort bien.
Hélas ! quelle eſt notre ſurpriſe,
Dirent-elles alors, ah ce n’eſt que cela ?
Quoi ! ce n’eſt que huit fois qu’il vous l’a planté-là,
Juſqu’à ce point il vous mepriſe…
Mais non, vous êtes belle, il eſt donc un vaurien :
Huit-fois ? Quelle miſere !… il vaudroit autant rien.
Ah ! quel mari, quel pauvre Sire ;

Pour votre honneur & pour le ſien
Gardez-vous jamais d’en rien dire.

Que votre Époux, dit l’une, eſt du mien différent !
Que je vous plains, ma bonne amie !
Il parfait, quand je veux, la douzaine & demie,
Et le nombre de huit eſt le compte courant
Qu’il augmente à ma fantaiſie.

Deux douzaines, dit l’autre, à la première nuit,
M’annoncèrent du mien quel eſt le ſçavoir faire ;
La nature depuis prompte à le ſatisfaire,
Lui prodigue ſes dons, qu’il tourne à mon profit.

Une troisième renchérit,
Et les autres encor de douzaine en douzaine,
Allerent preſque à la centaine.

Le trait ainſi lancé, la troupe diſparut,
Et laiſſa la pauvrette en rut,
Car l’eau lui venoit à la bouche
De tant de douzaines d’exploits
Qu’à d’autres a produit la nuptiale couche.

Une premiers nuit, huit miſérables fois !
Diſoit-elle, eſt-ce ainſi qu’on traite un pucelage ?
Avec aſſez d’attraits, au printems de mon âge,
D’un tel Époux pour moi falloit-il faire choix ?
Non, il n’eſt pas le mien : ſelon toutes les Loix,
Son impuiſſance me dégage.

À ces mots elle fit couler des pleurs de rage,
Quand ſa mere ſurvint, & lui dit : pleures-tu
Du mal que ton époux, dans une ardeur trop vive,
T’a fait en dégageant la volupté captive
De l’étroite priſon où la mit ta vertu ?

Ah ! non ma mere, non : c’eſt un mal que j’ignore,
Mes pleurs ont un motif plus noble & plus puiſſant,
C’eſt que je tiens de vous un mari que j’abhorre,
En un mot il eſt impuiſſant.

À ce terrible mot, la douleur, la colere,
Dans le cœur de la tendre mere
Se ſuccedent tour à tour,
Et bientôt de ſon cœur parvinrent ſur ſa bouche.
De ce funeſte hymen elle maudit le jour,
La rage ſur le front, & le regard farouche,
Elle inſultoit dans ſon courroux
Le Deſtin, elle-même, & plus encor l’époux ;
Lorſqu’à ſes yeux parut, ſortant de l’Audience,
Le Robin, glorieux d’avoir en conſcience
Fait le devoir du Sacrement,
Et ne ſe doutant nullement
D’être coupable d’impuiſſance ;
Ah ! Traître, lui dit-elle, oſes-tu voir le jour
Qui ſuit la nuit qui t’humilie ?
Va cacher dans les bois ton inutile amour,
Ta foibleſſe & ton infamie.
Hélas ! ta phiſionomie

Annonçoit à ma fille une extrême vigueur
Ce nez long, ce tein brun, cette robuſte allure
M’étoient garants de ſon bonheur
Tout cela n’eſt donc qu’impoſture,
Qu’un jeu trompeur de la nature
Qui ne t’a que de l’homme accordé la couleur ?
Tu ſçavois bien cela ; tu ſçavois que ma fille
Étoit le ſeul eſpoir qui relie à ma famille :
Cruel, à toutes deux que tu nous fais grand tort ;
À ma poſtérité tu vas donner la mort,
Et grâce à ta langueur mortelle :
Après toute une nuit d’une attente cruelle,
Ma Fille… quel malheureux ſort !
Ma fille… Le dirai-je ?… eſt encore pucelle.
Pucelle, dites-vous, dit l’époux qui ſoûrit ;
Si votre fille l’eſt, il faut donc qu’en ſon nid
L’inacceſſible pucelage
Soit ſi fortement attaché,
Que par le plus ferme courage,
Il ne puiſſe être déniché,
Ou que, par grâce ſinguliere
Elle en eût tout au moins à perdre plus de huit ;
Car, Madame, la nuit derniers
Apprenez que j’aurois détruit
Huit pucelages de bon compte
S’ils ſe fuſſent trouvés dans le même réduit,
Et quand on a dans une nuit
Accompli huit fois le déduit,

Je penſe que l’on peut ſe dire homme ſans honte.

Huit fois, ſi j’ai ſçu bien compter,
Dit l’épouſe, il eſt vrai, vous avez pris la peine,
De me payer le droit d’Aubaine,
Voilà bien de quoi vous vanter !
Demandez à Cloris, à Flore, à Celimene,
Leurs trois maris à moins d’une double douzaine,
N’ont jamais cru les contenter ;
Je les vaux bien, ne vous déplaiſe,
Et je ne fuis pas aſſez niaiſe
Pour croire ſuffiſant un nombre ſi chétif :
On ne vient pas, Monſieur, à bout d’un pucelage
Avec auſſi peu de courage ;
Il faut pour le dompter un vainqueur plus actif.

Par St Jean, qu’eſt ceci ? dit la mere ébaubie,
À quel prix mets-tu tes appas !…
Tu crois avoir encor… la plaiſante folie !…
La fleur que par huit fois ton mari ta ravie :
Deux Carmes ne ſuffiroient pas
À ſatisfaire ton envie.

Sans doute quelque eſprit badin
T’a fait du pouvoir maſculin
Une hyperbole magnifique.
Il te faudra bien décompter,
Tu l’apprendras par la pratique,
Crois-tu dans tes calculs jamais ne t’arrêter ?
Bien-tôt tu te verras réduite à ſouhaiter

L’inſipide unité par grâce ſpécifique.
Ne te plains point de ton deſtin,
Car pour toi peut-il être aujourd’hui plus bénin ?
Huit fois dans une nuit ; l’offrande eſt fort honnête,
Sur-tout de la part d’un Robin :
N’eſt pas qui veut en telle fête.

Novice encor, c’eſt bien à toi
De te plaindre du choix que je t’ai voulu faire :
Hélas ! avec ton pauvre pere
Le fit-on auſſi bon pour moi ?