Le Parnasse libertin/070

La bibliothèque libre.
Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 56-58).

CHANSON.


Au fonds d’une grotte obſcure,
Un jour le tendre Tircis,
Sur les peines qu’il endure,
Se plaignoit à ſon Iris :
Dans l’ardeur qui l’encourage,
Il diſoit cette Chanſon :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Quelquefois d’un regard tendre
Qui s’accorde avec le mien,
À mon cœur tu fais entendre
Que je ſçais toucher le tien ;
Mais malgré ce doux langage
Ta bouche me dit que non :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Sur ta bouche à demi cloſe,
Quoique voyant mon deſſein,
Tu ne laiſſe d’une roſe
Faite un amoureux larcin ;

Mais tu n’as pas le courage
D’en faire jamais le don :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Sur deux mots que j’idolâtre,
Par ſurpriſe ou par hazard
Ma main quelquefois folâtre,
Et ſuit mon tendre regard ;
Soudain de ce double gage
Tu me prives ſans raiſon :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Du Jardin de Cytherée,
Dans quelques momens flâteurs,
J’arrive juſqu’à l’entrée
Pour en arroſer les fleurs,
Mais tu fermes le paſſage
À ma vive paſſion :
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

À ces mots : d’Iris plus tendre,
Le trouble ſaiſit le cœur ;
Et ce trouble fit comprendre
À Tircis tout ſon bonheur,
Il entendit ce langage,
Et dit ſur un autre ton :

Voyons vi c’eſt badinage,
Ou bien ſi c’eſt tout de bon.

Il embraſſe la Bergere
Et la ſerre entre ſes bras,
Ce qu’enſuite il a pu faire
Je ne vous le dirai pas ;
Mais je ſçais qu’après l’ouvrage,
Il diſoit cette chanſon :
Non, ce n’eſt plus badinage,
Pour le coup c’eſt tout de bon.

Tu veux tirer trop de gloire
D’un ſeul combat, dit Iris,
Et d’une ſeule victoire
Tu me vantes trop le prix :
À mon tour, berger trop ſage,
Je répéte ta chanſon,
C’eſt trop ſi c’eſt badinage,
Trop peu ſi c’eſt tout de bon.

Cavaliés, Avoc.