Le Parnasse libertin/077

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Chez Cazals & Ferrand, Libraires (p. 65-66).

JOUISSANCE.


Amour qu’injuſtement j’ai blâmé ton empire !
Des maux que j’ai ſoufferts, ai-je dû m’offenſer,
Quand tu viens de récompenſer
D’un moment de plaiſir un ſiécle de martyre ?
J’ai fléchi mon Iris après de longs ſoupirs ;
Ce cher objet de mes deſirs,
Cette inſenſible Iris, cette Iris ſi farouche,
Dans mille ardens baiſers vient de plonger mes feux,
Pour goûter à longs traits ce nectar amoureux,
Mon ame toute entiere a volé ſur ma bouche.
J’ai ſavouré la fraîcheur
De ſes levres demi-cloſes.

Sa bouche avoit la couleur,
Son haleine avoit l’odeur
Et le doux parfum des roſes.
Je reſſentis alors une douce langueur
S’emparer de mes ſens & couler dans mon cœur
D’amour & de plaiſirs nos yeux étincellerent,
Mon cœur en treſſaillit, nos eſprirs s’allumerent,
Et livrés l’un & l’autre à nos emportemens,
Nous cherchâmes le ſort des plus heureux amans ;
Sans voix, ſans mouvement mon Iris éperdue
Laiſſoit mille beautés en proye à mon ardeur ;
Comme elle oublioit ſa rigueur,
J’oubliai lors ma retenue,
Et je me ſouvins ſeulement
Que dans ce bienheureux moment,
Par un excès d’ardeur nos forces ſuſpendues,
Nos corps entrelaſſés, nos ames confondues,
Nous ont laiſſé livrés aux plaiſirs les plus doux,
Inconnus aux mortels moins amoureux que nous.

L’Abbé de Chaulieu.