Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/22.me Lettre
10 octobre.
Je te-fais-reponſe bién-vite, mon pauvre
Edmond, pour te-dire, que te voila enfin
au-point où je te ſouhaitais. Que le Seigneur
beniſſe nos mariages à tous-les-deux,
ét que nos Pretendues ſaient en-ſa-ſaintegarde !
Et quant aux bons pp. Religieus,
tant le r.-p. Gardién, que le p. D’Arras, notre
bonne Mère ét moi nous-ſommes-bién-contens
de la connaiſſance que tu en-as-faite,
ét de ce qu’ils te font ſi-bon-accueil ; ét nous
crayons qu’ils attireront ſur toi les benedictions
de Dieu ; ét en-voila deja un bon commencement.
Ét quant à la chère d.lle Manon,
elle doit bién t’ôter de l’eſprit toute remembrance
des Autres ; ét il m’a-ſemblé, à moi,
en-lisant tes deux dernières, que j’aurais-voulu
que Fanchon fût unpeu comme ça :
mais ce n’eſt pas la mode ici que les Filles
disent aux Garſons de ſi-jolis petits mots, ét
puis ci, étpuis ça, ſi-gracieusement, qu’il
me-ſemble que mon oreille en-eſt-encore chatouillée.
On a-reçu chés nous deux mots de
m.r Parangon, où il mande ce qu’il a-fait
pour toi : ét notre Père, après les avoir-lus
à notre Mère, nous a-tous-fait-aſſembler
pour nous les lire auſſi ; ét il m’a-dit, après
ſouper, de lire dans la Bible le chapitre du
mariage d’Iſaac avec Rebecca ; ét pendant
que je lisais, nous avons-vu qu’il eſſuyait ſes ïeus. Ét puis enſuite nous avons-fait la prière
comme de-coutume ; ét à-la-fin, il nous a-donné
ſa benediction à tous ; ét ſe-tournant
vers Urſule, qu’il veut t’envoyer aprèsdemain,
il l’a-chargée de te porter celle qu’il lui
donnait une ſeconde-fois pour toi. Nous
avons-été tout-attendris, ét nous avons-pleuré-de-joie ;
étpuis nous-nous-ſommes-tous-embraſſés,
ét nous avons-été l’un aprèsl’autre
embraſſer notre Père ét notre bonne Mère.
Ils ne partiront que dans huit ou quinze jours,
pour aler faire la demande, acause de nos
vendanges. Tu auras ſoin de venir audevant
d’Urſule, que je conduirai avantjour juſqu’à
Saintbris ; ce qui ne me-derangera pas
de mes travaus ; ét dans Le cas où tu ſerais-empêché
de venir, je la laiſſerai avec Bertrand
ſur la grand’route : Si tu viéns comme
je l’eſpère, je te dirai le reſte de bouche. Nous
t’aimons tous de tout notre cœur ; aime-nous
de-même, ét ſur-tout