Le Petit Lord/4

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Traduction par Eudoxie Dupuis.
Ch. Delagrave (p. 27-42).


IV


Quelques jours après, M. Havisam eut une conversation avec Cédric : une conversation qui amena de temps en temps un sourire sur les lèvres ridées de l’homme de loi et qui lui fit frotter, à plusieurs reprises, son maigre menton avec ses doigts osseux.

Mme Errol ayant été appelée hors du parloir, l’homme de loi et Cédric restèrent ensemble. D’abord M. Havisam se demanda ce qu’il pourrait bien dire à un si petit personnage. Il avait dans l’idée qu’il ferait peut-être bien de le préparer à son entrevue avec son grand-père et au grand changement qui allait avoir lieu dans son existence : car Cédric n’avait pas la moindre idée du sort qui l’attendait en arrivant en Angleterre ; il ne savait même pas encore que sa mère ne devait pas vivre avec lui. On avait pensé qu’il valait mieux lui laisser recevoir le premier choc avant de le lui apprendre.

M. Havisam était assis dans un large fauteuil, d’un côté de la table ; de l’autre était un fauteuil encore plus large. Cédric s’y installa bien au fond, les mains dans ses poches et ses boucles dorées se répandant sur le dossier, imitant de son mieux la pose de M. Hobbes. Tant que sa mère était restée dans la chambre, il avait examiné M. Havisam très attentivement et sans rien dire. Quand Mme Errol fut sortie, il demeura encore quelques instants en silence, comme s’il continuait à étudier le vieil homme de loi, qui, lui, de son côté, étudiait certainement Cédric, toujours se demandant ce qu’il pourrait bien dire à un petit garçon dont les jambes étaient à peine assez longues pour dépasser le coussin du fauteuil.

Ce fut Cédric qui entama la conversation.

« Savez-vous une chose, monsieur ? dit-il ; je ne me doute pas du tout de ce que c’est qu’un comte.

— Vraiment ! dit M. Havisam.

— Non ; et je pense que quand on doit en être un, il faut savoir ce que c’est. Ne trouvez-vous pas ?

— Vous avez raison, répliqua l’homme de loi.

— Voudriez-vous bien, reprit l’enfant respectueusement, prendre la peine de me l’expliquer. — Qui est-ce qui fait les comtes ?

— Un roi ou une reine. Généralement on fait comte un homme qui a rendu quelque grand service à l’État.

— C’est comme le président des États-Unis, alors ? dit Cédric.

— Vos présidents sont élus, je crois ? dit M. Havisam.

— Oui, répondit Cédric avec animation. Quand un homme est très bon, qu’il a accompli de grandes actions, il est nommé président. Alors il y a une procession avec des bannières, des torches, des lanternes, des marches aux flambeaux ; on fait des discours… Je me suis dit quelquefois que je pourrais devenir président, mais je ne m’étais jamais imaginé que je pourrais être comte, — ajouta l’enfant d’un air pensif. — C’est sans doute parce que je n’en avais jamais beaucoup entendu parler, reprit-il avec empressement, de peur de paraître impoli à M. Havisam en ayant l’air de ne pas se soucier de cette dignité ; si je savais ce que c’est, sans doute j’aimerais à l’être.

« J’ai pensé quelquefois que je pourrais devenir président… »
« J’ai pensé quelquefois que je pourrais devenir président… »

— C’est tout autre chose qu’un président, dit l’homme de loi.

— Ah ! dit Cédric, alors il n’y a pas de marches aux flambeaux ? »

Havisam croisa sa jambe gauche sur sa jambe droite, rapprocha le bout de ses doigts l’un de l’autre ; c’était sa pose favorite quand il avait à parler affaires : il se disait que le moment était venu de fournir quelques explications à l’enfant.

« Un comte, commença-t-il, est un personnage très important.

— Un président aussi, reprit Cédric. La marche aux flambeaux a cinq milles de long, on tire des fusées et on fait de la musique… M. Hobbes m’a emmené voir cela ; c’était très beau.

— Un comte, reprit l’homme de loi, est généralement de très ancien lignage.

— Qu’est-ce que cela veut dire ?

— De très vieille famille, extrêmement vieille.

— Je crois que je comprends, dit Cédric, enfonçant ses mains plus profondément encore dans ses poches. La marchande qui vend des pommes à l’entrée du parc doit être de très ancien… comment dites-vous ?… lignage. Elle est si vieille que c’est tout au plus si elle peut marcher. Elle a bien cent ans ; et cependant elle reste là quand il pleut. Cela me fait de la peine, et aux autres garçons aussi. Un dimanche on avait donné à Billy, mon camarade de classe, un dollar ; je le priai d’acheter tous les jours à la vieille femme pour deux ou trois sous de pommes, jusqu’à ce qu’il n’eût plus d’argent. Il ne demanda pas mieux, car c’est un très bon garçon ; seulement le jeudi il en avait assez. — Vous comprenez, manger tous les jours des pommes, c’est ennuyeux, si on ne les aime pas beaucoup. — Par bonheur, ce même jour, une dame qui vient quelquefois voir maman m’en donna un, de dollar, et je pus acheter tous les jours des pommes à la marchande, pendant très longtemps, à la place de Billy. La pauvre femme ! cela vous ferait peine de la voir ! Elle dit qu’elle a mal dans ses os, surtout quand il pleut ; elle a un si ancien lig… lignage ! »

M. Havisam demeura quelque peu embarrassé.

« Je crains que vous ne m’ayez pas tout à fait compris, reprit-il. Quand je parle d’ancien lignage, je ne veux pas parler d’âge avancé ; je veux dire que le nom de la famille est connu depuis longtemps ; que depuis des centaines d’années peut-être ce nom a été porté par des personnes qui se sont illustrées dans l’histoire de leur pays.

ICI REPOSE LE CORPS DE GRÉGOIRE-ARTHUR, PREMIER COMTE DE DORINCOURT, ET CELUI D’ALICE OU ALISON HILDEGARDE, SON ÉPOUSE.
ICI REPOSE LE CORPS DE GRÉGOIRE-ARTHUR, PREMIER COMTE DE DORINCOURT, ET CELUI D’ALICE OU ALISON HILDEGARDE, SON ÉPOUSE.

— Comme George Washington ! dit Cédric, j’ai entendu parler de lui depuis que je suis né, et il était connu bien longtemps encore avant. M. Hobbes dit que son nom ne sera jamais oublié ; c’est à cause de la Déclaration de l’Indépendance et du Quatre Juillet… vous savez, il était très brave.

— Le premier comte de Dorincourt fut créé comte il y a quatre cents ans, dit M. Havisam d’un ton solennel.

— Vraiment ! dit Cédric ; cela fait beaucoup de temps ! Avez-vous dit cela à Chérie ? Cela l’intéresserait beaucoup ! Nous le lui dirons quand elle reviendra : elle aime toujours à entendre des choses curieuses. — Et quelle autre chose a-t-il faite encore pour être comte ?

— Plusieurs des comtes de Dorincourt ont aidé à gouverner l’Angleterre, continua M. Havisam ; d’autres ont été remarquables par leur bravoure et se sont distingués autrefois dans les batailles.

— J’aimerais à faire comme eux, s’écria Cédric : papa était soldat et très brave — brave comme George Washington. — Peut-être est-ce à cause de cela qu’il aurait été comte, s’il n’était pas mort. Je suis heureux de savoir que les comtes sont braves ; c’est très beau d’être brave. Autrefois, quand j’étais petit, j’avais peur si je me trouvais tout seul, le soir, sans lumière ; mais quand j’entendis parler de George Washington et de sa bravoure, et de celle des soldats de la Révolution, cela me guérit.

— Il y a un grand avantage à être comte, dit M. Havisam lentement, et en observant l’effet que ses paroles allaient produire sur l’enfant ; généralement les comtes sont très riches.

— C’est une bonne chose, dit innocemment Cédric. J’aimerais bien à être riche.

— Ah ! Et pourquoi ? demanda M. Havisam.

« Si j’étais très riche, je pourrais lui acheter… »
« Si j’étais très riche, je pourrais lui acheter… »

— C’est que, répliqua l’enfant, il y a tant de choses qu’on peut faire avec de l’argent ! Ainsi, par exemple, la marchande de pommes : eh bien ! si j’étais très riche, je pourrais lui acheter une petite tente, avec un petit poêle pour s’installer l’hiver, et, chaque fois qu’il pleuvrait, je lui donnerais un dollar, de manière à ce qu’elle ne soit pas obligée de sortir et qu’elle puisse rester chez elle à se chauffer. Je lui donnerais aussi un châle pour que ses os ne lui fassent plus tant mal. Ce doit être très pénible quand vos os vous font souffrir ; si elle avait toutes ces choses, je suis sûr que les siens ne lui feraient plus de mal du tout.

— Hum ! fit l’homme de loi, et que feriez-vous encore si vous étiez riche ?

— Naturellement, d’abord, j’achèterais à Chérie toutes sortes de belles choses : des nécessaires, des éventails, des dés d’or et des bagues, et une voiture pour qu’elle ne soit plus obligée d’attendre les tramways quand elle sort. Si elle aimait les robes de soie roses ou bleues, je pourrais lui en acheter aussi ; seulement elle n’aime que les noires… Mais au fait, ce serait bien plus simple, je la conduirais dans les plus grandes boutiques et je lui dirais de choisir. — Il y a aussi Dick…

— Qui est Dick ? demanda M. Havisam vivement intrigué.

— C’est un garçon qui cire les bottes des passants, et il y est très habile. Il est installé là-bas, au coin de la place. Je le connais depuis des années et des années. Une fois, étant tout petit, je me promenais avec Chérie. Elle m’avait acheté une belle balle qui rebondissait ; voilà qu’en traversant la rue ma balle tombe et se met à sauter et à rebondir au milieu des voitures. Moi je commence à pleurer, — j’étais tout petit dans ce temps-là. — Dick était occupé à faire reluire les souliers d’un monsieur ; il s’écrie : « Attendez ! » Il s’élance entre les chevaux et les voitures, il rattrape la balle, l’essuie avec sa jaquette et me la tend en disant : « Tenez, jeune homme ! » Maman l’admira beaucoup et moi aussi, et depuis ce jour, quand nous allons de ce côté-là, nous lui parlons toujours ; nous lui demandons comment vont les affaires ; la dernière fois, il nous a dit qu’elles étaient mauvaises.

— Et que voudriez-vous faire pour lui ? demanda M. Havisam en souriant et en frottant son menton.

— Je voudrais lui acheter une petite boutique, c’est-à-dire une estrade, avec une chaise dessus, pour asseoir ses pratiques, comme le cireur de bottes qui est là-bas à la porte du parc, et qui est si bien installé, lui. Il y a un parapluie au-dessus de la chaise, et c’est très commode quand il pleut ou quand il fait grand soleil. Je lui achèterais aussi des brosses neuves, et puis des habits, et comme cela il serait très heureux. Il me disait l’autre jour : « Tout ce que je désirerais, ce serait de trouver quelqu’un qui pût me prêter quelques dollars. »

Et Cédric continua à parler encore de Dick, persuadé, dans son innocence et sa simplicité, que le vieux monsieur prenait autant d’intérêt à son ami qu’il en prenait lui-même. En vérité, M. Havisam commençait à se sentir captivé, quoique ce ne fût pas précisément par ce qui regardait le petit décrotteur et la marchande de pommes, mais simplement par le petit garçon, dont la tête bouclée s’appuyait sur le dossier du fauteuil placé en face de lui, toute pleine de projets pour les autres et s’oubliant complètement lui-même.

« Mais pour vous, que désireriez-vous si vous étiez riche ? lui dit-il.

— Oh ! beaucoup de choses ! D’abord je donnerais à Mary un peu d’argent pour Brigitte : c’est sa sœur ; elle a douze enfants et un mari qui n’a pas d’ouvrage. Quand elle vient ici, elle pleure. Chérie lui donne à emporter des habits, des provisions, et elle est bien contente, ce qui n’empêche pas qu’elle pleure encore plus fort. Je pense aussi que M. Hobbes serait bien aise d’avoir une montre avec une chaîne d’or, et puis une pipe en écume de mer. »

En ce moment la porte s’ouvrit et Mme Errol rentra.

« Je suis fâchée d’avoir été obligée de vous laisser si longtemps seul, dit-elle à M. Havisam ; mais une pauvre femme qui est dans le chagrin est venue me voir…

— Lord Fautleroy m’a tenu compagnie ; il m’a entretenu de quelques-uns de ses amis et de ce qu’il voudrait faire pour eux s’il était riche et maître de son argent.

— Brigitte est l’une de ces personnes, et c’est à elle que je viens de parler dans la cuisine. Son mari a une fièvre rhumatismale, et elle se trouve dans la misère. »

Cédric glissa vivement en bas du fauteuil.

« Je vais aller la voir, dit-il, et lui parler de Michel. Il est très complaisant quand il n’est pas malade, ajouta-t-il en s’adressant à M. Havisam, et très habile. Une fois, il m’a fait une épée de bois ; il a beaucoup de talent, oh ! oui, beaucoup. »

Et il quitta la chambre en courant.

« Dans la dernière entrevue que j’ai eue avec le comte, dit M. Havisam après quelques instants d’hésitation, Sa Seigneurie m’a donné des instructions… Afin que son petit-fils envisage avec un certain plaisir la perspective de sa vie future en Angleterre, et aussi afin de le bien disposer pour son grand-père, le comte m’a ordonné de satisfaire tous ses désirs et de lui faire savoir que c’était lui, le comte de Dorincourt, qui m’en fournissait les moyens. Sûrement Sa Seigneurie n’a pas prévu quels seraient les souhaits que formerait son petit-fils ; n’importe ! il m’a ordonné de m’y conformer, et puisque lord Fautleroy veut secourir cette pauvre femme… »

Dans cette occasion, pas plus que dans d’autres, il ne répétait exactement les paroles du comte, qui auraient laissé beaucoup à désirer sous le rapport de l’amabilité et de la courtoisie.

« Faites comprendre à mon petit-fils, avait dit celui-ci, que je peux lui donner tout ce qu’il désire. Qu’il voie ce que c’est que d’être le petit-fils du comte de Dorincourt. Achetez-lui tous les objets qui lui feront envie. Qu’il ait toujours de l’argent dans ses poches et qu’il sache bien que c’est son grand-père qui le lui donne. »

Les motifs du comte étaient loin d’être élevés ; mais la mère de Cédric avait une nature trop droite et trop affectueuse pour les soupçonner. Sans s’apercevoir du profond égoïsme qui se cachait sous ces apparences généreuses, elle se dit qu’il était naturel qu’un homme âgé, seul, malheureux, qui avait perdu tous ses enfants, cherchât, par de bons procédés, à gagner l’affection et la confiance de l’unique rejeton qui lui restât. De plus, elle était heureuse de penser que le premier effet de la fortune étrange et soudaine qui venait de tomber sur son petit garçon, serait de venir en aide à une pauvre femme à laquelle elle s’intéressait et qui avait tant besoin de secours.

« Oh ! s’écria-t-elle, toute rougissante de joie, c’est très bon de la part du comte ! Cédric va être si heureux ! Il a toujours beaucoup aimé Brigitte et Michel, qui sont tout à fait méritants. J’ai souvent souhaité pouvoir les aider un peu plus que je ne le faisais. Michel est un excellent ouvrier, quand il est en bonne santé ; mais il a été longtemps malade ; il lui a fallu des médicaments, une bonne nourriture, des vêtements chauds, ce qui a épuisé leurs ressources. Lui et Brigitte sauront ménager ce qu’on leur donnera. »

M. Havisam mit sa main osseuse dans sa poche et en tira un large portefeuille. Un sourire bizarre se jouait sur sa figure. La vérité est qu’il se demandait ce que penserait le riche, orgueilleux et égoïste lord quand il apprendrait quel avait été le premier désir de son petit-fils, et quand son envoyé lui dirait comment avait été dépensé le premier argent qui lui aurait été donné en son nom.

« Madame, dit-il tout haut, vous savez que le comte est extrêmement riche. Si vous voulez bien rappeler votre fils, je lui donnerai, avec votre permission, ces cinq livres (environ cent vingt-cinq francs) pour ces pauvres gens.

— Cinq livres ! s’écria Mme Errol ; ce sera la richesse pour eux. C’est à peine si je peux croire à pareil bonheur.

— Il est pourtant très réel, » reprit M. Havisam avec son sourire compassé ; et il ajouta d’un ton important : « Un changement considérable vient d’avoir lieu dans l’existence de votre fils, et un grand pouvoir reposera dans ses mains.

— Un grand pouvoir ! répéta la mère, et il est si petit ! Comment lui apprendrai-je à en bien user ? Cette pensée m’effraye. Mon cher petit Cédric… ! »

L’homme de loi toussa de nouveau légèrement ; son vieux cœur endurci était ému par le regard anxieux et timide de la jeune femme.

« Je crois, madame, dit-il, autant que j’en peux juger par mon entrevue de ce matin avec Sa Seigneurie, que le futur comte de Dorincourt pensera aux autres encore plus qu’à lui-même. Il n’est encore qu’un enfant, mais il me semble qu’on peut se fier à lui. »

Cédric rentrait en ce moment dans le salon.

« Ce sont des douleurs rhum… rhumatismales, à ce que raconte Brigitte, dit-il, et il paraît que ce sont des douleurs terribles. Et Michel voit bien qu’ils ne vont pas pouvoir payer le loyer, et cela rend les douleurs encore plus fortes. Au moins si Patty avait une robe propre, comme dit Brigitte, elle pourrait aller en journée et gagner quelque chose pendant que son père est malade ; mais elle n’a que des loques à se mettre. »

La figure de l’enfant était très anxieuse en parlant ainsi.

« Chérie dit que vous me demandez, monsieur, ajouta Cédric à qui sa mère venait de dire quelques mots.

— Le comte de Dorincourt… » commença l’homme d’affaires ; mais il s’arrêta, un peu embarrassé, de ce qu’il avait à dire, ou du moins de la manière de le dire, et jeta un coup d’œil involontaire à Mme Errol.

Celle-ci s’agenouilla vivement sur le tapis, comme pour se mettre mieux à la portée de son fils, et jetant tendrement ses bras autour de lui :

« Cédric, lui dit-elle, le comte est ton grand-papa, le propre papa de ton père. Il est très, très bon, il t’aime et il désire que tu l’aimes, en remplacement de tous ses enfants qui sont morts. Son plus grand désir est de te rendre heureux et de rendre tout le monde heureux autour de lui. Il est très riche, il peut te donner tout ce que tu désires. Il l’a dit à M. Havisam, à qui il a remis beaucoup d’argent pour toi. Tu peux donner un peu de cet argent à Brigitte, afin qu’elle puisse payer son loyer et acheter à Michel ce dont il a besoin. N’en es-tu pas bien content, hein ? » ajouta-t-elle en déposant un tendre baiser sur les joues rondes de l’enfant, où la joie causée par l’annonce de ces richesses inattendues et arrivées si à propos avait fait monter des couleurs plus éclatantes que de coutume.

Cédric regarda successivement sa mère et l’homme de loi.

« Puis-je avoir cet argent maintenant ? s’écria-t-il ; puis-je le donner tout de suite à Brigitte ?… Elle va partir. »

M. Havisam lui tendit les cinq pièces d’or.

Cédric s’élança hors de la chambre.

« Brigitte, l’entendit-on s’écrier en se précipitant dans la cuisine, Brigitte, attends un instant : voici de l’argent ; tu pourras payer ton loyer ; mon grand-papa me l’a envoyé. C’est pour toi et pour Michel.

— Oh ! monsieur Cédric, s’écria la pauvre femme, à demi suffoquée par la surprise et par la joie ; cinq livres ! cinq livres ! Savez-vous que cela fait vingt-cinq dollars ! Je ne peux pas accepter tout cela sans la permission de votre maman.

— Je vous demande pardon, il faut que j’y aille, » dit en souriant Mme Errol ; et elle quitta le salon, laissant M. Havisam seul.

« Elle a pleuré ! s’écria Cédric en rentrant impétueusement dans la chambre quelques instants après, elle a pleuré ; mais elle a dit que c’était de joie. Je n’avais jamais vu personne pleurer de joie. Mon grand-papa est très bon. C’est bien plus agréable d’être comte que je ne le croyais, beaucoup plus agréable. Je suis content de l’être ! »