Le Poëme de la pipe et de l’escargot

La bibliothèque libre.
Émile-Paul frères (p. 7-23).


À MICHEL PUY















Que mes poèmes soient étranges
et qu’on les raille et leur auteur,
cela m’est peu, car les louanges
ne sont pas chères à mon cœur,

hors celles de quelques poètes
au cœur fervent, au regard pur
et qui nagent, blanches mouettes,
dans les ténèbres et l’azur.

Ma vie en silence s’écoule,
c’est pour peu d’hommes que j’écris,
car si je chantais pour la foule
je pousserais bien d’autres cris.

Des deux poings défiant les astres
je clamerais à grands fracas
et ferais crouler les pilastres
et les balustres sur mes pas ;

ou, plaignant ma longue misère
en des tumultes mesurés,
d’une voix qu’on dirait sincère,
Apollon, je t’invoquerais.


Je pourrais dater une stance,
doux exotisme, de Turin,
de Heidelberg ou de Constance,
sans avoir jamais pris le train.

Et je plairais aux demoiselles,
ayant mis à mon violon,
non des cordes, mais des ficelles
pour des romances de salon.
 
Et peut-être dans mon vieil âge
pourrais-je voir sur mon perron
un laurier bercer son feuillage…
Mais à quoi bon ? mais à quoi bon ?
 
La gloire éclot, jaunit, se fripe
et se fane de l’aube au soir
et j’aime mieux fumer ma pipe
que renifler son encensoir.

À Henri Martineau.

Je vais songer à la jeune fille que j’ai
peinte naguère au tome deux de l’Abrégé
de mes Amours et dont la grâce était fleurie.
Cet abrégé n’est pas encore en librairie,
mais elle est dans mon cœur comme une rose dans
un livre. Je souris mais j’ai serré les dents
avec un tel sanglot que j’ai fendu ma pipe,
l’autre hiver. La douleur elle-même se fripe
et plus rien ne demeure au fond de nous que des
fleurs mortes. C’est enfin l’heure que j’attendais
du calme intérieur et de l’ombre assagie
et je puis maintenant allumer ma bougie
pour éclairer l’herbier poudreux du souvenir.
Mais j’entends les chevaux de l’aurore hennir !
Ah ! laisse le passé, bois mort et feuilles sèches.
Le soleil sur les toits lance de rouges flèches ;
détourne tes regards des vierges d’autrefois ;
leur visage pâlit comme la lune ; et vois
bondir en secouant leur sauvage crinière
les quatre étalons blancs cabrés dans la lumière.


Tes bras ont une courbe adorable et malgré que
ton cœur n’ait que dédain pour la grammaire grecque
de Burnouf et le dialogue d’Ampelis
et de Chrysis, tu m’es plus chère que ces lis
bleus et verts qui s’ouvraient sous les feuilles des frênes,
l’autre automne. Mais le collier que tu égrènes,
ta chevelure qui ruisselle et la tiédeur
de ta gorge et tes mains pures comme l’odeur
des roses disent la vanité de mon livre
et qu’il vaut mieux ce soir où ta grâce m’enivre
dans tes bras regarder à travers le rideau
la lune comme un œuf dansant sur le jet d’eau.


Je crayonne ton nom sur la peau d’un tambour
au corps de garde. Où est le jour ? Où est le jour
où tu tendis tes mains vers mes lèvres ? La pluie
battait les vitres. Dans ma mémoire éblouie
tu refleuris, bouquet de roses qui trempais
dans l’ombre et parfumais l’oubli des canapés ;
sur toi mon souvenir est la caresse douce
d’un clair de lune sur les collines. Soir d’où ce
bonheur m’est venu ! Soir rare dont je rêve en
larmes, où j’ai compris ton visage fervent
qu’atténuait déjà le charme des automnes.
J’avais un air mélancolique et des gants jaunes.


Et naguère aux midis de résine imprégnés,
Après les bois de pins torrides, je baignais
mes mains dans tes cheveux comme dans une eau pure,
ô toi que mon amour ce soir caresse et pare.
Tu trempais en riant des roses dans du sucre
et tu mordais dans leur fraîcheur à blanche nacre,
et quand tu me tendais tes lèvres, j’y goûtais
les roses dont l’arôme embaume les étés.


Chambre d’hôtel ou flotte une odeur de benzine,
les échos d’un concert sur la place voisine
et le parfum amer de tes épaules nues.
Tu rêves dans mes bras de berges inconnues
où le vent tiède émeut des feuillages de givre,
d’une prairie épaisse où ta chair serait ivre
et d’eau sous un soleil pâle comme une perle.
Tu dors ; le double flot de ta gorge déferle
doucement ; d’une fleur je caresse ta joue
et j’écoute là-bas la musique qui joue
sous les ormes grillés, ô ma belle dormeuse,
Guillaume-Tell, le Beau Danube et Sambre-et-Meuse.


Le décor somptueux et lourd d’étoffe rouge
où parfois de chaleur une rose s’écroule,
l’eau tiède des bouquets que boit l’ombre torride
et toi voluptueuse et nue et ton sourire
et ton bras où miroite une chaîne d’ivoire
et d’or. Ah ! dans le lin immaculé d’un voile
goûter la neige et l’aube aux flûtes argentines
et la nuit pure et les étoiles maritimes.


Bien qu’avec passion à mes bras tu te livres,
je sais que tout est vain, l’amour comme les livres ;
les étoiles se faneront dans le foin bleu
et rien ne vaut le soir ma pipe au coin du feu
qui me caresse et m’offre un trouble paysage.
Et pourtant je reviens toujours à ton visage
encore que je sache au monde qu’il n’est rien
qui puisse consoler un cœur comme le mien.


C’est le feuillage noir des platanes que perce
une flèche de lune et la sonore averse
des nocturnes. Ô nuit musicale ! J’attends…
Et j’attendais que tes bras ivres de printemps
vinssent avec fraîcheur se nouer à mes tempes.
Aujourd’hui quelle main rallumera les lampes
et l’espoir, me rendra les blancs oiseaux enfuis
et jonchera de fleurs les routes que je suis ?


Puisque tout est pareil aux feuillages labiles,
c’est vainement que sur mes flûtes malhabiles
je chante les jongleurs, ta grâce et nos doigts joints.
Le monde et ta beauté n’en passeront pas moins.
C’est vrai. Mais par les vers où mon rêve s’applique
nous entendrons passer l’univers en musique.

Pour distraire mon ami le poëte Léon Vérane

Les fraises sur le plat de blanche porcelaine
gardent la fraîche odeur de l’aube sur la plaine,
des branches, de la mousse et des sources glacées.
Sur la nappe j’ai mis ton bouquet de pensées
et tandis que les yeux pensifs tu te recueilles,
ce soir grave, je vois glisser entre les feuilles
la lune comme dans les vieilles élégies.
Un souffle tiède et pur caresse les bougies
et berce la glycine et les roses blafardes
et la tonnelle. Prends des fraises. Tu regardes
au champagne doré le sucre se dissoudre ;
le temps sur nos cheveux verse du sucre en poudre
et j’aurai quelque jour de larges mèches blanches.
Mais qu’importe ! ce soir vers moi si tu te penches
sans crainte de l’automne et des feuilles rougies
et si pour mes baisers tu souilles les bougies.


Prends ton manteau. Suspends les plaintes éternelles
et buvons la splendeur des heures automnales,
car la pourpre des bois environne le zèbre
qui rue et trotte et mord le feuillage et se cabre.
C’est le nouvel octobre et la sente où je marche
je la foulais naguère en brandissant la torche
quant au sort je voulais attacher des entraves
et nouer à l’azur les roses de mes rêves ;
et nous nous oublierons et que notre cœur saigne
en regardant glisser la souplesse d’un cygne
et nous contemplerons dédaigneux des clepsydres,
les paons de cuivre bleu dans le bronze des cèdres.

À Léon Vérane.

Non, ce n’est pas cela que tu avais rêvé
et le soir quand tu vas t’attabler au café
pour lire Le Divan, La Phalange ou Les Marges,
tu songes aux voiliers qui glissent sur les larges
atlantiques, en plein azur, vers les îlots
candides, nénuphars que balancent les flots.
Les buveurs braillent. Tu es seul. Tu lis. Tu coupes
les pages. Tu es seul dans le bruit des soucoupes ;
et ces gens dont le cœur ne reflète aucun ciel
ignorent Gaudion, Royère et Duhamel.
Tu es seul et sous tes sourires tu sanglotes,
rose triste au milieu d’un bouquet d’échalottes.

À Jean Pellerin.

Reste dans ta coquille et dédaigne, escargot,
cet humide parfum de rose et d’abricot ;
ta solitude sera douce si tu l’ornes
de beaux rêves ; il pleut ; tu mouillerais tes cornes.
L’averse drue et chaude écrase le gazon,
et les tonnerres illuminent la maison
et la muraille où tu te colles sous les toiles
d’araignée ; et le vent a soufflé les étoiles
et la lune a roulé dans l’herbe comme un fruit.
Rentre tes cornes ; loin des éclairs et du bruit,
médite sur toi-même et dore tes pensées.
L’orage fauche l’herbe et les feuilles froissées ;
il siffle et fait voler les ardoises du toit.
Laisse le monde s’écrouler autour de toi.

À Henri Martineau.

Lève le nez, ferme ton livre et ton pupitre.
La flûte de cristal à la bouche du pâtre
module sous les fleurs nouvelles et les feuilles
un air grave qui fait rougir les jeunes filles ;
et son souffle fervent, magnifique et docile
s’épanouit dans la lumière universelle.
Elle chante la joie et les collines fraîches,
le cri des paons, le vert des bois, le vert des ruches,
l’écarlate des liserons sur les écorces,
le bleu du ciel, le bleu des yeux, le bleu des sources.
Elle chante, elle vibre, elle crie, ô nature,
elle te loue et s’abandonne à ton mystère,
et son âme n’est plus qu’une phrase amoureuse.
Elle vibre et soudain trop ivre elle se brise
et, poussière immortelle, au monde elle se mêle.
Douce flûte et mon cœur qui se donne comme elle.


FIN.