Le Portrait de Monsieur W. H. (recueil)/Le Portrait de Monsieur W. H.

La bibliothèque libre.

Le Portrait de Monsieur W. H. (recueil)
Traduction par Albert Savine.
Le Portrait de Monsieur W. H. (p. 5-84).

LE
PORTRAIT DE MONSIEUR W. H.


I

J’avais dîné avec Erskine dans sa jolie petite maison de Bird Cage Walk et nous étions assis dans sa bibliothèque, buvant notre café et fumant des cigarettes, quand nous en vînmes à causer des faux en littérature.

Maintenant je ne me souviens plus ce qui nous amena à un sujet aussi bizarre en un pareil moment, mais je sais que nous eûmes une longue discussion au sujet de Macpherson[1], d’Ireland[2] et de Chatterton[3] et qu’en ce qui concerne ce dernier, j’insistai sur ce point que ses prétendus faux étaient simplement le résultat d’un désir artistique de parfaite ressemblance, que nous n’avons nul droit de marchander à un artiste les conditions dans lesquelles il veut présenter son œuvre et que tout art étant à un certain degré une sorte de jeu, une tentative de réaliser sa propre personnalité sur quelque plan imaginatif en dehors de la portée des accidents et des limites de la vie réelle ; — censurer un artiste pour un pastiche, c’était confondre un problème de morale et un problème d’esthétique.

Erskine, qui était de beaucoup mon aîné et qui m’avait écouté avec la politesse amusée d’un homme qui a atteint la quarantaine, appuya soudain sa main sur mon épaule et me dit :

— Que diriez-vous d’un jeune homme qui avait une étrange thèse sur certaine œuvre d’art, qui croyait à cette thèse et qui commit un faux pour en faire la démonstration ?

— Oh ! ceci est tout à fait une autre question.

Erskine demeura quelques instants silencieux, contemplant le mince écheveau de fumée grise qui s’élevait de sa cigarette.

— Oui, dit-il après une pause, c’est tout à fait différent !

Il y avait quelque chose dans le ton de sa voix, une légère sensation d’amertume peut-être, qui excita ma curiosité.

— Avez-vous jamais connu quelqu’un qui avait fait cela ? lui demandai-je brusquement.

— Oui, répondit-il, en jetant au feu sa cigarette, un de mes grands amis, Cyril Graham. C’était un garçon tout à fait fascinant, un vrai fou sans la moindre énergie. C’est pourtant lui qui m’a laissé le seul legs que j’ai reçu de ma vie.

— Et qu’était-ce ? m’écriai-je.

Erskine se leva de sa chaise et allant à une petite vitrine en marqueterie qui était placée entre les deux fenêtres, il l’ouvrit et revint à l’endroit où j’étais assis en tenant dans sa main un petit panneau de peinture encadré d’un vieux cadre un peu terne de l’époque d’Élisabeth.

C’était un portrait en pied d’un jeune homme habillé d’un costume de la fin du XVIe siècle, assis à une table, sa main droite reposant sur un livre ouvert.

Il paraissait âgé de dix-sept ans et était d’une beauté tout à fait extraordinaire, quoique évidemment un peu efféminée.

Certes, si ce n’eût été le costume et les cheveux coupés très courts, on aurait dit que le visage, avec ses yeux pensifs et rêveurs et ses fines lèvres écarlates, était un visage de femme.

Par la manière, surtout par la façon dont les mains étaient traitées, le tableau rappelait les dernières œuvres de François Clouet. Le pourpoint de velours noir, avec ses broderies d’or capricieuses, et le fond bleu de paon, sur lequel il se détachait si agréablement, et qui donnait à ses tons une valeur si lumineuse, étaient tout à fait dans le style de Clouet.

Les deux masques de la Comédie et de la Tragédie, suspendus, d’une façon quelque peu apprêtée, au piédestal de marbre, avaient cette dureté de touche, cette sévérité si différente de la grâce facile des Italiens que, même à la Cour de France, le grand maître flamand ne perdit jamais complètement et qui chez lui ont toujours été une caractéristique du tempérament des hommes du Nord.

— C’est une charmante chose, m’écriai-je, mais quel est ce merveilleux jeune homme dont l’art nous a si heureusement conservé la beauté ?

— C’est le portrait de monsieur W. H., dit Erskine avec un triste sourire.

Ce peut être un effet de lumière dû au hasard, mais il me sembla que des larmes brillaient dans ses yeux.

— Monsieur W. H. ! m’écriai-je. Qui donc est monsieur W. H. ?

— Ne vous souvenez-vous pas ? répondit-il. Regardez le livre sur lequel reposent ses mains.

— Je vois qu’il y a là quelque chose d’écrit, mais je ne puis le lire, répliquai-je.

— Prenez cette loupe grossissante et essayez, dit Erskine sur les lèvres de qui se jouait toujours le même sourire de tristesse.

Je pris la loupe et approchant la lampe un peu plus près, je commençai à épeler l’âpre écriture du seizième siècle :

À l’unique acquéreur
des sonnets ci-après.

— Dieu du ciel m’écriai-je. C’est le monsieur W. H., de Shakespeare.

— Cyril Graham prétendait qu’il en était ainsi, murmura Erskine.

— Mais il n’a pas la moindre ressemblance avec lord Pembroke, répondis-je. Je connais très bien les portraits de Penhurst[4]. J’ai demeuré tout près de là il y a quelques semaines.

— Alors vous croyez vraiment que les sont adressés à lord Pembroke[5] ? demanda-t-il.

— J’en suis certain, répondis-je. Pembroke, Shakespeare et madame Mary Fitton[6] sont les trois personnages des Sonnets, il n’y a pas le moindre doute là-dessus.

— Fort bien, je suis d’accord avec vous, dit Erskine, mais je n’ai pas toujours pensé de la sorte. J’ai eu l’habitude de croire… oui, je crois que j’ai eu l’habitude de croire Cyril Graham et sa théorie.

— Et qu’était cette théorie ? demandai-je en regardant le merveilleux portrait qui commençait presque à exercer sur moi une singulière fascination.

— C’est une longue histoire, dit Erskine, me reprenant la peinture des mains d’une façon que je jugeai alors presque brutale… C’est une longue histoire, mais si vous avez envie de la connaître, je vous la dirai.

— J’aime les théories sur les Sonnets, m’écriai-je, mais je ne crois pas que je sois en disposition d’être converti à quelque idée nouvelle. La question n’est plus un mystère pour personne et, certes, je suis surpris qu’elle ait jamais été un mystère.

— Comme je ne crois pas à la théorie, je ne ferai nul effort pour vous la faire adopter, dit Erskine en riant, mais elle peut vous intéresser.

— Dites-la moi, parbleu ! répondis-je. Si la théorie est à moitié aussi délicieuse que la peinture, je serai plus que satisfait.

— Eh bien ! reprit Erskine en allumant une cigarette, je dois commencer par vous parler de Cyril Graham lui-même.

Lui et moi nous habitions la même maison à Eton.

J’avais un ou deux ans de plus que lui, mais nous étions très grands amis. Nous travaillions et nous nous amusions tout le temps ensemble. Certes, nous nous amusions beaucoup plus que nous ne travaillions, mais je ne puis dire que je regrette cela.

C’est toujours un avantage de n’avoir pas reçu une orthodoxe éducation de boutiquier. Ce que j’ai appris dans les lices de jeu d’Eton m’a été tout aussi utile que tout ce que l’on m’a enseigné à Cambridge.

Il faut que je vous dise que le père et la mère de Cyril étaient tous les deux morts. Ils s’étaient noyés dans un épouvantable accident de yacht près de l’île de Wight.

Son père avait été dans la diplomatie et avait épousé une fille, la fille unique en fait, du vieux lord Crediton qui devint le tuteur de Cyril après la mort de ses parents.

Je ne crois pas que lord Crediton se souciât beaucoup de Cyril. En fait, il n’avait jamais pardonné à sa fille d’épouser un homme qui n’avait pas de titre.

C’était un étrange aristocrate de la vieille roche, qui jurait comme un marchand de pommes frites et avait les manières d’un fermier.

Je me souviens de l’avoir vu une fois un jour de distribution des prix. Il gronda contre moi, il me donna un souverain et me dit de ne pas devenir un « sacré radical » comme mon père.

Cyril avait très peu d’affection pour lui et n’avait pas de plus grande joie que de venir passer la plus grande partie de ses congés avec nous en Écosse.

En réalité, ils ne s’accordaient jamais ensemble.

Cyril le considérait comme un ours et il jugeait Cyril efféminé.

Il était efféminé, je veux bien, en certaines choses, quoiqu’il fût un excellent cavalier et un tireur de première force. En fait, il obtint les fleurets d’honneur avant de quitter Eton. Mais son attitude était très molle.

Il n’était pas médiocrement vain de sa bonne mine et avait une répugnance extrême pour le foot ball.

Les deux choses qui le charmaient réellement, c’étaient la poésie et l’art scénique. À Eton, il était toujours occupé à se farder et à réciter du Shakespeare et quand nous allâmes au collège de la Trinité, la première année, il devint un membre du A. D. C.

Je me souviens que je fus toujours très jaloux de son goût pour la scène. Je lui étais absurdement dévoué. J’étais un garçon gauche, faible, avec d’énormes pieds et le visage horriblement couvert de taches de rousseur.

Les taches de rousseur, c’est la plaie des familles écossaises, comme la goutte celle des familles anglaises.

Cyril avait l’habitude de dire que des deux il préférait la goutte, mais il attachait toujours une importance absurde à l’extérieur des gens et, une fois, il lut, devant notre club de controverse, un mémoire pour prouver qu’il valait mieux avoir bonne mine qu’être bon.

Certes, il était étonnamment beau.

Les gens qui ne l’aimaient pas, les Philistins et les professeurs de collège, les jeunes gens qui étudiaient pour être d’Église, avaient coutume de dire qu’il n’était que joli, mais sur son visage il y avait bien autre chose que de la joliesse.

Je crois qu’il était la plus splendide des créatures que j’aie jamais vue et rien ne peut surpasser la grâce de ses mouvements, le charme de ses manières. Il séduisait tous ceux qui méritaient qu’on les séduisît et bien des gens qui ne le méritaient pas.

Il était souvent volontaire et impertinent et bien souvent je pensais qu’il manquait épouvantablement de sincérité.

Cela était dû, je crois, surtout à son désir immodéré de plaire. Pauvre Cyril ! je lui dis une fois qu’il se contentait de triompher à bon compte, mais il n’en fit que rire.

Il était horriblement gâté.

Tous les gens charmants, j’imagine, sont horriblement gâtés. C’est le secret de leur attraction.

Pourtant il me faut vous parler du jeu de Cyril.

Vous savez que l’A. D. C. ne fait accueil sur sa scène à aucune actrice, du moins, c’était ainsi de mon temps ; je ne sais comment les choses se passent aujourd’hui.

Eh bien ! tout naturellement Cyril était toujours choisi pour les rôles de jeunes filles et, quand on donna Comme il vous plaira, ce fut lui qui joua Rosalinde.

L’exécution fut merveilleuse.

En fait, Cyril Graham était la seule Rosalinde parfaite que j’aie jamais vue. Il me serait impossible de vous décrire la beauté, la délicatesse, le raffinement en tous points de son jeu.

Il fit une énorme sensation et l’horrible petit théâtre — ce n’était pas autre chose alors — était comble chaque soir.

Même quand je lis la pièce maintenant, je ne puis m’empêcher de songer à Cyril. Elle eût pu être faite pour lui.

L’année suivante, il prit ses grades et vint à Londres se préparer à la carrière diplomatique. Mais il ne travaillait jamais. Il passait ses journées à lire les Sonnets de Shakespeare et ses soirées à fréquenter le théâtre.

Il avait certes une envie folle de monter sur les planches. Lord Crediton et moi, nous fîmes tous nos efforts pour l’en empêcher.

Peut-être s’il s’était mis à jouer, il serait encore vivant.

C’est toujours une chose sotte que de donner des conseils, mais donner de bons conseils est absolument question de chance. Je vous souhaite de ne jamais tomber dans l’erreur de vouloir conseiller. Si vous le faites, vous aurez à le regretter.

Eh bien ! pour en venir au vrai nœud de cette histoire, un jour je reçus une lettre de Cyril dans laquelle il me demandait de passer chez lui le soir.

Il avait un délicieux appartement à Piccadilly avec vue sur le Green Park, et, comme j’avais l’habitude d’aller le voir tous les jours, je fus un peu surpris qu’il eût pris la peine de m’écrire.

Naturellement j’allai chez lui et, quand j’arrivai, je le trouvai dans un état de grande surexcitation.

Il me dit qu’il avait enfin découvert le vrai secret des Sonnets de Shakespeare, que tous les lettrés et les critiques avaient fait fausse route et qu’il était le premier qui, travaillant uniquement d’après l’évidence des faits, avait élucidé qui était réellement monsieur W. H.

Il était tout à fait fou de joie et il demeura longtemps sans vouloir me dire sa théorie.

Enfin, il exhiba un paquet de notes, prit son exemplaire des Sonnets sur sa cheminée, s’assit et me fit une longue conférence sur toute la question.

Il débuta par établir que le jeune homme, à qui Shakespeare adressait ces poèmes étrangement passionnés, devait être quelqu’un qui avait été réellement un facteur vital dans le développement de son art dramatique et que ni lord Pembroke ni lord Southampton ne se trouvaient dans ce cas.

En outre, à tout prendre, ce ne pouvait être un homme de haute naissance, comme il résulte abondamment du sonnet 25, dans lequel Shakespeare le met en parallèle avec ceux qui sont les favoris de grands princes et dit avec une entière franchise :

Que ceux qui sont en faveur auprès de leurs étoiles se parent des honneurs publics et des titres superbes, tandis que moi, que la fortune prive de tels triomphes, je jouis d’un bonheur inespéré qui est pour moi l’honneur suprême,

et termine le sonnet en se félicitant de la condition médiocre de celui qu’il adorait tant.

Heureux suis-je donc, moi qui aime et suis aimé, sans pouvoir infliger la disgrâce ni la subir.

Cyril déclarait que ce sonnet serait tout à fait inintelligible si nous imaginions qu’il était adressé soit au comte de Pembroke, soit au comte de Southampton qui, tous deux, étaient des hommes de la plus haute situation en Angleterre et pleinement en droit d’être qualifiés de « grands princes. »

Pour appuyer cette opinion, il me lut les sonnets 124 et 125, dans lesquels Shakespeare nous dit que son amour n’est pas un enfant royal, qu’il n’est pas gêné par la pompe souriante, mais qu’il a été élevé loin de tout accident.

J’écoutais avec un très grand intérêt, car je ne crois pas que la remarque eut été faite jusque-là ; mais ce qui suivit était encore plus curieux et me sembla alors solutionner complètement la cause de Pembroke.

Nous avons appris de Meres[7] que les Sonnets ont été écrits avant 1598 et le sonnet 104 nous informe que l’amitié de Shakespeare pour monsieur W. H. existait déjà depuis trois ans. Or, lord Pembroke, qui était né en 1580, n’est pas venu à Londres avant sa dix-huitième année, c’est-à-dire avant 1598 et la liaison de Shakespeare avec monsieur W. H. doit avoir commencé en 1594 ou au début de 1595. En conséquence, Shakespeare n’a pu connaître lord Pembroke qu’après avoir écrit les Sonnets.

Cyril remarqua aussi que le père de Pembroke ne mourut pas avant 1601 ; tandis qu’il résulte du vers :

Vous avez eu un père ; puisse votre fils en dire autant,

que le père de monsieur W. H. était mort en 1598.

En outre, il était absurde d’imaginer que quelque éditeur du temps, — et la préface est de la main de l’éditeur — aurait osé appeler William Herbert comte de Pembroke monsieur.

Le cas de lord Buckhurst, qualifié de M. Sackville, n’a rien de similaire, car lord Buckhurst n’était pas un pair, mais simplement le plus jeune fils d’un pair qui recevait un titre de courtoisie, et le passage du Parnasse d’Angleterre, où il est ainsi parlé de lui, n’est pas une dédicace en forme et avec apparat, mais une simple allusion fortuite.

Voilà pour lord Pembroke, dont Cyril démolissait aisément les prétendues prétentions, tandis que je restais abasourdi de sa démonstration.

Pour lord Southampton, Cyril éprouvait encore moins de difficultés.

Southampton devint, à un âge encore tendre, l’amoureux d’Élisabeth Vernon : il n’avait donc pas besoin qu’on le suppliât de se marier.

Il n’était pas beau. Il ne ressemblait pas à sa mère, comme monsieur W. H.

Tu es le miroir de ta mère, et elle retrouve en toi l’aimable avril de sa jeunesse…

et par dessus tout son nom de baptême était Henry, tandis que les sonnets à jeux de mots (le 135e et le 143e) prouvent que le nom de baptême de l’ami de Shakespeare était le même que le sien, Will.

Quant aux autres insinuations des infortunés commentateurs que monsieur W. est une faute d’impression pour monsieur W. S., c’est-à-dire William Shakespeare ; que monsieur W. H. all doit être un monsieur W. Hall, que monsieur W. H. est monsieur William Hathevay et qu’après Wisheth[8] il faut mettre un point, ce qui fait de monsieur W. H. l’auteur et non le sujet de la dédicace, Cyril se débarrassa d’elles en fort peu de temps et il ne vaut pas la peine de mentionner ses raisonnements, quoique je me souvienne qu’il me fit éclater de rire en me lisant — je suis heureux de dire que ce ne fut pas dans l’original — quelques extraits d’un commentateur allemand du nom de Bernstroff qui prétendait soutenir que monsieur Will n’était autre que monsieur William Himself (lui-même).

Graham se refusait à admettre un seul instant que les Sonnets fussent de pures satires de l’œuvre de Drayton et de John Davies d’Hereford.

Pour lui, comme pour moi, c’étaient des poèmes d’une portée sérieuse et tragique, expression de l’amertume de cœur de Shakespeare et adoucis par le miel de ses lèvres.

Encore moins voulait-il admettre que ce fût une simple allégorie philosophique et que Shakespeare adressât ses Sonnets au Moi idéal, à la Nature humaine idéale, à l’Esprit de beauté, à la Raison, au divin Logos ou à l’Église catholique.

Il sentait, comme certes, je crois que nous le sentons tous que les Sonnets sont adressés à un être qui a une individualité propre, à un jeune homme déterminé, dont la personnalité, pour une raison quelconque, semble avoir rempli l’âme de Shakespeare d’une terrible joie et d’un non moins terrible désespoir.

Après avoir de la sorte débarrassé la route, Cyril me demanda de chasser de mon esprit toutes les idées préconçues que je pouvais m’être faites sur ce sujet et de prêter une oreille impartiale et bienveillante à sa propre théorie.

Le problème, qu’il signalait, était celui-ci :

Quel était le jeune homme contemporain de Shakespeare, à qui, sans qu’il fût de noble naissance ou même de noble caractère, il avait pu s’adresser en termes d’une telle adoration passionnée que nous ne pouvons que nous étonner de ce culte étrange et être presque effrayés de tourner la clé de la serrure qui enferme le mystère du cœur du poète ?

Quel était celui dont la beauté physique était telle qu’elle devint la vraie pierre angulaire de l’art de Shakespeare, la vraie source de l’inspiration de Shakespeare, la vraie incarnation des rêves de Shakespeare ?

Le regarder uniquement comme l’objet de certains poèmes d’amour, c’est oublier toute la signification des poèmes, car l’art, dont Shakespeare parle dans les Sonnets, n’est pas l’art des Sonnets eux-mêmes, qui certes ne furent pour lui que des choses légères et intimes, c’est l’art du Dramaturge à qui il fait toujours allusion et celui dont Shakespeare dit :

Tu es tout mon art et tu exaltes jusqu’à la science mon ignorance grossière,

celui à qui il promet l’immortalité,

Là où le souffle a le plus de puissance, sur la bouche même de l’humanité.

n’était sûrement pas autre que le jeune acteur pour qui il créa Viola et Imogène, Juliette et Rosalinde, Portia et Desdemone, et Cléopâtre elle-même.

Telle était la théorie de Cyril Graham, tirée, comme vous le voyez, uniquement des Sonnets et dont l’acceptation ne dépendait pas tant d’une preuve par démonstration ou d’une évidence formelle que d’une sorte de flair spirituel et artistique par lequel seul, prétendait-il, on pouvait discerner le vrai sens des poésies.

Je me souviens qu’il me lut ce beau sonnet :

Comment ma muse pourrait-elle manquer de sujet tant que de ton souffle tu verses dans mon vers ton ineffable inspiration trop parfaite pour être confiée à un papier vulgaire ?

Oh ! Remercie-toi toi-même si tu trouves chez moi rien qui vaille la peine que tu le lises ; car quel est l’être assez muet pour ne rien pouvoir te dire, quand toi-même tu donnes la lumière à ton invention.

Sois pour lui la dixième muse, dix fois plus puissante que les neuf vieilles invoquées par les rimeurs : et celui qui t’invoquera produira des nombres éternels qui mûriront dans un avenir lointain.

Il me fit remarquer combien c’était une complète confirmation de sa théorie.

En effet, il feuilleta attentivement tous les Sonnets et montra, ou s’imagina qu’il montrait que dans la nouvelle explication de leur signification qu’il proposait, les choses qui avaient paru obscures, ou défectueuses, ou exagérées, devenaient claires et rationnelles et de haute portée artistique, illuminant la conception de Shakespeare des vrais rapports entre l’art de l’acteur et l’art du dramaturge.

Il est, certes, évident qu’il devait y avoir dans la compagnie de Shakespeare quelque merveilleux jeune acteur d’une grande beauté, à qui il confiait le soin de personnifier ses nobles héroïnes ; car Shakespeare était un organisateur de tournée dramatique, en même temps qu’un poète plein d’imagination.

Or, Cyril Graham avait fini par découvrir le nom du jeune acteur.

C’était Will, ou comme il préférait l’appeler Willie Hughes.

Il avait trouvé le nom de baptême dans les sonnets à jeu de mots 125 et 143 et le nom de famille, d’après lui, était caché dans le huitième vers du sonnet 20 ou monsieur W. H. est décrit comme.

Un homme par le teint mais battant tous les TEINTS possibles.

Dans l’édition originale des Sonnets, TEINTS (hews) est imprimé en lettres capitales et en italiques et cela, prétendait-il, montrait clairement qu’il y avait là une tentative de jeu de mots.

Cette façon de voir recevait une grande part de confirmation de ces sonnets dans lesquels des jeux de mots bizarres étaient faits sur les mots usage et usure.

Naturellement je me laissai convaincre d’emblée et Willie Hughes devint pour moi un être aussi réel que Shakespeare.

La seule objection, que je fis à la théorie, était que le nom de Willie Hughes ne se trouve pas dans la liste des acteurs de la compagnie de Shakespeare imprimée au premier folio.

Cyril, pourtant, établit que l’absence du nom de Willie Hughes de cette liste démontrait réellement la théorie, puisqu’il résultait du sonnet 86 que Willie Hughes avait abandonné la troupe de Shakespeare pour jouer dans un théâtre rival, probablement dans quelques-unes des pièces de Chapman[9].

C’est en allusion à ce fait que dans le grand sonnet sur Chapman, Shakespeare dit à Willie Hughes :

Mais dès que votre jeu a rehaussé sa poésie, la mienne n’a plus eu de sujet et c’est ce qui l’a fait languir.

l’expression dès que votre jeu a rehaussé sa poésie se rapportant sans nul doute à la beauté du jeune acteur qui faisait vivre, réalisait les vers de Chapman et leur ajoutait du charme.

La même idée se trouvait encore énoncée dans le 79e sonnet :

Tant que seul j’ai invoqué ton aide, mon vers seul a possédé toute ta gentille grâce ; mais maintenant mes nombres gracieux sont déchus et ma muse malade cède la place à une autre,

et dans le sonnet qui le précède immédiatement où Shakespeare dit :

Toutes les autres plumes ont pris exemple sur moi[10] et répandent leur poésie sous ton patronage,

le jeu de mot use = Hughes étant naturellement voulu et la phrase répandent leur poésie sous ton patronage signifiant avec votre concours comme acteur donnent leurs pièces au public.

C’était une nuit superbe.

Presque jusqu’au jour nous demeurâmes assis là à lire et à relire les Sonnets.

Un peu après pourtant, je commençai à voir que, avant que la théorie pût être lancée publiquement sans une forme vraiment parfaite, il était nécessaire d’apporter une démonstration de l’existence de ce jeune acteur Willie Hughes, en dehors des Sonnets.

Si, un jour, l’on pouvait établir l’existence de ce personnage, il n’y aurait plus de doute possible sur son identité avec monsieur W. H.

Autrement la théorie tomberait à terre.

J’exposai cela à Cyril de la façon la plus nette.

Il fut fort ennuyé de ce qu’il appelait ma tournure d’esprit de Philistin et il fut même un peu amer sur ce sujet.

Pourtant, je lui fis promettre que, dans son propre intérêt, il ne publierait pas sa découverte avant d’avoir mis toute la question hors de doute et, pendant de longues semaines, nous feuilletâmes les registres des églises de la Cité, les manuscrits Alleyn à Dulwich, les papiers du Record Office, les papiers de lord Chamberlain, bref tout ce que nous pensions pouvoir contenir quelque allusion à Willie Hughes.

Nous ne découvrîmes rien, cela va sans dire et chaque jour l’existence de Willie Hughes me paraissait devenir plus problématique.

Cyril était dans un état épouvantable. Il remettait la question sur le tapis tous les jours, s’efforçant de me convaincre, mais j’avais vu le point faible de la théorie et je me refusais à y croire tant que l’existence de Willie Hughes, l’acteur adolescent du temps d’Élisabeth, n’avait pas été démontrée sans doute ni hésitation possible.

Un jour, Cyril quitta Londres pour se rendre chez son grand-père, du moins je le crus alors, mais plus tard j’ai appris de lord Crediton qu’il n’en fut pas ainsi.

Après une quinzaine, je reçus de Cyril un télégramme, expédié de Warwick, où il me priait de ne pas manquer de venir dîner avec lui, ce soir-là, à huit heures précises.

À mon arrivée, il m’accueillit par ces mots :

— Le seul apôtre, qui ne méritait pas que rien lui fût prouvé, était saint Thomas et saint Thomas fut le seul apôtre à qui la preuve fut donnée.

Je lui demandai ce qu’il voulait dire.

Il répondit qu’il ne lui avait pas été seulement possible d’établir l’existence au XVIe siècle d’un acteur adolescent nommé Willie Hughes, mais de prouver, avec l’évidence la plus concluante, que c’était bien là le monsieur W. H. des Sonnets.

Il ne voulut rien me dire de plus pour le moment ; mais, après le dîner, il mit solennellement sous mes yeux le portrait, que je vous ai montré, et me dit qu’il l’avait découvert, par le hasard le plus extraordinaire, cloué à un des panneaux d’un vieux coffre qu’il avait acheté dans une maison de ferme du comté de Warwick.

Il avait naturellement rapporté également le coffre lui-même qui était un fort beau spécimen de l’ébénisterie du temps d’Élisabeth.

Au milieu du panneau de front on lisait, sans le moindre doute les initiales W. H. gravées dans le bois.

C’était ce monogramme qui avait attiré l’attention de Cyril et il me dit qu’il n’avait songé à examiner avec soin l’intérieur du coffre que plusieurs jours après qu’il l’avait en sa possession.

Un matin, pourtant, il s’aperçut que l’une des parois du coffre était beaucoup plus épaisse que l’autre et en y regardant de très près il découvrit qu’un panneau de peinture encadré y était emboîté.

Il le dégagea et il se trouva que c’était le portrait qui était maintenant étalé sur le canapé.

Le panneau était très sale et couvert de moisissures, mais il réussit à le nettoyer et, à sa grande joie, il vit qu’il était tombé par pur hasard sur la seule chose qui pût exciter son désir.

C’était un portrait authentique de monsieur W. H. Sa main reposait sur la page dédicatoire des Sonnets et, sur le châssis même, on pouvait distinguer le nom du jeune homme écrit en initiales noires sur un fond d’or terni : monsieur William Hews.

Bon ! que pouvais-je dire ?

Il ne me vint pas un instant à la pensée que Cyril Graham me jouât la comédie et qu’il essayât de démontrer la théorie au moyen d’un faux.

— Mais est-ce un faux ? demandai-je.

— Certes oui, dit Erskine. C’était un faux très bien fait, mais ce n’en était pas moins un faux.

Je crus alors que Cyril avait eu ses apaisements sur toute cette question, mais je me souviens qu’il me dit plus d’une fois que pour lui il n’était besoin d’aucune preuve de ce genre et qu’il croyait la théorie complète, même sans cela.

Je riais de sa confiance.

Je lui dis que sans cette preuve toute la théorie dégringolait à terre et je le félicitai chaudement de sa merveilleuse découverte.

Alors nous décidâmes que le portrait serait gravé ou reproduit en fac-similé et placé comme frontispice en tête de l’édition des Sonnets de Cyril.

Pendant trois mois, nous ne fîmes que repasser tous les poèmes vers par vers jusqu’à ce que nous eûmes dominé toutes les difficultés du texte ou de sens.

Un malheureux jour, j’étais dans un magasin d’estampes à Holborn, quand je vis sur le comptoir quelques dessins à la pointe d’argent extrêmement beaux.

Je fus si fort attiré par eux que je les achetai, et le propriétaire du magasin, un certain Rawlings, me dit qu’ils étaient l’œuvre d’un jeune peintre nommé Edward Merton qui était très habile, mais aussi pauvre qu’un rat d’église.

Quelques jours après, j’allai voir Merton dont le marchand d’estampes m’avait donné l’adresse.

Je trouvai un jeune homme pâle, intéressant, avec une femme de mine assez banale, un modèle, ainsi que je l’appris par la suite.

Je lui dis combien j’avais admiré ses dessins, ce qui me parut lui être très agréable, et je lui demandai s’il pourrait me montrer quelque autre de ses œuvres.

Comme nous feuilletions un portefeuille rempli de choses réellement ravissantes, — car Merton avait une touche très délicate et tout à fait délicieuse, — j’aperçus tout à coup une esquisse du portrait de monsieur W. H. Il n’y avait aucun doute à concevoir à ce sujet.

C’était presque un fac-simile : la seule différence était que les masques de la tragédie et de la comédie n’étaient pas suspendus à la table de marbre, comme dans le portrait, mais gisaient sur le plancher aux pieds du jeune homme.

— Où diable avez-vous déniché cela ? dis-je.

Il devint un peu confus et répondit :

— Ce n’est rien. Je ne savais pas que ce dessin était dans le portefeuille. C’est une chose sans valeur aucune.

— C’est ce que vous avez fait pour monsieur Cyril Graham, s’écria sa maîtresse. Si ce monsieur veut l’acheter, pourquoi ne pas le lui vendre ?

— Pour monsieur Cyril Graham, répétai-je. Avez-vous peint le portrait de monsieur W. H. ?

— Je ne sais ce que vous voulez dire, répliqua-t-il, en devenant très rouge.

Bon ! L’histoire était vraiment terrible.

La femme lâcha tout le secret.

En partant, je lui donnai cinq livres.

Maintenant il ne m’est pas possible d’y songer, mais certes j’étais alors furieux.

J’allai d’un trait chez Cyril.

Je l’attendis trois heures avant qu’il revînt, avec cet affreux mensonge qui s’épanouissait sur son visage et je lui dis que j’avais découvert le faux.

Il devint très pâle et me dit :

— J’ai fait cela uniquement pour vous. Vous n’auriez pas été convaincu autrement. Cela ne porte aucune atteinte à la vérité de la théorie.

— La vérité de la théorie ! m’écriai-je. Moins vous en parlerez et mieux cela vaudra. Vous-même vous n’y avez jamais cru. Si vous y aviez cru, vous n’auriez pas commis un faux pour en faire la preuve.

Il s’échangea entre nous des paroles violentes. Nous eûmes une querelle épouvantable. Je l’avoue, je fus injuste. Le lendemain matin, il était mort.

— Mort ! m’écriai-je.

— Oui, il se tua d’un coup de revolver. Un peu de son sang jaillit sur le cadre du portrait juste à la place où le nom était peint. Quand j’arrivai, — son domestique m’avait sur-le-champ envoyé chercher, — la police était déjà là. Il avait laissé une lettre pour moi, écrite évidemment dans la plus grande agitation et la plus grande détresse du cœur.

— Que contenait-elle ? demandai-je.

— Oh ! qu’il avait une foi absolue dans l’existence de Willie Hughes, que le faux du portrait n’avait été fait que comme une concession à mon égard et n’affaiblissait à aucun degré la vérité de la théorie ; bref, que pour me montrer combien sa foi était ferme et inébranlable, il allait offrir sa vie en sacrifice au secret des Sonnets.

C’était une lettre folle, démente.

Je me souviens qu’il finissait en me disant qu’il me confiait la théorie Willie Hughes et que c’était à moi de la présenter au monde et de dévoiler le secret du cœur de Shakespeare.

— C’est là une bien tragique histoire, m’écriai-je, mais pourquoi n’avez-vous pas accompli ses vœux ?

Erskine haussa les épaules.

— Parce que c’est du commencement à la fin une théorie absolument erronée, répondit-il.

— Mon cher Erskine, lui dis-je en me levant de mon siège, vous êtes là-dessus dans une erreur complète. C’est la seule clé parfaite des Sonnets de Shakespeare qu’on ait jamais construite. Elle est parfaite dans tous ses détails. Je crois à Willie Hughes.

— Ne dites pas cela, répliqua gravement Erskine. Je reconnais qu’il y a dans l’idée quelque chose qui séduit inévitablement et intellectuellement il n’y a rien à y redire. J’ai examiné la question dans tous ses détails et je vous assure que la théorie est entièrement fallacieuse. Elle est plausible jusqu’à un certain point. Au delà tout dégringole. Pour l’amour du ciel, mon cher enfant, ne vous lancez pas sur ce thème de Willie Hughes. Vous y briseriez votre cœur.

— Erskine, répondis-je, c’est votre devoir de donner cette théorie au monde. Si vous ne le faites pas, je le ferai. En la passant sous silence, vous portez atteinte à la mémoire de Cyril Graham, le plus jeune et le plus splendide de tous les martyrs de la littérature. Je vous supplie de lui rendre justice. Il est mort pour cette théorie, ferez-vous qu’il sera mort en vain ?

Erskine me regarda avec stupeur.

— Vous êtes emporté par l’émotion de toute cette histoire, dit-il. Vous oubliez qu’une chose n’est pas nécessairement vraie parce qu’un homme meurt pour elle.

J’étais dévoué à Cyril Graham. Sa mort a été pour moi un terrible coup. Je ne m’en remettrai pas de bien des années.

Mais Willie Hughes ? Il n’y a rien dans l’idée de Willie Hughes. Pareil personnage n’a jamais existé.

Quant à révéler toute l’histoire au monde, le monde croit que Cyril Graham s’est tué par accident. La seule preuve qu’il s’était tué résultait de la lettre qu’il m’a écrite et le public n’a jamais rien su de cette lettre. Actuellement même lord Crediton croit que tout cela fut accidentel.

— Cyril Graham a sacrifié sa vie à une grande idée, répondis-je, et si vous ne voulez pas parler de son martyre, parlez au moins de sa foi.

— Sa foi, dit Erskine, était basée sur une chose qui était fausse, sur une chose que pas un scholiaste de Shakespeare ne voudrait accepter un moment. On rirait de la théorie. Ne jouez pas le rôle d’un fou. Ne suivez pas une chimère qui ne mène à aucun but. Vous commencez par affirmer l’existence de la personne même dont il s’agit de prouver l’existence. En outre, tout le monde sait que les Sonnets sont adressés à lord Pembroke. La question est résolue une fois pour toutes.

— La question n’est pas résolue, m’écriai-je. Je répandrai la théorie que Cyril Graham a laissée et je prouverai au monde qu’il avait raison.

— Enfant têtu, dit Erskine, rentrez chez vous. Il est plus de deux heures. Et ne pensez plus à Willie Hughes. Je regrette de vous en avoir parlé et je suis tout à fait désolé de vous avoir converti à une chose à laquelle je ne crois pas.

— Vous m’avez donné la clé du plus grand mystère de la littérature moderne, répondis-je. Et je n’aurai pas de repos jusqu’à ce que je vous aie fait reconnaître à tous que Cyril Graham était le plus subtil critique shakespearien de nos jours.

Comme je regagnais mon domicile à travers le parc de Saint-James, l’aurore naissait sur Londres. Sur le lac poli, les cygnes blancs dormaient et le squelette du palais se détachait en pourpre sur le ciel vert pâle.

Je pensai à Cyril Graham et mes yeux se remplirent de larmes.

. . . . .

II

Il était midi passé quand je m’éveillai et le soleil ruisselait à travers les rideaux de ma chambre en longues coulées obliques d’or poussiéreux.

Je dis à mon domestique que je n’étais chez moi pour personne et, après avoir pris une tasse de chocolat et un petit pain, j’allai chercher sur un rayon de ma bibliothèque mon exemplaire des Sonnets de Shakespeare et je commençai à les parcourir avec grande attention.

Chaque poème me parut une confirmation de la théorie de Cyril Graham.

Il me semblait que j’avais la main appuyée sur le cœur de Shakespeare et que je comptais un à un tous les battements et toutes les pulsations de la passion.

Je songeai au merveilleux acteur adolescent et je vis son visage dans chaque vers.

Deux sonnets, je m’en souviens, me frappèrent particulièrement : c’étaient le 53e et le 67e.

Dans le premier de ces sonnets, Shakespeare, louant Willie Hughes de la souplesse de son jeu, du vaste champ de ses rôles, un champ qui s’étend de Rosalinde à Juliette et de Béatrice à Ophélie, lui dit :

De quelle substance êtes-vous donc fait, vous qu’escortent des millions d’ombres étranges ? Chaque être n’a qu’une ombre unique, et vous, qui n’êtes qu’un pourtant, vous prêtez votre ombre à tout,

vers qui étaient inintelligibles s’ils ne s’adressaient pas à un acteur, car le mot ombre avait au temps de Shakespeare un sens qui se rattachait à la scène.

« Les meilleurs en ce genre ne sont que des ombres, » dit Thésée des acteurs dans le Songe d’une Nuit d’été, et il y a bien d’autres allusions similaires dans la littérature de l’époque.

Les Sonnets appartenaient évidemment aux séries dans lesquelles Shakespeare disait la nature de l’art de l’acteur et du tempérament étrange et rare qui est indispensable au parfait comédien.

« Comment se fait-il, dit Shakespeare à Willie Hughes, que vous ayez tant de personnalités », et alors il en arrive à établir que sa beauté est telle qu’elle semble réaliser toute forme et toute phase de fantaisie, incarner tout rêve de l’imagination créatrice, une idée, qui est encore exprimée plus avant dans le sonnet qui suit immédiatement, ou en commençant par la délicate pensée :

Oh ! comme la beauté semble plus belle lorsqu’elle est embaumée par LA VÉRITÉ.

Shakespeare nous invite à remarquer combien la vérité du jeu, la vérité de la représentation visible sur la scène, ajoute au prestige de la poésie, donne la vie à toute sa nature séduisante et la réalité actuelle à sa forme idéale.

Et pourtant, dans le 67e sonnet, Shakespeare invite Willie Hughes à renoncer à la scène si artificielle avec sa vie fausse, ses mimes au visage maquillé et au costume sans réalité, ses influences et ses suggestions immorales, son éloignement du vrai monde, de l’action réelle et du langage sincère.

Oh ! pourquoi mon bien-aimé vivrait-il avec la corruption et honorerait-il le sacrilège de son prestige en sorte que le péché obtiendrait par lui un avantage décisif et se parerait de sa société ?

Pourquoi le fard imiterait-il le teint de ses joues et plagierait-il, par une copie inanimée, leurs vives couleurs ? Pourquoi la pauvre beauté chercherait-elle indirectement les reflets de la rose, quand elle a la rose vraie ?

Il peut sembler étrange qu’un aussi grand dramaturge que Shakespeare, qui réalisa sa propre perfection comme artiste et son humanité comme homme sur le plan idéal de la littérature du théâtre et du jeu scénique, ait écrit en ces termes sur le théâtre, mais nous devons nous souvenir que, dans les sonnets 110 et 111, Shakespeare nous montre qu’il était las du monde des marionnettes et plein de honte d’avoir joué aux yeux de tous son rôle d’arlequin.

Le 111e sonnet surtout est amer :

Oh ! grondez à mon sujet la fortune, cette déesse coupable de tous mes torts, qui ne m’a laissé d’autre moyen d’existence que la ressource publique qui nourrit une vie publique.

C’est là ce qui fait que mon nom porte un stigmate et que ma nature est, pour ainsi dire, marquée du métier qu’elle fait comme la main du teinturier. Ayez donc pitié de moi et souhaitez que je sois régénéré,

et il y a ailleurs bien des signes du même sentiment, signes familiers à tous les vrais fanatiques de Shakespeare.

Un point m’embarrassa beaucoup quand je lus les Sonnets et il s’écoula bien des jours avant que j’établisse la vraie interprétation que certes Cyril Graham lui-même paraît ne pas avoir saisie.

Je ne pouvais comprendre que Shakespeare accordât tant d’importance à voir son jeune ami se marier.

Lui-même s’était marié jeune, et le résultat n’avait pas été heureux : il n’était pas probable qu’il voulût pousser Willie Hughes à commettre la même erreur.

Le jeune acteur de Rosalinde n’avait rien à gagner au mariage et aux passions de la vie réelle. Les premiers sonnets, avec leurs étranges supplications d’avoir des enfants, me parurent une note discordante.

L’explication du mystère m’arriva presque subitement et je la trouvai dans la bizarre dédicace.

On doit se rappeler que la dédicace est ainsi conçue :

À l’unique engendreur de
ces sonnets ci-après

Monsieur W. H., tout le bonheur
Et cette éternité,
promesses de
notre poète immortel,
puisse-t-il les avoir.
C’est le souhait bien sincère
de celui qui aventure
cette publication

T. T.

Quelques commentateurs ont supposé que le mot engendreur dans cette dédicace indique simplement celui qui a fourni les Sonnets à Thomas Thorpe, leur éditeur. Mais cette opinion est maintenant généralement abandonnée et les plus hautes autorités sont tout à fait d’accord sur ce point que ce mot est pris dans le sens d’inspirateur, la métaphore étant tirée de l’analogie de la vie physique.

Alors je vis que la même métaphore est employée par Shakespeare lui-même dans tous ses poèmes et cela me mit dans le droit chemin.

Finalement je fis ma grande découverte.

Le mariage que Shakespeare propose à Willie Hughes, c’est le mariage avec sa muse, une expression qui est précisément employée dans le 82e sonnet où, dans l’amertume de son cœur, lors de la défection du jeune acteur, pour qui il avait écrit ses plus grands rôles et dont la beauté les lui avait vraiment inspirés, il commence ses doléances en disant :

Je conviens que tu n’es pas marié à ma muse.

Les enfants qu’il le suppliait d’engendrer ne sont pas des enfants de sang et de chair, mais les plus immortels enfants d’une gloire qui ne peut mourir.

Tout le cycle des premiers sonnets est simplement l’invitation de Shakespeare à Willie Hughes de monter sur la scène et de se faire acteur. Combien ce serait chose vile et vaine, dit-il, que votre beauté, si vous n’en usiez pas.

Lorsque quarante hivers assiégeront ton front et creuseront des tranchées profondes dans le champ de ta beauté, la fière livrée de ta jeunesse, si admirée maintenant, ne sera qu’une guenille dont on fera peu de cas.

Si l’on te demandait alors où est toute ta beauté, où est tout le trésor de tes jours florissants, et si tu répondais que tout cela est dans tes yeux creusés, ce serait une honte dévorante et un stérile éloge.

Vous devez créer quelque chose en art. Mon vers « est à toi et naît de toi », écoute-moi seulement et je « mettrai au monde des vers immortels qui vivront une éternité » et vous peuplerez des formes de votre propre visage le monde imaginaire et la scène. Ces enfants que vous engendrez, continue-t-il, ne dépériront pas, comme des enfants sujets à la mort, mais vous vivrez en eux et dans mes pièces : donc

Crée un autre toi-même pour l’amour de moi ; que ta beauté vive en ton enfant comme en toi.

Je réunis tous les passages qui me paraissaient corroborer cette interprétation : ils produisirent sur moi une forte impression et me montrèrent combien la théorie de Cyril Graham était vraiment complète.

Je vis aussi qu’il était très facile de séparer les vers, dans lesquels il parle des Sonnets mêmes, et ceux dans lesquels il parle de ses grandes œuvres dramatiques.

C’était là un point qui avait absolument échappé aux critiques antérieurs à Cyril Graham.

Et, pourtant, c’était une des considérations les plus importantes dans toutes les séries de poèmes.

Aux Sonnets Shakespeare était plus ou moins indifférent. Il n’ambitionnait pas que sa gloire reposât sur eux. C’était, à ses yeux, sa « muse légère », comme il les appelle, et, comme le dit Meres, il désirait une circulation réservée, seulement parmi un petit nombre, un nombre très restreint d’amis.

D’autre part, il était extrêmement conscient de la haute valeur artistique de ses pièces et témoigne d’une noble confiance en son génie dramatique.

Quand il dit à Willie Hughes :

Mais ton éternel été ne se flétrira pas et ne sera pas dépossédé de tes grâces. La mort ne se vantera pas de ce que tu erres sous son ombre, quand tu grandiras dans l’avenir EN VERS ÉTERNELS.

Tant que les hommes respireront et que les yeux pourront voir, ceci vivra et te donnera la vie…

l’expression vers éternels fait clairement allusion à une de ses pièces qu’il lui envoyait en même temps, de même que la strophe finale vise sa confiance dans la probabilité que ses pièces soient toujours jouées.

Dans une apostrophe à la muse dramatique (sonnets C et CI), nous trouvons la même pensée.

Où donc es-tu, muse, pour oublier si longtemps de parler de ce qui te donne toute ta puissance ? Dépenses-tu ta force à quelque indigne chant, couvrant d’ombre ta poésie pour mettre la lumière sur de vils sujets ?

s’écrie-t-il.

Puis il reproche à la muse de la Tragédie et de la Comédie son abandon de la vérité resplendissante de beauté et dit :

Quoi ! Parce qu’il n’a pas besoin d’éloges, vas-tu devenir muette ? Ne donne pas ce prétexte à ton silence, car il ne tient qu’à toi de faire vivre mon ami au delà d’une tombe dorée et de le faire louer par les siècles futurs.

Allons, muse, à l’œuvre ! Je vais t’apprendre à le faire voir à l’avenir tel qu’il apparaît aujourd’hui.

C’est pourtant peut-être dans le 55e sonnet que Shakespeare donne à son idée l’expression la plus ample.

Imaginer que le « rythme puissant » du second vers se rapporte au sonnet lui-même, c’est absolument s’abuser sur l’intention de Shakespeare.

Il me parut qu’il était extrêmement clair, d’après le caractère général du sonnet, qu’il était question d’une pièce déterminée et que la pièce n’était autre que Roméo et Juliette.

Ni le marbre, ni les mausolées dorés des princes ne dureront plus longtemps que mon rythme puissant. Vous conserverez plus d’éclat dans ces mesures que sur la dalle non balayée que le temps barbouille de sa lie.

Quand la guerre dévastatrice bouleversera les statues et que les tumultes déracineront l’œuvre de la maçonnerie, ni l’épée de Mars ni le feu ardent de la guerre n’entameront la tradition vivante de votre renommée.

En dépit de la mort et de la rage de l’oubli, vous avancerez dans l’avenir, votre gloire trouvera place incessamment sous les yeux de toutes les générations qui doivent user ce monde jusqu’au jugement dernier.

Ainsi jusqu’à l’appel suprême auquel vous vous lèverez vous-même, vous vivrez ici et dans la postérité sous les yeux des amants.

Il était aussi extrêmement suggestif de noter combien là et ailleurs Shakespeare promettait à Willie Hughes l’immortalité sous une forme qui le rappelât aux yeux des hommes, c’est-à-dire sous une forme scénique dans une pièce que l’on irait voir jouer.

Pendant deux semaines, je travaillai avec acharnement sur les Sonnets, sortant à peine et refusant toutes les invitations.

Chaque jour, il me semblait que je découvrais quelque chose de nouveau et Willie Hughes devint pour moi une espèce de compagnon spirituel, une personnalité toujours dominante.

Je finis presque par m’imaginer que je l’avais vu debout dans l’atmosphère de ma chambre tant Shakespeare l’avait clairement dessiné avec ses cheveux d’or, sa tendre grâce de fleur, ses doux yeux aux profondeurs de rêve, ses membres délicats et mobiles et ses mains d’une blancheur de lis.

Son seul nom exerçait sur moi une vraie fascination. Willie Hughes ! Willie Hughes ! Comme il avait un son de musique ! Oui, quel autre que lui pouvait être « le maître et la maîtresse de la passion » de Shakespeare[11], le « seigneur de son amour à qui il a été lié en vasselage »[12], le délicat favori du plaisir[13], la « rose de tout l’univers »[14], le « héraut du printemps »[15] « paré de la superbe livrée de la jeunesse »[16], le « ravissant garçon qui est une douce musique pour son auditeur »[17] et dont « la beauté était le vrai vêtement du cœur » de Shakespeare[18], de même qu’il était la clé de voûte de sa force dramatique.

Combien me paraissait amère maintenant toute la tragédie de sa désertion et de sa honte qu’il rendait « douce et jolie[19] » par la pure magie de sa personne, mais qui n’en était pas moins honte.

Pourtant, si Shakespeare l’a pardonné, pourquoi ne lui pardonnerons-nous pas aussi.

Je ne me souciai pas de chercher à pénétrer le mystère de son péché.

Son abandon du théâtre de Shakespeare était une question différente et je la creusai très avant.

Finalement j’en vins à cette conclusion que Cyril Graham s’était trompé en regardant Chapman comme le dramaturge rival dont il est parlé dans le 80e sonnet.

C’était évidemment Marlowe à qui il était fait allusion[20].

Alors que les Sonnets furent écrits, on ne pouvait appliquer à l’œuvre de Chapman une expression telle que « l’orgueilleuse arrogance de son grand vers », bien qu’on eût pu l’appliquer plus tard au style de ses dernières pièces du temps du roi Jacques.

Non, Marlowe était sans contredit le dramaturge dont Shakespeare parla en ces termes louangeurs et cet

affable fantôme familier qui, la nuit, le comble de ses inspirations,

était le Méphistophélès de son Docteur Faustus.

Sans nul doute, Marlowe fut fasciné par la beauté et la grâce du jeune acteur et l’enleva au théâtre de Blackfriars afin de leur faire jouer le Gaveston de son Édouard II.

Que Shakespeare eût légalement le droit de retenir Willie Hughes dans sa propre troupe, cela résulte à l’évidence du sonnet 87 où il dit :

Adieu ! tu es un bien trop précieux pour moi et tu ne sais que trop sans doute ce que tu vaux : LA CHARTE de TA VALEUR te permet de te dégager et tes engagements envers moi ont tous pris fin.

Car ai-je d’autres droits sur toi que ceux que tu m’accordes ? Et où sont mes titres, à tant de richesses ? Rien en moi ne peut justifier ce don splendide ET AINSI MA PATENTE M’EST-ELLE RETIRÉE.

Tu t’étais donné à moi par ignorance de ce que tu vaux ou par une pure méprise sur mon compte. Aussi cette grande concession fondée sur un malentendu, tu la révoques en te ravisant.

Ainsi je t’aurai possédé comme dans l’illusion d’un rêve ; roi dans le sommeil, mais au réveil plus rien.

Mais celui qu’il ne pouvait retenir par amour, il ne voulait pas le retenir par force. Willie Hughes devint un des sujets de la troupe de lord Pembroke et peut-être joua-t-il, dans la cour ouverte de la Taverne du Taureau Rouge, le rôle du délicat favori du roi Édouard.

Lors de la mort de Marlowe, il semble être revenu à Shakespeare qui, quoi qu’en aient pu penser ses camarades de théâtre, ne tarda pas à pardonner le coup de tête et la trahison du jeune acteur.

Vraiment, comme Shakespeare a dessiné en traits précis le tempérament de l’acteur. Willie Hughes était un de ceux-là,

qui ne commettent pas l’action dont ils menacent le plus, qui tout en émouvant les autres sont eux-mêmes comme la pierre.

Il pouvait jouer l’amour, mais il ne pouvait pas l’éprouver. Il pouvait mimer la passion sans la réaliser.

Chez beaucoup l’histoire d’un cœur perfide est écrite dans les regards, écrite dans des moues, des froncements de sourcils, des grimaces étranges.

Mais avec Willie Hughes il n’en était pas ainsi. Le Ciel, dit Shakespeare dans un sonnet d’idolâtrie folle,

le ciel a décrété, en te créant, qu’un doux amour respirerait toujours sur ta face ; quelles que soient tes pensées ou les émotions de ton cœur, ton regard ne peut jamais exprimer que la douceur.

Dans son « esprit inconstant » et son « cœur faux », il était facile de distinguer le défaut de sincérité et la tricherie qui paraît en quelque sorte inséparable de la nature de l’artiste, comme dans son amour des louanges ce désir d’une récompense immédiate qui caractérise tous les acteurs. Et pourtant, en cela plus heureux que les autres acteurs, Willie Hughes devait connaître quelque chose de l’immortalité : inséparablement lié aux pièces de Shakespeare, il devait vivre en elles.

Votre nom tirera de mes vers l’immortalité, lors même qu’une fois disparu je devrais mourir au monde entier. La terre ne peut me fournir qu’une fosse vulgaire, tandis que vous serez enseveli à la vue de toute l’humanité.

Vous aurez pour monument mon noble vers que liront les yeux à venir : et les langues futures rediront votre existence, quand tous les souffles de notre génération seront éteints.

Il y avait des allusions sans fin à la puissance de Willie Hughes sur son auditoire, les « spectateurs attentifs », comme les appelle Shakespeare, mais peut-être la plus parfaite description de sa merveilleuse maîtrise en art dramatique était-elle dans la Plainte d’une Amante où Shakespeare dit de lui :

Il employait à ses artifices une masse de matière subtile à laquelle il donnait les formes les plus étranges : rougeurs enflammées, flots de larmes, pâleurs défaillantes ; il prenait, il quittait tous les visages, pouvant, au gré de ses perfidies, rougir à d’impurs propos, pleurer de douleur ou devenir blanc et s’évanouir avec des mines tragiques.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

De même au bout de sa langue dominatrice, toutes sortes d’arguments et de questions profondes, de promptes répliques et de fortes raisons dormaient et s’éveillaient sans cesse à son service. Pour faire rire le pleureur et pleurer le rieur, il avait une langue et une éloquence variée, attrapant toutes les passions au piège de son caprice.

Un jour, je crus avoir réellement trouvé Willie Hughes dans la littérature de l’époque d’Élisabeth.

Dans un merveilleux récit des derniers jours du grand comte d’Essex, son chapelain Thomas Knell nous dit que, la nuit qui précéda sa mort, le comte

appela William Hewes qui était son musicien pour jouer sur le virginal et chanter. « — Joue, lui dit-il, mon chant, Will Hewes, et je chanterai moi-même. » Ainsi fit-il très gaîment, non comme le cygne plaintif qui encore dédaigneux pleure sa mort, mais comme une douce alouette qui levant ses ailes et jetant ses yeux vers Dieu, monte vers les nues cristallines et atteint de sa langue intarissable les sommets des cieux altiers.

Sûrement le garçon, qui joua sur le virginal, aux dernières heures de la vie du père de Stella Sydney, n’était autre que le Will Hewes, à qui Shakespeare dédia les Sonnets et dont il nous dit qu’il était une douce musique pour un auditeur.

Pourtant, lord Essex mourut en 1576 quand Shakespeare lui-même n’avait que douze ans : il était donc impossible que son musicien fût le monsieur W. H. des Sonnets.

Peut-être le jeune ami de Shakespeare était-il le fils de celui qui jouait du virginal.

C’était, du moins, quelque chose d’avoir découvert que Will Hewes était un nom de l’époque d’Élisabeth.

Vraiment le nom de Hewes semble exactement lié à la musique et à la poésie. La première actrice anglaise fut la délicieuse Margaret Hewes dont le prince Rupert fut si éperdument amoureux. Quoi de plus probable qu’entre elle et le musicien de lord Essex il y ait eu le jeune acteur des pièces de Shakespeare !

Mais les preuves, le témoin, où étaient-ils ? Hélas !… je ne pus les trouver. Il me semblait que j’étais toujours à la veille de la vérification définitive, mais que je ne pouvais jamais y arriver.

De la vie de Willie Hughes, je passai bien vite à la pensée de sa mort. J’étais curieux de savoir quelle avait été sa fin.

Peut-être était-il un de ces acteurs anglais qui, en 1604, passèrent en Allemagne et jouèrent devant le grand duc Henry-Julius de Brunswick[21], lui-même dramaturge de valeur, et à la cour de cet étrange électeur de Brandebourg qui était si amouraché de beauté qu’on a dit qu’il acheta à son poids d’ambre le jeune fils d’un marchand ambulant grec et qu’il donna, en l’honneur de son esclave, des fêtes durant toute cette terrible année de famine 1606-1607, quand le peuple mourait de faim dans les rues de la ville et que, depuis sept mois, il n’était pas tombé une goutte de pluie.

Enfin, nous savons que Roméo et Juliette fut joué à Dresde en 1613, côte à côte avec Hamlet et le Roi Lear, et ce n’est sûrement pas à un autre que Willie Hughes que fut, en 1615, remis le masque moulé sur la tête de Shakespeare mort, par la main de quelqu’un de la suite de l’ambassadeur d’Angleterre, — faible souvenir du grand poète qui l’avait si tendrement aimé.

Vraiment, il y avait quelque chose de véritablement captivant dans l’idée que le jeune acteur, dont la beauté avait un élément vital dans le réalisme et le romantisme de l’art de Shakespeare, avait été le premier à porter en Allemagne la semence de la nouvelle civilisation et s’était trouvé, dans cette voie, le précurseur de cette aufklärung, ou illumination, du XVIIIe siècle, ce splendide mouvement qui, bien que, initié par Lessing et Herder et porté à son plein et à sa perfection par Gœthe, ne fut pas pour une petite part aidé par un autre acteur, Friedrich Schrœder, qui réveilla la conscience populaire et, au mépris des passions feintes et des méthodes mimiques de la scène, montra le lien intime et vital entre la vie et la littérature.

Si cela était ainsi, — et rien ne prouvait certes qu’il en fût autrement, — il n’était pas improbable que Willie Hughes fût un des comédiens anglais (mimæ quidam ex Britannia, comme les appelle la vieille chronique) qui furent égorgés à Nuremberg dans un soulèvement soudain de la populace et ensevelis en secret dans une petite vigne, hors de la ville, par quelques jeunes gens « qui s’étaient plu à leurs représentations et dont quelques-uns avaient rêvé d’être instruits dans les mystères de l’art nouveau. » Certes, il ne pouvait y avoir de place plus appropriée pour celui à qui Shakespeare avait dit :

« Tu es tout mon art, »

que cette petite vigne au delà des murs de la cité. Car n’était-ce pas des douleurs de Dionysos que la tragédie était née ? N’avait-on pas pour la première fois entendu s’épanouir sur les lèvres des vignerons de Sicile le rire clair de la comédie, avec sa gaîté insoucieuse et ses vives reparties. Et qui plus est, la tache pourprine et rouge du vin écumant sur le visage et aux mains n’avait-elle pas donné la première suggestion du charme et de la fascination du déguisement, le désir de dépouiller sa personnalité, le sens de la valeur de l’objectivité se montrant ainsi dans les rudes débuts de l’art.

À tout prendre, où qu’il fût enseveli, que ce fût dans la petite vigne aux portes de la ville gothique, ou dans quelque triste cimetière d’église de Londres parmi le tumulte et le brouhaha de notre grande ville, nul monument pompeux ne marquait la place où il reposait.

Sa vraie tombe, comme l’avait dit Shakespeare, était le vers du poète, son vrai monument la pérennité du drame.

Ainsi il en a été pour d’autres, dont la beauté a donné une nouvelle impulsion motrice à leur époque.

Le corps ivoirin de l’esclave de Bithynie pourrit dans la vase verte du Nil et la poussière du jeune Athénien jonche les jaunes collines du Céramique, mais Antinoüs vit dans la sculpture et Charmidès dans la philosophie.

. . . . .

III

Trois semaines s’étaient écoulées.

Je résolus d’adresser à Erskine un ardent appel, l’invitant à rendre justice à la mémoire de Cyril Graham et à donner au monde sa merveilleuse interprétation des Sonnets, la seule interprétation qui fournît une explication du problème.

Je n’ai aucune copie de ma lettre, je regrette de le dire, et je n’ai pas pu mettre la main sur l’original, mais je me souviens que je parcourus tout le terrain et que je couvris des feuillets de papier de la répétition passionnée d’arguments et de preuves que l’étude m’avait suggérés.

Il me sembla que je ne restituais pas seulement à Cyril Graham la place qui lui était due dans l’histoire littéraire, mais que je rachetais l’honneur de Shakespeare lui-même de l’odieux souvenir d’une critique banale.

Je mis dans la lettre tout mon enthousiasme ; je mis dans la lettre toute ma foi, mais je ne l’avais pas plus tôt expédiée qu’il se produisit en moi une curieuse réaction.

Il me sembla que j’avais fait abdication de mes facultés en croyant à l’hypothèse Willie Hughes, que quelque chose s’était éteint en moi, — ce qui était exact, — et que j’étais maintenant parfaitement indifférent à toute la question.

Qu’était-il donc advenu ?

C’est difficile à dire.

Peut-être avais-je épuisé mon ardeur même en en cherchant l’expression parfaite ? Les forces émotionnelles, de même que les forces de la vie physique, ont leurs limites expresses.

Peut-être le simple effort de convertir quelqu’un à une théorie compliquée, implique-t-il quelque forme de renonciation à la faculté de croire ?

Peut-être étais-je simplement las de tout le problème et, mon enthousiasme s’étant consumé, ma raison en revint à son propre jugement sans passion ?

Quelle qu’en fût la cause, et je ne prétends pas en fournir l’explication, — il n’y avait pas de doute que Willie Hughes était soudain devenu pour moi un pur mythe, un rêve oiseux, l’imagination enfantine d’un jeune homme, qui, comme bien des esprits ardents, était plus soucieux de convaincre les autres que d’être lui-même convaincu.

Comme j’avais dit à Erskine dans ma lettre des choses très injustes et très amères, je décidai d’aller le voir une fois et de m’excuser auprès de lui de ma conduite.

Conformément à cette résolution, le lendemain matin, je poussai jusqu’à Bird Cagewalk.

Je trouvai Erskine assis dans sa bibliothèque, le faux portrait de Willie Hughes en face de lui.

— Mon cher Erskine, m’écriai-je. Je viens vous faire mes excuses.

— Me faire vos excuses ! dit-il. Et pourquoi ?

— Pour ma lettre, répondis-je.

— Vous n’avez rien à regretter dans votre lettre, dit-il. Au contraire, vous m’avez rendu le plus grand service qui soit en votre pouvoir. Vous m’avez montré que la théorie de Cyril Graham est d’une solidité parfaite.

— Vous ne voulez pas dire que vous croyez à Willie Hugues ? m’exclamai-je.

— Et pourquoi pas ? répliqua-t-il. Vous m’avez fait la preuve de son existence. Croyez-vous que je ne sache pas priser à son prix la valeur de l’évidence ?

En m’enfonçant dans un fauteuil, je gémis :

— Mais il n’y a là aucune espèce d’évidence. Quand je vous ai écrit, j’étais sous l’influence d’un enthousiasme tout à fait niais. J’avais été ému par l’histoire de la mort de Cyril Graham, fasciné par le romanesque de sa théorie, conquis par le merveilleux et la nouveauté de ses aperçus. Je vois maintenant que la théorie est basée sur une illusion. La seule preuve de l’existence de Willie Hughes est ce portrait qui est là devant vous et ce portrait est un faux. Ne vous laissez donc pas entraîner par un pur sentiment dans cette affaire. Quoique le roman puisse plaider en faveur de la théorie de Willie Hughes, la raison a prononcé contre elle un arrêt définitif.

— Je ne vous comprends pas, fit Erskine en me regardant avec stupéfaction. Quoi ! vous-même, vous m’avez convaincu par votre lettre que Willie Hughes était une réalité absolue. Pourquoi avez-vous changé de conviction ? Ou bien tout ce que vous m’avez dit n’était-il qu’un simple jeu ?

— Je ne puis vous expliquer cela, répliquai-je, mais je vois maintenant qu’il n’y a réellement rien à dire en faveur de l’interprétation de Cyril Graham. Les Sonnets sont adressés à lord Pembroke. Pour l’amour du ciel, ne gaspillez pas votre temps dans une tentative folle pour découvrir un jeune acteur de l’époque d’Élisabeth qui n’a jamais existé et pour faire de cette marionnette fantôme le centre du grand cycle des Sonnets de Shakespeare.

— Je vois que vous ne comprenez pas la théorie, répliqua-t-il.

— Que je ne la comprends pas, mon cher Erskine ! m’écriai-je. Mais je la sens, comme si je l’avais inventée. Sûrement ma lettre vous prouve que non seulement je possède toute la question, mais que j’ai apporté mon contingent de preuves de tout genre. Le seul défaut de la théorie est qu’elle présuppose l’existence de la personne dont l’existence est en discussion. Si nous admettons qu’il y avait dans la troupe de Shakespeare un jeune acteur du nom de Willie Hughes, il n’est pas difficile d’en faire l’objet des Sonnets, mais comme nous savons qu’il n’y avait pas d’acteur de ce nom dans la compagnie du Théâtre du Globe, il est inutile de pousser plus loin les recherches.

— Mais c’est exactement ce que nous ne savons pas, dit Erskine. Il est tout à fait vrai que son nom ne se trouve pas sur la liste donnée à la première page, mais comme Cyril l’indiqua, c’est plutôt là une preuve de l’existence de Willie Hughes qu’une preuve contraire si nous nous souvenons qu’il abandonna avec perfidie Shakespeare au profit d’un rival dramatique.

Nous raisonnâmes là-dessus pendant des heures, mais rien de ce que je pus dire, ne put obliger Erskine à renoncer à sa confiance dans l’interprétation de Cyril Graham.

Il me dit qu’il prétendait vouer sa vie à prouver la théorie et qu’il était déterminé à faire rendre justice à la mémoire de Cyril Graham.

Je le priai. Je le raillai, je le suppliai, mais cela ne servit à rien.

Bref, nous nous séparâmes, non pas tout à fait fâchés, mais certainement avec une ombre entre nous.

Il me crut borné ; je le crus fou.

Quand je me rendis chez lui de nouveau, son domestique me dit qu’il était parti pour l’Allemagne.

Deux ans plus tard, comme j’entrais à mon club, le valet de service à la conciergerie me remit une lettre qui portait le timbre de l’étranger.

Elle venait d’Erskine qui m’écrivait de l’hôtel d’Angleterre à Cannes.

Quand je lus sa lettre, je fus rempli d’horreur, bien que je ne pusse vraiment croire qu’il serait assez fou pour exécuter sa résolution.

Le point principal de sa lettre était qu’il avait essayé par tous les moyens possibles de vérifier la théorie de Willie Hughes et qu’il avait échoué, de même que Cyril Graham avait donné sa vie pour cette théorie, il avait résolu de donner la sienne, également pour la même cause.

La conclusion de la lettre était celle-ci :

« Je crois encore à Willie Hughes et au moment où vous recevrez ceci, je serai mort de ma propre main pour l’amour de Willie Hughes, pour lui et pour Cyril Graham que j’ai poussé à mourir par mon scepticisme niais et mon ignorant manque de foi.

« La vérité vous fut une fois révélée. Vous l’avez rejetée.

« Maintenant vous voilà taché du sang de deux hommes : ne vous en détournez plus. »

Ce fut un moment horrible.

J’en étais malade de chagrin et, pourtant je n’y pouvais croire.

Mourir pour ses croyances religieuses est le pire usage qu’on puisse faire de sa vie ; mais mourir pour une théorie littéraire cela semblait impossible.

Je regardai la date.

La lettre avait été écrite une semaine avant.

Quelque malencontreuse chance m’avait détourné d’aller au club pendant quelques jours : Là, j’aurais pu la recevoir à temps pour le sauver.

Peut-être il n’était pas trop tard.

Je courus chez moi. Je fis mes bagages et je partis de Charing-Cross par le train de nuit.

Le voyage fut insupportable. Je crus que je n’arriverais jamais.

Sitôt débarqué, je courus à l’hôtel d’Angleterre.

On me dit qu’Erskine avait été enterré deux jours avant au cimetière des Anglais.

Il y avait dans toute cette tragédie quelque chose d’horriblement grotesque.

Je dis toute sorte de paroles incohérentes dans le hall de l’hôtel et on me regardait d’un air de curiosité.

Tout à coup, lady Erskine, en grand deuil, traversa le vestibule.

Quand elle me vit, elle vint à moi, murmura quelques mots sur son pauvre fils et fondit en larmes.

Je la conduisis dans son salon.

Un vieux monsieur prit soin d’elle : c’était le médecin anglais.

Nous causâmes beaucoup d’Erskine, mais je ne soufflai mot des mobiles qui l’avaient poussé au suicide. Il était évident qu’il n’avait rien dit à sa mère de la raison qui l’avait amené à un acte si funeste, si fou.

Enfin, lady Erskine se leva et dit :

— Georges vous a laissé quelque chose à titre de souvenir. C’est une chose qu’il tenait en haute estime. Je vais vous la remettre.

Sitôt qu’elle eut quitté la pièce, je me tournai vers le docteur et lui dis :

— Quelle épouvantable secousse cette mort a dû être pour lady Erskine. Je suis surpris qu’elle la supporte comme elle l’a fait.

— Oh ! Il y a des mois qu’elle était prévenue de ce qui allait arriver, répondit-il.

— Elle était prévenue depuis des mois ! m’écriai-je, mais comment ne l’en a t-elle pas détourné ? Comment n’a-t-elle pas veillé sur lui ? Il devait être fou.

Le docteur me regarda avec de grands yeux.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, fit-il.

— Bah ! m’écriai-je, si une mère sait que son fils va se suicider…

— Se suicider ! répondit-il. Le pauvre Erskine ne s’est pas suicidé. Il est mort de consomption… Il est venu mourir ici. Sitôt que je le vis, je compris qu’il n’y avait pas d’espoir. Un poumon était presque perdu ; l’autre était très atteint. Trois jours avant sa mort, il me demanda s’il n’y avait plus d’espoir. Je lui répondis franchement qu’il n’y en avait aucun et qu’il n’avait plus que peu de jours à vivre. Il écrivit quelques lettres. Il était tout à fait résigné et conserva sa connaissance jusqu’à sa dernière heure.

À ce moment, lady Erskine entra dans la pièce, le fatal portrait de Willie Hughes à la main.

— Quand Georges allait expirer, il m’a priée de vous donner ceci, dit-elle.

Comme je pris le portrait, ses larmes tombèrent sur mes mains.

Le portrait est maintenant dans ma bibliothèque où il est admiré de mes amis artistes. Ils ont décidé que ce n’est pas un Clouet mais un Oudry[22].

Je ne me suis jamais soucié de leur dire sa véritable histoire. Mais quelquefois quand je le regarde, je pense qu’il y a vraiment beaucoup à dire sur la théorie Willie Hughes des Sonnets de Shakespeare.


  1. Macpherson est l’éditeur et le forgeur des prétendus Poèmes d’Ossian qui ont fait les délices de nos grands-pères à qui il n’aurait pas fallu parler de leur dieu avec ce dédain. (Note du traducteur.)
  2. Ireland (William Henry, 1777-1835) prétendit avoir trouvé des manuscrits inédits de Shakespeare qu’il publia à partir de 1795. Il finit par avouer son invention. (Note du traducteur.)
  3. Chatterton (Thomas, 1752-1770) mit au jour des poèmes qu’il attribuait à Rowley et qui soulevèrent d’interminables polémiques. (Note du traducteur.)
  4. Penhurst dans le Kent, château ayant appartenu aux Sydney. (Note du traducteur.)
  5. William Herbert, troisième comte de Pembroke, (1580-1630), célèbre par son goût pour les lettres, héritage de sa mère et de son oncle Philippe Sydney. Il fut l’ami de Massinger, de Ben Jonson, de Chapman et de Shakespeare. (Note du traducteur.)
  6. Mary Fitton, fille d’honneur de la reine Élisabeth, devenue en 1600 la maîtresse du jeune comte de Pembroke, dont elle eut un fils. L’hypothèse, qui le mêle au mystère des Sonnets, est moins généralement admise que celle qui fait jouer le rôle capital à William Herbert. (Note du traducteur.)
  7. Francis Meres (1565-1647), auteur du Discours comparatif de nos poètes anglais avec les poètes grecs, latins et italiens (1598) où il fournit la liste des œuvres de Shakespeare. (Note du traducteur).
  8. Voici le texte de la dédicace des Sonnets. Je copie la disposition typographique et traduis le plus littéralement possible.

    To
    The only begetter of these ensuing sonnets
    Mr W. H.
    All Happiness
    and
    That Eternity promised by our ever living poet
    Wisheth
    The well Wishing adventurer
    In setting forth.

    T. T.

    À l’unique acquéreur des sonnets ci-après, monsieur W. H. tout bonheur et cette éternité que lui promit notre poète immortel, souhaite le très sincère vœu de celui qui hasarde cette publication, T. T. (Thomas Thorpe).

    Si l’on place la virgule après Wisheth, le sens est ainsi modifié :

    À l’unique acquéreur des sonnets ci après, monsieur W. H. souhaite tout bonheur et cette éternité que lui promit notre poète immortel.

    Le bien sincère aventureur de cette publication,

    T. T.

    Thomas Thorpe était l’éditeur des Sonnets.

    (Note du traducteur.)
  9. Georges Chapman (1557-1534) contemporain de Shakespeare, remis en honneur par Algernon C. Swinburne et réédité en 1873. (Note du traducteur.)
  10. Ou ont pris mon Hughes. (Note du traducteur.)
  11. Sonnet XX, 8.
  12. Sonnet CIX, 14.
  13. Sonnet VIII, 1.
  14. Sonnet XXVI, 1.
  15. Sonnet I, 10.
  16. Sonnet XXII, 6.
  17. Sonnet CXXVI, 9.
  18. Sonnet II, 3.
  19. Sonnet XCV, 1.
  20. Christophe Marlowe (1564-1593). Voir l’excellente étude de Félix Rabbe préfaçant sa traduction du Théâtre. Stock, éditeur. (Note du traducteur.)
  21. Henry-Julius de Brunswick (1589-1613), fils du troisième duc de Brunswick-Wolfenbuttel, prince lettré, auteur de deux drames en prose, grand bâtisseur de châteaux et grand dépensier. (Note du Traducteur.)
  22. P. Oudry, peintre français inconnu, est l’auteur d’un portrait de Marie Stuart qui figure à la National Gallery. (Note du traducteur.).