Le Pot d’or/Chapitre 8

La bibliothèque libre.
Traduction par Émile de La Bédollière.
Georges Barba (p. 24d-27g).

HUITIÈME VEILLÉE

La bibliothèque des palmiers. — Sort malheureux d’un salamandre. — Comment la plume noire caressa un morceau de rave, et comment le greffier Heerbrand s’enivra.


L’étudiant Anselme travaillait déjà depuis plusieurs jours chez l’archiviste Lindhorst. Ces heures de travail étaient pour lui les plus heureuses de sa vie ; car, toujours entouré de sons agréables, des paroles encourageantes de Serpentine, touché souvent par un léger souffle qui passait en frémissant près de lui, il était inondé d’une félicité qui allait souvent jusqu’à l’excès de la joie. Toute peine, tout chagrin de son existence nécessiteuse avaient disparu de son esprit et dans la nouvelle vie qui s’ouvrait à lui tout éclatante de soleil il comprenait ces merveilles d’un monde supérieur, qui déjà l’avaient rempli d’étonnement et d’effroi. Ses copies allaient très-vite, car il lui semblait qu’il transcrivait sur le parchemin des caractères connus depuis longtemps ; il lui suffisait de regarder l’original pour l’imiter avec la plus scrupuleuse exactitude. Outre les moments de repos, l’archiviste se faisait voir de temps en temps ; mais il apparaissait toujours juste à l’instant où Anselme venait de terminer la dernière ligne d’une page. Il lui en donnait une autre, et le quittait de nouveau, sans prononcer une seule parole, mais après avoir touché l’encre avec un petit bâton noir et avoir remplacé les plumes par d’autres toutes neuves et plus fraîchement taillées.

Un jour, lorsque Anselme au coup de midi avait déjà monté les portes de l’escalier, il trouva fermée la porte par laquelle il entrait ordinairement, et l’archiviste Lindhorst apparut de l’autre côté dans sa robe de chambre singulière et tout ornée de fleurs brillantes. Il lui cria :

— Aujourd’hui nous entrons ici, mon cher monsieur Anselme, car le maître de Bhogovotgita nous attend dans cette chambre.

Il traversa le corridor et conduisit Anselme à travers les chambres et les salles qu’il avait vues le premier jour. Anselme s’étonna encore de la magnificence du jardin ; mais il vit alors distinctement que plusieurs fleurs singulières pendantes dans les sombres bosquets étaient des insectes étincelants des plus vives couleurs, qui voltigeaient de toutes parts et qui en dansant entre eux semblaient se caresser en faisant tourner leurs trompes. Au contraire les oiseaux, de couleur rose et bleu de ciel, étaient des fleurs odorantes, et leur parfum, qu’elles répandaient à l’envi, s’émanait de leurs calices avec des bruits délicieux qui se mêlaient au clapotement des fontaines éloignées, au murmure des grands arbrisseaux et des arbres en formant des accords d’une plaintive mélancolie. Les oiseaux moqueurs qui la première fois l’avaient raillé et persiflé voltigeaient autour de sa tête en criant sans cesse de leurs voix déliées :

— Monsieur l’étudiant, monsieur l’étudiant ! n’allez pas si vite, ne regardez pas les nuages, vous pourriez tomber sur le nez ! Hé ! hé ! monsieur l’étudiant, mettez sur vous le manteau à poudrer, compère schuhu vous frisera le toupet !

Et tous ces sots bavardages durèrent jusqu’à ce qu’Anselme eut quitté le jardin.

L’archiviste entra dans la chambre bleu azur, le porphyre et le pot d’or avaient disparu, et à leur place se trouvait une table couverte de velours violet, sur laquelle était placé le matériel d’écriture bien connu d’Anselme. Il y avait aussi un fauteuil garni de la même façon que la table.

— Mon cher monsieur Anselme, dit l’archiviste, vous m’avez copié déjà plusieurs manuscrits rapidement et à ma grande satisfaction. Vous avez acquis ma confiance ; mais le plus important reste à faire, et c’est la copie ou plutôt l’imitation d’œuvres écrites en caractères particuliers, et que je conserve dans cette chambre. Elles doivent être faites sur place. Vous travaillerez ici à l’avenir, mais je dois vous recommander l’attention la plus scrupuleuse, une tache d’encre jetée sur l’original vous précipiterai dans les plus grands malheurs.

Anselme fit la remarque que du tronc du palmier s’avançaient de petites feuilles d’un vert d’émeraude. L’archiviste prit une de ces feuilles, et Anselme vit que la feuille consistait en un rouleau de parchemin, que l’archiviste développa, et qu’il étendit sur la table. Anselme ne fut pas médiocrement surpris de l’étrangeté des replis des caractères, et en voyant la quantité de points, de traits, de lignes, d’enroulements qui semblaient représenter tantôt des plantes, tantôt de la mousse, ou bien des figures d’animaux, il fut sur le point de perdre le courage et l’espérance de reproduire exactement tant de choses, et il tomba dans de profondes réflexions.

— Ayons du cœur, jeune homme ! s’écria l’archiviste ; si tu as la foi et un véritable amour, compte sur l’aide de Serpentine.

Sa voix résonnait comme un métal sonore, et lorsqu’Anselme jeta sur lui un rapide coup d’œil, l’archiviste Lindhorst était debout en costume royal, comme il lui était apparu dans sa bibliothèque à sa première visite.

Anselme se sentit comme sur le point de tomber plein de respect à genoux devant lui ; mais il s’éleva sur les branches d’un palmier et disparut dans les feuilles d’émeraude. Anselme comprit qu’il avait parlé au prince des esprits, et que celui-ci était parti pour son cabinet de travail pour converser peut-être avec un rayon envoyé par les planètes en ambassade au sujet de ce qui devait lui arriver à lui et à Serpentine.

— Il est encore possible, pensa-t-il après, qu’il attende des nouvelles des sources du Nil, ou qu’il ait reçu la visite d’un magnat de Laponie. Ce que j’ai de mieux à faire maintenant est de me mettre au travail. Et il commença à étudier les caractères étranges du rouleau de parchemin.

L’étonnante musique du jardin vint à résonner et l’entoura des plus doux parfums ; il entendit aussi babiller les oiseaux, mais il ne comprenait pas leur langage : ce qui lui faisait plaisir. De temps en temps on aurait dit que les feuilles d’émeraude du palmier s’agitaient avec bruit, et alors retentissaient à travers la chambre les doux sons de cristal qu’Anselme avait entendus sous le sureau au jour mystérieux de l’Ascension.

Et à ces sons, à cette lumière, Anselme se sentait venir merveilleusement des forces nouvelles, et il attachait toujours plus intimement ses sens et sa pensée aux caractères tracés sur le parchemin, et il comprit bientôt que ces signes n’avaient d’autre signification que ces mots :

— Des fiançailles du salamandre avec la couleuvre verte.

Alors un fort accord de tierce partit des cloches de cristal.

— Anselme, cher Anselme ! soupira une voix venue des feuilles.

Ô miracle, la couleuvre verte descendit en ondoyant du tronc du palmier.

— Serpentine, belle Serpentine ! s’écria Anselme dans le délire d’une suprême félicité. Car en regardant avec une attention plus grande il vit une admirable jeune fille s’avançant comme en volant à sa rencontre, et elle le regardait avec ces yeux bleu foncé pleins d’un ineffable amour, ces yeux qui vivaient en son âme. Les feuilles parurent s’abaisser et s’étendre, de tous côtés des épines jaillissaient des troncs ; mais Serpentine se tournait et se glissait adroitement parmi ces obstacles, tandis qu’elle tirait après elle sa robe flottante, et comme brillante de peinture, en la serrant contre son corps souple : de cette manière, son vêtement ne resta nulle part accroché par les épines et les pointes qui s’étaient dressées en avant.

Elle s’assit auprès d’Anselme sur la même chaise, l’entourant de ses bras et le serrant contre elle, de sorte que le souffle de sa douce haleine le touchait, et qu’il sentait la chaleur électrique de son corps.

— Cher Anselme ! lui dit-elle, bientôt tu m’auras conquise par la foi et par l’amour, et je t’apporterai le pot d’or qui nous rendra heureux pour toujours.

— Ô belle et chère Serpentine, disait Anselme, que je te possède seulement, et le reste me touchera peu. Lorsque tu seras à moi, alors je consens à laisser ma vie dans toutes ces choses étranges et merveilleuses qui m’ont assailli depuis le jour où je t’ai vue.

— Je sais, continua Serpentine, que tout cet inconnu, tout cet incompréhensible dont mon père t’a souvent entouré par un jeu de son caprice a éveillé en toi une crainte secrète ; mais cela, je l’espère, ne doit plus arriver, et dans ce moment je suis là, mon cher Anselme, pour te raconter dans les plus grands détails et du fond de mon esprit, du fond de mon cœur, ce qu’il faut que tu saches pour connaître mon père, surtout pour bien comprendre les circonstances qui m’unissent à lui.

Il semblait à Anselme qu’il était tellement entouré de cette gracieuse et charmante figure qu’il ne pouvait plus faire un seul mouvement, un seul geste sans elle. Elle était pour lui le battement de son pouls, qui tremblait entre ses fibres et ses nerfs ; chacune de ses paroles retentissait jusqu’au fond de sa poitrine, et comme un brillant rayon la joie du ciel illuminait son âme. Il avait placé son bras autour de sa taille déliée ; mais l’étoffe brillante et peinte de sa robe était si polie, si glissante qu’il lui sembla qu’elle pouvait, en évitant rapidement son étreinte, s’échapper sans qu’il pût la retenir, et cette pensée le fit trembler.

— Ah ! ne m’abandonne pas, belle Serpentine ! car tu es ma vie ! s’écria-t-il involontairement.

— Je ne m’en irai pas aujourd’hui, lui dit-elle, avant de t’avoir raconté tout ce que tu pourras comprendre dans ton amour pour moi.

— Sache donc, bien-aimé, que mon père descend de la merveilleuse eau des salamandres, et que je dois l’existence à son amour pour la couleuvre verte.

Dans les temps éloignés, le puissant prince des esprits Phosphorus régnait dans l’étonnant pays de l’Atlantide. Les esprits élémentaires lui étaient soumis. Un jour le salamandre qu’il affectionnait le plus (c’était mon père) se promenait dans les magnifiques jardins que la mère de Phosphorus avait embellis des dons les plus précieux, et il entendit une haute fleur de lis chanter ainsi tout bas :

— Ferme bien tes yeux, jusqu’à ce que le vent du matin, mon bien-aimé, te réveille…

Il s’avança au souffle de sa brûlante haleine. La fleur de lis ouvrit ses pétales, et il aperçut sa fille, la couleuvre verte, qui sommeillait dans le calice.

Alors le salamandre fut épris pour la belle couleuvre d’un violent amour, et il la ravit à la fleur, dont les parfums appelèrent en vain dans leurs ineffables plaintes la fille chérie, car Salamandre l’avait portée dans le château de Phosphorus en lui adressant cette prière :

— Unis-moi à ma bien-aimée, il faut qu’elle soit à moi pour toujours…

— Insensé, que demandes-tu ! dit le prince des esprits ; sache donc qu’autrefois la fleur de lis fut mon amante et régnait avec moi, mais l’étincelle que je jetai en elle menaçait de l’anéantir, et seulement la victoire sur le dragon noir que les esprits de la terre tiennent maintenant dans les fers sauva la fleur, dont les pétales gardèrent assez de force pour enfermer l’étincelle et la conserver. Mais, si tu embrasses la couleuvre verte, ton feu brûlera le corps, et un nouvel être rapidement créé s’envolera loin de toi. Le salamandre méprisa les avis du prince des esprits. Plein d’un ardent désir, il serra la couleuvre verte contre son cœur ; elle tomba en cendres, et un être ailé né de ces cendres mêmes s’éleva avec bruit dans les airs. Alors le salamandre fut saisi du délire du désespoir, et répandant le feu et les flammes, il courut à travers le jardin et le dévasta dans sa sauvage fureur, de sorte que les plus belles fleurs et leurs boutons tombèrent brûlés en remplissant l’air de leurs cris de douleur. Le prince des esprits irrité saisit le salamandre dans sa colère et lui dit :

— Ton feu t’est ravi, tes flammes sont éteints, tes rayons sont sans éclat ; va, tombe parmi les esprits de la terre qui te railleront, et te tiendront captif jusqu’à ce que l’étoffe du feu s’allume de nouveau, et t’élève rayonnant du sein de la terre sous la forme d’un être nouveau.

Le pauvre salamandre tomba éteint dans les profondeurs ; mais alors s’avança le vieil esprit de la terre, ou grondeur, jardinier de Phosphorus, et il lui dit :

— Maître ! qui plus que moi peut avoir à se plaindre de Salamandre ? N’ai-je pas paré de mes plus beaux métaux les fleurs qu’il a incendiées ? N’ai-je pas soigné et veillé leurs germes, et dépensé pour elles bien des couleurs admirables ? Et cependant je me sens ému de pitié pour le pauvre Salamandre ! L’amour seul, l’amour que tu as éprouvé aussi autrefois l’a jeté dans le désespoir, et l’a porté à dévaster le jardin ; fais-lui grâce de sa dure punition !

— Son feu est maintenant éteint, dit le prince des esprits ; mais dans des temps moins heureux, lorsque le langage de la nature ne sera plus intelligible à la race endurci des mortels, lorsque les esprits des éléments bannis dans leurs régions ne pourront plus parler à l’homme que du fond des espaces lointains et seulement en plaintes sombres, lorsqu’il aura été arraché du cercle harmonieux, et que seul un immense désir lui parlera confusément du merveilleux royaume qu’il habitait jadis, lorsque la foi et l’amour vivaient dans son cœur ; alors, dans ces temps de disgrâce, l’étoffe de feu de Salamandre s’allumera de nouveau ; mais lorsqu’il germera chez lui il sera fait homme, et il devra en supporter la vie misérable et les chagrins. Mais non-seulement il conservera la mémoire de son origine, mais il vivra encore dans une sainte harmonie avec la nature, comprendra ses prodiges, et le pouvoir des esprits ses frères sera dans ses mains. Il retrouvera dans un buisson de lis la couleuvre verte, et les fruits de son union avec elle seront trois sœurs qui apparaîtront aux hommes sous la forme de leur mère. À l’époque du printemps elles se suspendront dans les feuillages sombres du sureau, et feront entendre leurs admirables voix de cristal.

S’il se trouve alors dans ces temps malheureux d’inintelligence intérieure un jeune homme qui comprenne leur chant, si un des serpents le regarde de ses beaux yeux bleus, si son regard éveille en lui le pressentiment d’un lointain et merveilleux pays vers lequel il pourra courageusement s’élever lorsqu’il aura jeté de côté le fardeau des instincts grossiers, si son amour pour le serpent fait germer en lui la foi aux miracles de la nature, et même à sa propre existence dans ces vivants et brûlants miracles, alors ce jeune homme deviendra l’époux de la couleuvre ; mais le salamandre ne déposera sa lourde enveloppe, et il n’ira rejoindre ses frères, que lorsqu’il aura trouvé trois jeunes hommes de ce genre, et qu’il les aura fiancés à ses filles.

— Maître, dit l’esprit de la terre, permets que je fasse à ces trois filles un présent qui embellisse leur vie avec l’époux qu’elles auront trouvé. Chacune d’elles recevra de moi un pot du plus beau métal que je possède ; je le polirai avec les rayons que j’enlèverai au diamant. Dans son éclat se reflétera, par un admirable et aveuglant miroitage, notre miraculeux royaume, dans l’accord où il se trouve maintenant avec la nature, et au moment des fiançailles il jaillira de son intérieur une fleur de lis, dont la fleur éternelle doit entourer de ses doux parfums le jeune homme accepté par les épreuves. Bientôt il comprendra le langage et les ineffables beautés de notre royaume, et ira habiter l’Atlantide avec sa bien-aimée.

Tu sais, mon cher Anselme, que mon père est le salamandre dont je viens de te raconter l’histoire. Il dut, en dépit de sa haute nature, se soumettre aux tracasseries de la vie commune, et de là viennent souvent les caprices malicieux qui le portent à se moquer des autres. Il m’a dit plus d’une fois que l’on a une expression pour rendre cette disposition d’esprit, que le prince des esprits, Phosphorus, exige comme condition au mariage de mes sœurs et de moi, et que cette expression, souvent employée mal à propos, est un sentiment naïf de poésie.

Ce sentiment se trouve souvent parmi des jeunes gens qui, à cause de la grande simplicité de leurs mœurs, et parce qu’ils manquent de ce que l’on appelle l’usage du monde, sont tournés en ridicule par la foule.

— Ah ! mon cher Anselme ! tu as compris, sous le sureau, mon chant, mon regard ! Tu aimes le serpent vert, et tu veux être à moi pour toujours. La belle fleur de lis s’élèvera florissante hors du pot d’or ; nous serons heureusement réunis, et nous irons dans l’Atlantide. Mais je ne peux pas te cacher que, dans un épouvantable combat avec les salamandres et les esprits de la terre, le dragon noir a quitté sa prison, et s’est envolé avec bruit dans les airs. Phosphorus l’a de nouveau remis dans les chaînes ; mais de quelques-unes de ses plumes noires qui, pendant le combat, sont tombées sur la terre, ont germé des esprits ennemis qui combattent partout les salamandres et les esprits de la terre. Cette femme, qui est si fort ton ennemie, mon cher Anselme, et qui, comme mon père le sait fort bien, convoite la possession du pot d’or, a dû la naissance à l’amour d’une de ces plumes des ailes du dragon pour une rave. Elle connaît son origine et son pouvoir, car dans les plaintes, dans les efforts convulsifs du dragon captif elle a deviné les secrets de plusieurs constellations et elle emploie tous les moyens pour entrer ici de l’extérieur, et mon père la combat avec des regards de salamandre. Elle rassemble et irrite tous les principes ennemis qui demeurent dans les plantes nuisibles et les animaux venimeux en mêlant aux constellations favorables quelque maléfice qui répand la terreur dans les sens des hommes et les jette sous le pouvoir de ces démons que le dragon a créés en succombant dans le combat. Prends garde à cette vieille, Anselme ! elle est ton ennemie, parce que ta nature innocente a déjà détruit plusieurs de ses charmes odieux ; reste fidèle, fidèle à moi, bientôt tu seras au but.

— Oh ! ma Serpentine ! s’écria l’étudiant Anselme, comment me séparer de toi, comment pourrais-je ne pas t’aimer toujours !

Un baiser brûla ses lèvres, il s’éveilla comme d’un rêve profond, Serpentine avait disparu, six heures sonnaient. Il se sentit attristé de n’avoir pas copié un seul mot. Il regarda la page plein d’appréhension sur ce que dirait l’archiviste. Ô surprise ! la copie du manuscrit mystérieux était terminée, et en regardant les caractères de plus près il crut avoir copié le récit de Serpentine sur son père le favori de Phosphorus le prince des esprits. Alors entra l’archiviste Lindhorst, dans sa redingote grise, le chapeau sur la tête, la canne à la main ; il regarda le parchemin couvert d’écriture par Anselme, prit une grande prise, et dit en riant :

— J’en étais sûr ! Bien ! voici le thaler, monsieur Anselme. Maintenant nous allons aller aux bains de Link, suivez-moi !

L’archiviste se mit à marcher rapidement dans le jardin, où il se faisait un tel bruit de chants, de sifflements de paroles, qu’Anselme en fut tout étourdi, et remercia le ciel quand ils se trouvèrent dans la rue.

À peine avaient-ils fait quelques pas qu’ils rencontrèrent le greffier Heerbrand, qui se joignit à eux de grand cœur. Devant la porte de la ville ils bourrèrent leurs pipes. Le greffier Heerbrand se plaignit de ne pas avoir de briquet sur lui ; alors l’archiviste Lindhorst lui dit de mauvaise humeur :

— Comment, du feu ! en voici et autant que vous en voudrez.

Et en disant cela il fit claquer ses doigts, d’où jaillirent de larges étincelles qui allumèrent la pipe aussitôt.

— Voyez-vous ce tour de chimie ? dit le greffier Heerbrand ; mais l’étudiant Anselme pensait au Salamandre avec un frisson intérieur.

Aux bains de Link, le greffier Heerbrand but tant de bière que lui, homme ordinairement très-paisible, se mit à chanter la chanson des étudiants d’une voix criarde de ténor. Il demandait à tout le monde avec violence :

— Êtes-vous mon ami, oui ou non ?

Et enfin il dut être plutôt apporté que conduit chez lui par Anselme, mais déjà l’archiviste s’était éloigné depuis longtemps.