Le Principe de relativité/La Relativité généralisée

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Éditions Étienne Chiron (p. 47-62).

II.

La Relativité Généralisée.

20. La pesanteur de l’énergie. — Si l’on réfléchit d’ailleurs que cette inertie de l’énergie donne l’interprétation la plus simple de la pression de rayonnement puisque l’énergie, si elle est inerte, doit quand elle se propage sous forme de rayonnement transporter de la quantité de mouvement, et par conséquent pousser les obstacles qu’elle rencontre et donner lieu au recul d’une source qui rayonne de manière non symétrique, on voit quelle puissance de simplification et d’explication possède la nouvelle dynamique, la seule qui soit compatible avec les équations de l’électromagnétisme.

Une remarque très simple va nous servir de transition entre la relativité restreinte, grâce à laquelle les résultats précédents ont été obtenus, et le développement tout à fait général que M. Einstein vient de donner aux conséquences du principe de relativité.

Nous venons de voir vérifiée par les faits la loi d’inertie de l’énergie, la variation de masse d’un corps avec son énergie totale. Mais, d’autre part, les expériences les plus précises, celles d’Eötvös en particulier qui ont atteint le vingt-millionième, montrent que le poids d’un corps est exactement proportionnel à sa masse, que l’accélération de la pesanteur est la même pour tous les corps. Si donc la masse (inertie) change avec l’énergie interne, le poids doit changer aussi exactement dans le même rapport : si l’énergie est inerte, elle doit être en même temps pesante. Nous pouvons remarquer en particulier que les petits écarts sur les masses atomiques, résultant des variations d’énergie interne pendant la formation des atomes, se constatent en réalité au moyen de mesures de poids.

Il est donc vraisemblable que l’énergie rayonnante, la lumière en particulier, qui se comporte comme inerte, doit se comporter comme pesante, d’où l’idée qu’un rayon lumineux doit s’incurver dans un champ de gravitation.

La première forme sous laquelle cette idée a été développée par M. Einstein se présentait de manière naturelle, au moins en apparence. On pouvait supposer que la lumière serait déviée comme un mobile se mouvant avec la vitesse . L’énormité de cette vitesse fait que la courbure dans le champ de pesanteur terrestre serait absolument insensible. Le Soleil, au contraire, possède une masse suffisante pour dévier appréciablement un rayon lumineux passant à proximité suffisante. Un calcul très simple, la recherche de l’angle des asymptotes de la trajectoire hyperbolique suivie par un mobile dont la vitesse à grande distance du Soleil serait , montre que la déviation produite a pour valeur

(16) ,

est la constante de la gravitation, la masse du Soleil, la distance minimum de la trajectoire au centre du Soleil. Pour un rayon passant exactement au bord du Soleil, l’emploi des valeurs connues pour les quantités figurant dans la formule (16) donne pour la valeur

0″87.

Une étoile voisine du bord du Soleil devrait donc en paraître plus éloignée qu’elle n’est en réalité, d’une quantité un peu inférieure à une seconde d’arc, c’est-à-dire accessible à l’expérience pendant une éclipse totale qui permet seule de photographier les étoiles voisines du bord du Soleil.

Des expéditions, empêchées par la guerre, avaient été prévues pour vérifier ce fait sur l’éclipse totale du 19 août 1914. Depuis cette époque, M. Einstein a réussi de manière complète à développer les conséquences du principe de relativité sous sa forme la plus générale et s’est trouvé conduit, à la fin de 1915, en suivant la voie que je vais essayer d’indiquer brièvement à prévoir une déviation exactement double de celle qu’il avait obtenue par ce raisonnement provisoire, soit 1″,74 pour une étoile vue tout près du bord du Soleil.

On peut tout d’abord remarquer que ce raisonnement simpliste présente ce même caractère hybride que nous avons reconnu à la théorie optique de Fresnel : il associe le point de vue de la propagation des ondes lumineuses, exactement régi par les lois de l’électromagnétisme qui se conservent pour les transformations du groupe de Lorentz et sont l’expression pure de la notion des actions de proche en proche à travers l’espace, avec celui de la mécanique rationnelle, celui des actions instantanées à distance, en appliquant la loi de gravitation de Newton. Ici encore la vérité se trouve dans le développement logique des idées fondamentales.

21. Le boulet de Jules Verne. — La gravitation se trouvant ainsi, pour la première fois, amenée en contact ou en liaison avec les phénomènes électromagnétiques ou optiques par l’idée que la lumière ou l’énergie rayonnante doit se comporter comme pesante, M. Einstein en déduit naturellement que, pour des observateurs liés à la Terre, l’expression immédiate des faits qui se passent à leur voisinage doit être que la lumière ne se propage pas en ligne droite, pas plus qu’un mobile lancé et abandonné à lui-même ne se meut d’un mouvement rectiligne et uniforme, ne satisfait à la loi d’inertie, puisqu’il est dévié par la pesanteur. Le champ de pesanteur nous apparaît comme la cause commune de ces écarts à partir des lois simples prévues par la théorie de la relativité restreinte pour un Univers régi par les lois de l’électromagnétisme sous leur forme habituelle et que nous appellerons un Univers euclidien à cause de l’analogie signalée plus haut avec la géométrie euclidienne. Un Univers euclidien est caractérisé par le fait qu’il existe une infinité de systèmes de référence, en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres, pour lesquels nos postulats fondamentaux sur la propagation isotrope de la lumière, sur la possibilité d’une mesure optique du temps et sur l’exactitude des lois de l’électromagnétisme sont vérifiés. Dans un tel Univers et pour les systèmes de référence appropriés, la lumière se propage en ligne droite et un mobile libre se meut d’un mouvement rectiligne et uniforme.

L’Univers réel ne remplit pas ces conditions, au moins pour un système de référence lié à la Terre. Il pourrait cependant les remplir par rapport à d’autres systèmes en mouvement convenable (autre qu’une translation uniforme) par rapport à la Terre, et être par suite euclidien.

On peut en effet trouver, au moins localement, c’est-à-dire pour une région de l’Univers suffisamment limitée dans l’espace et dans le temps, une solution à cette question par l’intermédiaire du boulet de Jules Verne.

À l’intérieur d’un projectile lancé sans rotation et par conséquent se mouvant en chute libre, la pesanteur n’existe pas et l’Univers est euclidien. En effet, tous les objets qu’il peut renfermer étant soumis, en vertu de la loi de constance de rappelée plus haut, à une même accélération d’ensemble, tombant tous de la même manière et indépendamment les uns des autres, il n’y a ni haut ni bas pour des observateurs intérieurs au projectile et aucun effort n’est nécessaire pour maintenir un corps libre immobile par rapport aux parois.

Pour un système de référence lié à ces parois, la pesanteur a disparu, un mobile libre se meut d’un mouvement rectiligne et uniforme, et il est naturel d’admettre que la lumière à l’intérieur se propage en ligne droite, que l’Univers est euclidien.

L’emploi d’un système de référence en mouvement uniformément varié par rapport à la Terre permet donc de supprimer le champ de gravitation, mais il est visible que ce résultat n’est obtenu que localement puisque le champ de gravitation terrestre n’est pas uniforme. Pour un boulet de Jules Verne voisin d’un point de la Terre, le champ de pesanteur n’existe pas à son intérieur ni à son voisinage immédiat, mais il existe à distance là où commence à varier appréciablement en grandeur ou en direction. Nous exprimerons ce fait en disant qu’il y a un Univers euclidien tangent en tout point et en tout lieu à l’Univers réel : c’est dans une petite étendue autour d’eux celui d’observateurs en chute libre et sans rotation rapportant les événements à des axes qui leur sont liés. Cette notion est, comme nous allons le voir, tout à fait voisine de celle que Gauss a mise à la base de sa théorie des surfaces en admettant l’existence en tout point d’une surface d’un plan tangent confondu avec la surface dans une étendue infiniment petite pour laquelle la géométrie est la géométrie plane conforme en particulier au postulatum d’Euclide, alors que, pour une étendue finie considérée sur la surface, les lignes qu’on y peut tracer n’obéissent pas aux lois de la géométrie euclidienne : les géodésiques ou lignes de plus courte distance n’y sont pas des droites et leurs propriétés correspondent, comme on voit, à une géométrie qui n’est pas euclidienne à moins que la surface ne soit développable, applicable sur un plan.

Le fait essentiel qui résulte de la remarque précédente est que, étant donnés deux événements infiniment voisins, il existe des systèmes de référence, ceux d’observateurs en chute libre au voisinage immédiat de ces événements, par rapport auxquels peut se mesurer, au sens de la relativité restreinte, l’élément invariant que nous avons rappelé la possibilité d’action de ces deux événements. De la même manière l’hypothèse de Gauss sur l’existence du plan tangent en tout point d’une surface comme celle de la Terre permet d’appliquer aux mesures faites dans une étendue limitée la géométrie euclidienne du plan et, en particulier, d’exprimer la longueur d’un arc de courbe infiniment petit tracé sur la surface en l’assimilant à un élément de droite situé dans le plan tangent.

Mais inversement, si l’emploi d’un système de référence approprié permet de faire disparaître le champ de gravitation dans une région limitée de l’Univers, l’emploi d’un système de référence en mouvement quelconque est exactement équivalent à l’introduction d’un champ de gravitation approprié, toujours comme conséquence de la proportionnalité du poids des corps à leur inertie, de la masse de gravitation à la masse mécanique.

Reprenons en effet l’exemple du boulet de Jules Verne et supposons qu’au lieu de le laisser en chute libre, nous lui communiquions, par l’intermédiaire d’une corde par exemple, une accélération d’ensemble par rapport à la chute libre. Les objets intérieurs ne pourront suivre ce mouvement qu’à condition d’être soumis de la part de la paroi à une force convenable ; ils devront être poussés par cette paroi et viendront presser contre elle du côté opposé à celui où est attachée la corde. Il y aura de nouveau un haut et un bas et les observateurs intérieurs au boulet pourront croire qu’ils sont au repos dans un champ de gravitation proportionnel à l’accélération communiquée à la paroi par la corde. Si même ils regardent au dehors et voient la corde tendue, ils pourront se croire suspendus par cette corde et immobiles dans ce même champ de gravitation. Il y a ainsi équivalence, comme dit M. Einstein, entre un champ de gravitation uniforme et une accélération d’ensemble du système de référence.

On peut aller plus loin et supposer le système de référence en mouvement quelconque à condition d’introduire un champ de gravitation non uniforme et convenablement distribué : il suffit en chaque point d’admettre un champ de gravitation d’intensité égale à l’accélération en ce point du système de référence par rapport à des axes en chute libre et sans rotation. Un point matériel libre, qui se meut en ligne droite par rapport à ces derniers, se mouvra par rapport au système de référence exactement comme il le ferait s’il était soumis à l’action du champ de gravitation indiqué, et nous admettrons qu’il en sera de même pour un rayon lumineux.

Champ de gravitation et mouvement quelconque du système de référence sont donc indiscernables au point de vue physique. L’emploi d’un système de référence en rotation par rapport à des axes de Galilée, comme par exemple l’emploi d’axes liés à la Terre, est équivalent à l’introduction d’un champ de gravitation distribué exactement comme l’accélération centrifuge, comme le champ de force centrifuge. Et nous savons que sur la Terre par exemple la mesure de faite par un procédé quelconque, dynamique ou statique, pendule ou peson, nous fournit toujours un même résultat que seules des considérations théoriques nous conduisent à décomposer en un champ de force centrifuge et un champ newtonien. Rien ne différencie l’un de l’autre au point de vue de leur influence sur les phénomènes sensibles à leur action, mouvement d’un point matériel, propagation de la lumière, etc.

Nous voici donc conduits à l’énoncé suivant d’un principe de relativité généralisé : à condition d’introduire un champ de gravitation convenablement distribué, il est possible d’énoncer les lois de la Physique sous une forme complètement indépendante du système de référence.

Tout se passe pour un système de référence en rotation comme s’il était en translation et comportait un champ de gravitation distribué comme le champ de force centrifuge.

La remarquable puissance du principe ainsi énoncé tient à la possibilité de le traduire analytiquement de la manière suivante, qui exprime le même fait sous une forme plus précise :

Les équations qui régissent les lois des phénomènes physiques en présence d’un champ de gravitation quelconque doivent conserver leur forme quand on change d’une manière quelconque le système de référence employé.

Cette condition d’invariance généralisée limite extraordinairement les formes possibles pour les lois de l’Univers. Grâce à l’introduction du calcul différentiel absolu créé antérieurement par MM. Ricci et Levi-Civita, et qui permet de former les combinaisons jouissant de la propriété requise, M. Einstein a pu déterminer la forme générale des équations de la mécanique et de l’électromagnétisme en présence d’un champ de gravitation quelconque et pour un système de référence quelconque à partir de la forme particulière connue pour l’univers euclidien, c’est-à-dire en l’absence de tout champ de gravitation. Ceci est la traduction mathématique du fait signalé plus haut que les mesures faites à partir d’un système de référence quelconque et dans un champ de gravitation quelconque peuvent se déduire dans chaque région infiniment petite des mesures faites dans un univers euclidien, celui d’observateurs en chute libre dans la région considérée.

22. La loi de gravitation. — Il restait une dernière étape à franchir. Si l’énergie est sensible au champ de gravitation, comme la masse dans la théorie newtonienne, elle doit aussi contribuer à le produire ou à le modifier. La distribution du champ de gravitation doit être déterminée par celle de l’énergie présente exactement comme Newton prévoit suivant quelle loi le champ de gravitation est déterminé par la distribution des masses attirantes. Il s’agit de trouver la relation qui doit remplacer la loi du carré de la distance traduite analytiquement par l’équation de Poisson

(17) ,

est le potentiel de gravitation, la constante de la gravitation et la densité en volume des masses attirantes.

La loi cherchée doit satisfaire, comme toutes celles de la Physique, à la condition de conserver sa forme pour un changement quelconque du système de référence. En y joignant la condition de comporter la loi de Newton comme première approximation, au même titre que la mécanique de la relativité comporte la mécanique rationnelle comme forme limite pour infini, M. Einstein a pu déterminer exactement l’expression analytique de cette loi.

En vertu de cette loi, l’énergie présente dans l’Univers, sous forme de matière ou de rayonnement, détermine en tout point la distribution du champ de gravitation et par suite la façon dont s’y propage la lumière. Toutes les possibilités de mesure, y compris celles de l’espace et du temps se trouvant liées à la manière dont se fait cette propagation, on voit que les propriétés même de l’espace au point de vue géométrique ou cinématique sont influencées par l’énergie présente et l’Univers réel n’est pas euclidien dans son ensemble, si l’on peut le considérer comme tel dans chaque région infiniment petite.

Le mouvement d’un point matériel libre dans cet Univers et la trajectoire d’un rayon lumineux sont déterminés d’autre part, dès que l’on connaît la distribution du champ de gravitation, par les lois générales de la mécanique et de l’optique conformes au principe de relativité généralisé. En particulier, le mouvement d’un point libre y est encore régi par la condition d’action stationnaire donnée par la formule (8), où l’élément d’une ligne d’univers est défini en chaque point par des observateurs en chute libre, c’est-à-dire dans l’univers euclidien tangent à ce point à l’Univers réel, comme l’arc élémentaire d’une courbe tracée sur une surface est défini par des mesures euclidiennes faites dans le plan tangent. Cette condition (8) a par conséquent le caractère d’invariance requis par le principe de relativité généralisé et l’on peut l’exprimer en disant que la ligne d’univers d’un point matériel libre est une géodésique de l’Univers réel. Le trajet d’un rayon lumineux s’obtient de manière analogue puisque la lumière doit se propager en ligne droite avec la vitesse pour les observateurs en chute libre voisins d’un point donné quelconque du rayon. Connaissant en chaque point le champ de gravitation, on peut déterminer la courbe cherchée par cette condition qui, comme la précédente, possède évidemment un caractère d’invariance, son énoncé étant indépendant de tout système particulier de référence. Le passage d’un système quelconque à un autre aurait seulement pour effet de changer la distribution du champ de gravitation à admettre et par conséquent la forme des trajectoires ou des rayons qui en résultent, de la manière exigée par l’emploi d’axes en mouvement quelconque par rapport aux premiers.

Les résultats obtenus par M. Einstein sont d’ailleurs plus généraux encore que je ne l’indique ici, où je m’efforce surtout d’insister sur l’aspect physique des idées. Les lois obtenues restent exactes même lorsqu’on emploie pour repérer chaque événement quatre coordonnées quelconques ne correspondant plus à la décomposition de l’univers cinématique en espace et temps, exactement comme on peut employer pour repérer les points d’une surface ou d’un espace à trois dimensions un système quelconque de coordonnées curvilignes non orthogonales. Il n’est pas nécessaire de s’élever à ce degré d’abstraction pour comprendre ce qui suit.

23. Le champ de gravitation d’un centre. — L’application la plus immédiate de la loi, conforme au principe de relativité généralisé, suivant laquelle le champ de gravitation est déterminé, est relative au cas d’une seule masse attirante centrale comme le Soleil et au mouvement possible d’un point matériel ou au trajet d’un rayon lumineux dans le champ ainsi défini.

Il suffit pour cela de prendre les équations qui expriment la loi de distribution dans le vide et de chercher si elles admettent une solution analogue à la solution pour le potentiel de gravitation autour d’une masse centrale . M. Einstein a pu les intégrer par approximations successives, et M. Schwarzschild en a donné la solution rigoureuse.

Cette solution s’exprime de la manière suivante : si l’on utilise un système de référence lié au centre attirant avec un système de coordonnées sphériques , , pour l’espace et une mesure optique du temps, si les coordonnées de deux événements infiniment voisins diffèrent de , , , pour ce système de référence, le champ de gravitation est tel que l’élément de temps propre ou le pour des observateurs en chute libre dans leur univers euclidien au voisinage immédiat de ces événements est donné par

(18)

représente la masse du corps attirant, du Soleil  par exemple.

24. Le mouvement des planètes. — Partant de là, on peut facilement trouver par la condition (8) le mouvement d’un point libre lancé dans ce champ de gravitation. Il suffit de chercher les géodésiques d’une multiplicité à quatre dimensions ayant l’élément d’arc donné en fonction des coordonnées par la formule (8). Le calcul est très simple et donne pour résultat un mouvement analogue à celui fourni par la loi de Newton mais un peu plus complexe. Au lieu d’une ellipse fixe (dans le cas où la trajectoire reste à distance finie), on trouve une ellipse qui tourne dans son plan autour du centre d’attraction avec une vitesse angulaire (mouvement du périhélie) donnée en fraction de tour par période par la formule

(19) ,

est le demi-grand axe de l’ellipse, son excentricité.

En donnant aux constantes les valeurs suivantes, qui correspondent au Soleil comme centre d’attraction et aux éléments et de la planète Mercure :

1,47.105,word-spacing:2em5,85.1012,word-spacing:2em0,21

et en prenant 88 jours pour la durée de révolution, on trouve au moyen de la formule (19) une rotation du périhélie de 42″9 par siècle.

25. Le mouvement de Mercure. — Or la planète Mercure, depuis bientôt un siècle que Le Verrier en a établi la théorie, fait le désespoir des astronomes par suite d’un désaccord entre le mouvement observé de son périhélie et les prévisions de la mécanique céleste de Newton en tenant compte des perturbations dues aux autres planètes, Vénus en particulier. Ce désaccord est exactement de 43 secondes d’arc par siècle, et l’on a vainement tenté de l’expliquer par l’hypothèse de planètes intramercurielles que les astronomes ont cherché à voir passer sur le disque du Soleil. Il est tout à fait remarquable que, sans introduction d’aucune hypothèse ou constante arbitraire, par le développement nécessaire de l’idée fondamentale, la théorie de relativité généralisée apporte la solution si longtemps cherchée.

La nouvelle mécanique céleste fondée sur la loi de gravitation représentée par l’ensemble des formules (8) et (18) se développe en ce moment de divers côtés. Elle n’introduit aucune difficulté en ce qui concerne les planètes autres que Mercure et semble devoir également combler les lacunes qui subsistaient dans la théorie de la Lune conforme à l’ancienne mécanique céleste.

26. La déviation de la lumière. — La formule (18) permet, comme je l’ai indiqué, de trouver le trajet d’un rayon lumineux qui reste déterminé par la condition de Fermat ou de temps minimum. On n’obtient pas une ligne droite, mais une trajectoire incurvée vers le centre d’attraction, avec une déviation totale donnée par l’expression

(20)

double exactement, comme je l’ai déjà dit, de la valeur donnée par la formule (16).

On prévoit ainsi pour une étoile vue près du bord du Soleil une déviation vers l’extérieur égale à 1″74 et variant en raison inverse de la distance au centre du Soleil pour les étoiles plus éloignées.

Les astronomes anglais de Greenwich et d’Oxford ont organisé de manière remarquable deux expéditions destinées à vérifier l’exactitude de ce résultat en profitant de l’éclipse totale qui devait avoir lieu le 29 mai 1919.

La zone de totalité traversait l’Atlantique au voisinage de l’Équateur, commençant dans l’Amérique du Sud, pour finir en Afrique. Les conditions étaient particulièrement favorables, plusieurs étoiles brillantes devant être voisines du Soleil pendant l’éclipse.

Une première expédition se rendit à Sobral, au Brésil et réussit à prendre une dizaine de photographies pendant les 5 ou 6 minutes que dura la totalité. L’éclipse ayant eu lieu le matin, le mouvement rétrograde du Soleil par rapport aux étoiles fit en sorte qu’au bout de deux mois environ la même région du ciel fut visible de nuit et put être de nouveau photographiée avec les mêmes appareils pour permettre la comparaison. Le déplacement moyen ramené au bord du Soleil fut trouvé égal à 1″98. L’autre expédition s’installa dans la petite île portugaise de Principe, sur la côte ouest d’Afrique et rencontre des conditions moins favorables, le ciel ne s’étant découvert qu’aux derniers instants de l’éclipse. Néanmoins les clichés obtenus ont donné pour la déviation ramenée au bord en tenant compte de la relation (20) la valeur 1″60 ± 0″3.

Il est remarquable que la moyenne entre les résultats des deux expéditions, 1″79, coïncide exactement avec la valeur prévue. L’accord existe non seulement en moyenne, mais aussi dans les déplacements individuels observés sur les diverses étoiles et qui varient suivant la loi prévue avec leur distance au centre du Soleil.

La déviation en raison inverse de la distance au centre du Soleil, avec la grandeur exactement conforme au chiffre prévu, ne peut d’ailleurs pas s’expliquer par l’hypothèse d’une réfraction due à l’existence d’une atmosphère ou de matière cosmique autour du Soleil, et s’étendant jusqu’aux distances pour lesquelles les mesures ont été faites.

Il est facile, en effet, de chercher quelle densité devrait avoir une telle atmosphère pour produire l’effet observé en la supposant constituée par les gaz dont nous connaissons l’existence à la surface du Soleil. On trouve ainsi que la densité, à une distance du bord du Soleil égale à son rayon, devrait être égale environ au centième de la densité de notre atmosphère terrestre au voisinage du sol. L’énormité des distances traversées à travers un tel milieu par la lumière venant des étoiles vues au voisinage du Soleil est telle que, par diffusion analogue à celle qui donne le bleu du ciel, cette lumière serait considérablement affaiblie dans sa direction primitive. Au contraire, l’expérience montre que l’éclat des étoiles n’est pas modifié de manière appréciable par la proximité du Soleil.

D’autre part, des comètes ont été suivies dans ces régions et n’ont manifesté aucun ralentissement sensible alors que la matière si ténue qui les compose éprouverait une résistance énorme au passage de la part d’une atmosphère de cette densité.

Voici donc une série de faits expérimentaux qui imposent à l’attention de tous la théorie de relativité. Sa pleine intelligence demande un grand effort : il faut se dégager d’habitudes ancestrales dont notre langage est tout imprégné ; il faut remanier ces catégories du temps et de l’espace que nous considérions comme des formes nécessaires de notre pensée. Nous ne devons pas être surpris de constater que des moyens d’investigation expérimentale plus précis nous conduisent à cette nécessité : nos idées sont formées par l’expérience du passé, personnelle ou héréditaire, et leur adaptation progressive aux faits, douloureuse parfois mais toujours saine et fortifiante, ne saurait être éludée.