Le Printemps de 1915 (Verhaeren)

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Les Ailes rouges de la guerreMercure de France (p. 119-122).

LE PRINTEMPS DE 1915


Tu me parlais de ta voix belle
Et demandais en insistant :
Y a-t-il encore un printemps
Et les feuilles repoussent-elles ?

La guerre accapare le ciel,
Les eaux, les monts, les bois, la terre ;
Où vient la rose ? où est le miel
Pour les abeilles volontaires ?


Où les pousses des roncerois
Et les boutons des anémones ?
Où la rencontre, au cœur du bois,
Des pas de Flore et de Pomone ?

— Hélas ! plus n’est de floraison
Que celle des feux dans l’espace :
Bouquets de rage et de menace
S’éparpillant sur l’horizon.

Plus n’est, hélas ! de splendeur rouge
Que celle, hélas, des boulets fous
Éclaboussant de larges coups
Clochers, hameaux, fermes et bouges.

Tout est sans joie et sans merci ;
La lutte épand de plaine en plaine
Ses bonds de fureur et de haine :
C’est le printemps de ce temps-ci.