Le Quatorze Juillet (Romain Rolland)/Notice

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Le Quatorze Juillet (Romain Rolland)
Le Quatorze JuilletHachette (p. 3).


L’auteur a cherché ici la vérité morale plus que la vérité anecdotique. Il a cru devoir user, dans cette action qu’enveloppe une poésie légendaire, de plus de libertés avec l’histoire qu’il ne se l’est permis en écrivant Danton. Dans cette dernière œuvre, il s’est astreint à serrer d’aussi près que possible la psychologie de quelques personnages : car le drame tout entier est concentré dans l’âme de trois ou quatre grands hommes. — Ici, rien de pareil : les individus disparaissent dans l’océan populaire. Pour représenter une tempête, il ne s’agit pas de peindre chaque vague, il faut peindre la mer soulevée. L’exactitude minutieuse des détails importe moins que la vérité passionnée de l’ensemble. Il y a quelque chose de faux et de blessant pour l’intelligence dans la place disproportionnée qu’ont prise aujourd’hui l’anecdote, le fait divers, la menue poussière de l’histoire, aux dépens de l’âme vivante. Ressusciter les forces du passé, ranimer ses puissances d’action, et non offrir à la curiosité de quelques amateurs une froide miniature, plus soucieuse de la mode que de l’être des héros ; rallumer l’héroïsme et la foi de la nation aux flammes de l’épopée républicaine, afin que l’œuvre interrompue en 1794 soit reprise et achevée par un peuple plus mûr et plus conscient de ses destinées : tel est notre idéal. Si nous ne sommes pas assez forts pour le réaliser, nous le sommes toujours assez pour y travailler de notre mieux. La fin de l’art n’est pas le rêve, mais la vie. L’action doit surgir du spectacle de l’action.

Juin 1901.