Par la harpe et par le cor de guerre/Le Réveil de la Bretagne

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xiv

LE RÉVEIL DE LA BRETAGNE


Et qui donc n’a vu, sur la crête des montagnes, — Arthur, le Grand Roi, avec ses guerriers ? — Arthur n’est point mort. Affilons nos couteaux — Pour trancher les entraves de la Bretagne… — Bardes, touchez les cordes de la Harpe d’acier, — Sonneurs, soufflez dans vos binious : — La Bretagne n’est plus garrottée ; elle est réveillée, en vérité ; — Arthur, Roi valeureux, tu n’es pas encore trépassé.

Depuis quinze cents ans, nous avons tous vu, — Parmi les blanches vapeurs de l’aurore, — Ou parmi les rouges nuages du crépuscule, — D’effroyables guerriers environnant Arthur. — Ils brandissaient leurs lourdes épées au-dessus de leurs tètes : — Malheur aux ennemis ! Les épées faucheront — Les membres ainsi que le froment est fauché dans la plaine : — Arthur, Roi valeureux, tu n’es pas encore trépassé.

Vous avez pu nous abaisser, ennemis fourbes, — Et pendant un temps nous imposer des lois ; — Mais bientôt viendra le grand jour d’allégresse — Où vous devrez vous enfuir de ce pays. — Et n’entendez-vous point la terre qui remue ! — Dans chaque cimetière paroissial des plaintes s’élèvent des tombes : — « Lourde est la terre foulée par les méchants. » — Arthur, Roi valeureux, tu n’es pas encore trépassé.

En Bretagne, on rencontre des foules inquiètes, qui vont, — À la nuit tombante, nul ne sait où ; — Elles glissent, plutôt qu’elles ne marchent, — Par les chemins creux, en agitant le bras… — Portez des armes de guerre sur les tombes des morts : — Faux aiguisées, haches, gourdins et lances : — Morts et vivants nous marcherons quand la trompe sonnera : — Arthur, Roi valeureux, tu n’es pas encore trépassé.

Chantez donc, ô Bardes, raidissez les cordes d’acier, — Que la Harpe guerrière soit plus sonore ! — Hommes instruits, mettez l’incendie dans chaque mot ; — Fils de la Cornouaille, soufflez sauvagement dans vos binious. — Vous tous dans le cœur desquels le sang bouillonne, — Sous les tyrans qui se rient de vos douleurs, — Que votre voix s’élève au ciel, en Arvor comme en Argoad : — Arthur, Roi valeureux, tu n’es pas encore trépassé.

Chantons tous d’une voix : « La Bretagne est le pays le plus beau. — Nul n’est plus courageux que le Breton. — Nul ne fut, nul n’est et nul ne sera plus courageux que lui ; — Seul contre dix, il se fait le défenseur de la Vérité. — Trop longtemps l’Étranger s’en est fait un jouet. — En la plénitude de sa force, le lion va se lever. — Traîtres sans cœur, bientôt vous tremblerez : — Arthur, Roi valeureux, tu n’es pas encore trépassé.

Une patrie comme celle-ci ne doit jamais périr ! — Des hommes comme ceux-ci renaissent dans leurs enfants ! — Que de fois notre sang a coulé pour la France ! — Sachons aussi le répandre pour notre patrie. — Nos saints nous protégeront, puisque nous sommes de leur sang, — Aussi longtemps que le regard de Dieu sera sur nos champs. — Sur la terre et dans le ciel la Bretagne doit vivre : — Arthur, Roi valeureux, tu n’es pas encore trépassé.