Le Rival de Sherlock Holmes (Fleischmann)/00

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PRÉAMBULE



Il n’est aujourd’hui personne qui ignore M. Sherlock Holmès et ne soit au courant des moindres aventures de cet extraordinaire gentleman. Sa renommée est, on peut le dire, pour le moins universelle. Dans tous les domaines de la vie sociale, politique, familière, son activité, sa clairvoyance, sa rigoureuse logique s’exercèrent avec fruit et avec succès. On sait suffisamment les résultats extraordinaires obtenus par lui dans des affaires qui semblaient d’un mystère impénétrable. Ai-je besoin d’en rappeler quelques-unes ici ? Les Hêtres rouges, les six Napoléons, l’Association des Hommes roux, la Bande Mouchetée, et cent autres, où sa perspicacité vint si souvent à l’aide des policiers de Scotland Yard ? Certes non, car le lecteur, aussi bien que nous, sait ces choses. Si j’en parle ici, c’est uniquement pour insister sur la gloire de M. Sherlock Holmès, pour dire la renommée qui entoure encore aujourd’hui son nom et le rend fameux entre le Corentin de Balzac, le Dupin d’Edgar Poë et le Javert de Victor Hugo.

Eh bien, cet homme illustre, glorieux, fameux, connu ; cet homme admiré, redouté, envié, haï ; ce policier terreur des malandrins, Œdipe du crime, providence de Scotland Yard, cet homme là eut un rival.

La mesure qu’il convient d’observer en toutes choses me fait écrire ici rival à la place de maître, quoique ce dernier titre lui eût certes, mieux convenu. Honni soit qui mal y pense ! Loin de moi la pensée de démolir la renommée de M. Sherlock Holmès au bénéfice de M. William Hopkins, car c’est William Hopkins que se nomma le rival du héros de l’aventure de l’homme à la lèvre retroussée ! Là n’est pas mon but, certes, mais cette renommée doit-elle m’empêcher de faire accorder à M. William Hopkins la part de gloire qui, si tardivement, hélas ! lui sera peut-être décernée par la postérité ?

Je ne le pense pas.

C’est là ce qui fait l’objet de ce récit.

Qu’on ne s’y trompe pas : l’historique « chacun pour soi » n’a pas cessé d’être vrai de nos jours. Cependant M. William Hopkins donna toute sa vie tort à la locution et prit pour lui, la devise « Chacun pour tous ». J’y reviendrai plus tard.

Aujourd’hui, dans ce préambule nécessaire au récit de quelques mystérieuses aventures, il me suffira de dire que je fus pendant trente ans l’ami, le confident de M. William Hopkins, comme le docteur Watson fut l’ami et le confident de Sherlock Holmès dans le petit appartement du célibataire de Baker Street.

Je n’en parle évidemment que par ouï-dire et de par le récit et les confidences qu’en fit, on le sait amplement, le docteur Watson lui-même. Je ne connus aucun de ces deux amis, car jamais je ne voyageai dans les îles de la Grande-Bretagne, et toujours en Amérique s’écoula le cours calme et régulier de ma vie active, dans l’ombre un peu agitée et souvent mouvementée de M. William Hopkins. C’est pourquoi cette ressemblance entre le docteur Watson et moi ne manqua pas de me frapper ; cependant si je la signale ici fidèlement, exactement, je ne veux en tirer aucune vanité, ni y attacher une importance superflue. Connais-toi toi-même, affirme le sage, et le sage a raison. L’esprit de réflexion qui m’est naturel, m’apprit à me connaître et, par la même occasion, me fait connaître le héros dont je me fais aujourd’hui le bénévole historien sans orgueil et sans vanité.

C’est donc un simple travail de reportage que je livre ce jour au public qui ignora toujours l’homme à qui quelques grands criminels durent d’être livrés à la cour suprême de Baltimore, de New-York, de Washington ou de Philadelphie.

J’ose espérer que grâce à ce travail, cette grande figure inconnue du rival de M. Sherlock Holmès sortira quelque peu de l’ombre où la modestie et la misanthropie la renfermèrent. Qu’on me pardonne de me mettre quelquefois en scène, mais souvent cela fut indispensable à l’intelligence et à la clarté du récit. Ma vanité n’a que faire de cela et je la sacrifie avec plaisir et non sans agrément à la mémoire de M. William Hopkins dont je puis dire, je pense, que puisqu’il a été à la peine, il sera à l’honneur.

James D. Sanfield, junior.-----
Ex-Ingénieur---------------
de la Western-Road Aluminium Co Limited.
New-York, le 6 Janvier 19…