Le Rival de Sherlock Holmes (Fleischmann)/08

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Albin Michel (p. 77-81).


CHAPITRE VIII

Court chapitre sur une brève séance du Standard-Trust.



— Sanfield, me dit Hopkins, j’ai grand appétit. La réussite de notre affaire vaut bien un excellent déjeuner. Allons au Waux-hall Garden. Le vin de France y est digne de notre intérêt.

Hélant un handsow[1] nous nous mîmes en route vers ce restaurant fameux du meilleur aloi.

Chemin faisant j’observais le visage de mon ami.

Il était rayonnant. Le cigare au coin de la bouche il dépêchait par la portière une fumée bleuâtre que le vent aigre et vif secouait au loin, par les rues grises de cette morne matinée pluvieuse.

Le déjeuner fut succulent et admirablement composé. Au café, devant le verre de gin, Hopkins rappela les incidents de la matinée et la marche des événements.

— Tout s’enchaînait dans cette affaire, dit-il. Dès les premières paroles de Sam Harrisson, je compris qu’il me fallait circonscrire le cercle de mes recherches. Ce que je vous ai dit en revenant ce soir-là à Black-Road était le premier jalon de mon raisonnement. Ce que vous m’avez appris concernant les mines convoitées par le Standard Trust fut le second jalon. La piste était indiquée, il ne me restait plus qu’à la suivre jusqu’au bout. Vous avez vu, Sanfield, si nous avons abouti. Une fois arrivé à l’identification de l’homme à la barbe rousse, je me suis senti dans la place et me suis dit : j’y suis, j’y reste. J’y restai. Eus-je tort ?

— Hopkins, dis-je, votre enquête confine au génie !

— Mais non, mais non, sympathique ami, rien ne fut plus simple. Quiconque eût raisonné fût arrivé au même résultat en plus ou moins de temps. L’essentiel pour nous, aujourd’hui, est que l’affaire soit terminée.

— Mais il nous reste encore votre visite au Trust, ce soir ?

— Oh ! ce n’est qu’une simple formalité !

— Qu’allez-vous faire, Hopkins ? Et comment espérez-vous terminer tout cela sans qu’il en résulte quelque dommage pour M. Mortimer ?

— Précieux ami, il est deux heures. Je vais aviser Sam Harrisson de ma visite pour ce soir huit heures. Il me reste donc six heures pour savoir à quelle décision je m’arrêterai. Allons faire un tour à Brooklyn.

À la porte de Chelsea-Road, Hopkins envoya le télégramme pour le roi des chemins de fer, et, ayant passé un court instant dans l’appartement de Black-Road nous achevâmes la journée par une promenade au long des quais où s’opérait le débarquement des transatlantiques européens.

À huit heures sonnant on nous introduisit dans la salle du Conseil du Standard Trust.

Ainsi qu’au soir de notre première visite les cinq rois étaient là, assis en cercle autour de la grande table. Mon regard alla vers M. Mortimer. Seule la pâleur de son visage trahissait son inquiétude secrète.

— Eh ! bien, M. Hopkins ?… interrogea Sam Harrisson à l’entrée du rival de Sherlock Holmès.

— Messieurs, dit Hopkins, en se tenant debout devant la table, les deux mains appuyées sur le tapis, je ne vous retiendrai pas longtemps. Votre temps est précieux et le mien n’est pas à perdre. L’auteur des lettres anonymes est découvert. Il a avoué. Son nom ne vous apprendrait rien d’autant plus qu’il ne recommencera ni ne continuera pas. Cet homme là est mort et il n’y a que les morts qui ne reviennent pas. Je vous apporte ici le témoignage formel de son repentir et de ses regrets. Vous pouvez en toute sécurité acheter les mines du Colorado, de la Caroline, du Dakota, du nouveau Mexique, de la Californie, du Kentucky et du Montana. J’aime à croire que M. Mortimer ne s’y opposera plus. Il reconnaîtra avec vous, que l’affaire est excellente véritablement puisqu’elle a excité des convoitises qui n’ont pas craint de s’affirmer par des menaces de mort à l’égard de vos estimables et honorables personnes. M. Mortimer, en outre, ne recevra plus de bombes. Je vous en apporte par la même occasion l’engagement certain. C’est tout ce que j’avais à vous dire, messieurs. Je suis votre serviteur.

— Merci, gentleman, dit Sam Harrisson. Le Standard Trust vous exprime sa reconnaissance.

Ce disant il tirait de sa poche un carnet de chèques, remplit une feuille, la déchira et la tendit à William Hopkins :

— Caisse ouverte de 9 heures à 3 heures, gentleman.

Hopkins prit le chèque, salua et sortit.

Ainsi se termina le mystère de la conspiration contre le roi de l’or, le roi de l’acier, le roi des bœufs, le roi des chemins de fer, et… — il faut le dire, aussi invraisemblable que cela puisse paraître — contre le roi des transatlantiques, pauvre et honteux de ses deux milliards.





  1. Cabriolet en usage à New-York.