Le Roi Lear/Traduction Hugo, 1872/Scène III
Scène III.
Est-il vrai que mon père ait frappé un de mes gentilshommes qui réprimandait son fou ?
Oui, madame.
— Nuit et jour il m’outrage ; à toute heure — il éclate en quelque grosse incartade — qui nous met tous en désarroi : je ne l’endurerai pas. — Ses chevaliers deviennent turbulents, et lui-même récrimine contre nous — pour la moindre vétille… Quand il reviendra de la chasse, — je ne veux pas lui parler ; dites que je suis malade. — Si vous vous relâchez dans votre service, vous ferez bien ; je répondrai de la faute.
— Il arrive, madame ; je l’entends.
— Affectez, autant qu’il vous plaira, la lassitude et la négligence, — vous et vos camarades ; je voudrais qu’il en fît un grief. — Si ça lui déplaît, qu’il aille chez ma sœur — dont la résolution, je le sais, est d’accord avec la mienne — pour ne pas se laisser maîtriser… Ah ! sur ma vie, — ces vieux fous redeviennent enfants, et il faut les traiter — par la rigueur, quand ils abusent de nos cajoleries (29). — Rappelez-vous ce que j’ai dit.
Fort bien, madame.
— Et que ses chevaliers soient traités par vous plus froidement ; — peu importe ce qui en résultera ; prévenez vos camarades à cet effet. — Je voudrais, et j’y parviendrai, faire surgir une occasion — de m’expliquer. Je vais vite écrire à ma sœur — de suivre mon exemple… Préparez-vous pour le dîner.