Le Saule des Regrets (Victoire Babois)

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Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 54-56).




MME VICTOIRE BABOIS.

LE SAULE DES REGRETS.


Saule, cher à l’amour et cher à la sagesse,
Tu vis, l’autre printemps, sous ton heureux rameau,
Un chantre aimé des dieux moduler sa tristesse ;
Et l’onde vint plus fière enfler ton doux ruisseau.

Sur le feuillage ému, sur le flot qui murmure,
L’amour a conservé ses soupirs douloureux.
Moi, je te viens offrir les pleurs de la nature,
Ne dois-tu pas ton ombre à tous les malheureux ?

Dans ce même vallon, doux saule, j’étais mère !
Mon ame s’enivrait d’orgueil et de bonheur ;
Dans ce même vallon, seule avec ma misère,
Je n’ai que ton abri, mes regrets et mon cœur.

Ma fille a respiré l’air pur de ton rivage ;
Elle a cueilli des fleurs sur ces gazons touffus ;
Ses charmes innocens, les grâces de son âge,
Ont embelli ces lieux : doux saule, elle n’est plus !


J’aimais à contempler sa touchante figure
Dans le cristal mouvant de ce faible ruisseau ;
J’y trouvais son sourire, sa blonde chevelure…
Hélas ! je cherche encore et n’y vois qu’un tombeau.

Cesse de protéger la tranquille sagesse ;
À l’amour étonné retire tes bienfaits.
Je viens, loin des heureux, t’apporter ma détresse,
Sois l’asile des pleurs, sois l’arbre des regrets.

Dérobe à tous les yeux ce douloureux mystère ;
Que ton ombre épaisse enveloppe mon sort.
Sous tes pâles rameaux, retombant vers la terre,
Enferme autour de moi le silence et la mort.

Dieu ! tu m’entends ; déjà sur la tige flétrie
La fleur perd son éclat, la feuille sa fraîcheur ;
Doux saule, tu me peins le terme de la vie :
Hélas ! tu veux aussi mourir de ma douleur.

Ton aspect dans mon cœur vient d’arrêter mes larmes ;
Ah ! laisse-moi du moins le pouvoir de gémir.
De mes regrets plaintifs rends-moi les tristes charmes ;
Je le sens, il me faut ou pleurer ou mourir.


Lorsqu’assis à tes pieds, sous les vents en furie,
Le sage voit ton front se courber sans effort,
Il pardonne au destin, il supporte la vie ;
Apprends-moi donc aussi qu’il faut céder au sort.

Ah ! rends-moi du printemps la fraîcheur renaissante,
Rends à mon cœur flétri tes sons trop tôt perdus ;
Rends-moi les arts, la paix, l’amitié plus touchante,
Mais non, ne me rends rien ; doux saule, elle n’est plus.