Le Talisman du pharaon/30

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Librairie Beauchemin, Limitée (p. 149-152).


XXX

LE RETOUR


Quelques jours après, Sélim, qui avait son idée, était parti seul à cheval pour trouver, d’après les indications d’Yvaine, le camp de von Haffner. Il voulait demander à l’Allemand la raison de sa conduite et de son lâche attentat.

Quand il eut atteint le gué où le Nil était franchissable, il regarda l’horizon : la rive droite du fleuve était absolument déserte. Nulle trace de camp… l’Allemand avait fui…

Il se décida pourtant à traverser le Nil. Un sentier se trouvait un peu à sa gauche, assez large pour le passage d’un cheval. Il y dirigea sa bête, regardant le sol pour y trouver des traces. Soudain il s’arrêta et mit pied à terre… Il venait d’apercevoir, piqué tout droit sur la rive, un poignard — son poignard — celui qui avait tué le crocodile.

Il hésita un instant avant de saisir l’arme, puis ses traits se détendirent. Il comprenait. Karl von Haffner avait dû repêcher le cadavre flottant du saurien, preuve du sauvetage d’Yvaine, et il s’était enfui, craignant le châtiment.

Sélim fit le geste de jeter le poignard à l’eau, puis il se ravisa et le mit dans les fontes de sa selle. Il renonçait à poursuivre l’Allemand, et puis, quelque chose lui disait que des traîtres seraient châtiés.

Il revint au camp et montra sa trouvaille à ses amis. Le père et la fille renoncèrent aussi à l’idée de se venger… Ils pardonnaient… Tout était parfait du reste puisque la jeune fille était sauvée et le Talisman retrouvé.

Mais au sujet du bijou, Pierre de Kervaleck avait des scrupules. Il se demandait parfois s’il devait garder l’anneau, ou le remettre à Férid-Pacha, premier possesseur de l’amphore.

Il opina pour la seconde idée, et, sans dire pourquoi aux jeunes gens, il décida de partir pour le Caire.

Le retour s’effectua par la rive droite du Nil, celle que von Haffner avait si longtemps hantée.

Férid-Pacha fut bien étonné quand il revit le savant et la jolie Yvaine. Son plaisir sincère fut bien partagé.

Le père de Sélim avait un peu changé. Ses cheveux, si noirs jadis étaient tout gris, mais sa haute taille était toujours droite, et ses yeux noirs avaient conservé leur douceur hautaine.

Sélim décida son père et ses amis à passer quelque temps dans sa jolie résidence de Gisèh, perdue dans la verdure et les fleurs.

Très ancienne, bâtie dans le goût antique le plus pur, la maison de Sélim plut beaucoup à Pierre de Kervaleck. De superbes peintures, des frises sculptées, des mosaïques ornaient les pièces entièrement garnies de vieux meubles de style. On se serait cru à une autre époque, en pénétrant dans cette vieille demeure, merveilleusement conservée.

Un après-midi, le Pacha et son ami causaient tranquillement en fumant d’odorantes cigarettes. Et le savant fit le récit de son expédition. Quand il montra la bague, les yeux de Férid-Pacha étincelèrent.

— Comme je suis heureux, dit-il, que vous ayez fait cette trouvaille. Oh ! mon ami, le Talisman du Pharaon ne peut être en meilleures mains. Nul mieux que vous ne sait l’apprécier à sa juste valeur, et l’anneau est digne de figurer dans votre musée.

Le savant avait compris. Il serra chaleureusement la main que Férid-Pacha lui tendait, sincèrement heureux.

Ses yeux se portèrent soudain vers le jardin où se tenaient Yvaine et Sélim, très absorbés par leur conversation. Le Pacha les avait vus aussi, et, comme son ami, il avait deviné.

Les deux pères se regardèrent, se sourirent et se serrèrent la main : ils s’étaient compris. Pierre Kervaleck n’hésiterait pas à donner sa fille à Sélim dont il avait pu apprécier la haute noblesse de sentiments, et Férid-Pacha n’avait pas d’inquiétude ; il était sûr de son fils. Il était heureux d’être ainsi rapproché, par cet indissoluble lien d’hymen, du savant pour qui il avait une grande et sincère estime.

Il serait fier d’avoir droit comme lui au titre de grand’père, que lui donneraient les enfants de Sélim et d’Yvaine.

En leur for intérieur, les deux amis se réjouissaient à la pensée de ces petites têtes blondes ou brunes — peut-être blondes et brunes — qui se presseraient un jour autour d’eux, et ils sentaient qu’ils les adoreraient, ces enfants de leurs enfants qui naîtraient beaux, forts, vigoureux, de l’union de deux races différentes rapprochées cependant par une unique croyance, et ils se mirent à sourire, à cet avenir fleuri.